Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 7 mai 2014, n° 355961, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9362MKX)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"
le 19 Juin 2014
Rappelant le Code des pensions, le Conseil d'Etat va d'abord considérer "qu'il résulte de ces dispositions que le caractère personnel d'une pension de retraite ne s'oppose pas à ce que le titulaire d'une pension de réversion se prévale [...] d'une illégalité entachant le calcul de la pension de son conjoint que celui-ci n'a pas contestée". C'est notamment le cas lorsque celle-ci ne peut être regardé comme définitive, en raison de ce qu'elle a été notifiée sans mention des voies et délais de recours, soit de ce qu'une demande de révision pouvait encore, à la date du décès du conjoint, être adressée à l'administration dans les conditions prévues par l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L9843ITQ).
Précisément, l'arrêté ayant fait valoir les droits à la retraite du mari mentionnait bien le délai de recours contentieux, mais n'indiquait pas les voies de recours pertinentes : la pension litigieuse du défunt n'était donc pas devenue définitive. Dès lors, en jugeant que la veuve devait bénéficier de la pension de réversion au motif que son mari décédé remplissait les conditions de la bonification pour enfants sans rechercher si sa demande respectait les conditions précitées, le tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit et le jugement est annulé.
Mais, réglant l'affaire au fond, le Conseil d'Etat fait droit à la demande de la veuve en constatant, en effet, que la notification de l'arrêté concédant la pension du mari mentionnait le délai de recours mais n'indiquait pas les voies de recours. De ce fait, cette pension n'était pas devenue définitive à la date de son décès et sa veuve pouvait la contester.
Par ailleurs, le juge suprême met en avant, qu'en 1996, l'article L. 12 prévoyait bien une bonification d'ancienneté d'un an par enfant pour les seules femmes fonctionnaires ayant assuré l'éducation de leurs enfants mais aujourd'hui, l'article 157 TFUE (N° Lexbase : L2459IPR) "s'oppose à ce que l'avantage ainsi accordé aux personnes qui ont assuré l'éducation de leurs enfants soit réservé aux femmes, alors que les hommes ayant assuré l'éducation de leurs enfants en seraient exclus". Puisqu'il n'était pas contesté que le défunt avait "assuré l'éducation de ses deux enfants" et pouvait donc prétendre au bénéfice de la bonification litigieuse, la requérante était nécessairement fondée à demander la révision de sa propre pension de réversion.
De ce fait, le Conseil d'Etat enjoint au ministre de l'Economie et des Finances, comme il le fait traditionnellement dans le contentieux des pensions, de procéder aux mesures d'exécution qui s'imposent, à savoir modifier les conditions dans lesquelles la pension de réversion a été concédée, revaloriser rétroactivement cette pension pour prendre en compte la bonification pour enfant et faire droit aux intérêts des sommes dues à compter de la date de réception de sa demande de révision.
Deux points sont à retenir dans cet arrêt. En tranchant un point de procédure dans un sens favorable à la requérante, le juge remet d'abord quelque peu en cause sa jurisprudence relative à l'intangibilité des pensions civiles de retraite des fonctionnaires fondée sur l'article 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (I). Ensuite, en réglant l'affaire au fond et au nom de la parité et de l'absence de discrimination, il octroi à la veuve, a posteriori et de façon assez paradoxale, le droit à la bonification pour enfant de son mari. La solution était entendue, mais elle est le témoignage d'une confrontation toujours prégnante du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales (II).
I - La remise en cause du principe d'intangibilité des pensions de retraite liquidées
Le principe d'intangibilité des pensions de retraite liquidées est un principe qui est constamment réaffirmée dans la jurisprudence classique (A). Il n'y a normalement pas de possibilité de contester les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement. L'arrêt d'espèce vient cependant s'inscrire en faux contre cette règle et dénature quelque peu ce principe d'intangibilité (B).
A - La portée constamment réaffirmée du principe d'intangibilité des pensions liquidées
C'est d'abord l'article R. 351-10 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6876ADZ) pour les régimes de base qui pose le principe d'intangibilité des pensions liquidées (2). La jurisprudence a réalisé une interprétation claire de cet article. Selon la Haute juridiction, il résulte de ce texte "qu'après l'expiration du délai de recours contentieux, les parties ne peuvent hors des cas prévus par la loi, modifier les bases de calcul de la pension. Dès lors, une caisse d'assurance vieillesse n'est pas fondée à réduire le montant d'une pension liquidée en 1981 en raison de points injustifiés" (3). Cette jurisprudence est satisfaisante car la définition donnée repose sur "les bases de calcul de la pension", expression qui est conforme à la notion même de liquidation de la pension. Il ne s'agit pas, une fois les délais de recours et de reprise expirés, de mettre en place une règle selon laquelle les droits liquidés ne pourraient plus être remis en cause par le bénéficiaire lui-même ni par la caisse de Sécurité sociale.
Dans un arrêt du 25 octobre 2006, la Cour de cassation a même décidé que le principe d'intangibilité des pensions ne saurait faire obstacle à l'exécution d'une décision de justice devenue irrévocable, modifiant les droits d'un assuré (4). Pour autant, on ne peut pas changer les bases de calcul de la pension une fois liquidée.
Dans la fonction publique, ce principe est défini à l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, qui dispose que "la pension et la rente viagère d'invalidité sont définitivement acquises et ne peuvent être révisées ou supprimées à l'initiative de l'administration ou sur demande de l'intéressé que dans les conditions suivantes : à tout moment en cas d'erreur matérielle ; dans un délai d'un an à compter de la notification de la décision de concession initiale de la pension ou de la rente viagère, en cas d'erreur de droit". La pension et la rente viagère d'invalidité sont donc définitivement acquises sous réserve d'une révision ou d'une suppression à la demande de l'administration ou du fonctionnaire en cas d'erreur de droit (dans le délai d'un an à dater de la notification de la concession initiale de la pension ou de la rente) ou d'erreur matérielle (à tout moment).
La jurisprudence administrative est très claire en ce domaine. Par exemple, dans un arrêt du 11 février 2005, le Conseil d'Etat affirme que "les dispositions de l'article L. 55 ont pour objet d'ouvrir, aussi bien aux pensionnés qu'à l'administration, un droit à révision des pensions concédées dans le cas où la liquidation de celle-ci est entachée d'une erreur de droit et de prévoir que ce droit est ouvert dans les mêmes conditions de délai aux pensionnés et à l'administration ; que, d'une part, le délai de révision ainsi prévu bénéficie aussi bien aux pensionnés dont les droits à pension sont définitivement acquis au terme de ce délai, qu'à l'administration qui est, postérieurement à l'expiration de ce même délai, mise à l'abri de contestations tardives et que, d'autre part, l'instauration d'un délai d'un an s'avère suffisante pour permettre aux pensionnés de faire valoir utilement leurs droits devant les juridictions" (5).
Ainsi, les décisions portant concession de pension régulièrement notifiées deviennent ainsi définitives et intangibles si elles ne sont pas contestées par les voies et dans les délais de recours de droit commun. Le Conseil d'Etat a pu ainsi juger que si, en vertu des règles générales applicables au retrait des actes administratifs, l'auteur d'une décision individuelle expresse créatrice de droits peut légalement la rapporter, à la condition que cette décision soit elle-même illégale, dans le délai de quatre mois suivant la date à laquelle elle a été prise, le caractère intangible des décisions portant concession de pension fait obstacle à ce que leur bénéficiaire puisse en demander le retrait une fois cette dernière devenue définitive (6).
Il convient toutefois d'ajouter que ce principe peut faire l'objet d'aménagements particuliers, notamment dans le cas où un régime procède à une révision des droits liquidés lorsqu'il dispose d'informations ou d'éléments nouveaux (éléments complémentaires fournis par l'assuré, informations transmises par un autre régime...) sur la carrière des assurés et intervenant postérieurement à la liquidation. La règle n'a ainsi fait l'objet que d'une inflexion très limitée à l'encontre des décisions administratives modifiant partiellement les pensions auparavant liquidées et sur les seuls éléments ainsi rectifiés. Lorsque postérieurement à la concession initiale de la pension, les bases de la liquidation viennent à être modifiées par une nouvelle décision, le délai d'un an prévu, en cas d'erreur de droit, par les dispositions de l'article L. 55 du Code des pensions n'est rouvert, à compter de la date à laquelle cette décision est notifiée, que pour ceux des éléments de la liquidation ayant fait l'objet de cette révision (7).
Dans le cas de l'arrêt d'espèce, le délai d'une année prévu par l'article L. 55 du Code des pensions civiles et militaires de retraite était opposable au mari et à sa veuve. Il semblait donc impossible pour cette dernière de contester, directement ou indirectement en 2010 la décision accordant à son mari une pension qui avait été adoptée en 1996.
B - La possibilité de contester les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement
Alors qu'a priori la veuve ne pouvait se voir qu'opposer le délai d'un an de forclusion de l'article L. 55, le Conseil d'Etat va juger qu'il y a lieu d'admettre la possibilité de contester par voie d'exception les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement lorsque cette dernière décision ne peut être regardée comme définitive.
En vertu de l'article R. 421-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3025ALM), la forclusion n'est pas opposable à un administré lorsqu'il n'a pas été informé des délais et voies de recours à l'encontre d'une décision administrative le concernant. Ces mentions sont obligatoires et portent aussi bien sur les délais d'action que sur les modalités de celles-ci. Le Conseil d'Etat a ainsi pu juger que, si le procès-verbal de notification d'un arrêté d'expulsion signé par l'intéressé mentionnait la possibilité pour lui d'introduire, dans un délai de deux mois, un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, la notification n'a pas été accompagnée de la remise à ce dernier soit d'une copie du procès-verbal, soit d'un autre document écrit comportant la mention des indications précitées. Celles-ci ne figuraient pas davantage sur l'ampliation de l'arrêté d'expulsion qui lui a été remise à cette occasion. Dans ces conditions, la notification n'a pas été de nature à faire courir le délai de recours contentieux (8).
Dans la décision d'espèce, il avait bien été indiqué au mari, lors de la notification de son attribution de pension, que l'article L. 55 du Code des pensions était applicable et que la forclusion était encourue à l'expiration du délai d'une année. En revanche, il n'y avait nulle mention des voies de recours. L'omission de ce dernier élément faisait donc obstacle à ce que la forclusion soit ensuite opposée au mari et, par suite, à sa veuve. Il en a été jugé déjà ainsi à propos d'un certificat d'inscription au grand livre de la dette publique par lequel avait été notifié à un requérant l'arrêté lui concédant une pension de retraite qui mentionnait le délai de recours contentieux dont l'intéressé disposait à l'encontre de cet arrêté, mais qui ne contenait aucune indication sur les voies de recours. Il en résulte que la notification devait, s'agissant des voies de recours, mentionner, le cas échéant, l'existence d'un recours administratif préalable obligatoire, ainsi que l'autorité devant laquelle il devait être porté ou, dans l'hypothèse d'un recours contentieux direct, indiquer si celui-ci devait être formé auprès de la juridiction administrative de droit commun ou devant une juridiction spécialisée et, dans ce dernier cas, préciser laquelle (9).
Compte tenu de cette particularité, la veuve ne pouvait se voir opposer le caractère définitif de la décision de liquidation de pension de son mari. L'exception d'illégalité devient ainsi envisageable, en l'espèce, et plus généralement dans le contentieux des pensions. En acceptant qu'il y a lieu d'admettre la possibilité de contester par voie d'exception les modalités de détermination d'une pension liquidée antérieurement lorsque cette dernière décision ne peut être regardée comme définitive, le Conseil d'Etat donne à la décision d'espèce une portée pratique des plus considérables à l'égard des décisions d'attribution de pensions.
II - La confrontation toujours prégnante du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales
Les régimes nationaux des pensions n'en finissent plus d'être passés au crible des exigences égalitaires du droit de l'Union européenne. Régime des pensions et égalité des sexes, régime des pensions et non discrimination selon la nationalité, régime des pensions et non discrimination selon les orientations sexuelles... Il y a là une source semble-t-il quasi intarissable de contestation des édifices législatifs nationaux. Parmi ces éléments à contestation, dans la continuité des jurisprudences "Griesmar" et "Mouflin" à la suite de l'adoption successive des lois du 21 août 2003 (12), du 30 décembre 2004 (13) et enfin, du 9 novembre 2010 (14), on pouvait penser que la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants était définitivement réglée en 2014 (A). Cela n'est toutefois pas encore le cas. L'arrêt d'espèce, au nom de la parité et de l'égalité de traitement, montre que cette question n'est peut-être pas encore totalement réglée et qu'il persiste certaines difficultés et contradictions (B).
A - Les droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants définitivement réglés ?
La confrontation du régime des pensions aux exigences égalitaires supranationales draine désormais une liste d'espèces rendues par toutes les juridictions. Ebranlant le Code de la Sécurité sociale comme celui des pensions civiles et miliaires, ce phénomène a logiquement poussé le pouvoir législatif à modifier parfois son oeuvre pour la mettre au diapason de ces exigences. Les arrêts "Griesmar" puis "Mouflin" ont profondément ébranlé les mécanismes du Code des pensions civiles et militaires qui organisaient, par quelques discrètes mesures, une forme de "discrimination positive en faveur des femmes".
Dans son arrêt "Griesmar", la Cour de justice a jugé que la bonification d'ancienneté pour enfants accordée aux seules fonctionnaires retraitées était effectivement incompatible avec le droit communautaire. Le raisonnement appliqué par la Cour de justice pour juger inconventionnelle la bonification pour enfant accordée aux seules femmes reposait sur l'article 119 du Traité CEE, devenu l'article 141 du Traité CE, puis l'article 157 TFUE (N° Lexbase : L2459IPR), lequel énonce un principe d'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins. La Cour de justice a appliqué la même logique dans son arrêt "Mouflin" aux dispositions permettant aux seules femmes fonctionnaires de jouir immédiatement de leur pension lorsqu'elles sont mères de trois enfants vivants ou décédés par faits de guerre ou les ont élevés pendant au moins neuf ans.
Ces arrêts de la Cour de justice ont amené le juge administratif à étendre les solutions à d'autres dispositions législatives relatives aux pensions dans le secteur public. En 2002, le Conseil d'Etat a, ainsi, étendu la solution de la jurisprudence de 2001 aux dispositions permettant aux seules femmes de jouir immédiatement de la pension de réversion de leur époux fonctionnaire décédé (15) étant entendu que cette jouissance peut être rétroactive ainsi que l'illustre la jurisprudence "Llorca" (16). L'arrêt "Choukroun" est le premier dans lequel le Conseil d'Etat applique de lui-même la logique européenne éclairée par la double intervention de la Cour de justice afin de censurer pour inconventionnalité une disposition du Code des pensions civiles et militaires de retraite. Il sera suivi un mois plus tard par l'arrêt "Griesmar" rendu le 29 juillet 2002 où le Conseil d'Etat statue sur le fond dans l'affaire en donnant raison au requérant (17).
De façon incompréhensible, la loi du 21 août 2003 précitée a maintenu la disposition litigieuse. Les recours se sont donc multipliés au grand étonnement des pouvoirs publics qui n'ont pas voulu céder et sont allés très volontiers, pour ne pas dire systématiquement, devant le juge. C'est donc de guerre lasse, mais aussi pour préserver les finances publiques, que l'Etat s'est résolu à intervenir par la loi du 30 décembre 2004 précitée. Cette loi s'appuie désormais sur la condition de "fonctionnaire civil parent" sans faire de discrimination entre hommes et femmes et met donc fin à l'incompatibilité avec le droit de l'Union européenne, tout en exigeant une interruption d'activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Mais aussi, et c'est son second effet, le législateur précise que ces nouvelles dispositions "sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée".
Le contentieux sur l'application du droit à la jouissance immédiate de la pension de retraite pour les parents de trois enfants a été supprimé par la loi du 9 novembre 2010 (18) au nom du rapprochement entre les régimes de retraite de la fonction publique et ceux du secteur privé. Depuis l'intervention de cette loi, le droit à la jouissance immédiate de la pension, pour les fonctionnaires parents de trois enfants, est devenu normalement un souvenir, mais cela n'empêche pas la persistance d'un certain contentieux d'autant plus qu'un certain nombre de mesures transitoires avaient été décidées rendant assez complexe, à l'époque, la lecture du texte.
Aujourd'hui, ces dispositions ne visent plus à l'octroi d'une gratification d'ancienneté au fonctionnaire qui a participé à l'éducation de ses enfants, mais à la prise en compte, par une simple compensation, des interruptions de travail et des conséquences afférentes pour l'évolution de la carrière et les droits à la retraite des fonctionnaires. Ce type d'avantage ne crée donc pas de discrimination entre les hommes et les femmes (19).
B - La persistance de difficultés et contradictions sur la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants
Sur le fond du litige, la solution était entendue dans l'arrêt d'espèce. Il n'est pas contesté que le mari avait assuré l'éducation de ses deux enfants et qu'il n'avait pu bénéficier de la majoration de sa pension "pour enfants" car n'étant pas de sexe féminin. Cela a été jugé, comme il l'a été dit précédemment, discriminatoire et contraire au droit de l'Union européenne et cela justifiait l'annulation de la décision d'octroi de la pension dans cette mesure. Par voie de conséquence, le mari aurait dû en bénéficier et il en était de même de la veuve dans le cadre de la pension de réversion dont elle a bénéficié. Ce qui amène, paradoxalement, au fait, qu'en conclusion et qu'au nom de la parité, la veuve a droit à la bonification pour enfant qui était, à l'origine, destinée à son mari. L'arrêt témoigne en ce sens d'un contentieux toujours marqué autour de cette question des droits à pension des agents publics pères et mères en considération bonifiée de leurs enfants et ceci, notamment, autour du problème plus général de la recomposition des familles.
C'est d'abord l'arrêt "Le Dortz" rendu par le Conseil d'Etat le 18 juin 2010 (20) qui avait apporté une contribution supplémentaire à cet exercice récurrent de confrontation avec le droit de l'Union en examinant la conformité au principe de non-discrimination du régime des pensions de réversion dans la fonction publique. Bénéficiant à tous les conjoints du fonctionnaire décédé, l'attribution du droit à pension de réversion est cependant refusée dans le régime national à celui, ou celle, qui ne peut se prévaloir d'une telle qualité. Telle n'était cependant pas la situation de Mme X. Cette dernière avait eu deux enfants reconnus par le fonctionnaire défunt et s'était unie maritalement à ce dernier en 2005 aux termes d'une vie commune ayant pris forme depuis 1980. Elle présentait donc toutes les conditions requises pour être titulaire d'un droit à pension de réversion. La chose n'était d'ailleurs pas discutée par l'administration. C'est en réalité la question de l'évaluation du montant de sa pension de réversion qui s'est retrouvée au centre de la controverse. Si l'octroi d'une pension de réversion suppose l'existence d'un lien marital, l'évaluation du montant de cette pension est fonction de la durée du lien marital. A ce titre, pour le Conseil d'Etat, les périodes de concubinat précédant la célébration d'un mariage ne peuvent être prises en compte au titre du calcul des droits.
Le juge suprême a ici jugé logiquement que la conjointe devenue l'épouse du fonctionnaire retraité (avec lequel elle a eu des enfants) un mois avant le décès de celui-ci n'avait pas droit à une pension de réversion contrairement à la première épouse de l'agent mariée avec lui pendant dix ans, cette union ayant fait l'objet d'une liquidation tardive. Mais l'état du droit en la matière n'est pas satisfaisant. La condamnation pour discrimination qui n'est pas venue du Conseil constitutionnel (21) pourrait ainsi provenir de la CEDH ou même de la CJUE. La Cour a, en effet, décidé que la Directive (CE) 2000/78 du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4) (22), qui institue le principe de non-discrimination en matière de rémunérations, s'oppose à une réglementation en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne cette prestation (23).
C'est ensuite, l'arrêt "Yernaux" en date du 27 mai 2011 (24) qui traitait de la question plus spécifique de l'interruption d'activité. La difficulté tenait, en l'espèce, à ce que l'interruption d'activité de la requérante était motivée à la fois par la naissance d'un enfant qu'elle avait eu avec son conjoint et par l'accueil dans le nouveau foyer des deux enfants issus du premier mariage de ce dernier. Pour le Conseil, le fait que le congé ait été pris globalement pour l'ensemble des enfants ne permet pas de considérer qu'elle ne pouvait prétendre à la mise à la retraite avec jouissance immédiate de ses droits à pension.
Enfin, toujours sur la question des droits à pension des agents publics pères et mères de trois enfants, il faut relever l'arrêt "Lesur" en date du 23 janvier 2012 (25). Le Conseil d'Etat y juge que les dispositions de l'article L. 24 du Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L8487G7H), dans leur version modifiée par la loi du 30 décembre 2004, sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée. Ces dispositions méconnaissent l'article 6 § 1 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), dans la mesure où elles ont pour objet d'influer sur l'issue des procédures juridictionnelles engagées par des fonctionnaires s'étant vu refuser le bénéfice des dispositions antérieurement applicables de l'article L. 24 (26). L'incompatibilité peut, par suite, être invoquée par les fonctionnaires qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, avaient, à la suite d'une décision leur refusant le bénéfice du régime antérieur, engagé une action contentieuse en vue de contester la légalité de cette décision. Dans l'arrêt "Lesur", le requérant avait saisi le tribunal administratif de Marseille, le 8 avril 2004, d'un recours contre le refus de l'admettre à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension, il peut, en ce sens et selon le Conseil d'Etat, se prévaloir des stipulations mentionnées plus haut pour soutenir qu'il a illégalement été privé de l'admission à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension à compter du 2 septembre 2004.
Il y a là autant d'arrêts qui, comme l'arrêt d'espèce, témoignent de cette persistance d'un contentieux, qui au-delà des différentes interventions pour le contenir ou le supprimer, continue à receler certaines contradictions ou difficultés que le juge administratif doit alors clarifier, ce qui a été fait en l'espèce.
(1) Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (N° Lexbase : L2496IZH), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(2) L'article dispose que "la pension ou la rente liquidée dans les conditions prévues aux articles R. 351-1 et R. 351-9 n'est pas susceptible d'être révisée pour tenir compte des versements afférents à une période postérieure à la date à laquelle a été arrêté le compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à l'assurance vieillesse dans les conditions définies à l'article R. 351-1".
(3) Cass. soc., 31 octobre 2000, n° 99-11.258, publié au bulletin (N° Lexbase : A7698AHL), Bull. civ. 2000, V, n° 361.
(4) Cass. civ. 2, 25 octobre 2006, n° 05-10.660, FS-P+B (N° Lexbase : A0294DSP), JCP éd. S., 2007, n° 1191, comm. T. Tauran.
(5) CE 9° s-s., 11 février 2005, n° 260628, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6759DGG).
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 22 juin 2012, n° 332172, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5154IPL).
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 1er mars 2004, n° 243592, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4249DBY), p. 109.
(8) CE 2° et 6° s-s-r., 8 avril 1998, n° 171548, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7448ASN).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 15 novembre 2006, n° 264636, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3520DS8).
(10) CJCE, 29 novembre 2001, aff. C-366/99 (N° Lexbase : A5833AXC), Rec. CJCE, 2001, I, p. 9383, DA, 2012, comm. n° 12, JCP éd. G, 2002, II, n° 10102, note C. Moniolle, AJFP, 2002, n° 1, p.11, note A. Fitte-Duval.
(11) CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-206/00 (N° Lexbase : A3376GMY), Rec. CJCE, 2001, I, p. 10201, DA, 2002, comm. 54, obs. C. Moniolle, JCP éd. A, 2003, n° 1294, obs. A. Taillefait.
(12) Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), JO, 22 août 2003, p.14310.
(13) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(14) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), JO, 10 novembre 2010, p. 20034.
(15) CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2002, n° 202667, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8727AYU), Rec. CE, p. 198, AJDA, 2002, p. 639, note M.-C. de Montecler.
(16) CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 187401, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3481A73), AJDA, 2003, p. 1005, concl. G. Goulard.
(17) CE, Sect., 29 juillet 2002, n° 141112, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1869AZA), AJDA, 2002, p.823, concl. F. Lamy, D. 2002, p. 2832, note A. Haquet, Droit social, 2002, note X. Prétot. Dans le même sens, CE 9° s-s., 29 décembre 2004, n° 253529, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2259DGR).
(18) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, préc..
(19) CEDH, 15 octobre 2013, Req. 33014/08 (N° Lexbase : A5444MQP).
(20) CE 1° et 6° s-s-r., 18 juin 2010, n° 315076, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9805EZ8), JCP éd. A, 2010, n° 2294, comm. G. Calley, AJDA, 2010, p. 1237, note M. Ch. De Motecler.
(21) Cons. const., décision n° 2011-155 QPC du 29 juillet 2011 (N° Lexbase : A5593HW3).
(22) JOCE, n° L 303 du 2 décembre 2000, p. 0016-0022.
(23) CJCE, 1er avril 2008, aff. C-267/06 (N° Lexbase : A7276D7M), Droit de la famille, 2008, comm. n° 92, note A. Devers, D. 2008, p.1873, note C. Weisse-Marchal.
(24) CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2011, n° 342238, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5847HSD).
(25) CE 2° et 7° s-s-r., 23 janvier 2012, n° 341668, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4249IBY).
(26) Cf. CEDH, 11 février 2010, Req. 39730/06 (N° Lexbase : A7449ERC).
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