La lettre juridique n°662 du 7 juillet 2016 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Impossible désignation d'un nouvel avocat devant le juge des libertés et de la détention

Réf. : Cass. crim., 7 juin 2016, n° 16-81.694, F-P+B (N° Lexbase : A7038RSH)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 07 Juillet 2016

L'arrêt rendu en date du 7 juin 2016 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation apporte une précision importante au sujet des règles de désignation d'un nouvel avocat au cours de l'information judiciaire : cette désignation ne peut intervenir au cours du débat de prolongation de détention de provisoire devant le juge des libertés et de la détention. Comme souvent, le débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention donnait lieu à un véritable imbroglio procédural... En l'occurrence, une personne avait été mise en examen du chef d'assassinat en date du 29 juillet 2014 et placé, le même jour, sous mandat de dépôt criminel par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nancy. Environ quatorze mois plus tard, soit au cours du mois de septembre 2015, le mis en examen a sollicité un second avocat, lequel s'est présenté au greffe du juge d'instruction et a déclaré avoir été désigné par le mis en examen en lieu et place du premier avocat. Toutefois, cette désignation n'a jamais été confirmée dans les formes et délai prévus par l'article 115, alinéa 4, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0931DY7). C'est une subtilité que les pénalistes connaissent bien : un avocat peut certes, adresser un courrier au greffe du juge d'instruction indiquant sa désignation, mais la personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours par le biais d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Ce ne fut pas le cas en l'espèce.

Au début du mois de janvier 2016, le juge des libertés et de la détention a été saisi d'une demande de prolongation de la détention provisoire et a adressé une convocation au premier avocat en date du 18 janvier 2016 pour un débat contradictoire du 27 janvier suivant. La veille de ce débat, le premier avocat a indiqué au juge des libertés et de la détention qu'il n'intervenait plus au soutien des intérêts du mis en examen. Dont acte. Mais les choses se sont encore corsées lors de la tenue du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire ! Ainsi, le mis en examen a, évidemment, été extrait de la maison d'arrêt où il a été détenu. Son premier avocat n'est pas venu puisqu'il avait déposé mandat la veille... et c'est le second avocat qui s'est présenté pour défendre la remise en liberté de son client ! Le débat de prolongation de la détention provisoire étant public, cet avocat a pu entrer dans l'étroit cabinet du juge des libertés et de la détention, mais n'a pu prendre la parole... puisqu'il n'était pas régulièrement désigné ! A l'issue du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention a prolongé le mandat de dépôt pour une durée de six mois et avant de reprendre le chemin de la maison d'arrêt, le mis en examen a fait un crochet -accompagné de son escorte- par le greffe du juge d'instruction où il a pu régulariser la constitution du second avocat. Ce dernier a donc pu interjeter appel de l'ordonnance du juge des libertés et de détention et faire valoir, devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, que le débat de prolongation de la détention provisoire était nul, faute pour le mis en examen d'avoir pu être assisté par le conseil de son choix. Toutefois, par un arrêt rendu en 9 février 2016, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en retenant que si le mis en examen n'avait pas été assisté lors du débat de prolongation, c'était pour deux raisons inhérentes au juge des libertés et de la détention : d'une part, le premier avocat avait déposé mandat la veille du débat et, d'autre part, le mis en examen avait omis de régulariser la désignation de son second avocat depuis la maison d'arrêt.

Le pourvoi en cassation est rejeté par la Chambre criminelle qui considère que la chambre de l'instruction a justifié sa décision dès lors que la seconde avocate "ne s'était pas fait régulièrement désigner par M. Y. avant le débat contradictoire préalable à une éventuelle prolongation de la détention provisoire de ce dernier, sans qu'il soit établi, ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service de la justice, et dès lors, d'une part, que le demandeur ne peut utilement se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 115 du Code de procédure pénale, qui ne visent que la désignation intervenant au cours d'un interrogatoire ou d'une audition par le juge d'instruction, d'autre part, que le formalisme édicté par cet article pour les désignations d'avocat au cours de l'information, qui assure une juste conciliation entre le respect des droits de la défense et la bonne administration de la justice, n'est pas contraire aux articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme visés au moyen".

Au travers de cet imbroglio procédural, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise les modalités de désignation d'un nouvel avocat à l'approche d'un débat contradictoire de prolongation devant le juge des libertés et de la détention : il est impossible de désigner un nouvel avocat devant le juge des libertés et de la détention (I), de sorte que la régularisation du nouvel avocat doit nécessairement intervenir avant le débat (II).

I - Impossibilité de désigner le nouvel avocat pendant le débat contradictoire

L'apport de la décision commentée est simple : aucune nouvelle désignation d'avocat ne peut intervenir à l'occasion du débat devant le juge des libertés et de la détention. D'emblée, il convient de relever qu'aucune disposition du Code de procédure pénale ne tranche la question devant le juge des libertés et de la détention. En effet, les articles 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X) et 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU) du Code de procédure pénale précisent les formalités relatives au déroulement du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire, sans envisager l'hypothèse d'une nouvelle désignation au cours du débat sur la détention. C'est ainsi que le moyen du pourvoi invitait la Chambre criminelle de la Cour de cassation à appliquer, par analogie, les prescriptions de l'article 115 du Code de procédure pénale, relatives à la désignation du nouvel avocat devant le juge d'instruction.

Toutefois, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, totalement approuvée par la Cour de cassation, a refusé de procéder à cette lecture extensive du texte. Et, il faut bien le relever, l'article 115 du Code de procédure pénale était de sens bien trop étroit pour que cette interprétation analogique puisse prospérer. C'est ainsi qu'en son premier alinéa, le texte pose en guise de principe que "les parties peuvent à tout moment de l'information faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles". C'est donc bien devant le juge d'instruction qu'il convient de faire connaître l'identité du nouvel avocat désigné pour assurer la défense du mis en examen. A contrario, la Chambre criminelle de la Cour de cassation en déduit que cette déclaration ne peut être faite devant le juge des libertés et de la détention. Aussi, et puisque le juge des libertés et de la détention n'est pas assimilé au juge d'instruction au regard des règles de désignation, le deuxième alinéa de l'article 115 du Code de procédure pénale n'est pas davantage applicable au moment du débat de prolongation de la détention provisoire. Ce texte prévoit que "sauf lorsqu'il s'agit de la première désignation d'un avocat par une partie ou lorsque la désignation intervient au cours d'un interrogatoire ou d'une audition, le choix effectué par les parties en application de l'alinéa précédent doit faire l'objet d'une déclaration au greffier du juge d'instruction". Certes, à première vue, ce texte offre un formalisme réduit : il suffit que le juge prenne acte de la désignation du nouvel avocat. Mais encore faut-il rappeler aussi que la désignation d'un nouvel avocat doit intervenir "au cours d'un interrogatoire ou d'une audition", ce qui renvoie nécessairement à la nomenclature des actes réalisés par le juge d'instruction, et non par le juge des libertés et de la détention. Il était donc impossible pour la personne mise en examen de régulariser la désignation d'un nouvel avocat à l'occasion du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention. Cette analyse textuelle présente évidemment un degré maximum de sécurité juridique dans la mesure où elle évite toute discussion "parasite" devant le juge des libertés et de la détention où l'attention de la justice se concentre donc sur la privation de liberté du mis en examen. Mais, il ne faudrait pas perdre de vue l'essentiel : le carcan tissé par les textes risquait peut-être de mettre à néant l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'une information judiciaire de nature criminelle.

II - Nécessité de désigner le nouvel avocat avant le débat contradictoire

Les textes étaient donc particulièrement clairs et l'analogie, proposée par le moyen du pourvoi, vouée au rejet. Mais, aussi, devait-on être sensible au tableau -assez singulier- qu'offrait le débat contradictoire mené devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nancy.

Voilà une personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt criminel depuis dix-huit mois, comparaissant sans l'assistance de son avocat initial (qui ne s'était pas déplacé puisqu'il avait prévenu la veille du débat qu'il déposait mandat), ni celle de son nouvel avocat (qui s'était déplacé au débat contradictoire mais n'avait pu prendre la parole...). N'y avait-il pas là une atteinte aux droits de la défense, consommée par la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ? On sait par ailleurs que la Cour de cassation se montre très attentive à la présence de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention provisoire. Ainsi, par un arrêt en date du 4 décembre 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré que "l'absence de convocation de l'avocat au débat contradictoire ayant empêché celui-ci d'assister le demandeur, portait nécessairement atteinte aux intérêts de celui-ci" (1). Outre la présomption de grief aux droits de la défense, le couperet de la Haute juridiction était dévastateur puisque la cassation avait été prononcée sans renvoi, le mis en examen étant remis en liberté d'office par la Chambre criminelle.

Malgré tout, le simple fait que le juge des libertés et de la détention refuse d'entendre le nouvel avocat ne suffisait pas à caractériser une atteinte aux droits de la défense. Et pour cause : le mis en examen n'avait pas été privé de l'assistance d'avocat en raison d'un dysfonctionnement du service public de la justice. Bien au contraire, le mis en examen se trouvait privé de tout conseil pour deux raisons indépendantes du fonctionnement du greffe du juge des libertés et de la détention. D'une part, son premier avocat avait déposé mandat et avait donc choisi de ne pas se présenter au débat de prolongation. Cette circonstance ne peut évidemment être mise à la charge du juge des libertés et de la détention, voire de son greffier. D'autre part, son nouvel avocat n'était pas régulièrement désigné. Et sur ce second point, la personne mise en examen ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même... Les termes de l'arrêt rappellent qu'au cours du mois de septembre 2015, le second avocat s'était bien présenté au greffe du juge d'instruction et avait déclaré être désigné par le mis en examen. Toutefois, cette désignation n'a jamais été confirmée dans les formes et délai prévus par l'article 115, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Rappelons qu'aux termes de ce texte, un avocat peut, certes, adresser un courrier au greffe du juge d'instruction indiquant sa désignation, mais la personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours par le biais d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. A défaut, la désignation est réputée caduque.

Reste qu'en définitive, la Chambre criminelle considère qu'il est impossible de régulariser la désignation d'un nouvel avocat à l'occasion du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention. Cet arrêt ne fixe peut-être pas le dernier état de la jurisprudence puisque l'attendu conclusif de l'arrêt commenté laisse une porte entre-ouverte. Il est relevé par la Cour de cassation que le second avocat ne s'était pas fait régulièrement désigner avant le débat contradictoire "sans qu'il soit établi, ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service de la justice". En présence d'une "cause tenant au service de la justice", la régularité du débat contradictoire pourrait être compromise. A l'avenir, l'ingéniosité des plaideurs donnera, sans aucun doute, corps à cette notion...


(1) Cass. crim., 4 décembre 2007, n° 07-86.794, F-P+F (N° Lexbase : A2911D39), Bull. crim., n° 297.

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