La lettre juridique n°591 du 20 novembre 2014 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] L'impossible prorogation de la période d'essai par respect du délai de prévenance

Réf. : Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.114, FS-P+B (N° Lexbase : A9279MZP)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 20 Novembre 2014

La règle, prévue par l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 et par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), semblait dépourvue de toute ambiguïté : le nouveau délai de prévenance institué par ces textes ne peut avoir pour effet de proroger la durée de la période d'essai, tel que le dispose le second alinéa de l'article L. 1221-25 du Code du travail (N° Lexbase : L5804I3D). Elle se justifie par la volonté de préserver le salarié de situations dans lesquelles des entreprises chercheraient à prolonger de quelques jours ou de quelques semaines une période d'essai assortissant un contrat de travail dont il est pourtant acquis qu'il ne sera pas pérennisé. Malgré la limpidité du texte, des entreprises semblent avoir considéré qu'il était possible -voire obligatoire- de faire bénéficier au salarié du délai de prévenance légal, quand bien même cela aboutirait à dépasser la durée d'essai stipulée. Par un arrêt rendu le 5 novembre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation coupe court à un tel raisonnement en réaffirmant que la durée d'essai ne peut être prorogée par le jeu du délai de prévenance (I), si bien que la poursuite de la relation de travail entre les parties, au-delà du terme de l'essai, donne naissance à un nouveau contrat de travail à durée indéterminée dont la rupture doit répondre aux règles relatives applicables au licenciement (II).
Résumé

La période d'essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance.

En cas de rupture pendant la période d'essai, le contrat prend fin au terme du délai de prévenance s'il est exécuté, et, au plus tard, à l'expiration de la période d'essai.

La poursuite de la relation de travail, au-delà du terme de l'essai, donne naissance à un nouveau contrat de travail à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l'initiative de l'employeur que par un licenciement.

Commentaire

I - L'encadrement strict des effets du délai de prévenance sur la durée d'essai

L'obligation de respecter un délai de prévenance. Parmi les innovations introduites par la loi du 25 juin 2008 (1) figurait l'apparition de délais légaux de prévenance (2) en cas de rupture du contrat de travail durant la période d'essai, que la rupture soit à l'initiative du salarié (3) ou de l'employeur (4).

S'agissant spécialement du délai devant être respecté par l'employeur, le texte est longtemps demeuré lacunaire. S'il prévoyait bien, en effet, la durée des délais de prévenance en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, s'il ajoutait que "la période d'essai, renouvellement inclus, ne [pouvait] être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance", le texte demeurait silencieux quant aux conséquences du non-respect du délai de prévenance.

La sanction du non-respect du délai de prévenance. Cet oubli a été réparé par une ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, portant simplification et adaptation du droit du travail (N° Lexbase : L5689I34), qui a introduit un nouvel alinéa à l'article L. 1221-25 du Code du travail, lequel dispose désormais que "lorsque le délai de prévenance n'a pas été respecté, son inexécution ouvre droit pour le salarié, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice" (5).

Cette disposition nouvelle constitue le prolongement de la position qu'avait adoptée la Chambre sociale le 23 janvier 2013, lorsqu'elle jugeait que, "si l'employeur met fin à la période d'essai avant son terme, la rupture ne s'analyse pas en un licenciement, quand bien même cet employeur n'a pas respecté le délai de prévenance" (6). La solution, logique, consacre l'idée selon laquelle le délai de prévenance ne peut proroger la durée de la période d'essai, si bien que le non-respect par l'employeur de cette obligation ne peut aboutir ni à la transformation de l'essai en contrat à durée indéterminée, ni aboutir à ce que la rupture soit qualifiée de licenciement (7).

Il fallait cependant, comme cela avait été suggéré (8), que le salarié soit indemnisé du préjudice subi en raison du caractère brusque de la rupture, ce à quoi le texte aboutit en définitive.

Malgré ces précisions, certaines entreprises ont pu, plus ou moins de bonne foi, considérer que le salarié devait effectivement bénéficier du délai de prévenance et ont choisi de prolonger la période d'essai de la durée du délai de prévenance. C'est à cette situation qu'était confrontée la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans une affaire jugée le 5 novembre 2014.

L'affaire. Un salarié avait été engagé en qualité de directeur commercial le 17 janvier 2011, le contrat de travail prévoyant une période d'essai de trois mois renouvelable. Le 8 avril suivant, l'employeur met fin à la période d'essai par une lettre faisant produire effet à la rupture le 22 avril.

Le salarié, considérant que son contrat de travail était devenu définitif, saisit la juridiction prud'homale afin que celle-ci analyse la rupture de son contrat de travail comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel de Metz jugea que le contrat de travail avait été rompu durant la période d'essai (9). En effet, les juges d'appel considéraient que la période d'essai prenait fin le 16 avril, que le salarié avait bénéficié du délai de prévenance de deux semaines auquel il pouvait prétendre entre le 8 et le 22 avril. En définitive, la date du 22 avril, quoique postérieure à l'échéance de la période d'essai, constituait bien, à ses yeux, la date de rupture d'essai, puisqu'elle n'avait été choisie qu'en vue de respecter les règles du Code du travail relatives au délai de prévenance du salarié.

Par un arrêt rendu le 5 novembre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 1221-25 du Code du travail. La Chambre sociale juge qu'en vertu de ce texte, "la période d'essai, renouvellement inclus, ne peut être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance". Elle en déduit qu'en cas de rupture du contrat de travail durant la période d'essai, "le contrat prend fin au terme du délai de prévenance s'il est exécuté, et au plus tard à l'expiration de la période d'essai". La poursuite du contrat de travail, au-delà du terme de l'essai, donnait donc "naissance à un nouveau contrat de travail à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l'initiative de l'employeur que par un licenciement". Les juges d'appel ayant constaté que la relation de travail s'était poursuivie au-delà du terme de la période d'essai ont donc violé le texte visé et auraient dû considérer que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement.

II - La naissance d'une nouvelle relation contractuelle en cas de dépassement de la durée d'essai

L'impossible prorogation de la période d'essai. Il n'y a probablement pas grand-chose à redire au raisonnement adopté par la Chambre sociale.

Le deuxième alinéa de l'article L. 1221-25 du Code du travail est en effet dépourvu de toute ambiguïté : le délai de prévenance ne peut conduire à proroger la durée de la période d'essai. Jean Mouly expliquait, fort à propos, que cette règle était destinée à éviter l'instrumentalisation du délai de prévenance par des entreprises qui souhaiteraient profiter de quelques jours d'essai supplémentaires, sans qu'aucun espoir de maintien du salarié dans l'entreprise ne subsiste (10).

L'argumentation de la Chambre sociale semble, en outre, préserver la jurisprudence acquise depuis 2005, aux termes de laquelle la rupture du contrat de travail, pendant la période d'essai, est un acte non-réceptice, si bien que la rupture intervient au moment de l'émission de la volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail (11). En effet, en considérant qu'en "cas de rupture durant pendant la période d'essai, le contrat prend fin au terme du délai de prévenance s'il est exécuté et au plus tard à l'expiration de la période d'essai", la Chambre sociale dissocie le moment de la rupture de celui de l'achèvement des effets du contrat, comme elle le fait en matière de préavis de licenciement : le contrat est rompu mais la relation contractuelle perdure pendant le préavis ou ici le délai de prévenance. La limite maximale se situe dans le terme de la période d'essai puisque, le délai de prévenance ne pouvant proroger celle-ci, la continuation de la relation de travail au-delà de l'essai correspond à une relation de travail qui devrait avoir pris fin.

La poursuite de la relation de travail par un nouveau contrat de travail. C'est donc, fort logiquement là aussi, qu'il convient de considérer que c'est un nouveau contrat de travail à durée indéterminée qui existe entre les parties dont la relation se poursuit au-delà de l'essai. Le raisonnement n'allait pourtant pas de soi puisqu'il est d'usage de considérer que la relation de travail qui se poursuit au-delà de la période d'essai emporte la transformation du "contrat à l'essai" en contrat définitif.

Il fallait, toutefois, tenir compte du fait que le contrat de travail avait effectivement été rompu durant l'essai. Dans ces conditions, il ne pouvait plus s'agir du même contrat sauf à considérer que la première rupture soit annulée, ce qui ne peut se justifier, faute de cause d'annulation (12). Le salarié travaille, sans contrat de travail écrit, ce qui n'est pas véritablement un problème puisque, par principe, le contrat de travail demeure un contrat consensuel qui peut être constaté selon les formes qui conviennent aux parties (13).

L'exclusion de toute nouvelle période d'essai. La Chambre sociale ajoute enfin que ce nouveau contrat de travail ne peut être rompu à l'initiative de l'employeur que par un licenciement. Sans le dire aussi clairement, la Chambre sociale considère donc qu'aucune période d'essai ne peut venir assortir ce nouveau contrat de travail, ce qui peut s'appuyer tant sur des raisons de forme que de fond.

Sur la forme, on sait que l'existence d'une période d'essai ne se présume pas, ce qui implique, en pratique, que le principe de la période d'essai ait été prévu dans le contrat de travail (écrit) ou dans la lettre d'engagement (14).

Sur le fond, les juridictions judiciaires semblent de plus en plus rétives à admettre qu'une période d'essai figure dans un contrat de travail conclu entre un employeur et un salarié qui se connaissent déjà. D'une manière générale, la Chambre sociale refuse, depuis 2005, qu'une nouvelle période d'essai intervienne en cours de relations contractuelles entre les parties, là où, jusqu'alors, elle l'acceptait à condition que soit démontrée une novation du contrat de travail (15). Quand bien même un nouveau contrat de travail est donc conclu, c'est la même relation contractuelle qui s'est poursuivie après l'échéance de l'essai du premier contrat, si bien qu'en principe, aucune nouvelle période d'essai ne pourrait être stipulée. A cela s'ajoute que la Chambre sociale accepte de déduire de la période d'essai du contrat conclu entre les parties la durée des contrats à durée déterminée antérieurs (16), quand bien même les fonctions exercées par le salarié ne seraient pas les mêmes (17). Des juridictions du fond vont plus loin, acceptant de prendre en compte d'anciennes relations déjà entretenues plusieurs années auparavant entre les mêmes parties pour réduire la durée de l'essai du contrat conclu (18). Puisque le contrat de travail ne peut vraisemblablement pas être assorti d'une période d'essai, la rupture à l'initiative de l'employeur constitue un licenciement qui, faute qu'une procédure ait été respectée, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.


(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), et les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai,, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL).
(2) Des délais de prévenance conventionnels existaient parfois déjà, v. J. Ribettes-Tillhet, J.-L. Wibault, La période d'essai dans les conventions collectives, Dr. soc., 1968, p. 305.
(3) C. trav., art. L. 1221-26 (N° Lexbase : L8221IAQ).
(4) C. trav., art. L. 1221-25 (N° Lexbase : L5804I3D).
(5) Le texte poursuit en énonçant que "cette indemnité est égale au montant des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du délai de prévenance, indemnité compensatrice de congés payés comprise".
(6) Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-23.428, FS-P+B (N° Lexbase : A8729I3P) et nos obs., Délai de prévenance et rupture d'essai, Lexbase Hebdo n° 515 du 7 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5648BTD) ; D., 2013, n° 313, obs. L. Perrin ; Dr. soc., 2013, p. 275, note J. Mouly.
(7) V. l'argumentation très convaincante de J. Mouly, préc..
(8) V. en particulier L. Perrin, préc..
(9) CA Metz, 26 mars 2013, n° 12/01998 (N° Lexbase : A9494KBA).
(10) J. Mouly, préc..
(11) Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A2303DI7) et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4538AIW) ; D., 2006, p. 701, note B. Reynès ; Dr. soc., 2005, p. 920, obs. J. Mouly.
(12) Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, par exemple, en cas de rupture de la période d'essai fondée sur un motif discriminatoire, v. Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, FS-P+B (N° Lexbase : L5583ACR) et les obs. de G. Auzero, La rupture du contrat de travail pendant la période d'essai ne peut être fondée sur un motif discriminatoire !, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4803ABI).
(13) C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B).
(14) C. trav., art. L. 1221-23 (N° Lexbase : L8368IA8) ; il resterait, toutefois, la possibilité que le principe de la période d'essai soit prévu par une convention collective de travail applicable à l'entreprise et que l'employeur aurait pris soin de porter à la connaissance du salarié, comme semblait encore l'admettre récemment la Chambre sociale de la Cour de cassation, v. Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-23.605, F-D (N° Lexbase : A4267I8K) ; Dr. soc., 2013, p. 583 et nos obs.
(15) Cass. soc., 30 mars 2005, n° 02-46.103, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4304DHU) ; Cass. soc., 30 mars 2005, n° 03-41.797, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4306DHX) ; Cass. soc., 30 mars 2005, n° 02-46.338, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4305DHW) et les obs. de N. Mingant, Définition et régime juridique de la période probatoire, Lexbase Hebdo n° 163 du 13 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3108AIX) ; RJS, 2005, p. 423, note J.-Y. Frouin ; SSL, 11 avril 2005, n° 1210, p. 5, concl. J. Duplat.
(16) Application de la règle posée par l'article L. 1243-11 du Code du travail (N° Lexbase : L1475H9I).
(17) Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-12.113, FS-P+B (N° Lexbase : A6759KMB) et nos obs., Succession de contrats de travail et période d'essai, Lexbase Hebdo n° 545 du 24 octobre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9074BTA) ; JCP éd. G, 2013, 1135, obs. D. Corrignan-Carsin ; JSL, 2013, n° 354-4, note J.-E. Tourreil.
(18) V. par ex. CA Aix-en-Provence, 14 juin 2013, n° 12/04985 (N° Lexbase : A0554KKQ) ; Cah. soc., 2013, n° 255. 327, note A. Martinon. Par cette décision, les juges d'appel prennent en compte un ancien contrat qui, pourtant, avait été rompu depuis plus d'un an, en s'appuyant sur le fait que cette ancienne relation contractuelle avait duré huit années.

Décision

Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.114, FS-P+B (N° Lexbase : A9279MZP).

Cassation partielle (CA Metz, 26 mars 2013, n° 12/01998 N° Lexbase : A9494KBA).

Textes visés : C. trav., L. 1221-25 (N° Lexbase : L5804I3D).

Mots-clés : période d'essai ; délai de prévenance ; prorogation (non) ; nouveau contrat de travail.

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