La lettre juridique n°591 du 20 novembre 2014 : Éditorial

Le droit du non risque... et pendant ce temps-là Philae atterrit sur 67P/Tchourioumov-Guérassimenko

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 20 Novembre 2014


"Catastrophes dites naturelles, épizooties et risques alimentaires, déplacement de la question sociale en présomption de délinquance, équation entre immigration et terrorisme, énoncés néoconservateurs d'affrontements du 'bien' et du 'mal', l'obsession sécuritaire alimente et s'alimente des peurs. Le sens commun, médiatique et politique, multiplie les déclinaisons du risque, des dangers et du déclin dans les journaux et aux rayons des librairies et met les multiples visages de la peur en rivalité d'affichage avec le culte de l'ego" (Jean-François Mattéi, dans le Le risque et l'existence éthique).

Episode 1 de la semaine n° 46. Surveillance unique des établissements de crédit ; contrôle interne des établissements de crédit ; coussins de fonds propres des prestataires de services bancaires et des entreprises d'investissement ; identification, mesure, gestion et contrôle du risque de liquidité ; surveillance prudentielle sur base consolidée ; agrément des établissements de crédit, des sociétés de financement, des établissements de paiement et des établissements de monnaie électronique ; processus de surveillance prudentielle et d'évaluation des risques ; surveillance complémentaire des conglomérats financiers... Une ordonnance, deux décrets, sept arrêtés publiés au Journal officiel, en une seule semaine, pour donner corps au principe anti-libéral du léninisme et de sa célèbre formule : "La confiance n'exclut pas le contrôle". Et nous pourrions ajouter : "Alors, imaginez donc la défiance", lorsqu'il s'agit toujours et encore des banques...

Episode 2 de la semaine n° 46. Le 11 novembre 2014, la CJUE déniait le droit au versement des prestations sociales dans un Etat membre aux personnes ressortissantes d'un autre pays de l'UE ne recherchant pas effectivement un emploi. Les citoyens de l'Union ne recherchant pas effectivement un emploi et qui se rendent dans un autre Etat membre dans le seul but de bénéficier de l'aide sociale peuvent donc être exclus du versement de certaines prestations sociales. La Cour rappelle que, pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales, les ressortissants d'autres Etats membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'Etat membre d'accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive "Citoyen de l'Union". Ainsi, lorsque la durée du séjour est supérieure à trois mois, mais inférieure à cinq ans, la Directive conditionne le droit de séjour au fait, notamment, que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes, ceci afin d'empêcher que les citoyens de l'Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l'Etat membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence. Ici ou là, on parle de fin du "tourisme social" -expression impropre associant loisir et malheur social-, des abus à la protection sociale qui pourraient mettre en danger le "tout sécuritaire" des sociétés modernes si le contrat social était rompu sous la pression migratoire...

Alain Marchand explique, dans Le risque, nouveau paradigme et analyseur sociétal, que "Le néolibéralisme fait du risque un paradigme qu'il oppose à la centralité du travail. Véritable analyseur sociétal, le risque est énoncé comme 'valeur des valeurs' et à ce titre occulte la place du travail dans la production et dans les rapports sociaux. Le risque crée les nouvelles temporalités de l'urgence et de l'aléa, prétend déplacer les rapports de domination et de conflictualité sur la seule prise de risque. L'individu, sommé d'être entrepreneur de lui-même' et délié, devient coupable de ses échecs et est tenté de se réfugier dans un statut de victime et dans des communautés de peurs. L'Etat social est invalidé par la construction d'un marché du social et d'une société assurantielle où la précaution cède la place à la réparation. L'insécurité sociale se conjugue alors avec un nouvel ordre sécuritaire de contrôle". C'est ce contrôle que légitime la Cour de justice de l'Union européenne pour que l'insécurité sociale nécessaire aux économies européennes perdure sur son coussin assurantiel qu'oblige la protection des peuples européens.

Episode 3 de la semaine n° 46. L'abrogation. Le mot est lâché. Peut-on revenir sur la loi relative au "mariage pour tous" ? Pour décrisper les tensions, l'on se réfugie sur le terrain juridique, seul rempart contre l'abrogation d'une mesure qui n'est pas encore ancrée dans le corps sociétal. D'abord, on évoque la loi "Bonald" du 8 mai 1816 abrogeant le divorce, pourtant dans les moeurs depuis 1792. La Restauration conserva le statut des divorcés, obligea la séparation de corps pour les instances en cours et supprima la dissolution du mariage pour l'avenir. Ce que le Peuple souverain fait, il peut le défaire. Mais, il faut dire que la question n'intéressait que 2 % de la population en 1817, et encore 1 % des femmes en 1843 ; alors la question de l'égalité, même sur les barricades des Trois Glorieuses ou de la Révolution de 1848, n'était pas des plus prégnantes. On évoque, ensuite, l'indifférence du Conseil constitutionnel qui aurait beau jeu de se soucier d'une rupture d'égalité aujourd'hui alors qu'il n'avait pas osé soulever l'argument avant l'adoption de la loi "Taubira". Enfin, on en appelle aux mânes de la Convention européenne des droits de l'Homme dont le libéralisme social et l'interprétation extensive des juges strasbourgeois pourraient forcer l'inclinaison française vers le respect des droits acquis...

"Pour les sociétés traditionnelles, il semble bien que la condition humaine ait été pensée comme inséparable du risque, dans l'ordre religieux, politique ou éthique, en ce que chaque forme de risque ouvrait vers cette dimension supérieure de l'existence qui exprime l'exigence du sens", poursuit le philosophe. "Le risque, parce qu'il met toujours une vie en jeu, est peut-être la notion métaphysique par excellence, celle qui donne son poids et son tragique au geste décisif que nous devons accomplir lorsque nous sommes sommés de le faire", enchérissait encore Jean-François Mattéi. Même si, dans les sociétés modernes, le mariage est ce risque que le principe de précaution oblige à conjuguer avec la prévisibilité de sa dissolution, retirer le mariage à une partie de la population, c'est indubitablement lui dénier la possibilité de prendre ce risque. Or, la vie ne peut être envisagée que "sous l'angle d'une existence intégrant le risque de la liberté", dont celle de se marier.

Contrôle, frein, marche arrière... le triptyque d'une société sans risque, d'une société où le non-risque est devenu un droit que l'on entend promouvoir pour apaiser les tensions.

Episode 4 de la semaine n° 46. Prenant tous les risques, l'Agence spatiale européenne posait Philae sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, 10 ans après son lancement ! Un pari de 1,4 milliard d'euros pour le plus grand pas de la conquête spatiale depuis celui de Neil Armstrong. Mais, il est vrai que ce risque là se profilait à 500 millions de km...

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