La lettre juridique n°575 du 19 juin 2014 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Juin 2014

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

le 19 Juin 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. L'auteur revient, en premier lieu, sur un arrêt rendu le 30 avril 2014 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui semble résoudre la question de l'exclusion des faits volontairement causés par l'assuré (Cass. civ. 2, 30 avril 2014, n° 13-16.901, F-D) ; puis, en second lieu, sur l'arrêt en date du 22 mai 2014, par lequel la deuxième chambre civile a posé très clairement le principe selon lequel la pénalité du doublement des intérêts au taux légal peut donner lieu à capitalisation en vertu de l'article 1154 du Code civil (Cass. civ. 2, 22 mai 2014, n° 13-14.698, FS-P+B). I - Exclusion de garantie
  • Les juges du fond ne devaient pas fonder leur décision sur l'article L. 113-1 du Code des assurances mais sur le contrat qui excluait conventionnellement "les dommages ou leur aggravation intentionnellement causés ou provoqués par les personnes ayant la qualité d'assuré ou avec leur complicité" (Cass. civ. 2, 30 avril 2014, n° 13-16.901, F-D N° Lexbase : A7001MKI)

La solution rendue par la Cour de cassation dans cet arrêt, inédit, est peut être une autre façon de résoudre la question de l'exclusion des faits volontairement causés par l'assuré. On retrouve dans un arrêt du 18 octobre 2012 une logique similaire (1). On pourrait formuler de différentes façons la question théorique à laquelle ces deux solutions apportent une réponse : le contrat peut-il définir à sa façon (autrement dit plus libérale !) l'exclusion des faits volontaires de l'assuré ? La définition de la faute intentionnelle ou dolosive telle qu'elle résulte de la jurisprudence peut-elle faire l'objet d'aménagements contractuels ? Quelle que soit la façon de formuler le questionnement, la réponse semble être positive. En l'espèce, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir tenu compte de la clause d'exclusion conventionnelle figurant dans le contrat.

La solution apparaît comme un moyen d'éviter la rigueur et l'insécurité juridique régnant à nouveau concernant l'exclusion légale. On sait, en effet, que la jurisprudence, après une période de flottement, a fini par consacrer à nouveau une conception restrictive de la faute intentionnelle, cause d'exclusion légale de garantie. Elle se conçoit comme la volonté de réaliser le dommage tel qu'il est survenu (2). Dans notre affaire, un incendie volontaire et vengeur s'étend au-delà de ce que souhaite l'incendiaire et dégrade les biens d'un tiers non visé. On sait que la faute intentionnelle serait difficilement retenue dans ce cas. Pour compenser les conséquences extrêmes de cette conception, la jurisprudence semble vouloir donner un sens propre au terme "dolosive " figurant dans l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) (3). Mais son domaine reste encore incertain. On comprend dès lors la démarche de l'assureur qui tente de s'approprier la mécanique de l'exclusion de ces comportements.

Le moyen consistant à rédiger une exclusion conventionnelle des faits volontaires est-il cependant d'une efficacité absolue ? Rien n'est moins sûr et plusieurs raisons peuvent en faire douter.

D'abord, une solution un peu antérieure de la Cour de cassation (4) semble devoir calmer tout optimisme dans une hypothèse d'agression dans laquelle l'assurée fait chuter, par peur, la victime. Les juges du fond avaient cru pouvoir dénier la garantie de l'assureur en appliquant une clause excluant "les conséquences de vos actes intentionnels ou des actes effectués avec votre complicité et dans le but de porter atteinte à des biens ou à des personnes, sauf cas de légitime défense". La Cour de cassation leur reproche de ne pas caractériser une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 et la volonté de porter atteinte à la victime comme l'exige le contrat. Autrement dit, la rédaction de la clause peut comporter des exigences qui s'imposent au juge et compliquent l'exclusion des faits volontaires au lieu de la faciliter.

Puisqu'il est question, ensuite de rédaction de la clause, rappelons que l'exclusion conventionnelle est soumise à un régime draconien qu'il faut respecter au risque de voir la clause réputée non écrite. Elle doit figurer en caractères très apparents dans la police et être formelle et limitée (5). L'assureur doit, en outre, prouver que cette exclusion est constituée. Un développement de l'exclusion des faits volontaires conduira nécessairement à la mise à l'épreuve de ces clauses du point de vue de leur régime juridique. Il faudra rapidement faire le choix entre des clauses restrictives à l'utilité limitée, comme nous venons de le voir, et des clauses plus larges mais risquant d'être inefficaces en raison du fait qu'elles ne sont pas assez précises ou limitées.

Enfin, même si elles sont valables, ces clauses ne seront efficaces que pour certaines catégories de personnes. Elles ne peuvent en effet avoir d'efficacité à l'égard des personnes dont l'assuré est civilement responsable en vertu de l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) car il l'est quelle que soit "la nature et la gravité " de leurs fautes (6).

Est-ce faire preuve de mauvais esprit que de considérer, finalement, que déplacer l'exclusion des faits volontaires dans les exclusions conventionnelles ne revient, pour l'assureur, qu'à changer le type de difficultés à affronter ?

II - Assurance des véhicules terrestres à moteur

  • Les articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances ne dérogent pas aux dispositions d'ordre public de l'article 1154 du Code civil qui s'appliquent de manière générale aux intérêts moratoires (Cass. civ. 2, 22 mai 2014, n° 13-14.698, FS-P+B N° Lexbase : A5069MMP)

La publication au bulletin, ainsi que la formulation de la solution dans un attendu de principe, indiquent une volonté d'établir incontestablement la jurisprudence sur la question traitée dans cet arrêt. Il existe un précédent à cette solution dont la formule ne comportait pas de référence à l'ordre public : "les articles L. 211 -9 (N° Lexbase : L6229DIK) et L. 211-13 (N° Lexbase : L0274AAE) du Code des assurances ne dérogent pas aux dispositions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7) qui s'appliquent, de manière générale, aux intérêts moratoires" (7).

La solution ne relève manifestement pas de l'évidence. La confusion provient des termes utilisés dans l'article L. 211-13 du Code des assurances. Ce dernier dispose que, en cas d'accident de la circulation, si l'assureur ne fait pas d'offre dans les délais prévus par l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal "à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif". Cette production d'intérêt semble naturellement appeler l'application de l'article 1154 du Code civil qui prévoit la capitalisation des intérêts échus des capitaux s'ils sont dus au moins pour une année. Néanmoins, l'article L. 211-13 prévoit dans une seconde disposition un pouvoir de réduction du juge pour cette "pénalité". Les conseillers de la Cour d'appel de Paris (9 janvier 2013) ont considéré que, la production d'intérêt au double du taux légal étant une pénalité, ne pouvait être qualifiée d'intérêts échus de capitaux. Ce raisonnement est conforté par les arguments d'un auteur (8) qui considère que l'anatocisme n'a pas sa place dans l'article L. 211-13 dans la mesure où il ne vient pas compenser un retard mais sanctionner l'inexécution de l'obligation de faire une offre. En poursuivant cette logique, on pourrait d'ailleurs considérer que l'application de la règle de l'article 1154 a pour effet d'augmenter la sanction prévue par le législateur et de la rendre disproportionnée (9). C'est manifestement dans cet esprit que se situe l'arrêt de la cour d'appel.

Cette série d'arguments tirée de l'utilisation du terme de "pénalité" est discutable. On peut d'abord rappeler qu'il ne faut pas exagérer l'emploi du terme. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que "la majoration du taux d'intérêt légal en cas de retard de présentation de l'offre d'indemnisation de l'assureur ne constitue pas une peine au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen" (10). Il y a, dès lors, une certaine cohérence à appliquer l'article 1154 dès lors que l'on considère que le doublement du taux légal n'est pas une peine. Au-delà même de cet argument, et ensuite, il semble que cette disposition trouve parfaitement sa place dans la procédure d'indemnisation en matière d'accidents de la circulation. Il ne faut pas s'y tromper, si l'assureur est sanctionné pour ne pas avoir fait une offre dans les délais, c'est bien parce qu'au final il retarde l'indemnisation de la victime (ce qui est le but de la procédure !) qui n'aura pas pu profiter (dans tous les sens du terme !) des sommes qui lui sont dues. Le principe d'application d'un taux à compter du retard n'est que le jeu adapté de la mécanique des intérêts moratoires qui doit produire sa logique jusqu'à l'application de l'anatocisme. La sanction de l'assureur réside dans le doublement de ce taux. Pour ces différentes raisons, la solution de la Cour de cassation qui montre une position unifiée des chambres, est parfaitement justifiée.

L'application dans son principe de l'anatocisme conduit à quelques rappels sur son régime. Du point de vue des conditions, la jurisprudence s'en tient aux exigences posées par le texte. Le jeu de l'anatocisme suppose qu'une demande soit faite par le créancier (11) et qu'elle concerne des intérêts dus pour au moins une année. L'exigence n'a pas à être satisfaite au moment de la demande, il suffit qu'elle porte sur des intérêts dus pour une telle durée (12). Les juges s'éloignent un peu du texte par mesure de faveur envers le débiteur. L'application de l'article 1154 peut, en effet, être refusée s'il est démontré que le créancier a commis une faute susceptible de faire obstacle à la capitalisation (13).

Dans la procédure d'indemnisation des accidents de la circulation, le recours à cette jurisprudence n'est pas forcément nécessaire. L'article L. 211-13 prévoit, en effet, la réduction de la pénalité même en raison de circonstances de fait non imputables à l'assureur.

Quand le droit commun aggrave la situation de l'assureur, le droit spécial a parfois du bon...


(1) Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-23.900, FS-D (N° Lexbase : A7097IUE), LEDA, 2012, 173, obs. Astegiano-La Rizza, RGDA, 2013, 62, note J. Kullmann.
(2) Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-13.084, FS-D (N° Lexbase : A7263IUK), LEDA, 2012, 167, obs. A Astegiano-La Rizza, RGDA, 2013, 56, note J.-P. Karila ; Cass. civ. 3, 11 juin 2013, n° 12-16.530, F-D (N° Lexbase : A5829KGY), RCA, 2013, 323.
(3) D. Bakouche, Aléa et faute intentionnelle, RCA, 2014, dossier 7 ; Cass. civ. 2, 28 fevrier 2013, n° 12-12.813, FS-P+B (N° Lexbase : A8759I8W), JCP éd. G, 2013, 400, obs. J. Kullmann, RGDA, 2013, 586, note A. pelissier ; Cass. civ. 2, 12 septembre 2013, n° 12-24.650, F-P+B (N° Lexbase : A1567KLM), RCA, 2013, étude 8 par D. Bakouche.
(4) Cass. civ. 2, 6 février 2014, n° 13-10.160, F-D (N° Lexbase : A9174MD7), RCA, 2014, comm. 174, obs. H. Groutel.
(5) Sur ce régime : Ph. Le Tourneau et alii, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2014/2015, n° 2719.
(6) C. assur., art. L. 121-2 (N° Lexbase : L0078AA7).
(7) Cass. crim., 2 mai 2012, n° 11-85.416, F-P+B (N° Lexbase : A0619IMU), RGDA, 2012, 1046, note J. Landel.
(8) J. Landel, note précitée.
(9) Sur ce point, H. Groutel, obs. sous Cass. crim., 2 mai 2012, n° 11-85.416, F-P+B (N° Lexbase : A0619IMU), RCA, 2012, 235.
(10) Cass. QPC, 20 septembre 2011, n° 11-82.013, F-D (N° Lexbase : A1208HYE).
(11) Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-68026, F-P+B (N° Lexbase : A8695GBN), Bull. civ. I, n° 203.
(12) Cass. civ. 2, 1er juin 2011, n° 10-18.829, F-D (N° Lexbase : A3186HT8), RGDA, 2011, 964, note R. Schulz.
(13) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 01-15.875, FS-P (N° Lexbase : A6272C98), Bull. civ. IV, n° 138.

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