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N4638BUC
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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse
le 20 Novembre 2014
Une entreprise spécialisée dans les travaux de construction, titulaire d'un contrat "Multirisques artisan du bâtiment" souscrit par l'intermédiaire d'un courtier, se trouve en redressement judiciaire. Un administrateur est désigné avec une simple mission d'assistance. A l'occasion d'un sinistre, il apparaît que l'artisan, alors qu'il avait déclaré un salarié, en employait en fait 8. L'assureur, s'il accepte le principe de prise en charge du sinistre au titre de l'assurance de responsabilité décennale, réclame l'application de l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN). L'indemnité devrait, selon lui, être diminuée en application d'une règle proportionnelle de prime. L'assuré estime que cette perte d'indemnité est imputable au défaut de vigilance du courtier et de l'administrateur judiciaire à son égard. Il recherche leur responsabilité. C'est sur cette question que le contentieux va se focaliser. La Cour de cassation, cassant partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 16 juillet 2013 (1), règle différemment le sort du courtier et de l'administrateur. L'arrêt conduit à quelques remarques relatives à la détermination des responsables.
Où les juges du fond avaient rejeté la responsabilité de l'administrateur et du courtier, la Cour de cassation décide de leur réserver un sort différencié : la responsabilité du courtier n'est pas retenue. Elle n'est cependant pas écartée par principe en raison de diligences qui seraient étrangères à sa mission. Il reste, en effet, tenu d'assister son client pendant l'exécution du contrat (2). Au contraire, la solution semble reposer sur un élément purement factuel. Au regard de cette obligation de déclaration, deux diligences peuvent être mises à la charge du courtier : attirer l'attention de l'assuré sur l'existence même de l'obligation de déclarer, et, lorsque la question se pose, attirer l'attention de l'assuré sur la nécessité de déclarer. En l'espèce, la connaissance de l'obligation de déclarer est établie par le fait que l'assuré l'a utilisée à une occasion (pour déclarer un salarié). Sur le second aspect, la solution fait ressortir que tout repose sur l'état des connaissances du courtier relativement à la situation de l'entreprise : il doit connaître l'augmentation d'effectif pour pouvoir attirer l'attention de l'assuré sur la nécessité d'en déclarer l'évolution. Or, il n'est pas démontré que le courtier ait eu connaissance en temps utiles de l'augmentation d'effectif. Aucune mise en garde n'étant possible, la responsabilité du courtier ne pouvait être engagée. En creux, il ressort de la solution que le courtier n'avait pas à rechercher cette information, sa mission lui commandant simplement de réagir rapidement et pertinemment aux informations transmises par l'assuré. On sait cependant qu'il est tenu d'être vigilant aux changements de situation de l'assuré qui pourraient rendre non pertinentes les solutions mises en place (3). La solution semble plutôt s'inscrire dans la logique de celles qui considèrent "qu'on ne pouvait raisonnablement exiger d'un courtier, qui avait déjà complètement informé son client des conditions de garantie contenues dans la police, qu'il les rappelle systématiquement" (4). Il est vrai que le contrat était particulièrement clair sur la question : "le contrat d'assurance du 8 octobre 2002 stipulait en ses conditions particulières que'l'attention de l'assuré est attirée sur l'obligation qui lui est faite de déclarer à l'assureur son effectif dès lors que celui-ci excède 01 personne(s) (non comptés pour un total de 3 personnes au maximum, le chef d'entreprise et s'il y a lieu son conjoint, ses ascendants, ses descendants et collatéraux ainsi que ses apprentis)'" (5). Le devoir de vigilance du courtier ne s'étendait donc pas à la circonstance objet du litige.
Si elle ne s'impose pas au courtier, on constate, en l'espèce, qu'une telle vigilance s'impose à l'administrateur judiciaire même si le tribunal ne lui a confié qu'une simple mission d'assistance en vertu de l'article L. 631-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L4023HBM). Sur cette question, la motivation des juges du fond semble pourtant assez convaincante : "la souscription d'un contrat d'assurance obligatoire et plus encore le renouvellement annuel par tacite reconduction d'un tel contrat relève de la gestion courante incombant au débiteur sans l'assistance de l'administrateur. En l'espèce, le redressement judiciaire a été ouvert le 17 février 2006 alors que le chantier en cause avait déjà été commencé (ainsi qu'il résulte de l'expertise judiciaire) et alors également que la SARL B. qui employait 10 salariés à la date de la cessation de paiement (ainsi qu'il est indiqué dans le jugement d'ouverture) aurait déjà dû d'elle-même signaler l'augmentation de son effectif salarié à l'assureur ou à son courtier. Il ne peut dans ces conditions être reproché à l'administrateur d'avoir manqué à son obligation de prudence et de diligence en ne vérifiant pas que le contrat d'assurance MAB en cours avait fait l'objet en son temps d'une déclaration d'augmentation de l'effectif salarié" (6).
De façon générale, la jurisprudence considère que l'administrateur chargé d'une mission d'assistance doit accomplir sa mission avec prudence et diligence. Cela doit le conduire à ne pas donner une idée fausse aux tiers de la situation de l'entreprise (7). En matière d'assurance, on peut penser que son champ d'action est plus réduit dans la mesure où le débiteur a la maîtrise des opérations du fait de leur nature. On conçoit plus facilement, en la matière, que l'administrateur voit sa responsabilité engagée, parce que chargé, d'une mission d'administration il a omis d'accomplir une diligence, ou au contraire a exécuté une action de façon téméraire. Selon les circonstances on pourra lui reprocher d'avoir souscrit un contrat, de ne pas l'avoir fait, de ne pas l'avoir résilié, ou de l'avoir fait (8) !
Concernant la mission d'assistance, la solution de la Cour de cassation serait-elle trop sévère ? Pas forcément si l'on tient compte de la nature de l'assurance en cause : une assurance de responsabilité obligatoire (responsabilité décennale). Il convient de rappeler que l'article L. 631-12 cité dans le visa aux côtés de l'article 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) indique que : "dans sa mission, l'administrateur est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au débiteur". Le texte s'applique quelle que soit la mission de l'administrateur et il paraît évident qu'il intègre une obligation légale de souscrire une assurance de responsabilité (9). On remarquera, au passage, que la Cour de cassation pousse au bout la logique en exigeant non seulement que l'administrateur s'enquière de l'existence de la garantie (ce qui ne posait pas de difficulté en l'espèce) mais, en plus, qu'il s'assure de l'efficacité de la garantie. Cela le conduit donc à vérifier que l'assuré a bien accompli les diligences imposées par le contrat ou le Code des assurances.
Il est difficile d'affirmer que les diligences de l'administrateur chargé d'une mission d'assistance (indépendamment de la question de la continuation des contrats) se bornent aux assurances obligatoires du débiteur. L'article L. 631-12 du Code de commerce vise le respect des obligations légales et conventionnelles du débiteur. En premier lieu, on peut considérer qu'une vérification s'impose sur l'étendue des obligations d'assurance du débiteur quelles qu'en soient les sources (10). En second lieu, on peut estimer que la recherche d'un niveau de garantie suffisant au regard des moyens de le financer entre dans le cadre de la mission de l'administrateur. Il doit au moins veiller à ce que le débiteur ne compromette pas le patrimoine de l'entreprise par des coupes franches hasardeuses. Il paraît donc difficile de s'en tenir à l'idée que les contrats d'assurance de l'entreprise relèvent de la simple gestion courante.
II - Recours consécutifs au sinistre
L'assurance des opérations de construction est encore l'occasion d'une précision intéressante. Le présent arrêt est parfaitement en cohérence avec un précédent rendu en 2012 (11). La solution consacrée est parfaitement justifiée. Quelques rappels s'imposent. L'assureur dommages ouvrage dispose d'un délai de 60 jours pour notifier à l'assuré sa décision "quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat" (12). En cas de retard, l'indemnité versée par l'assureur est majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal (13). Si ce retard ne l'empêche pas d'exercer un recours subrogatoire contre l'assureur de responsabilité (14), la question qui se pose est de savoir si le recours peut s'étendre au recouvrement des pénalités. La réponse de la jurisprudence est négative. Elle se justifie aussi bien du point de vue de la technique juridique qu'en opportunité.
Si l'on se place du point de vue de la technique de subrogation, il convient de rappeler que le recours fondé sur l'article L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI) suppose remplies trois conditions : un paiement dû au titre du contrat, un paiement effectif, un recours contre un tiers (15). En l'absence, la première condition fait défaut pour les pénalités que l'assureur a payées. A proprement parler, ces pénalités ne sont pas dues en application du contrat, mais comme le souligne l'arrêt, en raison de l'inexécution des obligations légales. Il est donc logique de soustraire cette partie au recours.
Si l'on considère la solution du point de vue de son opportunité, elle se justifie encore. Autoriser le recours sur les pénalités aurait abouti à un double résultat contestable. En premier lieu, l'assureur des dommages à l'ouvrage ne la supportant pas définitivement, la sanction n'atteint pas son but et la crainte de la condamnation ne joue plus. La sanction devient inefficace. En second lieu, la sanction serait supportée par la mauvaise personne : une personne, certes garante des désordres, mais nullement à l'origine du retard dans leur prise en charge. La sanction serait dévoyée.
Pour ces différentes raisons, la limitation du recours est la solution qui s'impose. Elle aboutit à l'objectif visé par le texte et rappelé par la Cour de cassation à l'occasion d'un arrêt un peu plus ancien : "seul l'assureur dommages ouvrage' peut être condamné à supporter cette majoration" (16).
(1) CA Dijon, 16 juillet 2013 n° 12/01004 (N° Lexbase : A9678KIB).
(2) Cass. civ. 1, 12 février 1991, n° 88-10.759 (N° Lexbase : A8283AGU), RGAT, 1991, 436, note D. Langé.
(3) J. Kullmann (dir.), Lamy assurances, 2014, n° 4751.
(4) Cass. com., 7 avril 2004, n° 02-12.241, FS-P (N° Lexbase : A9123DBI), Bull. civ. IV, n° 71.
(5) CA Dijon, 16 juillet 2013, précité.
(6) CA Dijon, 16 juillet 2013, précité.
(7) Cass. com., 15 octobre 2002, n° 99-19.857 (N° Lexbase : A2672A3D) ; Cass. com., 6 juillet 2010, n° 09-66.801, F-D (N° Lexbase : A2421E4G).
(8) Pour un exemple : Cass. com., 31 mai 1988, n° 86-17.489 (N° Lexbase : A2094AHZ).
(9) V. déjà : CA Paris, 11 octobre 1996, Dr soc., 1997, 26, note Chaput.
(10) Cass. com., 11 déc. 2001, n° 98-21.933, F-D (N° Lexbase : A6432AXI) (assurance de groupe).
(11) Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 10-27.884, FS-P+B (N° Lexbase : A0459IWW), Bull. civ. III, n° 149 ; D., 2013, 1981, obs. H. Groutel ; RGDA, 2013, 354, note P. Dessuet.
(12) C. assur., art. L. 242-1, al. 3 (N° Lexbase : L1892IBP).
(13) C. assur., art. L. 242-1, al. 5.
(14) Cass. civ. 3, 9 mai 2012, n° 11-11.749, FS-D (N° Lexbase : A1461ILP).
(15) Sur cette question : Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2014/2015, n° 2756.
(16) Cass. civ. 3, 8 mai 2005, n° 03-20.922, FS-P+B (N° Lexbase : A6487DI4), Bull. civ. III, n° 123.
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