Réf. : Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-17.978, FS-P+B (N° Lexbase : A7018RSQ)
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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP
le 30 Juin 2016
Même si, en l'espèce, aucune cause d'invalidité du pacte n'est retenue, il apparaît prudent de les analyser distinctement afin de tenter de distinguer celles qui sont logiquement écartées de celles qui demeurent potentiellement envisageables.
I - L'engagement du salarié et les vices du consentement
Le premier risque d'invalidation de la stipulation du pacte d'actionnaire qui était invoqué dans le pourvoi, et qui est écarté en l'espèce par la Cour de cassation, porte sur l'existence d'un vice du consentement et, spécifiquement, du vice de violence. Etant écarté pour de sérieuses raisons de procédure (aucune demande n'avait été formée par la salariée en annulation du pacte d'actionnaires pour vice du consentement), il ne doit pas être évacué du débat, justement parce que la Haute juridiction laisse la question totalement ouverte.
Dans les circonstances visées par l'arrêt, c'est bien sûr du vice de violence économique qu'il est question. Si, en doctrine comme en jurisprudence, l'admission d'un état de dépendance économique à la violence demeure controversé (5), le droit nouveau des contrats, tel qu'issu de l'ordonnance de février 2016 pourrait bien fournir un terrain propice à la contestation des pactes signés par des salariés, détenteurs d'actions de la société qui les emploie. Le nouvel article 1143 du Code civil (N° Lexbase : L0848KZG) admet qu'il y a également violence "lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif".
Il sera sans doute légitimement plaidé que l'engagement de revente des titres, à la suite de la rupture du contrat de travail, avec une décote importante de leur valeur, n'a été pris par le salarié que parce que sa situation de dépendance économique vis-à-vis de la société employeur l'y conduisait. Une décote de la moitié de la valeur des titres, comme en l'espèce, pourrait apparaître comme un avantage manifestement excessif retiré par le bénéficiaire de la vente forcée des actions détenues par le salarié.
II - L'engagement du salarié et l'état de subordination vis-à-vis du cocontractant
Un élément intéressant de la discussion porte sur la prise en compte de la qualité des parties à la convention formant le pacte d'actionnaires. D'un point de vue strictement juridique c'est la société mère, détenant le contrôle capitalistique de la société employeur de la salariée, qui est le cocontractant. Or, en vertu de l'autonomie des personnes morales, cette société doit être distinguée de la société employeur. Même si pour le bénéfice du régime de l'intégration fiscale, les sociétés concernées renient bien volontiers l'indépendance juridique qu'elles revendiquent lorsque d'autres aspects sont en jeu (notamment en matière de procédures collectives), le principe de l'indépendance des sociétés doit être retenu et, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation s'en tient à cette approche en considérant que la salariée n'était pas dans un lien de subordination avec la société mère. Par voie de conséquence, la salariée n'avait pas conclu le pacte avec son employeur.
Le recours à la théorie du co-emploi pourrait, toutefois, être envisagée afin de faire basculer la société mère, signataire du pacte aux côtés du salariés, dans la qualification d'employeur et donc invoquer l'état de subordination comme devant entraîner l'invalidation des stipulations défavorables au salarié. Toutefois, on sait qu'au regard de la jurisprudence la plus récente (6), les hypothèses d'application sont en net recul et, pour s'en tenir à des faits liés à l'affaire sous examen, ni la détention du contrôle capitaliste ni l'existence de dirigeants communs ne suffisent à caractériser un co-emploi. Pour autant, l'impossibilité de faire reconnaître la qualité d'employeur à la société mère, pour invoquer l'existence du lien de subordination, ne prive pas la salariée de toute possibilité de défense s'appuyant sur le rôle joué par la société qui l'emploie dans la situation dans laquelle elle se trouve.
Il faut en effet tenir compte de ce que, en vertu de l'article 1111 du Code civil (N° Lexbase : L1199ABZ), la violence est une cause de nullité "encore qu'elle ait été exercée par un tiers". On relèvera que la réforme du droit des contrats reprend cette position, par son article 1142 nouveau (N° Lexbase : L0849KZH). Dès lors, même si la société mère, seule partie au pacte, ne pourrait se voir reprocher une pression exercée en qualité d'employeur (puisqu'elle ne l'est normalement pas), la violence économique, et notamment son acception en termes d'abus de dépendance économique, évoquée ci-dessus, pourrait être reconnue comme ayant été exercée par la société filiale, employeur, provoquant un vice du consentement pour le salarié signataire du pacte d'actionnaires.
III - L'engagement du salarié et l'illicéité de la cause de la stipulation du pacte
Sans doute est-ce sur ce terrain que la position du salarié est la plus fragile. Quelle que soit la conception de la cause que l'on retienne, la clause d'un pacte d'actionnaires prévoyant une décote de la valeur des actions leur de la mise en oeuvre de la promesse de vente souscrite par le salarié ne saurait être analysée comme manifestant une cause illicite. On sait que, s'agissant des contrats à titre onéreux, le contrôle de la licéité de la cause du contrat demeure réduit dans la mesure où il se confond, pour l'essentiel, en une analyse de l'objet du contrat. La Cour de cassation, dans l'arrêt analysé valide la stipulation litigieuse, prévoyant une décote de la valeur des actions lors de la revente par le salarié à la société mère, en ce qu'elle participe de l'équilibre général du contrat. La Haute juridiction considère que les juges du fond ont valablement estimé que la cause de la convention litigieuse n'était pas illicite dès lors qu'elle s'inscrivait dans un processus d'amélioration de la rémunération de la salariée concernée mais aussi de son association à la gestion et de son intéressement au développement de la valeur de l'entreprise.
On retrouve sous ce libellé la présentation qu'entendent habituellement en donner les initiateurs des pactes. Il ne saurait toutefois être exclu que la raison véritable conduisant à faire prendre par un salarié des engagements, tels que ceux figurant dans le pacte visé par l'affaire sous examen, ne soit pas autant à son avantage. Dans bien des cas, la société mère (ou l'actionnaire exerçant le contrôle) estime opportun de faire porter un certain pourcentage d'actions par une personne placée dans une situation telle qu'elle sera tenue de les lui rétrocéder le moment voulu et dans des conditions financières qu'elle n'est guère en mesure de discuter. Le salarié présente alors le profil adapté.
IV - L'engagement du salarié et l'atteinte au principe de libre négociabilité des actions
Le pourvoi tentait de faire valoir que la stipulation contenue dans le pacte d'actionnaires constituerait une atteinte au principe de libre négociabilité des actions. La Cour de cassation l'écarte des débats, estimant que le grief est nouveau et mélangé de fait et de droit, dès lors qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt de la cour d'appel que la salariée ait soutenu un tel argument. Ce rejet, à fondement procédural, laisse entière la question évoquée. Le principe de la libre négociabilité des valeurs mobilières, reconnu comme "un principe fondamental auquel il ne peut être porté atteinte que dans les conditions prévues par la loi" (7), représente pour l'actionnaire le droit de disposer des titres détenus, c'est-à-dire d'exercer l'un des droits fondamentaux du propriétaire (8). Si l'on interprète la clause du pacte comme une clause de rachat forcé, il pourrait toutefois être soutenu que, dès lors que l'associé y consent à titre personnel, il exerce sa liberté, consistant, pour un propriétaire à s'engager par une promesse unilatérale de vendre un bien au profit d'une personne déterminée, dans le cadre de circonstances préalablement définies et acceptées par lui (9). Les stipulations du pacte d'actionnaires contestées devraient en conséquence pouvoir échapper au risque d'invalidation sur ce terrain juridique.
V - L'engagement du salarié et la prohibition des sanctions pécuniaires
Sans doute s'agissait-il, pour la Chambre commerciale, de la question la plus délicate, au regard de la position de salarié du signataire du pacte d'actionnaires. Fort opportunément, la procédure d'avis sollicité par une Chambre de la Haute juridiction à une autre a été initiée et c'est en contemplation de l'avis donné par la chambre sociale, par sa décision en date du 3 février 2016 (10), que la Chambre commerciale a également rejeté le pourvoi en ce qu'il invoquait l'atteinte au principe de la prohibition des sanctions pécuniaires touchant un salarié. Sur ce point, l'arrêt commenté reprend littéralement les termes de l'avis donné par la Chambre sociale. Rappelant les stipulations du pacte d'actionnaires, la Cour de cassation affirme que la clause litigieuse ne s'analyse pas en une sanction pécuniaire prohibée, "en ce qu'elle ne vise pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, dès lors qu'elle s'applique également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire".
Outre son importance pour les questions relatives à la validité des pactes d'actionnaires, le présent arrêt ne manquera pas d'être relevé à propos de la prohibition des sanctions pécuniaires. Principe ancien, résultant d'une loi du 5 février 1932, et pilier du droit du travail, il figure aujourd'hui à l'article L. 1331-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1860H9R). De la jurisprudence, relativement rare, il ressort que les sanctions pécuniaires indirectes sont autorisées, celles déguisées sont prohibées (12). Pour aller à l'essentiel, ce qui est admis consiste en une simple conséquence financière d'une situation dans laquelle le salarié perd une partie de sa rémunération par suite logique, mécanique pourrait-on dire, de sa position au sein de l'entreprise (nouvelles fonctions moins bien rémunérées, conséquence d'une période non travaillée à la suite d'une mise à pied, ...). La réduction de rémunération est assimilée à une sanction pécuniaire déguisée lorsqu'elle aboutit à priver le salarié d'un élément de sa rémunération, notamment une prime d'activité, pour des raisons relevant de l'appréciation subjective par l'employeur du comportement du salarié, se rattachant donc à une faute qui ne peut être sanctionnée financièrement.
La position adoptée dans l'arrêt commenté doit être bien comprise. C'est parce que la dégradation de la valeur des actions, par l'application d'un coefficient réducteur, ne vise pas les hypothèses d'un licenciement fondé sur une faute du salarié que la stipulation n'est pas une sanction pécuniaire. Dès lors que son champ d'application concerne des hypothèses de cessation du contrat de travail qui ne comportent aucun élément de faute qui pourrait être reprochée au salarié, la dégradation de la valeur des titres échappe à la qualification de sanction prohibée par le Code du travail.
En d'autres termes, pourraient être invalidées, au titre de la prohibition des sanctions pécuniaires, des stipulations d'un pacte d'actionnaires impliquant un salarié si le mécanisme d'évaluation par décote du prix de vente des titres trouvait à s'appliquer dans une hypothèse de cessation des fonctions résultant d'un licenciement pour faute. En revanche, en cas de licenciement pour d'autres causes (et notamment pour motif économique), le salarié devra subir la rigueur des stipulations du pacte dont il est signataire, même si cela aboutit à lui faire subir une perte financière.
(1) V. Cass. com., 8 octobre 2013, n° 12-25.984, F-D (N° Lexbase : A6880KMR), Bull. Joly Sociétés, 2014, p. 17.
(2) V. not., CA Paris, 14ème ch., sect. B, 21 décembre 2007, n° 07/17846 (N° Lexbase : A2233D89), RJDA, 5/08, n° 539 ; CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 11 février 2014, n° 12/20835 (N° Lexbase : A5735RUX), RJDA, 6/14, n° 536.
(3) CA Versailles, 20 mars 2014, n° 12/06860 (N° Lexbase : A9636MHD).
(4) Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-17.978, FS-D (N° Lexbase : A7047RSS).
(5) V. not., Fr. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Précis Dalloz, 11ème éd., n° 248.
(6) V. not., Cass. soc., 4 février 2016, n° 14-24.050, F-D (N° Lexbase : A3122PKT) et Cass. soc., 12 février 2016, n° 14-19.723, F-D (N° Lexbase : A0241PLI), Bull. Joly Sociétés, 2016, p. 209, note R. Dammann et S. François.
(7) P. Le Cannu et D. Dondéro, Droit des sociétés, LGDJ, 6ème éd., n° 1177.
(8) V. M. Jeantin, Les clauses de préemption statutaires entre actionnaires, JCP éd. E, 1991, I, 49.
(9) V. Cass. com., 6 mai 2014, n° 13-17.349, F-D (N° Lexbase : A9183MKC), Dr. Sociétés, 2014, n° 182, obs. R. Mortier ; JCP éd. E, 2014, 1317, note B. Dondéro ; Rev. Sociétés, 2015, p. 36, note M. Michineau.
(10) Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-17.978, FS-D, préc. note 4.
(11) V. sur cette question not., G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 30ème éd., n° 794 et s..
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