La lettre juridique n°661 du 30 juin 2016 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le comité d'entreprise, "non-professionnel" au sens du droit de la consommation

Réf. : Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-17.369, FS-P+B (N° Lexbase : A5496RTQ)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 30 Juin 2016

Le droit de la consommation a été construit pour protéger les consommateurs dans le cadre de leurs relations avec des professionnels, pour limiter le risque que ces relations soient trop fortement déséquilibrées. Il a toutefois été rapidement pris en considération que des personnes morales, qui ne peuvent donc se prévaloir des dispositions réservées aux consommateurs, personnes physiques, pouvaient parfois se trouver en situation de faiblesse lorsqu'elles agissaient en dehors de leur cadre professionnel ou qu'elles n'avaient pas, à proprement parler, d'activité professionnelle. On s'est ainsi parfois demandé si le comité d'entreprise, amené à conclure des contrats avec différents prestataires dans l'exercice de ses missions, pouvait être qualifié de "non-professionnel" et, ainsi, bénéficier de différents mécanismes du droit de la consommation ouverts à cette catégorie de contractant. Par un arrêt rendu le 15 juin 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation accepte d'appliquer à un comité d'entreprise les dispositions spéciales du Code de la consommation relatives à la tacite reconduction des contrats de prestation de services (I). Lorsqu'il exerce ses activités sociales et culturelles, le comité d'entreprise n'est pas un professionnel, ce qui ne préjuge pas qu'il le soit quand il assume d'autres missions (II).
Résumé

Le comité d'entreprise qui assure, contrôle ou participe à la gestion de toutes les activités sociales et culturelles établies dans l'entreprise prioritairement au bénéfice des salariés ou de leur famille agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, en sorte que, non-professionnel, il bénéficie des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7822IZQ).

Commentaire

I - Le comité d'entreprise, bénéficiaire de dispositions protectrices du Code de la consommation

Consommateur, professionnel et non-professionnel. Le Code de la consommation s'est longtemps abstenu de définir les sujets auxquels il s'applique (1). Ce n'est, en effet, qu'avec l'adoption de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), dite loi " Hamon", que son article préliminaire (N° Lexbase : L7583IZU) a, pour la première fois, défini le consommateur comme "toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale" (2). Le Code ne comportait toutefois pas de définition légale du professionnel. Par une interprétation a contrario de ce texte, on pouvait être tenté de l'envisager comme la personne physique ou morale qui agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale.

La distinction n'était toutefois pas aussi simple puisque le droit de la consommation accorde également une protection aux "non-professionnels". Cela est notamment le cas de la législation relative aux clauses abusives (3) et des règles applicables à la reconduction tacite de contrats de prestation de services (4) qui bénéficient aux consommateurs et aux non-professionnels.

Avant l'entrée en vigueur du nouveau Code de la consommation, le 1er juillet 2016 (5), on savait seulement avec certitude que cette catégorie de "non-professionnels" devait être distinguée de celle de professionnels et de celle de consommateurs (6).

Les personnes morales non-professionnelles. Une personne morale ne peut être qualifiée de consommateur puisque l'article préliminaire du Code de la consommation réserve cette qualification aux personnes physiques. Elle n'entre pas, pour autant, toujours dans la catégorie des professionnels. Après l'avoir admis à propos d'un syndicat de copropriétaires qui invoquait la législation relative aux clauses abusives (7), la Cour de cassation a étendu de manière cohérente cette solution à celui qui invoquait l'application des règles relatives à la tacite reconduction (8).

Encore faut-il, pour que ces législations s'appliquent, que la personne morale en cause soit bien exclue de la qualification de professionnel. La jurisprudence en la matière est empreinte d'une forte casuistique, abandonnant, d'ailleurs, cette qualification au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Sont ainsi considérés comme des non-professionnels les professionnels qui agissent en dehors de leur spécialité, c'est-à-dire ceux qui concluent un contrat sans rapport direct avec leur profession (9).

Sont également qualifiées de non-professionnelles les personnes morales qui n'exercent pas d'activité professionnelle, caractère qui peine à être identifié. En effet, aucun critère clair de délimitation ne semble avoir été posé. Certaines décisions attachent de l'importance à l'existence ou l'absence d'un rapport direct entre le contrat litigieux et l'activité de la personne morale. Ce critère est très restrictif puisque l'activité de la personne morale est délimitée par ses statuts ou par la loi, et qu'elle ne devrait que rarement pouvoir agir sans lien avec son activité (10). D'autres décisions semblent sous-entendre que certaines personnes morales n'auraient, par essence, aucune activité professionnelle, ce qui peut éventuellement être soutenu au regard, notamment, de leur absence de caractère lucratif (11).

Comité d'entreprise bénéficiaire du droit de la consommation. Avant même que la loi "Hamon" ne soit adoptée, la Cour de cassation avait très clairement exclu qu'un comité d'entreprise puisse être qualifié de consommateur ce qui (12), malgré la résistance de certaines juridictions du fond (13), est parfaitement justifié puisque le comité dispose de la personnalité morale.

Restait toutefois la possibilité de considérer qu'un comité d'entreprise soit qualifié de non-professionnel pour lui permettre de bénéficier de la législation relative à la reconduction des contrats de prestation de services. C'est sur ce point que se prononce la première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 15 juin 2016.

L'affaire. Un comité d'entreprise avait conclu avec une société un contrat tacitement reconductible lui donnant accès à une offre culturelle en ligne. A l'appui des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7822IZQ) qui permettent au consommateur ou au non-professionnel de résilier librement et sans frais un contrat tacitement reconduit lorsqu'il n'a pas été informé, dans un délai de trois à un mois avant l'échéance de sa faculté, de ne pas reconduire le contrat, le comité résilia le contrat. La société l'assigna devant le juge de proximité en paiement des prestations stipulées au contrat qui la débouta, en considérant que la gestion des activités sociales et culturelles ne constituait pas la mission principale du comité d'entreprise et donc, implicitement, que le contrat conclu n'était donc pas en rapport direct avec l'activité principale du comité. La société forma pourvoi en cassation.

Par un arrêt rendu le 15 juin 2016, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi après avoir procédé à une substitution de motif. Les hauts magistrats considèrent que lorsque le comité exerce sa "mission légale" de gestion des activités sociales et culturelles, il "agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, en sorte que, non-professionnel, il bénéficie des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation".

II - Le comité d'entreprise et la qualification de contractant non-professionnel

Les activités non-professionnelles du comité d'entreprise. La première chambre civile de la Cour de cassation voit ainsi le comité d'entreprise comme agissant en qualité de non-professionnel, non en raison du rapport entre le contrat et son activité professionnelle (14), mais parce que cette activité ne revêt pas de caractère professionnel.

La référence à des fins qui n'entrent pas dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ramène indubitablement à la définition du consommateur de l'article préliminaire du Code de la consommation. Le non-professionnel agit comme un consommateur bien qu'il ne soit pas une personne physique.

Ce choix est probablement guidé par la prochaine définition du non-professionnel qui intègrera le Code de la consommation après sa recodification au 1er juillet 2016. La formule du futur article liminaire du Code est, en effet, très proche de celle employée par la première chambre civile : est non-professionnelle "toute personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole". La première chambre civile anticipe l'application de cette définition, même s'il n'est pas certain qu'elle puisse parfaitement convenir au comité d'entreprise. L'emploi de l'adjectif possessif "son ", interprété strictement, impliquerait, en effet, que puisse seulement être reconnue comme non-professionnelle une personne morale qui exerce, en général, une activité professionnelle mais qui, exceptionnellement, agit à des fins non-professionnelles. Or, il est douteux que le comité d'entreprise dispose d'une activité commerciale, libérale, industrielle, artisanale ou agricole.

Le comité d'entreprise peut-il parfois être un professionnel ? La solution implique-t-elle que le comité d'entreprise soit, par principe, exclu de la qualification de professionnel ?

La première chambre civile lie la qualification de non-professionnel à l'exercice des activités sociales et culturelles définies à l'article L. 2323-83 du Code du travail (N° Lexbase : L8836IQC). On pourrait donc croire, à première vue, que lorsque le comité agit pour exercer les missions résultant de ses activités économiques, il peut éventuellement agir en qualité de professionnel. L'activité d'information-consultation du comité est accessoire à l'activité de l'entreprise, laquelle est généralement de nature professionnelle.

Cette lecture a contrario est, toutefois, loin d'être évidente, car la Cour de cassation prend le soin de préciser que le comité exerce ici une mission qui lui a été confiée par la loi, ce qui est également le cas de ses activités économiques. Par ailleurs, lorsque le comité agit dans le cadre de ses missions économiques, exerce-t-il vraiment une activité professionnelle ? Si, par exemple, un comité conclut un contrat avec un expert-comptable, il n'agit pas davantage à des fins entrant dans le cadre d'une activité professionnelle entendue comme une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole qui lui serait propre. Le comité d'entreprise ne vend rien, ne produit rien, ne créée rien. Il n'existe pas de syndicat professionnel ou de branche professionnelle des comités d'entreprise comme il en existe pour la majorité des activités de nature professionnelle. Diriger ou être membre d'un comité d'entreprise ne s'apparente pas à l'exercice d'un métier ou d'une profession. Les missions économiques du comité entrent naturellement dans le cadre de son activité, mais il ne s'agit probablement pas d'une activité professionnelle.

Il existe, il est vrai, une autre conception de l'activité professionnelle, détachée de toute idée de production de valeur. Il s'agit alors de l'envisager comme une activité habituelle et organisée (15), comme l'activité de celui qui l'exerce grâce "à la détention d'une expertise et la maîtrise de savoirs spécialisés", ce qui distingue, d'ailleurs, le professionnel du profane (16). Dans cette acception toutefois, on voit mal pourquoi la gestion des activités sociales et culturelles serait exclue de l'activité professionnelle des comités, sans que ses activités économiques le soient également. Par ailleurs, la nouvelle définition du Code de la consommation semble se rapprocher davantage d'un critère économique que d'un critère plus subjectif de savoir ou de connaissance.

C'est donc bien davantage le critère tenant à la nature de l'activité, que celui tenant à la source légale de la mission ou au domaine de compétence de la personne morale, qui doit être retenu. Les activités du comité d'entreprise n'ont pas d'objectif de production de richesse et sont enserrées dans les limites posées par le Code du travail, si bien que le principe de spécialité qui en résulte entrave, en principe, l'exercice de toute autre activité de nature commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.

Extension à d'autres personnes morales en droit du travail ? Reste enfin à se demander si cette jurisprudence ne serait pas susceptible d'être étendue à d'autres personnes morales. On pense naturellement à l'ensemble des autres comités titulaires de la personnalité morale (comité d'établissement, de groupe, CHSCT).

Mais ne pourrait-on pas, plus loin encore, penser que le syndicat qui contracte pour l'exercice de son activité, n'agit pas en qualité de professionnel ? La mission légale dévolue aux syndicats consiste, certes, à la défense des intérêts de la profession (17), mais cela ne signifie pas, toutefois, que leurs actions soient menées à des fins commerciales, libérales, industrielles, artisanales ou agricoles...


(1) Aux définitions doctrinales s'ajoutaient les précisions apportées par le juge de l'Union européenne qui excluait notamment qu'une personne morale puisse être qualifiée de consommateur (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-541/99 N° Lexbase : A5814AXM ; RTDCiv., 2002, p. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP éd. G, 2002, II, 10047, note G. Paisant).
(2) Il convient probablement d'ajouter à cette liste les activités agricoles oubliées par le législateur.
(3) C. consom., art. L. 132-1 (N° Lexbase : L6710IMH). Après l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation (N° Lexbase : L0300K7A) qui recodifie le Code de la consommation, ces dispositions figureront aux articles L. 212-1 (N° Lexbase : L1625K7C) et suivants du Code.
(4) C. consom., art. L. 136-1 (N° Lexbase : L7822IZQ). Dans sa version d'origine issue de la loi n° 2005-67 du 28 janvier 2005 (N° Lexbase : L6468G4C), le texte ne visait que le consommateur, l'élargissement de son domaine aux non-professionnels résultant de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 (N° Lexbase : L7006H3U). Ces dispositions figureront aux articles L. 215-1 (N° Lexbase : L1617K7Z) et L. 215-3 (N° Lexbase : L1615K7X) du Code de la consommation après sa recodification.
(5) L'article liminaire du Code de la consommation (N° Lexbase : L1732K7B), qui entrera en vigueur le 1er juillet 2016, définit ces trois catégories. La définition du consommateur est reprise presque à l'identique en ajoutant l'exclusion des activités agricoles. Le professionnel sera défini comme "toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel". Enfin, le non-professionnel sera une "personne morale qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole".
(6) Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 13-13.779, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2973MQ8).
(7) Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ) ; D., 2005, p. 2840, obs. S. Amrani Mekki ; RTDCiv., 2005, p. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RDC, 2005, p. 740, obs. D. Fenouillet.
(8) Cass. civ. 1, 23 juin 2011, n° 10-30.645, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2997HUK) ; D., 2011, p, 2245, note S. Tisseyre ; RTDCom., 2011, p. 627, obs. B. Bouloc ; JCP éd. G, 2011, 1080, note G. Paisant ; CCC, 2011, n° 226, obs. G. Raymond.
(9) Par interprétation, a contrario, de Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-16.312, F-P+B (N° Lexbase : A2791MTK) ; D., 2014, p. 588, obs. H. Aubry.
(10) Cass. civ. 1, 27 septembre 2005, n° 02-13.935, FS-P+B (N° Lexbase : A5748DK4).
(11) En ce sens, v. J. Calais-Auloy, H. Temple, Droit de la consommation, D., 9ème éd., 2015, p. 14.
(12) Cass. civ. 1, 2 avril 2009, n° 08-11.231, F-D (N° Lexbase : A1083EG9).
(13) TI Colombes, 16 septembre 2009, CCC, 2010, comm. 27, obs. G. Raymond ; Gaz. Pal., 2010, p. 419, obs. S. Piedelièvre.
(14) Comp. Cass. com., 16 février 2016, n° 14-25.146, F-P+B (N° Lexbase : A4635PZP) et les obs. de F. Julienne, Lexbase, éd. priv., 2016, n° 458 (N° Lexbase : N1773BWL). La Chambre commerciale juge, dans cette affaire, que le comité d'entreprise ne peut invoquer l'article L. 136-1 du Code de la consommation car "les dispositions de ce texte, [...] en ce qu'elles visent les non-professionnels, sont inapplicables aux contrats qui ont un rapport direct avec leur activité professionnelle".
(15) J. Calais-Auloy, H. Temple, préc..
(16) D. Demazière, La professionnalisation, une notion polysémique, Dr. soc., 2016, p. 116.
(17) C. trav., art. L. 3121-1 (N° Lexbase : L0291H9N) : "Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts".

Décision

Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-17.369, FS-P+B (N° Lexbase : A5496RTQ).

Rejet (juridiction de proximité de Boulogne-Billancourt, 16 octobre 2014).

Textes concernés : C. trav., art. L. 2323-83 (N° Lexbase : L8836IQC) ; C. conso., art. L. 136-1 (N° Lexbase : L7822IZQ).

Mots-clés : comité d'entreprise ; personne morale non-professionnelle ; droit de la consommation.

Lien base : (N° Lexbase : E1948ETC).

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