La lettre juridique n°591 du 20 novembre 2014 :

[Doctrine] De l'inopportunité d'appliquer le Code de la consommation au cautionnement d'un affrètement maritime

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

le 20 Novembre 2014

Le 15 octobre 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt aussi bref que laconique (1), par lequel elle casse partiellement une décision de la cour d'appel de Rennes en date du 24 avril 2012 (2). La motivation de cet arrêt, rendu au visa de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B), repose entièrement sur un argument de procédure. Pour autant, l'arrêt n'est pas inintéressant sur le fond.
La cour d'appel de Rennes avait, dans ce dossier, prononcé la nullité d'un contrat de cautionnement pour non-respect des mentions manuscrites imposées par les articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation. Rien d'extraordinaire de prime abord, au regard du contentieux pléthorique généré par ces textes malencontreux (3). La particularité de cette décision réside dans l'opération principale garantie par la caution. Il s'agissait de l'affrètement coque nue de cinq navires de pêche (4). La caution, personne physique, était le gérant et associé unique de la SARL affréteur.
La Cour de cassation ne se prononçant pas sur le fond à l'occasion du pourvoi formé par le fréteur, il est délicat d'interpréter sa décision. Néanmoins, la Cour rappelle que, pour prononcer la nullité du cautionnement, l'arrêt d'appel retient que les mentions exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ne sont pas reproduites dans les avenants et, "qu'en statuant ainsi, par des motifs ne permettant pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel a violé" l'article 455 du Code de procédure civile. Ce faisant, la Cour de cassation ne reproche pas aux juges d'appel d'avoir fait application des articles L. 341-2 et L. 341-3 à un cautionnement d'affrètement maritime. Elle leur reproche simplement de ne pas avoir suffisamment motivé leur décision d'annuler le cautionnement. Une telle position jurisprudentielle s'inscrit parfaitement dans le droit positif français (I), ce qui n'interdit aucunement de s'interroger sur son opportunité (II).

I - Un droit positif favorable à l'application du code de la consommation au cautionnement d'un affrètement maritime

Le cautionnement des obligations résultant d'une charte-partie est relativement rare. Les parties à l'affrètement préfèrent généralement d'autres garanties, plus fiables. Lorsqu'une telle sûreté est toutefois prise, il s'agit le plus souvent d'un cautionnement bancaire : une banque semble, en effet, la plus à même de garantir les obligations financières, souvent élevées, de l'affréteur.

Les établissements bancaires étant nécessairement des personnes morales (C. mon. fin., art. L. 511-1 N° Lexbase : L4936IZT), le cautionnement par une personne physique des obligations découlant d'un contrat d'affrètement est très rare. L'affaire ayant donné lieu aux arrêts précités de la cour d'appel de Rennes et de la Cour de cassation montre cependant que l'hypothèse n'est pas seulement théorique.

Plusieurs objections auraient pu sembler s'opposer à l'application des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation à un affrètement maritime : le créancier n'est pas un établissement de crédit, l'opération principale n'est pas un crédit, la caution n'est pas un profane et agit dans le cadre de son activité professionnelle. Aucune de ces objections n'est pourtant valable au regard du droit positif.

En ce qui concerne le créancier, c'est-à-dire le fréteur, il est assez rarement un établissement de crédit (5). Pour autant, les articles L. 341-2 et L. 341-3 ne circonscrivent pas leurs dispositions aux établissements de crédit, mais visent tous les créanciers professionnels. Par cette expression, il faut comprendre "celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles" (6). A l'évidence, l'expression englobe le fréteur.

S'agissant de l'opération principale, l'hypothèse qui nous occupe n'est certes pas un crédit, mais un affrètement. Le contrat d'affrètement, majoritairement analysé par la doctrine en un louage de meuble (7), ne peut en aucun cas être assimilé à une opération de crédit. Mais ceci n'est point un obstacle à l'application des articles L. 341-2 et L. 341-3. Ces textes n'entendent pas limiter leur domaine d'application aux cautionnements d'opérations de crédit. Contrairement aux articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) et L. 313-8 (N° Lexbase : L1524HIB) du même code, dont ils sont inspirés, les articles L. 341-2 et L. 341-3 sont applicables sans distinction quant à la nature de l'opération principale. L'emploi du terme "préteur" par l'article L. 341-2 ne doit être perçu que comme une coquille législative (8).

Enfin, si la caution, dirigeant de l'affréteur, est incontestablement une caution avertie, il n'en demeure pas moins qu'elle a le droit d'invoquer les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation. Ces textes visant la "caution personne physique", sans davantage de précision, la jurisprudence considère que toutes les cautions sont concernées, à la seule condition qu'elles soient des personnes physiques (9).

Appliquer les dispositions du Code de la consommation à la caution d'un affrètement maritime n'a par conséquent rien de surprenant au regard de l'évolution législative et jurisprudentielle du droit français. La solution n'en demeure pas moins inopportune.

II - L'inopportunité d'appliquer le Code de la consommation au cautionnement d'un affrètement maritime

Au regard de la manière dont sont rédigés les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, il n'est guère étonnant que la jurisprudence en fasse application au cautionnement d'un affrètement maritime. En outre, en raison de la proximité de ces textes avec les articles L. 341-4 (N° Lexbase : L8753A7C) et L. 341-6 (N° Lexbase : L5673DLP), il est légitime de penser que ces derniers ont également vocation à s'appliquer en cette matière (10).

La cour d'appel de Rennes, dans son arrêt précité du 24 avril 2012, était d'ailleurs saisie d'une demande de la part de la caution sur le fondement de l'article L. 341-4. La cour a rejeté la disproportion, non parce que le texte aurait été inapplicable -cette position n'eut guère été logique à la vue du reste de la décision-, mais parce que la caution ne rapportait pas la preuve de la disproportion.

Est-il opportun de faire application des articles L. 341-2 à L. 341-4 et L. 341-6 du Code de la consommation aux cautionnements garantissant les obligations découlant d'un affrètement maritime ? En d'autres termes, est-il souhaitable que le cautionnement qui garantit un affrètement soit nul si les mentions manuscrites imposées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 ne sont pas respectées ? Que le fréteur ne puisse se prévaloir du cautionnement si ce dernier est d'un montant manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution ? Que le fréteur soit tenu de faire connaître à la caution, avant le 31 mars de chaque année, le montant de la dette au 31 décembre précédent ?

Il nous semble que ces textes ne sont guère judicieux en matière d'affrètement maritime, pour des raisons qui diffèrent selon le texte.

D'abord, les mentions manuscrites se fondent particulièrement mal dans le droit de l'affrètement maritime. Il s'agit d'un contrat dans lequel la liberté contractuelle est importante, et où les exigences formalistes sont faibles (11). Dans ce schéma, dans lequel il n'existe pas à proprement parler de partie faible, le pointillisme des mentions manuscrites apparaît décalé (12). En outre, la dimension internationale du droit maritime n'est plus à démontrer. Fréquemment, un ou plusieurs protagonistes, parmi lesquels peut figurer la caution, sera de nationalité étrangère. Les chartes-types sont généralement rédigées en anglais (13). Dans un tel contexte, recopier une formule légale en langue française risque de créer davantage de difficultés qu'en résoudre. Lorsque l'on constate l'ampleur du contentieux engendré par les articles L. 341-2 et L. 341-3, il n'est pas certain que l'exporter au droit maritime soit particulièrement judicieux.

Ensuite, l'obligation d'information annuelle est peu adaptée à l'hypothèse du cautionnement d'un affrètement maritime. L'article L. 341-6 impose au créancier de faire connaître à la caution le montant de la dette restant due, en principal et intérêts, commissions, frais et accessoires. Le contenu de cette information se justifie pleinement s'agissant du cautionnement d'un crédit, pour que la caution sache ce qu'a déjà versé l'emprunteur, et ce qu'il lui reste à rembourser du montant du crédit. En revanche, dans le cadre d'un affrètement maritime, il ne s'agit pas du remboursement d'un capital et de ses accessoires. Il s'agit d'une somme, le fret, due à échéances successives. Il est ainsi difficile d'imaginer les éléments sur lesquels devra porter l'information. Si l'affréteur s'est acquitté du paiement du fret durant l'année précédente, les sommes restant dues sont égales à zéro. Pour l'affrètement au voyage, l'idée est encore plus simple : ces contrats n'excèdent jamais un an. Une information annuelle n'a donc aucun sens.

Enfin, l'exigence de proportionnalité risque de paralyser toute possibilité de cautionnement. Le montant moyen des frets dus par les affréteurs, combinés à la durée des affrètements (surtout coque nue) aboutit à des obligations financières élevées (14). Quelle caution personne physique aura un patrimoine suffisant pour garantir, de manière non disproportionnée, le paiement d'un fret fixé souvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars par jour ?

L'application de ces textes au cautionnement d'un affrètement maritime apparaît par conséquent parfaitement inopportune. La question est alors de trouver une manière de laisser le cautionnement d'affrètement maritime à l'abri de ces textes (15).

Plusieurs solutions sont envisageables. Les deux premières supposent une intervention législative, tandis que la dernière peut se contenter d'un revirement jurisprudentiel.

La première solution, et certainement la plus simple, serait d'insérer dans le Code des transports un texte excluant le cautionnement d'affrètement maritime du domaine des articles L. 341-2 à L. 341-6 du Code de la consommation. Cette solution aurait le mérite d'être neutre envers le droit du cautionnement. Seul celui d'affrètement maritime serait concerné.

Une deuxième possibilité serait de réécrire les articles L. 341-2 à L. 341-6, afin d'exclure les cautions averties de leur domaine. Cette solution présenterait, toutefois, l'inconvénient d'aller à l'encontre de l'esprit de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), qui se voulait une loi de protection des entrepreneurs (16).

Enfin, une troisième possibilité serait de restreindre l'expression "créancier professionnel" aux professionnels de la créance, c'est-à-dire les établissements de crédit. Une telle solution exclurait les fréteurs du domaine de ces textes, et serait de plus conforme à l'esprit de la loi du 1er août 2003 (17).


(1) Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.654, F-D (N° Lexbase : A6589MYP).
(2) CA Rennes, 24 avril 2012, 3ème ch. com., n° 10/04421 (N° Lexbase : A1672IK7).
(3) Pour un résumé de ce contentieux, v. par exemple notre ouvrage, Droit des sûretés, Lextenso Editions, 8ème éd., 2014, p. 45 et s..
(4) Précisons qu'il s'agissait d'un affrètement coque nue, mais que la solution et les propos qui vont suivre sont applicables aux autres formes d'affrètement, à temps (dont l'affrètement coque nue n'est qu'une variante) et au voyage. Il n'y aurait aucune raison valable, sur la question de l'application du Code de la consommation, de ne pas traiter à l'identique les diverses formes d'affrètement.
(5) L'hypothèse peut néanmoins se rencontrer, notamment dans l'affrètement coque nue avec option d'achat, qui devient alors une opération de financement de l'acquisition d'un navire.
(6) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-15.910, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7351EI4), Droit & Patrimoine, décembre 2009, p. 96, obs. L. Aynès. V. également Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 07-21.506, FS-P+B (N° Lexbase : A4103EIS) RLDC, décembre 2009, p. 24, note O. Gout.
(7) E. Du Pontavice et P. Cordier, Transport et affrètement maritime, Encyclopédie Delmas pour la vie des affaires, 2ème éd., 1990, p. 267 ; A. Vialard, Droit maritime, Thémis-PUF, 1997, n° 387. V. toutefois G. Ripert, Précis de droit maritime, Dalloz, 4ème éd., 1947, n° 285, pour qui l'affrètement est un contrat de louage de services, et plus spécialement un louage d'industrie.
(8) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p. 1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette.
(9) Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RTDCom., 2012, p. 177, obs. D. Legeais, RDBF, mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles, Rev. sociétés, mai 2012, p. 286, obs. I. Riassetto ; Cass. civ. 1, 8 mars 2012, n° 09-12.246, F-P+B+I (N° Lexbase : A1703IES).
(10) L'article L. 341-4 (N° Lexbase : L8753A7C), qui pose l'exigence de proportionnalité entre le montant du cautionnement et les biens et revenus de la caution, et l'article L. 341-6 (N° Lexbase : L5673DLP), qui prévoit une obligation d'information annuelle de la caution, sont non seulement situés à la suite immédiate des articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7), mais sont de plus issus de la même loi (loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3557BLC, JORF du 5 août 2003) et emploient un vocabulaire comparable. La jurisprudence, en règle générale, a tendance à appliquer les mêmes solutions à ces quatre textes.
(11) Même si un écrit est requis comme condition de validité lorsque l'affrètement à temps ou coque nue excède une durée d'un an (C. transports, art. L. 5423-2 (N° Lexbase : L6824IN3).
(12) Sans insister sur le fait que mentionner la durée du cautionnement garantissant un affrètement au voyage peut être délicat.
(13) Même celles édictées par des organismes français, telle la Synacomex 2000.
(14) Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Rennes, le taux de fret s'élevait mensuellement à 9 000 euros HT par navire, soit 45 000 euros HT par mois...
(15) Nous ne reviendrons pas, dans le cadre de cette étude, sur notre proposition d'abroger les articles L. 341-2 et L. 341-3. Pour un exposé de cette proposition, v. nos obs., La mention manuscrite dans le contrat de cautionnement, encore et toujours !, note sous Cass. com., 5 avril 2011, deux arrêts n° 09-14.358, FS-P+B (N° Lexbase : A3426HN9) et n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7), Lexbase Hebdo n° 442 du 2 juin 2011 - édition privée (N° Lexbase : N4166BS4) ; G. Piette et J. Lasserre-Capdeville, Portée des mentions manuscrites requises de la part de la caution, D., 2013, p. 1460. Adde G. Piette et G. Georgijevic, La réforme du droit mauricien des sûretés, RIDC, 2014, n° 4, spéc. n° 59 ; nos obs. De l'art de faire n'importe quoi : l'oeuvre législative en droit des sûretés, Lexbase Hebdo n° 394 du 18 septembre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N3652BUS).
(16) Ceci permettrait néanmoins d'éviter que le Code de la consommation, dont l'objet est en principe bien ciblé, en vienne à protéger des cautions averties (par exemple, dirigeants sociaux) qui garantissent des opérations économiques dans le cadre de leur activité professionnelle.
(17) Les travaux préparatoires de cette loi révèlent sans l'ombre d'un doute que le créancier visé par les articles L. 341-2 et suivants du Code de la consommation est l'établissement de crédit. Les membres de la commission spéciale à l'Assemblée nationale, et notamment son président et son rapporteur, n'ont fait référence qu'aux banques au cours de leurs discussions.

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