La lettre juridique n°301 du 17 avril 2008 : Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Des limites du statut protecteur conféré aux représentants du personnel

Réf. : Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-40.114, Société Intergarde, FS-P+B (N° Lexbase : A7742D7U)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Les salariés protégés ne peuvent être licenciés sans une autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Malgré le champ d'application très large du principe, le salarié peut valablement perdre son emploi pour des causes antérieures à l'acquisition de son statut protecteur ; tel est le cas du salarié, valablement licencié avant son élection comme délégué du personnel, qui devra quitter l'entreprise, sans qu'aucune autorisation administrative ne soit nécessaire, dès lors que ce licenciement aura été définitivement validé par les juges du fond, et ce, quelle que soit la position prise antérieurement par le juge des référés. C'est cette solution qui résulte, très logiquement, d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er avril 2008, qui dispense l'employeur de toute obligation de solliciter l'inspecteur du travail lorsque la rupture du contrat de travail résulte d'une décision de justice devenue définitive et concernant un licenciement valablement intervenu antérieurement à la protection du salarié. La solution, parfaitement conforme aux règles qui régissent le statut protecteur (I), est, de surcroît, opportune au regard des faits de l'espèce, car elle s'oppose à la stratégie du salarié qui s'était fait élire comme délégué du personnel pour échapper précisément aux conséquences de cette décision de justice (II).
Résumé

La décision de référé ayant ordonné provisoirement la réintégration étant dépourvue de l'autorité de chose jugée et la cour d'appel de Paris, statuant au fond, ayant validé le licenciement, l'employeur est fondé à mettre fin aux fonctions du salarié protégé sans nouvelle procédure de licenciement.

Commentaire

I - Le champ d'application de la procédure d'autorisation administrative de licenciement

  • Procédure de l'autorisation administrative de licenciement

Le Code du travail accorde à un certain nombre de salariés, exerçant dans l'entreprise des fonctions de représentation, le bénéfice de la procédure de l'autorisation administrative de licenciement, et ce, afin de s'assurer, avant toute rupture du contrat de travail, que ces salariés ne sont pas licenciés en raison de l'exercice de leur mandat et que l'employeur invoque valablement l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Tel est le cas du délégué du personnel, qui ne pourra être licencié qu'après avis du comité d'entreprise, s'il y a lieu, et autorisation de l'inspecteur du travail (1).

Le critère d'application de cette protection est, en principe, temporel et ne dépend pas de la qualification adoptée pour rompre le contrat de travail (2) ; seul doit donc compter la date à laquelle la rupture du contrat est prononcée.

  • Difficulté d'application

Mais qu'en est-il lorsque le salarié a fait l'objet d'un licenciement antérieur à la période de protection, mais que celui-ci a été suspendu par ordonnance du juge des référés, dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond ? Plus particulièrement, qu'en est-il lorsque le licenciement, valablement prononcé avant l'ouverture de la période de protection, est confirmé au fond ? L'employeur doit-il, parce que le salarié est protégé au moment où la décision des juges du fond confirmant le licenciement intervient, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de... faire exécuter la décision de justice ? C'est à cette question inédite que répond négativement la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 1er avril 2008.

  • L'affaire

Un salarié ordinaire avait été licencié pour faute grave, mais avait obtenu du juge des référés sa réintégration en raison du caractère prétendument discriminatoire (eu égard à son activité syndicale) de ce licenciement, tout en poursuivant au fond l'annulation du licenciement. Quelques mois plus tard, il avait été élu délégué du personnel, et ce, quatre jours avant que n'intervienne l'arrêt de la cour d'appel, statuant au fond, qui avait, contrairement à ce qu'avait estimé le juge des référés, considéré que le licenciement ne présentait pas de caractère discriminatoire et devait donc être validé. Prenant acte de cette décision, l'employeur avait donc signifié au salarié qu'il ne faisait plus partie des effectifs de l'entreprise. Ce dernier avait, alors, considéré que ce courrier violait son statut protecteur de délégué du personnel, puisque l'inspecteur du travail n'avait pas été saisi, et avait saisi le juge des référés pour obtenir des provisions à valoir sur les indemnités qui lui seraient dues pour violation de son statut protecteur. Le juge des référés avait rejeté sa demande, mais la cour d'appel de Versailles lui avait donné raison après avoir considéré que, "dès lors qu'il a la qualité de salarié protégé, le salarié ne peut être privé de son emploi à l'initiative de l'employeur que sur autorisation de l'inspecteur du travail".

Tel n'est pas l'opinion de la Cour de cassation, qui casse cette décision après avoir relevé que "la décision de référé ayant ordonné provisoirement la réintégration était dépourvue de l'autorité de chose jugée et que l'arrêt de la cour d'appel de Paris, statuant au fond, avait validé le licenciement prononcé le 26 février 2003, ce dont il se déduisait que l'employeur était fondé à mettre fin aux fonctions de M. K. sans nouvelle procédure de licenciement".

Cette solution nous paraît parfaitement justifiée, et ce, pour, au moins, deux raisons.

II - L'éviction justifiée de la procédure d'autorisation administrative de licenciement

  • Une éviction conforme aux termes de la loi

La première raison qui conduit à approuver cette décision tient aux termes mêmes de la loi. L'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD, art. L. 2421-3, recod. N° Lexbase : L1058HXH) soumet à l'autorisation administrative de l'inspecteur du travail "tout licenciement envisagé par l'employeur". En dépit d'une extension constante du champ d'application de cette protection, celle-ci ne concerne que les hypothèses où la rupture du contrat résulte de la volonté de l'employeur exprimée pendant la période de protection ; c'est pour cette raison que la Cour de cassation a fini par admettre que le salarié protégé pouvait valablement solliciter la résolution judiciaire de son contrat de travail, sans qu'il y ait lieu de demander l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail (3). Or, dans les circonstances de l'affaire, le licenciement du salarié était intervenu antérieurement à son élection comme délégué du personnel. Certes, le juge des référés avait suspendu le licenciement, considérant ce dernier comme discriminatoire, mais ce jugement, qui n'a pas autorité de la chose jugée, selon les propres termes de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2728ADE), avait été définitivement validé au fond. L'employeur avait, par conséquent, simplement pris acte de la décision de justice, qui avait validé le licenciement intervenu antérieurement, pour en assurer l'exécution effective. Il n'avait donc pas à décider de rompre, de nouveau, le contrat qui l'avait été valablement bien avant l'ouverture de la période de protection.

Cette solution n'est, d'ailleurs, pas sans en rappeler d'autres. Ainsi, il a été admis que l'employeur peut valablement licencier un salarié gréviste, dans les conditions du droit commun, dès lors que la procédure de licenciement a été valablement engagée antérieurement au conflit collectif et pour des motifs étrangers à l'exercice du droit de grève (4). Seule la femme enceinte semble, aujourd'hui, bénéficier d'une protection accordée sur un critère temporel, puisque aucun licenciement ne peut être prononcé pendant la période où elle est légalement protégée, fut-ce pour des motifs parfaitement valables et antérieurs à la grossesse (5) ; mais, dans cette hypothèse, c'est bien l'état de santé de la salariée et de l'enfant qu'elle porte qu'il s'agit de protéger contre une mesure de licenciement qui pourrait lui être préjudiciable (6).

  • Une éviction opportune pour s'opposer à une tentative de fraude à la loi

La seconde raison tient aux circonstances particulières de l'élection du salarié comme délégué du personnel, quelques heures seulement avant l'arrêt d'appel ayant définitivement validé le licenciement. La "coïncidence" montrait que le salarié s'était présenté pour bénéficier du régime protecteur dû aux candidats, à plus forte raison aux élus ; il avait, en quelque sorte, cherché à "frauder" à la loi en tentant de paralyser les effets de l'arrêt à venir de la cour d'appel. L'employeur aurait pu demander l'annulation de cette candidature, en tentant d'établir son caractère frauduleux, mais on sait que la charge de cette preuve lui incombe et que le doute profite logiquement au candidat, ce qui la rend en pratique extrêmement difficile à rapporter (7). En considérant que l'employeur pouvait légitimement tirer les conséquences d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée et validant un licenciement prononcé avant le bénéfice de la qualité de salarié protégé, la Cour de cassation déjoue, ainsi, les prévisions du salarié.


(1) C. trav., art. L. 425-2 (N° Lexbase : L6388ACL, art. L. 2411-5 N° Lexbase : L1023HX8 et L. 2421-3, recod. N° Lexbase : L1058HXH).
(2) C'est la raison pour laquelle la procédure doit être respectée, y compris en cas de mise à la retraite (CE Contentieux, 8 février 1995, n° 154364, Crédit Lyonnais N° Lexbase : A2775AN4, RJS, 1995, n° 266, concl. Arrighi de Casanova, p. 14 ; Cass. soc., 5 mars 1996, n° 92-42.490, M. Bourgoin, ès qualités d'administrateur judiciaire de Mme Malibourne c/ M. Jouanne N° Lexbase : A3939AA7, RJS, 1996, n° 422) ou de rupture amiable du contrat de travail, car, dans cette hypothèse, l'employeur a bien la volonté de rompre le contrat de travail et le salarié ne peut renoncer par avance au droit de réclamer le bénéfice de son statut protecteur (Cass. soc., 1er juin 1994, n° 93-40.040, SA STE c/ Guevel N° Lexbase : A2547AGG, Dr. soc., 1994, pp. 783-788, concl. Y. Chauvy).
(3) Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.077, M. Michel Buser c/ Société Novo Nordisk pharmaceutique, FS-P+B (N° Lexbase : A2964DHA), D., 2005, p. 1613, note J. Mouly ; Dr. soc. 2005, p. 861, chron. J. Mouly et les obs. de N. Mingant, L'indemnisation du membre d'un comité d'entreprise européen licencié sans autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 161 du 30 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2514AIX).
(4) Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.085, M. Alain Munoz c/ Société Le News, F-P+B (N° Lexbase : A6210DG4).
(5) L'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI, art. L. 1225-4, recod. N° Lexbase : L9772HWT) interdit bien le licenciement "lorsqu'elle est en état de grossesse", et pas simplement "en raison" de son état de grossesse. Dernièrement Cass. soc., 19 mars 2008, n° 07-40.599, Mme Taline Birgin, F-P+B (N° Lexbase : A4960D7T) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Nullité du licenciement notifié pendant le congé maternité : principe et indemnité, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6240BET).
(6) La prohibition communautaire du licenciement pour cause de maternité repose, d'ailleurs, explicitement sur le souci de protéger la santé de la salariée (Directive (CE) 92/85 Du Conseil du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail N° Lexbase : L7504AUH).
(7) Annulant la candidature aux élections des délégués du personnel, en raison de son caractère frauduleux souverainement apprécié par les juges du fond (Cass. soc., 13 octobre 2004, n° 03-60.279, F-D N° Lexbase : A6186DDH ; Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 07-60.093, F-D N° Lexbase : A6124D4L).

Décision

Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-40.114, Société Intergarde, FS-P+B (N° Lexbase : A7742D7U)

Cassation sans renvoi (CA Versailles, 6ème ch., 7 novembre 2006, n° 05/06351, Monsieur Thierry Kubisiak c/ SARL Intergarde N° Lexbase : A8908DUH)

Textes visés : C. proc. civ., art. 488 (N° Lexbase : L2728ADE) ; C. civ., art. 1351 (N° Lexbase : L1460ABP)

Mots clef : licenciement ; discrimination alléguée ; suspension en référé ; décision contraire intervenant au fond ; salarié ayant acquis entre temps la qualité de salarié protégé ; autorisation administrative de licenciement inutile.

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