La lettre juridique n°301 du 17 avril 2008 : Responsabilité

[Jurisprudence] L'efficacité des clauses limitatives de responsabilité à l'épreuve de la faute dolosive et de la faute lourde

Réf. : Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.790, Société Générali assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A3326D7C)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été de dire que l'efficacité des clauses restreignant la responsabilité ou limitant les obligations du débiteur en matière contractuelle, à l'origine d'une littérature doctrinale abondante (1), fait l'objet d'un vif contentieux. Et l'on n'ignore pas, précisément, que la validité de ces clauses, traditionnellement déduite du principe de la liberté contractuelle, tend à se restreindre assez considérablement en raison de la multiplication des moyens permettant de les neutraliser. Ainsi, assez récemment encore, la Cour de cassation confirmait, dans son principe, la vigueur de la solution retenue, il y a déjà quelques années, dans la désormais célèbre affaire "Chronopost", en décidant que, dans l'hypothèse dans laquelle aucune réglementation spéciale ne trouverait à s'appliquer, l'inexécution par le débiteur d'une obligation essentielle doit conduire à écarter le jeu d'une clause limitative -ou exclusive- de responsabilité, et ce sur le fondement de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) (2). Ce à quoi s'ajoute, bien entendu, des solutions plus classiques permettant de priver d'efficacité les clauses limitatives de responsabilité sur le fondement de l'article 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX) en cas de faute dolosive, voire de faute lourde, du débiteur. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 4 mars 2008, à paraître au Bulletin, mérite, à ce titre, d'être ici signalé. En l'espèce, la société Sony avait confié l'acheminement de palettes de matériel hi-fi à une société de transport qui, en dépit de l'interdiction de sous-traitance qui lui en avait été faite, a sous-traité le transport. La marchandise ayant été dérobée tandis que le camion la transportant était stationné sur une aire d'autoroute, l'assureur, subrogé dans les droits de l'ayant droit de la marchandise pour l'avoir indemnisé, a assigné la société de transports, qui a appelé en garantie le sous-traitant, en indemnisation de son préjudice. Les juges du fond avaient, certes, accueilli, dans son principe, la demande, mais avaient fait application de la clause limitative de responsabilité prévue au contrat, ce que contestait l'assureur faisant valoir que le transporteur avait commis une faute lourde en laissant sans surveillance le camion, muni d'une simple bâche, stationné de nuit sur une aire d'autoroute. Le moyen unique du pourvoi est cependant rejeté, la Cour de cassation décidant que, "ayant relevé que le chauffeur [...] avait garé son camion sur une aire d'autoroute qui n'était pas réputée dangereuse, à côté de nombreux camions sans qu'aucune information ne lui ait été fournie quand à la nature particulière des marchandises transportées, la cour d'appel a pu en déduire que la société [le sous-traitant] n'avait commis aucune faute lourde dans l'accomplissement de sa mission".

La solution parait justifiée. Rappelons, en effet, que si les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité sont, tout à fait classiquement, privées d'efficacité en cas de dol du débiteur conformément à la règle de l'article 1150 du Code civil, qui dispose que "le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée", elles le sont, encore, en cas de faute lourde du débiteur, la jurisprudence ayant, depuis longtemps déjà, fait une interprétation extensive de ce texte, assimilant, précisément au dol de l'article 1150 la faute lourde. Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain, que, à côté de l'appréciation subjective de la faute lourde caractérisée par un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée (3), certaines décisions n'ont pas hésité, un temps au moins, à procéder à une appréciation plus objective de la faute lourde, cette dernière étant alors déduite non pas de la gravité du comportement du débiteur, mais de l'importance de l'obligation inexécutée, en l'occurrence essentielle ou fondamentale (4). Toujours est-il que la Cour de cassation a, finalement, choisi d'abandonner cette approche objective de la faute lourde, très discutable au demeurant : on a, en effet, pu déduire de deux arrêts du 22 avril 2005 rendus en Chambre mixte (5) que, d'une manière générale, et pas seulement dans le cas des contrats de transport rapide, le manquement à une obligation essentielle ne saurait suffire à caractériser la faute lourde (6). La Chambre commerciale de la Cour de cassation devait d'ailleurs, par la suite, nettement affirmer que la faute lourde "ne saurait résulter du manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur" (7). Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté du 4 mars dernier, il n'est pas douteux que, à s'en tenir à cette appréciation subjective, aucune faute lourde ne pouvait sérieusement être imputée au transporteur.

Si la clause limitative de responsabilité ne devait donc pas être privée d'efficacité sur le terrain de la faute lourde, elle l'est, en revanche, sur le terrain de la faute dolosive. Sur le moyen relevé d'office, la Cour affirme en effet, pour finalement casser l'arrêt de la cour d'appel, sous le visa des articles 1150 du Code civil et L. 133-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5642AIS), que "le transporteur qui a été chargé de transporter une marchandise en s'étant vu interdire toute sous-traitance par l'expéditeur et qui sous-traite l'opération, se refusant ainsi, de propos délibéré, à exécuter son engagement, commet une faute dolosive qui le prive du bénéfice des limitations d'indemnisation que lui ménage la loi ou le contrat". La Cour de cassation confirme ainsi une solution acquise : le débiteur commet en effet une faute dolosive lorsque, de propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus n'est pas dicté par l'intention de nuire à son cocontractant (8).


(1) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, thèse Paris, 1931 ; P. Robino, Les conventions d'irresponsabilité dans la jurisprudence contemporaine, RTDCiv., 1951, p. 1 ; B. Starck, Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité ou limitative de responsabilité, D., 1974, Chron., p. 157 ; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981 ; Ph. Delebecque et D. Mazeaud, Les clauses de responsabilité : clauses de non-responsabilité, clauses limitatives de réparation, clauses pénales, in Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit comparé, LGDJ, 2001.
(2) Cass. com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP) et nos obs., Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité, Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0986BAR) ; Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.832, Société Thales communications, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5608DWM), et nos obs., Clause limitative de responsabilité et obligation essentielle : la Chambre commerciale enfonce le clou !, Lexbase Hebdo n° 266 du 28 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5865BBT).
(3) Cass. com., 26 février 1985, n° 83-10.811, Société anonyme Soditrans c/ Société anonyme Groupe des assurances nationales GAN Incendie Accidents et autres (N° Lexbase : A2391AAS), RTDCiv. 1986, p. 773, obs. J. Huet ; Cass. com., 5 janvier 1988, n° 86-14.735, Assurances générales de France et autres (N° Lexbase : A0022AA3), Bull. civ. IV, n° 8 ; Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-14.871, Ateliers et chantiers de la Manche (ACM) et autres c/ Société Océanique de pêche et d'armement (SOPAR) et autres (N° Lexbase : A3713AHY), Bull. civ. IV, n° 108 ; Cass. com., 17 novembre 1992, n° 91-12.223, Société Allemand et Cie c/ Compagnie Le Continent (N° Lexbase : A4821AB8), Bull. civ. IV, n° 366.
(4) Cass. civ. 1, 18 janvier 1984, n° 82-15.103, Centre départemental du Loto (N° Lexbase : A0333AAL), Bull. civ. I, n° 27, JCP éd. G, 1985, II, 20372, note J. Mouly, RTDCiv. 1984, p. 727, obs. J. Huet ; Cass. com., 9 mai 1990, n° 88-17.687, Société Office d'annonces c/ M. Leroux (N° Lexbase : A3982AHX), Bull. civ. IV, n° 142, RTDCiv., 1990, p. 666, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 01-13.110, Société France Télécom c/ M. Bernard Brousse, F-P+B (N° Lexbase : A1143DE3), Bull. civ. I, n° 295 ; comp. Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-21.907, Union des Assurances de Paris (UAP) et autre c/ Monsieur Baudin (N° Lexbase : A0795ACG), Bull. civ. I, n° 349, D., 1998, Somm. p. 200, obs. D. Mazeaud, pour le cas du non-respect d'une clause constituant une "condition substantielle" du contrat, bien que l'obligation transgressée n'ait pas été essentielle.
(5) Cass. mixte, 22 avril 2005, deux arrêts, n° 02-18.326, Chronopost SA c/ KA France SARL (N° Lexbase : A0025DIR) et n° 03-14.112, SCPA Dubosc et Landowski c/ Chronopost SA (N° Lexbase : A0026DIS), Bull. civ. n° 4, D., 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi, JCP éd. G, 2005, II, 10066, note G. Loiseau, RDC, 2005, p. 673, obs. D. Mazeaud, ibid. p. 753, obs. Ph. Delebecque, RTDCiv., 2005, p. 604, obs. P. Jourdain.
(6) Sur la portée générale à donner à ces arrêts, voir not. P. Jourdain, obs. préc..
(7) Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA) et nos obs., La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le recul de l'objectivation de la faute lourde, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5618AKB), et Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Société Chronopost, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9281DPG).
(8) Cass. civ. 1, 4 février 1969, D., 1969, p. 601, note J. Mazeaud ; Cass. civ. 1, 22 octobre 1975, n° 74-13217, Martin c/ Chevalier, Régis, publié (N° Lexbase : A6055CI4), D., 1976, p. 151, note J. Mazeaud ; Cass. com., 19 janvier 1993, n° 91-11.805, Société Dargaud éditeur c/ Société centrale d'impression armentiéroise (N° Lexbase : A5566ABR), Bull. civ. IV, n° 24 ; Cass. civ. 3, 10 février 1999, n° 97-14.679, Fondation Asile Evangélique de Nice c/ M. Marcel Chaumont (N° Lexbase : A6904CQR), RCA, 1999, n° 110.

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