La lettre juridique n°662 du 7 juillet 2016 : Finances publiques

[Chronique] Chronique juridique de finances locales - Juillet 2016

Réf. : TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015, n° 11/07236 (N° Lexbase : A0523NMC) ; TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015, n° 13/04996 N° Lexbase : A3508N3C) ; TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n° 12/15120 (N° Lexbase : A2927PKM)

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par Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine

le 07 Juillet 2016

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de finances locales de Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, co-directeur de la double licence en droit français et allemand Metz-Sarrebruck, Faculté de droit de Metz (UFR DEA), IRENEE, Université de Lorraine. Cette chronique se penchera sur trois jugements récents relatifs au contentieux des produits à risque des collectivités locales (emprunts structurés et swap de taux), le premier indiquant que le caractère averti de l'emprunteur délivre le banquier de son obligation de mise en garde (TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015, n° 13/04996), le deuxième délivrant logiquement une solution inverse du fait de la richesse de l'expérience du département dans le domaine des swaps (TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015, n° 13/04996) et le troisième soulignant que la violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information n'entraîne pas l'annulation du contrat (TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n° 12/15120). Il convient dans un premier temps de restituer le contexte juridique de ces jurisprudences (1).
  • Le contexte des trois jugements

Les administrations publiques locales (APUL) (2) ont dégagé en 2015 un solde de 700 millions d'euros après un déficit de 8,5 milliards d'euros en 2014. Malgré cet excédent, elles présentent un endettement s'élevant, en 2014, à 9,3 % et, en 2015, à 9,4 % de la dette publique (soit 189,5 milliards d'euros en 2014 et 196,5 milliards d'euros en 2015). Ces emprunts locaux ne peuvent financer que des investissements (3). 70 % des investissements publics en France sont d'ailleurs réalisés par les APUL (4). Avant la décentralisation de 1982, les emprunts devaient être préalablement autorisés par le préfet. Aujourd'hui, ils ne sont soumis qu'à une obligation de transmission (5).

Traditionnellement, les collectivités locales empruntent auprès d'un nombre restreint de banques. Il s'agissait essentiellement de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL) créée en 1966, rebaptisée Crédit local de France en 1987, puis entièrement privatisée depuis 1993 et portant le nom de Dexia Crédit local depuis 1997 en raison de son rapprochement avec son homologue belge. On comptait auparavant la Caisse des dépôts et consignation (CDC) (6), dont émanait la CAECL, et la Caisse d'épargne (intervenant sur le marché de l'emprunt local par le biais de Natixis depuis 2004 et son rapprochement avec la Banque populaire). La libéralisation des marchés financiers a, depuis les années 80, ouvert à la concurrence les prêts aux collectivités locales (7).

Les emprunts structurés se distinguent des emprunts traditionnels (à taux fixe comme variable) en raison des options qu'ils contiennent et des réductions de taux en cas d'évolution favorable de la conjoncture économique qu'ils permettent. La vente des options (qui sont en fait des produits financiers) était censée réduire les annuités. La crise immobilière puis bancaire, américaine puis internationale de 2008 a, au contraire, conduit à une augmentation exponentielle des taux d'intérêt, rendant ces emprunts toxiques pour le budget de la collectivité concernée. La crise des emprunts toxiques s'explique par le manque de déontologie des banques, de prudence des élus et de contrôles de l'Etat. Les exécutifs locaux, habitués à des taux préférentiels et peu méfiants envers des banques souvent proches de l'Etat, cherchaient à profiter de la baisse des taux intervenus dans les années 90 et au début des années 2000. Les banques, de leur côté, entendaient reconstituer leurs marges (réduites par la baisse des taux) en développant des prêts structurés. Même les Chambres régionales des comptes n'ont pu, dans un premier temps, détecter les dangers les caractérisant.

D'après la Cour des comptes, Dexia est responsable des deux-tiers des créances toxiques du secteur public local français (8). La banque a accordé pour 11,2 milliards d'euros de prêts structurés (encours au 31 décembre 2012), à raison de 20 % par DCL (Dexia crédit local) et de 80 % par DMA (Dexia municipal agency, aujourd'hui appelée Caffil, Caisse française de financement local). Les créances toxiques de Dexia ont obligé les Etats français, belges et luxembourgeois en 2008, lors de la crise financière mondiale, puis en 2011, lors de la crise de l'euro, à organiser son sauvetage. La crise de 2008, dite des "subprimes", était une crise des liquidités. Les banques ne pouvaient plus se refinancer à cause du manque de confiance régnant entre elles après la faillite de certaines d'entre elles. Ce refus des banques de prêter de l'argent à d'autres banques a obligé les Etats à injecter de l'argent public, creusant par là même les déficits publics. La crise de l'euro de 2011, quant à elle, trouve son origine dans le doute des investisseurs face à la capacité de certains Etats de la zone euro de rembourser leurs dettes souveraines, agravées par la crise de 2008. Cette anticipation négative a entraîné une envolée des taux d'emprunt, rendant plus difficile leur refinancement et menaçant de les conduire au défaut souverain.

Le second sauvetage a conduit à la mise en résolution de Dexia : elle doit vendre ses actifs sans en acquérir de nouveaux en vue de son extinction (9). Cette gestion extinctive a été autorisée par la Commission européenne dans le cadre d'un PRO (plan de résolution ordonné) (10). Un expert indépendant surveille pour le compte de la Commission son bon déroulement. La SFIL (Société de financement local) est l'établissement de crédit créé en vue de désensibiliser les emprunts toxiques vendus par Dexia aux collectivités locales. La désensibilisation est la réduction de l'encours des dettes à risque des collectivités locales. Elle peut prendre des formes différentes, comme le plafonnement des taux d'intérêt ou la diminution de la durée structurée. La SFIL est détenue à 75 % par l'Etat, la CDC en possédant 20 % et la Banque postale 5 %. La SFIL contrôle à 100 % la Caffil tandis que Dexia SA détient entièrement DCL. Entre 2013 et 2015, DCL a désensibilisé la moitié de ses emprunts toxiques et la SFIL, le quart (11). En juin 2015, DCL possède encore 1,05 milliards de prêts toxiques et la SFIL, 5,8 (12).

Le jugement n° 11/03778 du TGI de Nanterre du 8 février 2013 (N° Lexbase : A6629I7N) dans l'affaire "Seine Saint Denis contre Dexia" a fait prévaloir le taux légal (0,04 %) par rapport au taux stipulé en raison de l'absence du TEG (taux effectif global) dans le fax de confirmation du contrat. Cette application du taux légal à la place du taux stipulé dans les emprunts structurés est une jurisprudence constante et ancienne. Dans la même veine, le TGI de Paris, dans son jugement n° 11/04698, avait aussi ramené le 25 mars 2014 au taux légal un emprunt toxique contracté par la Seine Saint Denis auprès de la banque Depfa (Deutsche Pfandbriefbank) en raison de l'absence de TEG (13).

Cette jurisprudence était porteuse de conséquences désastreuses pour les banques des collectivités locales, au premier rang desquelles figuraient Dexia et aujourd'hui la SFIL, et donc aussi l'Etat et le contribuable.

La loi n° 2014-844 de validation du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par des personnes morales de droit public (N° Lexbase : L8472I38), a été reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 (N° Lexbase : A6670MUL). Une première mouture de ce dispositif avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, relative à la loi de finances pour 2014 (N° Lexbase : A9152KSR), en raison de son extension considérée à juste titre trop large. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes (14), cette loi du 29 juillet 2014 légalise rétrospectivement l'absence de TEG lors de la vente de prêts structurés. Cette loi rétroactive est destinée à éviter l'application du taux légal à la place du taux stipulé dans les produits structurés.

Le Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts toxiques a été institué par l'article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances initiale pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW), et l'article 111 de la loi "NOTRe" (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 N° Lexbase : L1379KG8) . Depuis la loi "NOTRe", le Fonds de soutien peut prendre en charge les indemnités de remboursement anticipé jusqu'à 75 % et non plus 45 % comme auparavant (16). La loi de finances initiale pour 2016 (loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 N° Lexbase : L2719KWM), quant à elle, a doublé le montant du Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts structurés afin de faire face à l'appréciation du franc suisse par rapport à l'euro dont l'envolée renchérissait davantage les taux d'intérêt des emprunts toxiques (17)...

La doctrine d'emploi du Fonds de soutien aux personnes publiques ayant souscrit des emprunts à risque, décidée par le CNOS (18) en 2013, a été précisée par le décret n° 2014-444 du 29 avril 2014 (N° Lexbase : L0916I3C) et son arrêté d'application du 22 juillet 2015 (N° Lexbase : L2629KDQ). Elle décrit les modalités d'intervention du Fonds de soutien aux organismes locaux vicitimes d'emprunts structurés et définit les contrats pouvant bénéficier des aides du Fonds de soutien (19).

Comme les collectivités n'avaient que jusqu'au 30 avril 2015 pour déposer une demande au Fonds de soutien et que l'acceptation de son aide empêche la poursuite des contentieux juridictionnels, les élus locaux ont dû décider en quelques mois s'ils préféraient la voie contentieuse ou l'aide du Fonds. Les tribunaux compétents ont alors interrompu les procédures jusqu'au printemps 2016 afin de laisser aux collectivités la possibilité de retirer leurs assignations. La création du Fonds de soutien a eu pour conséquence de réduire le nombre de contentieux à une centaine de procédures devant les tribunaux.

Le CNOS du 26 mai 2016 a établi que les 676 collectivités ou établissements locaux ayant déposé un dossier au Fonds de soutien ont reçu une proposition d'aide du Fonds. 1163 prêts sont concernés. Dans 61 % des cas, la collectivité locale ou l'établissement public a répondu. 90 % des réponses (représentant plus de 97 % des aides) sont positives. En somme, les accords ne concernent pour l'instant qu'un peu plus de la moitié des demandes.

L'aide du Fonds de soutien est en effet destinée à prendre en charge partiellement des IRA (indemnités de remboursement anticipé) auxquelles donnent lieu l'accord de sortie de l'endettement toxique négocié entre la collectivité et la banque. L'accord le plus important pour le moment concerne la Métropole de Lyon et le nouveau Rhône qui se sont défaits de la dette toxique du département du Rhône. La SFIL a exigé 424 millions d'euros d'IRA, 225 millions étant pris en charge par le Fonds de soutien, alors que le capital restant dû était de 217 millions d'euros.

Les collectivités doivent de surcroît rembourser les aides du Fonds. Pour cela, il leur faut s'endetter davantage. Paradoxalement, les collectivités les plus faibles financièrement peuvent ainsi être tentées de préférer le recours contentieux à l'aide du Fonds.

Les auditions du président du Conseil d'administration ainsi que du président du Comité directeur de Dexia (le 13 janvier 2016) puis du PDG de la SFIL (le 27 janvier 2016) par la Commission des finances de l'Assemblée nationale ont montré que la sortie des emprunts toxiques, loin de les faire disparaître, transfère leur risque sur l'Etat (20). Les emprunts repris, en effet, ne sont pas soldés mais seulement "confinés" (21).

De la même manière, le rapport public annuel de la Cour des comptes critique en 2016 les risques pour l'Etat et les contribuables que font courir les désensibilisations menées par la SFIL et DCL ainsi que l'extinction de Dexia. D'une part, une remontée des taux d'intérêt, aujourd'hui historiquement bas, d'autre part, l'augmentation des garanties nécessaires pour couvrir les ventes d'actif pourraient peser sur les finances publiques et entraîner des pertes de plusieurs milliards pour l'Etat (22).

D'autres instruments sont venus protégés dans l'avenir les collectivités locales face aux emprunts risqués. Tout d'abord, la Charte "Gissler" de 2009 est une charte de bonne conduite dans laquelle associations d'élus et établissements bancaires s'engagent à respecter certains principes afin d'éviter la souscription d'emprunts toxiques. Elle est annexée à la circulaire du 25 juin 2010, relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (N° Lexbase : L1609IRZ).

Ensuite, le nouvel article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2580KGN), introduit par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase : L9336IX3), réduit le risque de taux. Il prévoit, d'une part, l'obligation de respecter des valeurs maximales fixées par des indices définis par un décret en Conseil d'Etat (23). Il impose, d'autre part, la conclusion d'un contrat d'échange de devises si l'emprunt est souscrit dans une monnaie étrangère.

Par ailleurs, cette même loi a créé l'Agence France local comptant 11 collectivités au départ et aujourd'hui 91 (24). L'Agence France locale (AFL) a été mise en place le 22 octobre 2013 (25) afin de financer les collectivités locales. Elle se compose de deux entités juridiquement distinctes : d'une part, l'AFL société territoriale, qui a une fonction d'orientation et, d'autre part, l'AFL société financière, qui a une fonction opérationnelle. Elle mutualise depuis mars 2015 les emprunts de ses adhérents sur le marché obligataire.

La loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (N° Lexbase : L3048IZW), dite loi "MAPTAM" rend en outre obligatoire un débat annuel sur la dette au sein de l'organe délibérant et fait expirer les délégations de l'exécutif en matière d'emprunt avec le début de la campagne électorale renouvelant l'organe délibérant dont il dépend.

Peut-être que la création prochaine d'une loi annuelle de financement des collectivités locales, de plus en plus débatue dans les revues et par les praticiens, permettrait de compléter l'arsenal présenté et de plafonner plus sûrement l'endettement local.

Notons enfin que, si les collectivités locales doivent procéder à une couteuse procédure de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de biens et de services de quelques dizaines de milliers d'euros, les contrats d'emprunt qui représentent souvent des sommes bien plus conséquentes sont conclus de gré à gré (26). La conclusion de contrats d'emprunt doit cependant respecter dans tous les cas les principes généraux de transparence et de non discrimination inscrits dans les Traités européens.

  • Un juge clément pour l'emprunteur non averti (TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015, n° 11/07236 N° Lexbase : A0523NMC)

Saint-Cast-le-Guildo est une commune de 3 500 habitants située dans les Côtes d'Armor. La commune conteste devant les tribunaux un prêt conclu avec DCL. L'écart entre les cours du franc suisse et de l'euro servant de base pour déterminer le taux d'intérêt applicable dans la phase structurée du remboursement, le montant des intérêts dus a explosé. En tant que première application de la loi de validation relative au TEG, cette jurisprudence, rendue après l'expiration du délai de candidature pour l'aide du Fonds de soutien, inaugure une ère nouvelle dans le contentieux des emprunts structurés.

Le juge de première instance a refusé d'admettre la nullité du contrat de prêt. Il a rejeté le dol avancé par la commune. En effet, les conditions du dol ne sont pas réunies. D'une part, il aurait fallu que la tromperie joue un rôle déterminant dans la volonté de s'engager de la victime, ce qui n'est pas évident ici. D'autre part, il est difficile de parler de manoeuvres de la banque destinées à tromper son client puisque, ni la crise de 2008, ni la détérioration de la parité entre l'euro et le franc suisse n'étaient prévisibles. La commune devra donc continuer à rembourser l'emprunt jusqu'en 2035. Ce jugement ne concernant que la période allant jusqu'en 2014, le litige relatif aux taux d'intérêt trop élevés entre 2014 et 2035 n'est toujours pas réglé. L'autre solution pour la commune consisterait à sortir du contrat en payant à la banque des IRA. Le TGI a reconnu la légalité des IRA mais ne se prononce cependant pas sur leur caractère excessif. En effet, il faudrait pour cela que le préjudice soit actuel pour la commune, ce qui n'est pas encore le cas en l'absence de sortie du contrat. Il s'agit peut-être là d'un moyen qui pourrait dans l'avenir prospérer puisque les IRA représentent 138 % du capital dû restant, ce qui représente plus de 4 millions d'euros à ajouter au 3,4 millions restant à rembourser...

Le tribunal reconnaît en revanche que Saint-Cast-le-Guildo est un emprunteur non averti. En effet, les agents municipaux ne présentaient pas une compétence financière approfondie, d'une part, et, d'autre part, la commune n'était pas grandement aguerrie dans le maniement des emprunts structurés les plus complexes. La reconnaissance du caractère d'emprunteur non averti ne va pas de soi pour les collectivités locales. La Seine-Saint-Denis, en raison du profil de ses agents et de son expérience dans le domaine des emprunts structurés, s'était par exemple vu refuser ce qualificatif dans le jugement du TGI de Nanterre du 8 février 2013. Etre un partenaire non averti entraîne une protection particulière de la commune lorsqu'elle risque de s'endetter au-delà de ses possibilités de remboursement. Cela est d'autant plus le cas lorsque l'emprunt proposé se caractérise par sa complexité. Au-delà de son devoir normal d'information, pesait donc sur la banque un devoir renforcé d'information. Vu que le taux d'intérêt initial de 2007, qui s'élevait à 3,99 %, a dépassé les 15 % à partir de 2011, DCL aurait dû mettre en garde son cocontractant, et ce d'autant plus que la volatilité du taux d'intérêt ne connaît aucun plafonnement contractuel (ou "cap"). La banque aurait dû détailler les différents scenarii possibles d'évolution de la conjoncture et les risques afférents à chacun d'eux pour son client. En revanche, le juge ne reconnaît aucun devoir de conseil allant au-delà du devoir de mise en garde. Un tel devoir de conseil aurait conduit la banque à exprimer sa propre opinion pour aider son client à prendre sa décision.

Le manquement de DCL à ses obligations de mise en garde constitue pour la commune une perte de chance actuelle et certaine de ne pas contracter que le juge fixe à 50 %. DCL et Caffil doivent ainsi solidairement rembourser à la commune, pour la période structurée qui a débuté en 2010, la moitié des intérêts payés au-dessus du taux s'appliquant avant celle-ci, soit 826 260 d'euros. La commune doit cependant verser à Caffil 1,5 million d'euros pour intérêts dus entre 2012 et 2014 et intérêts de retard.

Le maire a interjeté appel. Devant la cour d'appel de Versailles, il vise la nullité du contrat pourtant refusée en première instance. Il se dit prêt à aller jusque devant les juges européens. La loi de validation autorisant rétroactivement l'absence de TEG dans les contrats de prêt toxique est en effet peut-être contraire à la jurisprudence de la CEDH. Il est possible qu'elle ne poursuive aucun intérêt général légitime. D'une part, cette validation législative dégrade la situation des finances locales. D'autre part, l'Etat se comporte ici de façon partiale en visant son intérêt financier en tant qu'actionnaire de la banque.

  • Le caractère averti de l'emprunteur délivre le banquier de son obligation de mise en garde (TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015, n° 13/04996 N° Lexbase : A3508N3C)

La Seine Saint Denis a contracté auprès de Depfa un prêt de 200 millions d'euros le 16 novembre 2001, dont le remboursement s'étale jusqu'au 15 novembre 2017. Le département a par la suite signé un swap de taux s'élevant à 15 millions d'euros avec Natixis le 28 septembre 2006. Un swap est un échange de taux d'intérêt destiné à sécuriser des taux d'emprunts antérieurs en contrepartie d'une nouvelle détermination des taux applicables. Ce swap a lui-même été "contre-swapé" auprès de Depfa le 3 mai 2007. Devant l'envolée des taux du swap, la Seine-Saint-Denis a assigné Natixis le 28 mars 2013 afin de faire annuler le contrat par le TGI de Paris.

Le caractère spéculatif du swap, avancé par la Seine Saint Denis, signifierait que le contrat ne poursuit aucun intérêt général local et serait donc illégal parce qu'incompétemment conclu. Le juge ne reconnaît pas ce caractère spéculatif, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, le swap ici critiqué se borne à couvrir le risque d'un emprunt sous-jacent. Il n'excède pas la couverture de l'emprunt avec Depfa. Son appartenance à la famille des contrats aléatoires ainsi que sa nature d'instrument financier (C. mon. fin., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9870DY9 alors en vigueur) ne suffisent pas pour octroyer au swap un caractère spéculatif. Le jugement note même que le swap aurait pu être avantageux pour le département sans la crise financière, que la banque ne pouvait naturellement pas prévoir.

Ensuite, la circulaire du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d'intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux (N° Lexbase : L1586K9M) (qu'elle reprend du Conseil national de la comptabilité), ne peut être utilement invoquée pour démontrer le caractère spéculatif du swap litigieux. En effet, en tant que circulaire, ce texte ne possède qu'une valeur interprétative et non normative. Il ne peut donc ajouter à la loi, qui, à l'époque des faits, ne limitait pas la liberté contractuelle des collectivités locales en matière d'emprunts. Pour cela, il faudra en effet attendre la loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ainsi que le décret de 2014 la précisant sur ce point.

Les moyens tendant à montrer le vice du consentement ne vont pas plus prospérer. Le juge prend soin d'expliquer que les exigeantes conditions permettant d'identifier une erreur ou un dol ne doivent pas être confondues avec un éventuel défaut d'information.

En revanche, le jugement confirme que la Seine-Saint-Denis est un opérateur averti. La juridiction estime que la riche expérience du département dans le domaine des swaps suffit pour s'en persuader. Le juge ne prend pas la peine de vérifier précisément la qualification des agents départementaux, ni les structures variées des swaps conclus. Ces deux derniers éléments semblent sous-entendus par le nombre important de contrats d'échange de taux gérés par le département. Ce raisonnement est à rapprocher du jugement du TGI de Paris du 29 janvier 2015 (TGI Paris, 9ème ch., n° 11/09601 N° Lexbase : A4938NEM). Le faible nombre de produits structurés souscrits impliquait de s'attarder sur les divergences entre ces produits afin de concrètement se prononcer sur le caractère d'opérateur non averti du syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains. L'absence d'agents spécialisés avait alors achevé de convaincre du caractère d'opérateur non averti du syndicat intercommunal.

La Seine-Saint-Denis étant donc un opérateur averti, seule une obligation d'information pesait sur le banquier. Aucune obligation de mise en garde ne venait renforcer cette obligation d'information. En ce qui concerne l'obligation de conseil, elle ne pourrait découler que des termes du contrats. Le silence du swap à son sujet est donc suffisant pour en dispenser Natixis en l'espèce.

L'obligation d'information signifie que la banque a satisfait à ses obligations si elle a informé son cocontractant des risques de variation "des taux d'intérêt, des parités de change, des cours des actions et des indices boursiers". Comme c'est le cas dans cette affaire, le TGI déboute logiquement la Seine-Saint-Denis. Le Département doit exécuter le swap jusqu'à son terme et dédommager la banque pour l'interruption du paiement des intérêts dus.

  • La violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information n'entraînant pas l'annulation du contrat (TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n° 12/15120 N° Lexbase : A2927PKM)

Le litige tranché par le TGI de Paris dans son jugement du 7 janvier 2016 entre la commune de Laval et la banque Depfa a aussi pour objet un contrat de swap. Le taux d'intérêt applicable a été indexé sur l'évolution de l'écart entre l'euro et le franc suisse dans la phase structurée du remboursement. Signé en 2007, le prêt a vu sa phase structurée débuter en 2010.

En premier lieu, la banque aurait dû informer son client des risques liés au caractère potentiellement illimité de l'augmentation des taux d'intérêt contractuellement applicables. La prestation de la banque constitue en effet un service d'investissement (C. mon. fin., art. L. 533-4 N° Lexbase : L3078HZZ alors en vigueur). En l'absence de plafonnement, le contrat présente un risque d'augmentation illimitée du taux d'intérêt applicable compromettant le remboursement par la commune.

En second lieu, le TGI reconnaît que la commune de Laval est un emprunteur non averti bien qu'elle dépasse les 50 000 habitants. Elle n'avait en effet jamais conclu de swap auparavant et son expérience en matière de produits structurés était limitée à trois contrats. Il en découle que non seulement une obligation d'information, mais aussi une obligation de mise en garde pesaient sur la banque. Même si la crise financière était difficilement prévisible, la banque aurait dû avertir son client des risques auxquels il s'exposait en s'engageant.

Là encore, le juge observe en l'espèce qu'aucune obligation de conseil ne découle du contrat contesté. Il ne la retient donc pas.

La violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information ne peut toutefois pas entraîner l'annulation du contrat. Le TGI a en effet rejeté les arguments de la commune censés fonder l'annulation du contrat.

Tout d'abord, les éventuels vices du consentement n'ont pu être examinés en raison de leur prescription par cinq ans. Comme la computation du délai de prescription débute avec la signature du contrat le 30 novembre 2006, l'assignation, en date du 16 décembre 2012, a eu lieu hors délai. Le juge n'a donc pas pu se prononcer sur le dol et l'erreur invoqués.

Ensuite, l'incompétence du représentant de la commune n'a pas pu non plus être établie puisque la délégation du conseil municipal mentionne le swap critiqué et que ce contrat poursuit un intérêt général local (alléger le remboursement d'un emprunt antérieur finançant des investissements communaux).

Enfin, la nature spéculative du contrat n'a pas pu non plus être établie. D'une part, le but visé par la commune était de couvrir les risques liés à un emprunt précédent en tentant d'en réduire le taux d'intérêt. Il y aurait spéculation si la commune avait recherché un avantage financier au-delà de l'encours de l'emprunt, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. D'autre part, les limitations à la liberté de s'endetter des collectivités locales et de gérer activement leur dette (i.e. : le décret cité du 28 août 2014) ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2014.

La victime n'a donc droit qu'à des dommages-intérêts destinés à réparer la chance perdue de ne pas contracter. Le contrat devra être exécuté jusqu'à son terme. Le taux d'intérêt applicable s'est pourtant très fortement dégradé avec l'entrée dans la période structurée de l'emprunt en s'envolant de 4 % à plus de 43,83 % au 23 janvier 2015 ! La voie de la sortie du contrat avec paiement d'IRA est tout aussi peu attractive puisque celles-ci s'élèvent à la même date à 33,4 millions d'euros.

Le juge renvoie alors à une médiation judiciaire la fixation du préjudice et du dédommagement.


(1) Notre prochaine chronique portera sur la création annoncée des lois annuelles de financement des collectivités locales.
(2) Les administrations publiques locales englobent, pour simplifier, les collectivités locales, leurs groupements et leurs établissements publics ainsi que les organismes consulaires (chambre d'agriculture, chambre des métiers...) et les SAFER.
(3) L'amortissement du capital emprunté doit être inscrit en section d'investissement et ne peut être abondé que par des ressources définitives (de fonctionnement ou d'investissement). Les intérêts et les frais financiers annexes sont, en revanche, comptabilisés en section de fonctionnement.
(4) Observatoire des finances locales, rapport du 16 juillet 2015, p. 6.
(5) En raison de leur nature de contrat de droit privé, un éventuel contrôle a posteriori de légalité par le juge administratif ne pourrait de toute façon porter que sur l'approbation de l'organe délibérant, voire la signature de l'exécutif local en cas de délégation (la subdélégation n'étant possible qu'au niveau communal) de l'organe délibérant. La gestion active de la dette peut aussi faire l'objet d'une délégation à l'exécutif local depuis 2002.
(6) Créée en 1816, la CDC va commencer à financer les investissements des collectivités locales dès 1821 et plus largement à partir de 1837, date à partir de laquelle elle peut utiliser les fonds collectés par la Caisse d'épargne.
(7) Depuis la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : L5412ASA), l'autorisation préalable a même été supprimée pour les émissions obligataires à l'étranger. L'article L. 1611-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8438AAR), soumettant à autorisation les emprunts auprès du public, ne semble plus utilisé aujourd'hui.
(8) Cour des comptes, Rapport public annuel, 2016, p. 450.
(9) L'Etat français cherche prioritairement à céder les actifs de Dexia tandis que la Banque de France tend principalement à protéger l'eurosystème, c'est à dire la stabilité de la zone euro.
(10) En tant que banque de taille sensible, Dexia est soumise aux tests et contrôles mis en place par l'Union bancaire. Comme Dexia ne vend plus de prêts et donc n'acquiert pas d'actifs nouveaux, la BCE n'exige cependant pas un respect aussi rigoureux des conditions auxquelles les autres banques sont soumises.
(11) DCL vise surtout à limiter les risques contentieux tandis que la SFIL (sous l'impulsion de son principal actionnaire : l'APE, l'agence des participations de l'Etat) s'emploie en premier lieu à limiter les pertes pour l'Etat.
(12) Cour des comptes, Rapport sur les finances publiques locales, 2015, p. 180. L'article 32 III de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque année un rapport sur les emprunts structurés des collectivités locales. Cette disposition est pour l'instant restée inappliquée alors que la circulaire du 22 mars 2012 (N° Lexbase : L1587K9N) met en place un suivi départemental de la dette des collectivités locales dont les résultats pourraient être centralisés.
(13) Le jugement du TGI de Nanterre du 7 mars 2014 (TGI Nanterre, 6ème ch., 7 mars 2014, n° 12/06737 N° Lexbase : A5037MGN) annule même un prêt toxique de dix millions d'euros indexé en partie sur le franc suisse, malgré la présence du TEG, en raison de l'absence d'indication sur son mode de calcul. Là encore, le taux légal d'intérêt s'est appliqué au prêt.
(14) Cour des comptes, Dexia : un sinistre coûteux, des risques persistants, juillet 2013, p. 190.
(15) Le premier Fonds de soutien de 50 millions d'euros créé par la troisième loi de finances rectificative pour 2012 du 29 décembre 2012 s'est révélé insuffisant. Il est passé à 1,5 milliards d'euros sur 10 ans en 2013.
(16) Il est en partie financé par la taxe au profit du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés dits "emprunts toxiques". Les établissements de crédit en sont les principaux assujettis.
(17) Il est à présent doté de 200 millions d'euros sur 15 ans, soit 3 milliards d'euros.
(18) Le Comité national d'orientation et de suivi, en charge du pilotage du Fonds, associe l'administration, le Parlement, les collectivités locales et des personnalités qualifiées.
(19) Le décret n° 2014-810 du 16 juillet 2014 (N° Lexbase : L7945I3N) institue un service à compétence nationale dénommé "service du pilotage du dispositif de sortie des emprunts à risque".
(20) Les comptes rendus des auditions sont disponibles sur le site de l'Assemblée nationale.
(21) Interview de V. Rabault (Rapporteur général du buget à la Commission des finances de l'Assemblée Nationale) à la Gazette des communes, 11 février 2016.
(22) Cour des comptes, Rapport public annuel, op. cit., p. 447, sq..
(23) Décret n° 2014-984 du 28 août 2014 (N° Lexbase : L1451I4I).
(24) L'Agence de notation Moody's a attribué à l'AFL une note fort convenable de "Aa2", mais assortie d'une perspective négative.
(25) CGCT, art. L. 1611-3-2 (N° Lexbase : L8297KGE).
(26) Malgré la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 23 février 2005, n° 264712 N° Lexbase : A7529DGX) et la position de la Commission européenne sous l'empire de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative aux passations de marchés publics (N° Lexbase : L1896DYU), les contrats d'emprunt sont exclus des procédures de passation de marché public. Aujourd'hui, l'article 14-8 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS), transposant la Directive (CE) 2014/24 du 26 février 2014, sur la passation de marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA), reprend cette disposition.

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