Réf. : CE Contentieux, 14 mars 2008, n° 290591, Me Moyrand (N° Lexbase : A3814D7E)
Lecture: 25 min
N7618BEU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
le 07 Octobre 2010
De prime abord, la solution retenue a, également, le mérite de la simplicité puisqu'elle met fin aux hésitations de l'administration lorsqu'il s'agit de notifier un acte de procédure fiscale à une telle entreprise : désormais, seule la notification au liquidateur est en effet régulière. Toutefois, dans le souci bien légitime de tenir compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée de la liquidation judiciaire, le Conseil d'Etat a apporté une importante précision à cette règle, la notification de l'acte en cause au contribuable et non au liquidateur permettant d'interrompre la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF tant que l'administration n'a pas été informée de la liquidation. Cette précision démontre l'intérêt que peut conserver la notification des actes de procédure fiscale au contribuable.
1. Bien que les conséquences d'une liquidation judiciaire sur la situation d'une entreprise fussent clairement définies par le Code de commerce, la jurisprudence du Conseil d'Etat était jusqu'à présent hésitante lorsqu'il s'agissait d'identifier quel devait être, pour le compte d'une telle entreprise, l'interlocuteur de l'administration fiscale
1.1. Les conséquences d'une liquidation judiciaire sur la situation de l'entreprise
1.1.1. Les dispositions du Code de commerce relatives à la liquidation judiciaire confèrent au seul liquidateur qualité pour exercer les droits et actions de l'entreprise pendant la liquidation
Les règles des procédures collectives de redressement et de liquidation judiciaires des entreprises fixées par le Code de commerce concernent non seulement les personnes morales, mais aussi les personnes physiques. Elles sont très claires : le débiteur placé en liquidation judiciaire est immédiatement dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens. Ce principe résulte de l'effet de saisie collective des droits patrimoniaux du débiteur par les créanciers représentés par le liquidateur. Il figurait dans la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) et a été repris par l'article 152 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires (N° Lexbase : L4126BMR). Il a été codifié à l'article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3868HBU) avant d'être repris, à la suite de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), à l'article L. 641-9 I du même code (N° Lexbase : L3951HBX). Aux termes de cet article : "Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur".
La liquidation judiciaire affecte donc essentiellement la situation patrimoniale de l'entreprise concernée et plus particulièrement sa représentation patrimoniale qui échoit au seul liquidateur, à l'exclusion des dirigeants de l'entreprise. La règle est ici beaucoup plus simple qu'en matière de redressement judiciaire puisqu'elle s'impose au tribunal de commerce alors que ce tibunal fixe la mission de l'administrateur judiciaire chargé d'assurer l'administration de l'entreprise placée en redressement judiciaire. Le Conseil d'Etat l'a rappelé lui-même il y a peu (même si ce fut, nous le verrons, pour adopter, ensuite, une solution plus pragmatique) : si la personnalité morale d'une société subsiste pour les besoins de sa liquidation, elle ne peut plus, à compter de l'intervention du jugement ordonnant la liquidation judiciaire ou la cession totale de ses actifs et ayant pour effet sa dissolution, être représentée que par un liquidateur ou un mandataire ad hoc et non par son gérant dont les pouvoirs ont pris fin (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854, M. Vandycke N° Lexbase : A2401DPM, RJF, 2006, n° 1065, BDCF, 2006, n° 105, conclusions Collin).
En la matière, la jurisprudence administrative rejoint la jurisprudence judiciaire : la Cour de cassation a ainsi jugé qu'après la dissolution de la société, ses dirigeants et donc, notamment, l'administrateur judiciaire désigné après la mise en redressement ne peuvent plus la représenter et agir en son nom, la société ne pouvant plus agir que par l'intermédiaire du liquidateur ou, après sa cessation de fonction à la clôture de la liquidation, d'un mandataire ad hoc désigné par le juge (Cass. com., 16 mars 1999, n° 96-19.078, Société Lorient Université c/ M. Bideau N° Lexbase : A8929AH8, Bull. civ. IV, n° 66, RJDA, 1999, n° 560). Soulignons que cette jurisprudence vaut tout autant pour une dissolution du fait de l'intervention d'un jugement de liquidation que pour une dissolution résultant d'un jugement ordonnant un plan de cession total des actifs (Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-18.070, Société Soclaine c/ Blondelle N° Lexbase : A8039AGT, Bull. civ. II, n° 88).
1.1.2. Ces dispositions imposent normalement à l'administration fiscale de s'adresser au seul liquidateur pour toute notification d'actes de procédure fiscale
Dans une espèce très proche de celle jugée par la section du contentieux le 14 mars 2008, la cour administrative d'appel de Marseille a considéré qu'en application des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce (reprises, désormais, à l'article L. 641-9 du même code), l'administration avait l'obligation, en cas de liquidation judiciaire d'une entreprise, de poursuivre la procédure de redressement fiscal à l'égard du liquidateur (CAA Marseille, 17 novembre 2005, n° 01MA00285, Lagrange N° Lexbase : A0607DMG, RJF, 2006, n° 905). La cour a ainsi jugé qu'il appartenait effectivement au liquidateur de présenter les observations de la société liquidée en réponse à la notification de redressements qui avait été adressée à celle-ci avant qu'elle ne fût placée en liquidation judiciaire : l'on voit donc que la désignation d'un liquidateur, même si elle intervient en cours de procédure de redressement fiscal, s'impose à l'administration fiscale qui doit désormais s'adresser à lui seul et non plus aux dirigeants de cette société. Au fond, c'est la procédure de liquidation judiciaire qui l'emporte sur la procédure fiscale. La solution ainsi retenue par la cour administrative d'appel de Marseille, qui n'était pas isolée (cf. CAA Paris, 17 mars 1992, n° 90PA00752, Mme Cohen N° Lexbase : A9493A84, RJF, 1992, n° 826, DF, 1992, n° 2486, conclusions C. Martin : solution rendue sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 ; CAA Marseille, 26 mai 2005, n° 00MA002787, M. Jean-Jacques Arnoux N° Lexbase : A3955DKP, RJF, 2006, n° 564) et qui a été confirmée par la décision "Moyrand" du 14 mars 2008, était strictement conforme à la lettre des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat lui-même, dans sa jurisprudence récente, avait donné toute sa portée à l'intervention d'une liquidation judiciaire en jugeant que la vérification de comptabilité d'une société placée en liquidation judiciaire devait être précédée d'un avis de vérification adressé au mandataire judiciaire en sa qualité de mandataire à la liquidation de cette société (CE Section 6 octobre 2000, n° 208765, SARL Trace N° Lexbase : A9611AHG, RJF, 2000, n° 1497, chron. J. Maïa p. 895, BDCF, 2000, n° 139, conclusions Bachelier). De même, le Conseil avait jugé que l'avis de la commission départementale des impôts rendu sur un différend opposant l'administration fiscale à une société en situation de liquidation judiciaire devait être notifié au mandataire liquidateur ou à la société mais non à l'ancienne gérante de cette société (CE 27 juillet 2005, n° 258164, Berreville N° Lexbase : A1312DKS, RJF, 2005, n° 1250). On le voit donc, dans sa jurisprudence récente, le Conseil d'Etat s'efforçait de tenir des conséquences de la liquidation judiciaire d'une entreprise lorsqu'il s'agissait d'indiquer à l'administration fiscale quel devait être son interlocuteur. Toutefois, aucune règle claire et intangible n'avait encore été affirmée : c'est pourquoi, comme nous allons le voir, la jurisprudence restait incertaine et pragmatique et c'est tout l'objet et tout l'apport de la décision du 14 mars 2008 que d'avoir affirmé un principe dans un domaine où prévalaient des solutions d'espèce.
1.2. Une jurisprudence administrative incertaine et marquée par le souci de tenir compte des droits du contribuable
1.2.1. Une jurisprudence administrative incertaine
Si la jurisprudence récente du Conseil d'Etat s'était orientée vers une application plus littérale des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, il n'en demeure pas moins que son approche restait essentiellement pragmatique, comme le démontre la solution rendue par la décision précitée "Vandycke". Dans cette décision, en effet, le Conseil a jugé qu'en l'absence de liquidateur ou de mandataire ad hoc, l'administration fiscale pouvait s'en tenir, pour assurer la fonction d'interlocuteur du vérificateur dans une procédure de contrôle fiscal, au gérant de la société assisté de l'administrateur judiciaire dès lors qu'il résultait du jugement du tribunal de commerce décidant la cession totale des actifs de cette société qu'à la date de ce jugement, la qualité de représentant de la société du gérant était maintenue et que l'administrateur judiciaire était investi d'une mission de commissaire à l'exécution du plan de cession des actifs. Le Conseil d'Etat a ainsi fait application de la "théorie de l'apparence" qui joue tant lorsqu'il s'agit d'identifier le contribuable (CE 20 février 1974, n° 83270, Lemarchand N° Lexbase : A5223AY4, Dupont 1974 n° 16.979 p. 201 : un contribuable qui s'est présenté comme exploitant personnellement une entreprise commerciale et qui a inscrit deux ouvriers sur son livre de paye ne peut demander l'annulation de la TVA en soutenant que l'entreprise est en réalité exploitée par l'un de ses ouvriers auquel il a accepté de servir de prête-nom et compte donc en réalité un seul ouvrier, ce qui en fait une entreprise artisanale exonérée de TVA ; CE, 29 mai 1991, n° 70570, L'Eveil du centre N° Lexbase : A9429AQB, RJF, 1991, n° 972 : dès lors que les dirigeants d'une société n'ont pas informé l'administration de ce qu'elle n'a pas été en définitive immatriculée au registre du commerce, l'administration peut opposer à cette société son caractère apparent de SARL qui la rend passible de l'impôt sur les sociétés) que lorsqu'il s'agit de déterminer quel doit être le destinataire des actes de procédure fiscale (CE (na) 17 juillet 1998, Indivision Thomas, RJF, 1998, n° 1318 : l'administration peut régulièrement adresser un avis de vérification en matière de TVA à la personne se présentant en apparence comme l'exploitant d'une entreprise individuelle alors même que l'administration a ultérieurement considéré l'entreprise comme exploitée en société de fait). Il s'agit, en bref, de prendre l'entreprise au mot, c'est-à-dire à ses propres déclarations. Dans ses conclusions sous la décision "Vandycke", le commissaire du Gouvernement P. Collin indiquait : "La situation apparente à laquelle était confrontée l'administration était celle d'une société en redressement judiciaire, gérée par un administrateur judiciaire et soumise à un plan de cession d'actifs ne se qualifiant pas lui-même de total. Les représentants de l'entreprise ne s'estimaient pas dessaisis de leurs pouvoirs d'action en son nom et n'avaient pas demandé l'ouverture d'une procédure de liquidation" (nous soulignons). C'est dire que, dans cette décision, le Conseil d'Etat a déterminé le destinataire des actes de procédure fiscale à partir de ce que connaissait l'administration de la situation de l'entreprise et non à partir de la situation réelle de l'entreprise en cause. La décision "Vandycke" se situe ainsi dans une "tradition" jurisprudentielle attachée à tenir compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée de la situation réelle de l'entreprise contrôlée. Au contraire, la décision du 14 mars 2008 fait perdre à l'administration le bénéfice de la théorie de l'apparence : en effet, même si l'administration n'a pas connaissance de la liquidation judiciaire de l'entreprise et même si donc cette dernière n'est apparemment pas en situation de liquidation, l'administration doit tout de même notifier au liquidateur l'ensemble des actes de procédure fiscale.
Outre la décision "Vandycke", la jurisprudence administrative fut longtemps incertaine et attachée à préserver le rôle du contribuable. Ainsi, la jurisprudence du Conseil d'Etat limite les effets du dessaisissement du contribuable en ce qui concerne son droit d'ester en justice devant la juridiction administrative puisque ce dernier, sauf opposition de son liquidateur, peut seul saisir le juge administratif (CE Section, 17 mars 1978, n° 00014 N° Lexbase : A2908AIK, n° 01525 N° Lexbase : A2909AIL, n° 95331 N° Lexbase : A2907AII, SA Entreprise Renaudin, au Recueil p. 140). Surtout, le Conseil d'Etat a jugé, d'une part, que la notification du rejet de la réclamation formée par une société mise en liquidation judiciaire à son syndic n'était pas opposable à la société et ne faisait pas courir le délai de recours à son encontre (CE, 22 novembre 1991, n° 79477, SARL Aram et M. Dumoulin N° Lexbase : A9142AQN, RJF, 1992, n° 135) et, d'autre part, qu'était régulière la procédure d'imposition suivie à l'encontre du contribuable même si à la date à laquelle les redressements lui avaient été notifiés, la société dont il était le dirigeant et l'associé était en état de liquidation de biens et était administrée par un syndic (CE, 9 décembre 1988, n° 40068, Emile Dufour N° Lexbase : A7438AP8, RJF, 1989/2, p. 22).
Par ailleurs, la cour administrative d'appel de Versailles avait jugé, plus récemment, que le contrôle de la déclaration de revenu global dont la production incombe même au contribuable exploitant une entreprise individuelle en liquidation judiciaire, que ce contrôle donc ne pouvait être poursuivi qu'avec ce contribuable et que le mandataire-liquidateur n'avait donc pas à être rendu destinataire de la notification de redressement concernant une plus-value de cession de titres d'une SARL dont le contribuable était également cogérant (CAA Versailles, 12 avril 2005, n° 03VE02259, Me Buit es qualité N° Lexbase : A0003DIX, RJF, 2005, n° 906). Cette analyse, nettement infirmée par la décision du 14 mars 2008, se retrouvait également dans un jugement du tribunal administratif de Nantes selon lequel une notification de redressement en matière d'impôt sur le revenu pouvait être régulièrement adressée au foyer fiscal même si les redressements avaient tiré les conséquences de la situation de l'entreprise individuelle exploitée par l'un des conjoints et mise en liquidation judiciaire (TA Nantes, 23 janvier 2004, Moulet, RJF, 2004, n° 1020, DF, 2004, n° 612, conclusions Livenais). Au total, une grande partie de la jurisprudence administrative s'attachait donc à distinguer la situation des contribuables de la situation des entreprises dont ils pouvaient être les dirigeants ou les associés et plus précisément à faire en sorte que la seconde n'influe pas sur la première en matière de contrôle fiscal.
1.2.2. Une jurisprudence administrative marquée par le souci de tenir compte des droits du contribuable
Si la jurisprudence administrative a longtemps répugné à écarter complètement de la procédure de vérification le contribuable, c'est d'abord parce qu'elle ne pouvait ignorer la principale obligation de celui-ci qui est de s'acquitter de l'impôt. Il faut, en effet, rappeler que c'est le contribuable qui demeure, en tout hypothèse, le redevable de l'impôt (CE Plénière, 18 juin 1984, n° 22019, Darroussez N° Lexbase : A7588ALM, RJF, 1984, n° 1005, avec conclusions Bissara p. 469). La Cour de cassation rappelle aussi que c'est le contribuable qui est pénalement responsable du délit de fraude fiscale (Cass. crim., 11 janvier 1996, n° 95-80.979, Neveu N° Lexbase : A9092ABD, JCP éd. G, n° 20, p. 133 ; Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-85.818 N° Lexbase : A8748AHH, Bull. crim., n° 99, p. 295, JCP 2000, IV, n° 2045).
Par ailleurs, l'obligation de déclaration des revenus du foyer fiscal posée par l'article 170 du CGI (N° Lexbase : L9242HZC) est une obligation personnelle. Or, la notification de redressement constitue une rectification de la déclaration opérée par le contribuable et les dispositions de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X) indiquent clairement que "l'administration adresse au contribuable une notification de redressement". La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans l'arrêt précité du 11 janvier 1996, a ainsi jugé que les déclarations annuelles des ressources du foyer restaient, contrairement aux déclarations relatives à une activité professionnelle, une obligation personnelle échappant aux prévisions de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985. Un commerçant qui se fonde sur le dessaisissement de la gestion de ses biens résultant de sa mise en liquidation judiciaire pour ne pas faire de déclaration de revenus encourt donc des poursuites pour fraude fiscale. C'est d'ailleurs en se fondant sur le caractère personnel de cette obligation que la cour administrative d'appel de Paris, dans l'arrêt annulé par la décision du 14 mars 2008, avait jugé, comme la cour administrative d'appel de Versailles dans l'arrêt précité du 12 avril 2005, que la notification de redressement avait été régulièrement adressée au seul contribuable.
Plus généralement, la jurisprudence administrative, et plus précisément le juge de l'impôt, était réticente à faire prévaloir sur la lettre des dispositions de l'article L. 57 du LPF, qui imposaient une notification au contribuable, la lettre des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, qui imposaient une notification au liquidateur dès lors que l'entreprise exploitée ou dirigée par le contribuable était en situation en liquidation judiciaire. Les deux dispositions en cause étaient, en effet, de rang équivalent, si bien que le principe de hiérarchie des normes n'était d'aucune utilité, et en outre il était sans doute difficile pour le juge de l'impôt de soumettre la procédure d'imposition à la procédure de liquidation judiciaire.
2. La solution retenue par la section du contentieux inclut légitimement la dette fiscale dans le patrimoine de l'entreprise liquidée mais reste complexe et de portée incertaine
2.1. Le Conseil d'Etat fait prévaloir la situation patrimoniale de l'entreprise sur sa situation fiscale
2.1.1. La notification de redressement concernant une entreprise en liquidation judiciaire doit être adressée au liquidateur
En l'espèce, à la suite d'une vérification de comptabilité d'une SARL, l'administration avait adressé aux deux gérants une notification de redressement qu'ils avaient reçue le 31 décembre 1991. Un jugement du tribunal de commerce avait placé l'un des gérants en liquidation judiciaire pour une entreprise exploitée à titre individuel et désigné un mandataire-liquidateur. Le tribunal administratif, saisi par les gérants à la suite du rejet de leurs réclamations par l'administration, avait rejeté les conclusions de leur requête et la cour administrative d'appel avait rejeté l'appel formé contre ce jugement par le liquidateur, qui s'était pourvu en cassation contre cet arrêt.
Le Conseil d'Etat considère, cependant, qu'il résulte de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985, dont les dispositions sont reprises à l'article L. 641-9 du Code de commerce, que les droits et actions du débiteur qu'il vise incluent ceux qui se rapportent, le cas échéant, aux dettes fiscales de celui-ci, et, par suite, aux actes de la procédure d'imposition le concernant, tels que les notifications de redressements, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur son patrimoine. Il en va de même dans le cas de la liquidation judiciaire d'une personne physique exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à laquelle ces dispositions sont également applicables. Dès lors, c'est au liquidateur judiciaire que doit être adressée la notification des redressements envisagés par l'administration des bases d'imposition d'un contribuable qui se trouve dans ce cas.
La règle est donc, désormais, claire et concerne, selon nous, l'ensemble des actes de procédure fiscale : ces actes, dès lors qu'ils concernent une entreprise ou une société placée en liquidation judiciaire, doivent être adressés au liquidateur judiciaire de celles-ci sous peine d'être irréguliers. Le Conseil d'Etat a ainsi fait prévaloir la situation patrimoniale de l'entreprise sur sa situation fiscale. C'est qu'en effet la notification de redressement est susceptible d'avoir des conséquences patrimoniales et donc de porter atteinte aux intérêts des créanciers. Ainsi que le soulignait déjà P. Collin dans ses conclusions sous la décision "Vandycke", "l'exercice des droits et actions en matière fiscale se rattache évidemment aux droits et actions concernant le patrimoine de la société". Ainsi, même si l'obligation de déclaration des revenus du foyer fiscal a un caractère personnel, la procédure de contrôle fiscal a des conséquences patrimoniales. Or, la règle du dessaisissement du débiteur n'est écartée que pour les seules actions attachées à la personne de ce dernier sous réserve qu'elles n'aient pas de conséquences patrimoniales. En effet, la règle du dessaisissement du débiteur qui a pour objet de protéger les créanciers représentés par le liquidateur revêt une portée très générale : ce dessaisissement concerne tous les biens du débiteur, même ceux non affectés à l'activité de son entreprise (pour une personne physique mariée sous le régime de la communauté, tous les biens communs sont concernés ; seuls y échappent les biens déclarés insaisissables : ce principe d'unité du patrimoine a été rappelé par un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 1991 : Cass. com., 27 novembre 1991, n° 90-11.122, SCI La Fenière c/ M. Berle et autres N° Lexbase : A4222AGH). C'est pourquoi, dans l'espèce jugée par la section du contentieux le 14 mars 2008, l'argumentation du ministre tirée de ce que la notification de redressement en litige n'avait pas porté sur les revenus tirés de l'entreprise individuelle mise en liquidation judiciaire était inopérante dès lors que cette mise en liquidation avait eu des effets sur tout le patrimoine de l'intéressé. Le caractère attractif de la situation patrimoniale sur la situation fiscale est ainsi manifesté : toute dette fiscale, quelle qu'elle soit, a en effet des conséquences patrimoniales.
Dans ses conclusions sous la décision du 14 mars 2008, le commissaire du Gouvernement N. Escaut, après avoir indiqué que "la logique purement fiscale devrait [...] conduire à n'admettre comme interlocuteur de l'administration que le seul contribuable" mais que, de ce fait, serait écartée "la règle de son dessaisissement du fait de sa mise en liquidation judiciaire", proposait, "Pour concilier les deux logiques [...] d'adresser la notification de redressement, aujourd'hui proposition de rectification, à la fois au contribuable et au liquidateur, tout en reconnaissant que les conséquences pratiques de cette double obligation pourraient poser certaines difficultés". La section du contentieux n'a pas retenu cette proposition de notification simultanée au contribuable et au liquidateur, lui préférant une application stricte des dispositions du Code de commerce (stricte, c'est-à-dire littérale et s'imposant aux dispositions de l'article L. 57 du LPF) qui, nous allons le voir, n'est cependant pas exclusive d'une notification successive au contribuable et au liquidateur, étant précisé que la notification au premier ne permet alors que d'interrompre la prescription prévue à l'article L. 169 du LPF, seule la notification au second étant régulière. En d'autres termes, contrairement à ce que proposait son commissaire du Gouvernement, la section du contentieux a jugé qu'en cas de liquidation judiciaire, la notification des redressements au contribuable ne devait, en principe, être faite qu'au liquidateur : une seule notification suffit donc à rendre régulière la procédure de redressement.
2.1.2. L'application de cette règle ne peut être retardée par les délais de publication du jugement prononçant la mise en liquidation judiciaire
Il ressort des termes mêmes de l'article L. 622-9 du Code de commerce que le jugement qui prononce la mise en liquidation judiciaire emporte, dès sa date de rendu, dessaisissement du débiteur. L'absence de publication du jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) est donc sans influence en la matière ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (Cass. com., 2 avril 1996, n° 92-19.912, Monsieur Abbadie, ès Qualités de Mandataire-Liquidateur de la Liquidation Judiciaire de Monsieur Rouvrais c/ Directeur du Centre des Chèques Postaux de Toulouse N° Lexbase : A9314ABL, Bull. civ. IV, n° 103, p. 88). En d'autres termes, dès l'intervention du jugement, le liquidateur est seul habilité à exercer les droits et actions de l'entreprise en cause qui concernent son patrimoine. Cette exécution immédiate du jugement de liquidation judiciaire se justifie par la nécessité de prendre d'urgence, dans l'intérêt des créanciers, des mesures qui empêchent le débiteur de compromettre ce qui reste d'actif.
Dans l'espèce jugée par la section du contentieux, et ainsi que cela ressort des conclusions du commissaire du Gouvernement, le jugement de liquidation des biens en date du 3 décembre 1991 avait été publié au registre du commerce le 8 décembre 1991 et au BODACC le 10 janvier 1992 seulement, c'est-à-dire postérieurement à la notification des redressements en date du 13 décembre 1991. En principe, donc, il appartient à l'administration fiscale, quelle que soit la date de publication au BODACC du jugement de liquidation des biens, d'adresser tous les actes de procédure fiscale au seul liquidateur à l'exclusion du contribuable. Telle est la solution de principe. Toutefois, la section du contentieux a tenu à ne pas pénaliser l'administration fiscale, et donc à ne pas systématiquement décharger les impositions pour irrégularité de la notification de redressement, lorsque celle-ci n'a pas été informée de la liquidation judiciaire et a donc fort logiquement notifié au contribuable les redressements qu'elle envisageait. En effet, comment pourrait-on imposer à l'administration de notifier les redressements à un liquidateur dont elle ignore l'existence ?
2.2. Une solution complexe et de portée incertaine
2.2.1. La subtile distinction entre notification interruptive de prescription et notification régulière
Dès lors qu'à l'impossible nul n'est tenu, le Conseil d'Etat a considéré que jusqu'à la date à laquelle l'administration a été informée de la liquidation judiciaire, et au plus tard à la date de publication de ce jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, la notification faite non au liquidateur mais au seul contribuable a pour effet d'interrompre, en application de l'article L. 189 du LPF (N° Lexbase : L8757G8T), la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants de ce livre. L'administration qui, ignorant légitimement (légitimement car le jugement n'a pas été publié au BODACC) l'existence d'une liquidation judiciaire, notifie les redressements au contribuable, et non au liquidateur, n'est donc pas pénalisée en ce qui concerne les délais de prescription : à ce stade, en effet, l'administration, si elle doit normalement notifier les redressements au liquidateur en vertu des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, ne peut matériellement le faire. L'on retrouve presque la théorie de l'apparence puisqu'il est tenu compte de la situation de l'entreprise telle qu'elle apparaît à l'administration fiscale, à savoir une entreprise "normale" et donc représentée par ses dirigeants, et non de la situation réelle de cette même entreprise, à savoir une entreprise en liquidation judiciaire et donc représentée par son liquidateur. Toutefois, si c'est "presque" l'application de la théorie de l'apparence, cela ne l'est pas tout à fait. Il y a, en effet, une grande différence entre les applications que nous avons évoquées de cette théorie et l'analyse retenue par la section du contentieux dans la décision du 14 mars 2008 : dans celles-là étaient en cause le bien-fondé de l'imposition ou la régularité de la procédure d'imposition alors que dans celle-ci est en cause, seulement, le caractère interruptif de la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF. Pour le dire autrement, l'intérêt de la théorie de l'apparence est de "valider" au profit de l'administration fiscale le bien-fondé de l'imposition ou la régularité de la procédure d'imposition dans des cas où celle-ci a pu légitimement se fonder sur la situation du contribuable telle qu'elle lui était apparue, notamment parce que ce dernier la lui avait laissée apparaître comme telle. Rien de tel, en revanche, dans la décision du 14 mars 2008 : s'il est tenu compte de la situation de l'entreprise telle qu'elle apparaît à l'administration, et donc s'il est tenu compte de l'ignorance dans laquelle se trouve celle-ci de l'intervention d'un jugement de liquidation judiciaire, ce n'est pas pour juger régulière la notification de redressement adressée au contribuable et non au liquidateur, et pour "valider" ainsi la procédure d'imposition, mais seulement pour permettre à l'administration de disposer du délai nécessaire pour, une fois informée de l'existence de ce jugement, pouvoir adresser cette notification au liquidateur.
La notification au contribuable est donc seulement interruptive de prescription ; elle n'est pas régulière. Seule la notification au liquidateur l'est. Toutefois, pour que l'administration puisse effectuer cette notification régulière, encore faut-il qu'elle en ait le temps et c'est pourquoi, tant que le jugement n'a pas été publié au BODACC, elle peut (et doit même) notifier les redressements au contribuable afin de pouvoir ensuite utilement effectuer la notification au liquidateur qui seule garantira la régularité de la procédure d'imposition. La décision du 14 mars 2008, plutôt que d'imposer une obligation de notification au contribuable et au liquidateur comme le proposait son commissaire du Gouvernement (solution qui eût entraîné l'irrégularité de la procédure d'imposition en cas de non-notification ou de notification tardive à l'un d'entre eux), impose donc une obligation de notification au liquidateur seulement tout en prévoyant un système de notifications successives, la première notification au contribuable interrompant la prescription afin que la seconde notification au liquidateur puisse intervenir dans les délais et être ainsi régulière.
Au total, en cas de liquidation judiciaire, la notification des actes de procédure fiscale au contribuable n'est jamais régulière au sens de l'article L. 57 du LPF : tout au plus permet-elle à l'administration, en interrompant la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF, de procéder à une notification régulière en adressant ces actes au liquidateur judiciaire. La notification des actes de procédure fiscale au contribuable est donc utile à l'administration tant que le jugement de liquidation n'a pas été publié au BODACC.
2.2.2. La solution retenue par la section du contentieux peut-elle être transposée aux situations de redressement judiciaire ?
En matière de redressement judiciaire comme en matière de liquidation judiciaire, la jurisprudence fut d'abord très favorable au contribuable. C'est ainsi que le Conseil d'Etat avait jugé que la notification régulière à un contribuable mis en règlement judiciaire de la décision du directeur rejetant la réclamation formée par les syndics avait fait courir le délai de recours contentieux alors même que la notification n'avait pas été régulièrement faite aux syndics auteurs de la réclamation (CE Section, 7 février 1986, n° 43336, Mme Merique N° Lexbase : A3767AMH, RJF, 1986, n° 436). Le risque d'une telle solution, contraire à celle préconisée par le commissaire du Gouvernement N. Chahid Nouraï était d'inciter le contribuable à ne pas aviser le syndic de la décision de l'administration alors même que le rôle de ce dernier était de défendre les intérêts des créanciers. Le Conseil d'Etat avait également jugé, toujours sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967, que l'avis de vérification n'avait pas à être adressé au syndic en cas de règlement judiciaire, la notification à la société étant suffisante (CE, 26 juillet 1991, n° 64389 N° Lexbase : A8983AQR, RJF, 1991, n° 1266).
La jurisprudence administrative a cependant évolué vers une plus grande prise en compte des conséquences qu'emporte la mise en redressement judiciaire sur la représentation de l'entreprise.
Ainsi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que, dans le cas où le tribunal de commerce a confié à l'administrateur judiciaire le soin d'assurer seul et entièrement l'administration d'une entreprise placée en redressement judiciaire, la procédure de contrôle fiscal et de redressement pouvait être valablement menée avec l'administrateur judiciaire sans que l'administration fût tenue d'y associer le gérant de l'entreprise (CAA Bordeaux, 17 octobre 2002, n° 99BX01768, Canteloup N° Lexbase : A2748A7W, RJF, 2003, n° 198, BDCF, 2003, n° 26 conclusions Chemin). Dans un tel cas, donc, l'avis de vérification et la notification de redressement doivent être adressés à l'administrateur judiciaire et le débat oral et contradictoire mené par le vérificateur doit également être mené avec ce dernier.
Précisément, dans ses conclusions sous cet arrêt, le commissaire du Gouvernement B. Chemin a rappelé qu'il appartenait au tribunal de commerce de fixer la mission de l'administrateur, lequel pouvait être chargé soit d'une simple mission de surveillance, soit d'assister le débiteur pour tous les actes concernant la gestion ou certains d'entre eux, soit d'assurer seul, entièrement ou en partie, l'administration de l'entreprise. Dans ce dernier cas qui a fait l'objet de l'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Bordeaux, le débiteur-contribuable est donc nécessairement dessaisi au profit de l'administrateur judiciaire, seul habilité à représenter la société en redressement judiciaire. Au total, la détermination par l'administration fiscale du destinataire des actes de procédure concernant une entreprise placée en redressement judiciaire varie selon l'étendue des missions confiées à l'administrateur judiciaire : plus la mission de celui-ci est importante, plus il doit bénéficier d'un monopole de représentation de la société. L'on peut donc penser que la solution retenue par la section du contentieux le 14 mars 2008 peut être transposée en ce qui concerne les entreprises dont l'administration est entièrement confiée au seul administrateur judiciaire : dans un tel cas, en effet, les actes de procédure fiscale ne peuvent être régulièrement notifiés au contribuable, c'est-à-dire aux dirigeants de l'entreprise. Dans le cas, cependant, où la mission confiée à l'administrateur n'est pas complète, il y aura lieu pour le juge administratif d'apprécier sur quels actes d'administration porte le dessaisissement du débiteur. C'est dire que la solution retenue par la section du contentieux le 14 mars 2008 ne saurait être entièrement transposable à la situation des entreprises placées en redressement judiciaire.
Soulignons, enfin, que la décision du 14 mars 2008 vient, également, clarifier les règles applicables au délai dont dispose l'administration fiscale pour notifier les actes de procédure à l'administrateur judiciaire lorsque celui-ci est chargé de représenter le débiteur dans tous ses actes de gestion et de disposition. Dans un arrêt de plénière, la cour administrative d'appel de Versailles avait, en effet, récemment fait une stricte application des dispositions de l'article L. 621-133 du Code de commerce (N° Lexbase : L6985AIK) en jugeant que l'entreprise redevable ne pouvait être légalement destinataire de la notification de redressement qui lui avait été envoyée quelques jours après l'intervention du jugement ouvrant une procédure simplifiée de redressement judiciaire, dès lors que le dessaisissement de l'entreprise de l'administration de ses biens au profit de son administrateur judiciaire avait pris effet le jour même où le jugement avait été rendu et donc avant toute mesure de publicité (CAA Versailles, Plénière, 22 décembre 2005, n° 03VE01596, Perche N° Lexbase : A4346DNB, DF 2006, n° 384). La cour n'avait donc pas tenu compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée du redressement judiciaire, en particulier lorsque le jugement n'a pas encore été publié au BODACC. Désormais, la règle dégagée par la décision du 14 mars 2008 a vocation à s'appliquer dans une telle hypothèse : dès lors qu'elle n'a pas été informée du redressement judiciaire dans la mesure où le jugement de redressement n'a pas été publié au BODACC, l'administration fiscale peut notifier les actes de procédure à l'entreprise, et concrètement à ses dirigeants, non pas pour s'acquitter de l'obligation d'une notification régulière (puisque seule une notification à l'administrateur judiciaire est régulière et garantit donc la régularité de la procédure d'imposition) mais pour interrompre la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF et préserver, ainsi, la possibilité d'effectuer une notification régulière à l'administrateur.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:317618