Réf. : CA Paris, 22ème ch., sect. C, 14 février 2008, n° 06/08694, M. Fabrice Banelli (N° Lexbase : A0205D7Q)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Les insultes proférées par le salarié s'inscrivant dans un contexte particulier, la faute, ainsi, commise n'a pas le caractère de faute grave invoqué par l'employeur. |
Commentaire
I - Une définition anachronique de la faute grave
Le Code du travail n'offre aucune définition de la faute grave, seuls quelques éléments de son régime ayant été déterminés. Le législateur a, ainsi, disposé que le salarié licencié pour faute grave ne peut bénéficier du délai-congé (1). C'est donc à la jurisprudence qu'est revenue la charge de définir la notion de faute grave justificative du licenciement.
S'inspirant des maigres éléments du code, la Cour de cassation a estimé que la faute grave "résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis".
Cette définition, conforme aux engagements internationaux de la France, posait, néanmoins, une difficulté, puisqu'elle définissait plus le degré de gravité de la faute en fonction de ses conséquences -l'impossibilité d'exécuter le préavis- qu'au regard du comportement du salarié lui-même (3).
Par un arrêt remarqué et largement diffusé, la Chambre sociale de la Cour de cassation a allégé sa définition de la faute grave (4). Désormais, les juges décident que "la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise". Exit donc la référence, si peu logique, au préavis comme élément qualifiant de la faute, seul le lien avec le maintien dans l'entreprise étant conservé.
Sur l'appréciation de la faute grave, ce changement de définition ne devrait, en pratique, pas apporter de grands chamboulements. En effet, le moment auquel s'apprécie l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise n'influe guère sur cet empêchement en lui-même. Tout au plus la solution apporte-t-elle une véritable harmonisation de la faute grave en matière de rupture du CDD et du CDI (5).
Quoiqu'il en soit, c'est bien une nouvelle définition apportée par la Cour régulatrice que les juges du fond, de manière surprenante, ne paraissent pas s'être encore appropriée.
L'affaire portée devant la cour d'appel de Paris est presque banale tant de nombreuses espèces de ce type sont traitées par les juridictions prud'homales.
Un salarié, assistant à un entretien entre son supérieur hiérarchique et un dirigeant de l'entreprise, intervient dans la conversation, insultant copieusement les deux protagonistes et tentant, ensuite, de détériorer des fichiers informatiques de l'entreprise (6). Estimant ce comportement intolérable, l'employeur prononce un licenciement pour faute grave, le dispensant donc du versement d'une indemnité de préavis.
Le salarié introduit un recours devant la juridiction prud'homale qui, en raison des circonstances particulières de l'altercation, fait droit à sa demande et estime que le comportement du salarié, tout en constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement, est d'une gravité insuffisante pour être qualifiée de faute grave. Cette solution est confirmée par la cour d'appel de Paris.
A cette occasion, la juge d'appel reprend in extenso la définition de la faute grave, qui présidait avant la solution de la Cour de cassation susvisée. Ainsi, "la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur". Il n'est pas inutile de relever que la cour d'appel de Paris n'est pas la seule juridiction du fond à maintenir cette ancienne définition (7).
Deux interprétations de cette solution peuvent être présentées. La première consiste à considérer que les juges du fond résistent volontairement à la nouvelle définition proposée par la Cour de cassation. Cette interprétation peut légitimement s'appuyer sur le fait que les seules références à la faute grave opérées par le législateur s'attachent à l'existence du préavis, si bien que priver la définition de la faute grave d'une telle référence détacherait la notion de faute grave de toute référence légale. La seconde, plus probable, consacre l'interprétation doctrinale selon laquelle la nouvelle définition ne changerait finalement pas grand-chose à l'appréciation de la faute grave (8). Reste donc à voir si la Cour de cassation maintiendra cette définition, ce qui, le cas échéant, devrait tout de même amener, à terme, les juges du fond à prendre en compte cette persévérance.
II - Une appréciation lâche du caractère de gravité de la faute
Si la faute grave est caractérisée par un comportement du salarié rendant impossible son maintien dans l'entreprise, son appréciation demeure, très largement, empirique tant cette définition pèche par l'absence de critères objectifs permettant d'apprécier la gravité de la faute. Par conséquent, les juges ont toujours modulé l'appréciation de la gravité du comportement du salarié en fonction de divers éléments (9).
Ainsi, par exemple, certains comportements qui, isolés, ne suffiraient pas à caractériser la faute grave peuvent acquérir cette qualification face à un salarié "récidiviste" (10). De la même manière, le comportement du salarié est apprécié avec plus de sévérité lorsque l'employeur n'est pas tenu à un contrôle permanent, en raison des responsabilités du poste confié au salarié (11).
A l'opposé, l'âge du salarié ou son ancienneté dans l'entreprise peut atténuer le caractère de gravité de la faute (12). Si l'âge, l'ancienneté, la répétition du comportement ou le degré de responsabilité du salarié semblent dotés d'une certaine objectivité, d'autres éléments de modulation incitent plus à la circonspection.
Pour refuser la qualification de faute grave, la cour d'appel de Paris estime que "les insultes proférées [par le salarié] s'inscrivent dans un contexte particulier". Elle relève, pour justifier ce contexte, que l'employeur avait manifesté depuis plusieurs mois son intention de se séparer du salarié, ce qui avait contribué à instiller une "ambiance tendue qui explique [...] la colère du salarié".
La jurisprudence oscille entre faute grave et faute sérieuse lorsqu'elle se trouve face à l'hypothèse d'un salarié ayant insulté son employeur (13). En outre, la Cour de cassation a, parfois, accepté de moduler la gravité d'une faute en fonction de "circonstances particulières entourant les faits" (14). Pour autant, les propos tenus par le salarié étaient particulièrement violents. A cela s'ajoute que l'excuse de cette "colère", soutenue par la cour d'appel, ne réside que dans une menace assez insidieuse d'utiliser une voie de droit, c'est-à-dire de licencier le salarié.
A vrai dire, l'usage de ce critère de "circonstances particulières" afin de moduler la gravité de la faute nous semble empreint d'opportunité et ne répond que difficilement à une objectivité suffisante. L'employeur victime d'insultes devrait, alors, être incité, par prudence, à n'envisager qu'un licenciement pour faute sérieuse. Mais doit-on véritablement blâmer la cour d'appel de Paris ? Rien n'est moins sûr puisque le législateur lui-même n'a guère pris ses responsabilités en se contentant d'édicter le régime juridique de la faute grave. En cette matière, la qualification judiciaire demeurera donc, nécessairement, toujours difficilement prévisible...
(1) C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG) et L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-5, recod. N° Lexbase : L9981HWL).
(2) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908, M. Vaz c/ Compagnie d'armatures préfabriquées industrielles (N° Lexbase : A9347AAG), Bull. civ. V, n° 97, p. 60 ; D. 1991, IR, 82 ; RJS 1991, 239, n° 448.
(3) L'article 11 de la Convention internationale du travail n° 158 de l'OIT définit la faute grave comme celle d'une "nature telle que l'on ne peut raisonnablement exiger de l'employeur qu'il continue à occuper le salarié pendant la période du préavis" (v. Convention internationale OIT n° 158 du 22 juin 1982 N° Lexbase : L0963AII).
(4) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, M. David Millochau, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5947DYW), RDT 2007, p. 650, obs. G. Auzero ; JCP éd. S, 2007, II, 10188, note D. Corrignan-Carsin.
(5) La référence au préavis semblait seulement faire référence au CDI, puisque le délai-congé n'existe pas, par définition, en cas de rupture d'un CDD.
(6) La violence des insultes proférées est nettement perceptible dans l'argumentation de la cour d'appel.
(7) V., par ex., CA Rouen, ch. soc., 11 décembre 2007 ; CA Nîmes, ch. soc., 5 décembre 2007 ; CA Orléans, ch. soc., 29 novembre 2007.
(8) V. G. Auzero et D. Corrignan-Carsin, préc..
(9) V. S. Koleck-Desautel, La notion de faute grave et ses critères d'appréciation par le juge, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6803AA9).
(10) Cass. soc., 9 octobre 2002, n° 00-45.663, M. Bernard Nely c/ Société Bragard, inédit (N° Lexbase : A9693AZZ). Si un retard de 30 minutes ne pouvait, à lui seul, constituer une faute grave, la réitération des mêmes faits au mépris de nombreux avertissements constituait une faute grave (Cass. soc., 4 février 2003, n° 01-40.076, M. Guillaume Douchet c/ Société Elda Transports, inédit N° Lexbase : A9038A4I).
(11) Cass. soc., 5 mars 1987, n° 85-41.342, Société France éditions et publications c/ M. Chuzeville, (N° Lexbase : A6737AAR).
(12) Cass. soc., 24 mai 2000, n° 99-41.314, M. X c/ Société Sogara, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A9044AG3) ; Cass. soc., 9 octobre 2002, n° 00-44.297, Société Lifting Color c/ M. M'Hand Houfel, inédit (N° Lexbase : A9702AZD).
(13) V. l'ensemble des décisions référencées dans l’Ouvrage "Droit du travail" .
(14) Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-44.732, M. Frédéric Derhy c/ M. Jean-Luc Pochan, FS-D (N° Lexbase : A4286DAY).
Décision
CA Paris, 22ème ch., sect. C, 14 février 2008, n° 06/08694, M. Fabrice Banelli (N° Lexbase : A0205D7Q) Confirmation, CPH Créteil, section commerce, 21 mars 2006 Mots-clés : licenciement ; faute grave (non) ; insultes ; contexte particulier ; préavis. Liens base : et |
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