Réf. : CA Paris, 9ème ch., sect. B, 31 octobre 2008, n° 06/09036, Di Vita Lucien, Lanctuit Jean-Pierre, Olivier Francis, Société Sidel devenue Sidem Participations (N° Lexbase : A5109EBT)
Lecture: 12 min
N9211BHM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques
le 07 Octobre 2010
Si, sur le plan du droit boursier, la décision du tribunal de grande instance de Paris, confirmée en appel, est classique en pareil cas, elle a suscité quelques interrogations de la part de la doctrine sur la reconnaissance prétorienne des class actions ou "actions de groupe", dont l'introduction peine en droit français, même si, depuis 2006, neuf projets ont été déjà élaborés en ce sens (3). La class action est une procédure de droit anglo-saxon qui permet une action collective de la part d'un groupe de personnes ayant subi les mêmes dommages, en raison des mêmes actes, en vue d'obtenir une indemnisation de leur auteur. La question de son opportunité se pose, en particulier, en matière de consommation, afin de permettre un rééquilibrage au profit des consommateurs, découragés par la longueur et le coût de la procédure. Pour autant, il existe des arguments en sa défaveur : : pour certains, par exemple, la procédure américaine serait susceptible de violer les droits de la défense en permettant aux tiers (les actionnaires qui n'ont pas agi) de profiter de jugements auxquels ils n'étaient pas parties. Pour cette raison, et certainement aussi parce qu'elle impliquerait des pertes financières certaines pour les grandes enseignes, cette procédure a été maintes fois envisagée et toujours repoussée (aux dernières nouvelles, le Gouvernement souhaitait se pencher sur la question lors de l'examen du rapport "Coulon" sur l'hypothétique dépénalisation du droit des affaires, l'introduction des class actions venant en contrepartie d'une telle dépénalisation).
Les petits porteurs des sociétés cotées (et, certainement, ceux des sociétés non cotées) ont, a priori tout autant intérêt que les consommateurs à voir reconnaître l'action de groupe, en tant que "partie faible" au contrat. Face à cette nécessité, certains ont vu dans la décision du tribunal correctionnel (4) une reconnaissance implicite des juges de la recevabilité (et donc de l'existence) d'une class action des petits porteurs réunis au sein des associations de l'appac (5) et de l'adam (6). Une reconnaissance explicite aurait, en effet, fait fi des principes fondamentaux du droit des sociétés quant aux actions en responsabilité des dirigeants. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Frédérik-Karel Canoy, représentant les parties civiles pour approfondir cette question et, plus généralement, les motifs de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris.
Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel de Paris a-t-elle confirmée la recevabilité de l'action en réparation intentée par les petits porteurs de la société ?
Frédérik-Karel Canoy : La cour d'appel de Paris n'a pas confirmé la recevabilité de l'action collective des porteurs de la société Sidel, mais a confirmé la recevabilité de toutes les actions individuelles introduites par tous les petits porteurs lésés, qui ont décidé d'agir en justice. Toute la différence est là, et vous ne pouvez que le constater à la lecture de la décision du tribunal de grande instance rendue le 12 septembre 2006, ainsi qu'à celle de l'arrêt du 31 octobre 2008. Outre le nombre impressionnant de pages listant les noms de chaque partie civile dans les deux décisions, aucune ambiguïté n'est permise.
Ainsi, la décision rendue en première instance mentionne que :
- "l'association des actionnaires minoritaires (adam) a désigné ses avocats [...] pour représenter les demandes personnelles d'actionnaires minoritaires [...] les parties civiles [produisant] une liste d'actionnaires jointe à leurs conclusions faisant état des demandes individuelles de chacune des parties civiles" ;
- "les adhérents de l'apac ont chacun déposé des constitutions de partie civile" ;
- "dans leurs conclusions, chacun des adhérents se constituent partie civile" ;
- et enfin, "l'action directe des actionnaires minoritaires est donc recevable".
L'arrêt du 31 octobre dernier, mentionne quant à lui, qu'"il ne s'agit pas d'une action collective, mais de la demande individuelle de chaque partie civile tendant à la réparation de son préjudice personnel", mettant incontestablement fin à cette polémique. Ainsi, aucun principe du droit des sociétés n'a été violé ou remis en cause, tant par la juridiction du premier degré, que par celle du second degré, et, ce faisant, ni l'une, ni l'autre ne reconnaît, implicitement ou non, l'existence d'une class action au profit des petits porteurs de la société Sidel.
[NDLR : La violation des principes fondamentaux du droit des sociétés avait été soulevée, en raison du caractère limitatif du seul cas dans lesquels l'action d'une association d'actionnaires est admise, qui concerne exclusivement l'action sociale. Celle-ci est introduite, en principe, par la société -donc par ces dirigeants (action ut universali)- en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'un d'entre eux, et, en cas de carence de ceux-ci, par un ou plusieurs actionnaires (action ut singuli). Dans les sociétés cotées, en application de l'article L. 225-252 du Code de commerce (N° Lexbase : L6123AIM) (7), ces actionnaires, s'ils justifient d'une inscription nominative depuis au moins deux ans et détiennent ensemble au moins 5 % des droits de vote, peuvent être regroupés au sein d'une association répondant aux conditions fixées par l'article L. 225-100 de ce code (N° Lexbase : L3029HNI). Or, en l'espèce, l'action intentée par les actionnaires de Sidel regroupés au sein des associations de l'appac et l'adam n'était nullement une action sociale, tendant à dédommager la société, mais bien une action individuelle, visant pour les actionnaires qui se sont constitués partie civile, à obtenir une indemnisation du préjudice causé par les infractions du dirigeant et des deux salariés. Une telle action, en l'absence de texte, ne souffre pas d'être exercée collectivement via une association d'actionnaires, partie à l'instance. La confusion s'était, donc, faite, dans l'esprit de certains, qui ont déduit de l'intervention de l'adam et de l'appac une véritable action en justice intentée de leur part, quand le tribunal et, ensuite, la cour d'appel ont estimé, à juste titre, que ce sont bien les actionnaires en leur nom propre qui ont exercé l'action (chacun s'étant constitué partie civile, et étaient, par conséquent, parties à l'instance).]
Cet arrêt rendu par la cour d'appel de Paris est une réelle avancée, dans le sens où il confirme bien que le système juridique français est suffisamment complet pour permettre une indemnisation des petits porteurs, sans avoir à introduire la procédure anglo-saxonne de class action. La protection, désormais possible en France, est optimale, puisque le juge semble se rapprocher de la réparation intégrale du préjudice des actionnaires, en tenant compte, le cas échéant, du préjudice moral, quand, aux Etats-Unis, la grande majorité des délits boursiers se soldent par des transactions mettant à mal les droits des petits porteurs. La solution française me semble d'autant plus opportune, qu'elle ne confère pas aux associations d'actionnaires un rôle d'intermédiaire entre les tribunaux et les porteurs, évitant, de la sorte, tout conflit d'intérêt et favorisant la transparence, comme l'a souligné Guy Canivet, ancien Président de la Cour de cassation et actuel membre du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, aucune atteinte n'est portée aux principes des droits de la défense, puisqu'il faut nécessairement être partie à l'instance pour être indemnisé. Cette règle ne ferme pas pour autant la porte à tous les porteurs qui ne se sont pas manifestés lors du procès, puisqu'il est permis d'agir à nouveau en justice, tant que les préjudices des uns et des autres n'ont pas été réparés. Toutefois, le réel problème qui se pose dans un tel contexte n'est finalement pas tant juridique que médiatique : il tient au relais de l'information sur l'indemnisation obtenue par les porteurs aux autres actionnaires ayant connu le même préjudice. Aujourd'hui, rien ne permet une diffusion efficace des décisions rendues en la matière et nombreux sont les petits porteurs qui ne seront jamais indemnisés (8). Pour palier cet inconvénient majeur, la question se pose, par exemple, de l'opportunité de l'introduction d'une obligation à la charge du défendeur de communiquer, aux prémices de l'action en justice, la liste des actionnaires et de les informer du contentieux en cours. La mobilisation serait certainement plus importante qu'elle ne l'est actuellement. Je pense, notamment, aux actionnaires institutionnels, qui, pourtant très présents dans le capital des sociétés cotées (9) et subissant, donc, le même préjudice que les petits porteurs, sont totalement absents des procédures en réparation. Leur passivité trouve, cependant, peut-être d'autres justifications, qui pourraient être remises en cause dans le contexte actuel de crise économique.
Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel de Paris a-t-elle confirmée l'indemnisation des petits porteurs de la société ?
Frédérik-Karel Canoy : Le tribunal correctionnel a admis la réparation du préjudice subi par les petits porteurs sur le fondement de la perte de chance, ce qui a été confirmé en appel.
En première instance, les petits porteurs n'ont pas obtenu d'indemnisation au titre de la commission des délits d'initié (en raison de l'absence d'impact sur l'évolution des cours), mais au titre de la publication de comptes inexacts et d'informations mensongères. Les juges ont, en effet, relevé que des "personnes ont pu être conduites sur la base de ces informations à acheter ou à conserver des titres dont la valeur réelle était inférieure au cours de l'action", subissant de ce fait, "un préjudice résultant de la perte de chance en achetant ou en conservant une action dont les perspectives prometteuses ont manifestement été surévaluées". C'est donc parce que leur "liberté de choix a été faussée", que l'indemnisation des actionnaires est justifiée, d'autant que ce préjudice est distinct de celui subi par la société, condition sine qua non de la réussite de l'action individuelle.
[NDLR : La jurisprudence de la cour d'appel de Paris, si elle suit un raisonnement de préjudice distinct de celui subi par la société, fondé sur les atteintes au consentement des petits porteurs, proche de celui adopté dans des affaires similaires, telle "Régina Rubens" (10), va plus loin en caractérisant la perte de chance. En effet, dans l'affaire visée ci-dessus, les juges du second degré avaient admis l'indemnisation des petits porteurs, après avoir fait le constat que, d'une façon générale, ils n'auraient pas acquis les titres au même prix s'ils avaient eu connaissance des actes frauduleux. Par là, la cour d'appel imposait une logique d'indemnisation extrêmement précise, mesurée en fonction de deux paramètres : la qualité de l'investisseur et l'appréciation de ses motivations au moment de l'investissement. Les juges du second degré sont également cohérents avec les décisions antérieures, l'aléa boursier, lié au risque de perte inhérent à tout investissement, n'étant pas pris en considération dans ces espèces.]
En aucune façon, le préjudice ne pouvait résulter de l'aléa boursier en tant que tel, puisqu'il fait partie intégrante du jeu de la spéculation, ceci, même pour un "bon père de famille" non rompu aux marchés financiers. En revanche, c'est parce que l'aléa boursier a été faussé par des déclarations mensongères du dirigeant que les petits porteurs ont subi un dommage. Cette décision est une victoire pour tous les actionnaires minoritaires victimes des "délinquants en col blanc", et nous savons, malheureusement, qu'ils sont nombreux (11).
Lexbase : La transaction, envisagée en matière de manquements au règlement général de l'AMF , pose la question du désistement d'instance au pénal. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Frédérik-Karel Canoy : J'espère sincèrement que cette option ne sera pas retenue, car, dans ce type d'affaires par exemple, elle atteindrait considérablement à la protection des petits porteurs.
Notamment, la preuve sur le terrain civil est un véritable fardeau à leur charge et n'est que très difficilement rapportée. Cet inconvénient ne se rencontre pas au pénal, ou dans une bien moindre mesure, le juge d'instruction disposant de pouvoirs renforcés et du rapport d'enquête de l'AMF, qui est, la plupart du temps, à l'origine de l'information du parquet de la commission d'infractions boursières. En effet, en application des dispositions de l'article L. 621-15-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3131G9T), le collège de l'AMF a l'obligation de transmettre immédiatement au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris tout rapport d'enquête ou de contrôle portant sur des griefs susceptibles de constituer un délit boursier. Le juge pénal, et par là, les parties civiles, disposent, donc, de l'enquête menée par l'autorité régulatrice. Une telle disposition n'existe pas devant les juridictions civiles, ce qui complique grandement la tâche des cabinets d'avocats, dont les moyens sont bien inférieurs à ceux de l'AMF ou du juge d'instruction. Dès lors, il est légitime de se demander dans quelle mesure le désistement d'instance au pénal ne constituerait pas une entrave à l'accès du citoyen à la justice. Il ne faut tout de même pas oublier que beaucoup de petits actionnaires des sociétés cotés investissent une grande partie, si ce n'est pas toute leur épargne sur des titres. Certains de mes clients n'ont, pas exemple, plus été en mesure de payer leur maison de retraite. A mon sens, pour apporter une réponse judiciaire efficace aux comportements délictuels de certains acteurs des marchés financiers, il ne peut être envisagé de supprimer le rôle actif du juge d'instruction, de l'AMF et de la cellule de la brigade financière.
La question se pose, également, de l'équivalence des indemnisations : quelle garantie auraient les petits porteurs d'obtenir une réparation aussi conséquente que celle octroyée par les juridictions pénales ?
(1) Lire J.-B. Lenhof, L'affaire du groupe d'emballage "Sidel", "class actions" en paquet en correctionnelle (1ère partie) (N° Lexbase : N3807ALL) et L'affaire du groupe d'emballage "Sidel", "class actions" en paquet en correctionnelle (2nde partie) (N° Lexbase : N3835ALM), Lexbase Hebdo n° 231 du 11 octobre 2006 - édition privée générale.
(2) La qualification de préposé a été exclue par les juges concernant le président, en raison de sa qualité, qui ne souffre aucun lien de subordination.
(3) L'introduction des class actions a été promise en 2005 par le Président Jacques Chirac (promesse renouvelée par le Président Nicolas Sarkozy). Deux propositions de loi ont, alors, été déposées en avril 2006 et un projet de loi élaboré par le Gouvernement à l'automne de cette même année avait été retiré de l'ordre du jour du Parlement. Le 6 septembre 2007, Nicolas Sarkozy, a annoncé que Rachida Dati, ministre de la Justice, avait constitué un groupe de travail sur le droit des affaires susceptible d'introduire les class actions dans le système juridique français. En 2008, la commission "Attali" a recommandé l'introduction de ce mécanisme pour accroître la confiance des consommateurs dans l'économie de marché et le rapport "Coulon" est venu confirmer l'intérêt d'une telle action. C'est, ensuite, dans le cadre de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776, du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) que pas moins de quatre amendements ont été déposés sur les actions de groupe, tous rejetés par le Gouvernement.
(4) TGI Paris, 12 septembre 2006, n° RG 0018992026, Ministère public c/ Francis Olivier, préc..
(5) Appac : Association des petits porteurs actifs.
(6) Adam : Association des actionnaires minoritaires.
(7) C. com., art. L. 225-252 : "Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués".
(8) Ainsi, dans l'affaire "Sidel", seuls 700 actionnaires, sur un total de 130 000, ont obtenu réparation de leur préjudice.
(9) Par exemple, le capital de la société Vivendi est détenu, entre autres, par plus de 600 actionnaires institutionnels qui ont subi une perte considérable.
(10) Cf. CA Paris, 9ème ch., sect. B, 14 septembre 2007, n° 07/01477, Dumont Séverine, Elisabeth, Maria épouse Chapellier e.a. c/ Association des petits porteurs actifs e.a. (N° Lexbase : A6174DYC) et lire J.-B. Lenhof, Affaire "Régina Rubens", la responsabilité civile de droit commun au secours des petits actionnaires ?, Lexbase Hebdo n° 276 du 10 octobre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6240BC4).
(11) Maître Frédéric-Karel Canoy, fort des succès obtenus dans les affaires "Regina Rubens", "Marionnaud" et "Sidel", intervient actuellement sur plus d'une dizaine de dossiers en cours.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:339211