La lettre juridique n°568 du 1 mai 2014 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Agent public détaché et règles relatives au transfert du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 8 avril 2014, n° 12-35.425, FS-P+B (N° Lexbase : A0966MKY)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 01 Mai 2014

Lorsqu'un agent public est détaché auprès d'une entreprise privée, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge invariablement que le travailleur et l'employeur sont automatiquement liés par un contrat de travail. Si, le plus souvent, cette règle ne pose que des difficultés théoriques, elle est nettement plus problématique lorsque l'établissement qui accueille le fonctionnaire fait l'objet, pendant le détachement, d'un changement de situation juridique impliquant le transfert automatique des contrats de travail. Tous les contrats de travail doivent impérativement être transférés au cessionnaire, sans que les conventions privées ne puissent d'ailleurs s'y opposer. Tous ? Non, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation juge, par un arrêt rendu le 8 avril 2014, que le choix de l'organisme d'accueil par l'administration est déterminant, que le détachement a donc un caractère intuitu personae, si bien que les règles relatives au transfert du contrat de travail ne peuvent s'appliquer parce qu'elles impliqueraient un changement d'employeur (I). Si l'exclusion des règles applicables au transfert d'entreprise est parfaitement justifiée par ce caractère intuitu personae du détachement, elle rend encore un peu plus incohérente la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre le fonctionnaire et l'entreprise qui l'accueille (II).
Résumé

La considération de la personne auprès de laquelle est détaché un fonctionnaire constitue un élément déterminant du détachement qui ne peut être modifié que par l'administration ayant pouvoir de nomination.

Les dispositions des articles L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) et L. 1224-3 ([LXB=L6255IEE ]) du Code du travail, relatives au sort des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur ou de reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif de l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé, ne sont pas applicables au contrat de travail liant le fonctionnaire détaché et l'organisme d'accueil au profit duquel seul le détachement a été opéré.

Commentaire

I - L'exclusion des fonctionnaires détachés des règles applicables au transfert d'entreprise

Application du droit du travail aux fonctionnaires détachés à une entreprise privée. Les différents statuts de la fonction publique prévoient tous la possibilité qu'un fonctionnaire soit détaché, pour un temps, auprès d'une autre administration ou d'une entreprise privée (1). Dans ce second cas, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge depuis longtemps déjà que ces fonctionnaires sont liés à l'organisme de détachement par un contrat de travail (2). Ce détachement n'est pas considéré comme constituant une mise à disposition, si bien que les règles applicables aux salariés mis à disposition en matière d'électorat et d'éligibilité au comité d'entreprise ne sont pas applicables au fonctionnaire détaché (3) : celui-ci est traité comme un salarié de l'entreprise.

Lié par un contrat de travail à l'entreprise auprès de laquelle il est détaché, le fonctionnaire bénéficie donc des dispositions du Code du travail. Les statuts n'excluent que les dispositions du Code relatives au versement d'une indemnité de licenciement et à la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée (4). De manière plus générale, les statuts écartent l'application "de toute disposition législative, réglementaire ou conventionnelle prévoyant le versement d'indemnité de licenciement ou de fin de carrière" (5). A condition que cette disposition soit interprétée strictement, les règles relatives au transfert d'entreprise devraient donc être applicables au fonctionnaire détaché, quand bien même, d'ailleurs, le transfert aurait lieu en faveur d'un établissement public.

Transfert d'entité à une personne morale de droit public. Les dispositions des articles L. 1224-1 et suivants du Code du travail imposent le maintien automatique des contrats de travail en cours au jour du changement dans la situation juridique de l'employeur. Si le texte vise différents moyens de transfert (succession, cession, fusion, etc.), il reste silencieux sur les structures du cédant et du cessionnaire. Très vite, la Chambre sociale a précisé, sous l'influence de l'ancienne Cour de justice des Communautés européennes, que le cédant devait constituer une entité économique autonome (6).

Quant au cessionnaire, on s'est longtemps demandé ce qu'il devait se produire lorsqu'une entité privée, employant des salariés recrutés par contrat de travail, était reprise par une personne publique. Dès le début des années 2000, la Cour de justice des Communautés européennes jugea que les règles issues de la Directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 2007 (N° Lexbase : L4352GUQ) devaient s'y appliquer (7). La règle fut bientôt reprise par la Chambre sociale de la Cour de cassation (8) avant d'être introduite dans le Code du travail par l'article 20 de la loi du 26 juillet 2005 (9).

Ces questions ne faisant plus difficulté, il a toutefois été jugé que seuls les salariés pouvaient bénéficier de l'application de l'article L. 1224-1 du Code du travail. Ainsi, un agent public non titulaire de la fonction publique ne peut bénéficier de ces règles en cas de transfert de l'entité qui l'emploie à une entreprise privée (10). Cette solution doit-elle, dès lors, être transposée à l'agent public titulaire détaché auprès d'une entreprise privée cédée, au cours du détachement, à une personne morale de droit public ?

L'espèce. Un agent de la fonction publique hospitalière avait été détaché auprès d'une fondation pour y exercer les fonctions de directeur d'une clinique privée exploitée par la fondation. Durant ce détachement, il était décidé de fusionner la clinique avec un centre hospitalier, l'ensemble devant désormais former un grand groupe hospitalier (11). Afin de préparer cette fusion, un groupement provisoire doté d'une direction commune des deux établissements avait était institué. L'agent avait alors été mis à la disposition de ce groupement provisoire pour une durée devant prendre fin au terme initialement prévu du détachement. Quelques mois plus tard cependant, la clinique avait été finalement cédée au centre hospitalier. La fondation avait alors signifié à l'agent, le 4 décembre 2009, que les dispositions du Code du travail relatives au transfert du contrat de travail en cas de changement dans la situation juridique de l'employeur n'étant pas applicables aux fonctionnaires détachés, elle mettait fin au détachement et qu'elle cesserait de rémunérer l'agent à l'issue du préavis.

La cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion jugea, par un arrêt rendu le 30 octobre 2012 (CA Saint-Denis de la Réunion, 30 novembre 2012, n° R 10/00786 N° Lexbase : A5505I3B), que la fondation était le seul et unique employeur du salarié. La fondation forma pourvoi en cassation devant la Chambre sociale en avançant les arguments suivants. Semblant se dédire, elle estimait d'abord que les dispositions des articles L. 1224-1 et suivants du Code du travail devaient s'appliquer au fonctionnaire détaché dont le contrat de travail devait ainsi être transféré au nouveau groupement créé. Elle relevait, ensuite, que la rupture du contrat de travail intervenue le 4 décembre 2009 avait été privée d'effet par le juge d'appel parce qu'intervenue avant le transfert d'entité, si bien que, le contrat de travail n'étant pas rompu, il devait être automatiquement transféré au groupement.

Par un arrêt rendu le 8 avril 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Par un chapeau interne, elle énonce deux règles importantes. D'abord, elle juge que "la considération de la personne auprès de laquelle est détaché un fonctionnaire constitue un élément déterminant du détachement qui ne peut être modifié que par l'administration ayant pouvoir de nomination". Elle ajoute, ensuite, que "les dispositions des articles L. 1224-1 et L. 1224-3 [...] ne sont pas applicables au contrat de travail liant le fonctionnaire détaché et l'organisme d'accueil au profit duquel, seul, le détachement a été opéré". La Cour conforte donc le raisonnement des juges réunionnais ayant considéré que la fondation était le seul employeur de l'agent et que le groupement devait être mis hors de cause.

II - Le conflit entre statuts de la fonction publique et qualification de contrat de travail

Le caractère intuitu personae du détachement de fonctionnaire.  C'est sur le caractère intuitu personae du détachement que la Chambre sociale de la Cour de cassation fonde l'intégralité de son raisonnement. Ainsi, le détachement est autorisé par l'autorité hiérarchique du fonctionnaire auprès d'une entité et seulement auprès de celle-ci.

Cette règle n'emporte guère discussion quoiqu'il ait été appréciable qu'elle soit davantage motivée. Ainsi, on peut relever que l'article 13, 4° du décret n° 88-976, du 13 octobre 1988, portant application du statut de la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L7758AI8) délimite très strictement les personnes privées auprès desquelles le fonctionnaire peut être détaché, liste dont les fondations font partie (12). A l'exception des cas dans lesquels le détachement est accordé de plein droit, la demande doit être approuvée par "l'autorité investie du pouvoir de nomination" dont on peut imaginer qu'elle est attentive à la nature et la qualité de l'établissement auprès duquel le fonctionnaire est détaché (13). Le fonctionnaire est détaché pour accomplir une mission auprès d'un autre établissement et cette mission ne peut être modifiée par une mise à disposition ou par un transfert d'entreprise.

La Chambre sociale en déduit donc, fort logiquement, que les dispositions des articles L. 1224-1 et suivants du Code du travail ne peuvent permettre au fonctionnaire détaché de changer d'employeur. Si l'on comprend et l'on approuve ce raisonnement, il remet une fois de plus en question la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre le fonctionnaire détaché et l'organisme d'accueil.

La qualification de contrat de travail en porte-à-faux. Ce n'est pas la première fois que nous le relevons, la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre le fonctionnaire et l'établissement d'accueil pose un certain nombre de difficultés, pour ne pas dire qu'elle est incohérente (14). Aucun texte ne prévoit qu'un tel contrat de travail soit noué entre les parties. Il pourrait éventuellement être recouru aux critères du contrat de travail pour déterminer si le fonctionnaire effectue un travail subordonné, rémunéré pour le compte de l'organisme d'accueil, mais la Chambre sociale de la Cour de cassation caractérise automatiquement l'existence du contrat de travail (15).

Or, l'existence automatique d'un contrat de travail entre, en l'espèce, en conflit avec la règle d'ordre public posée par l'article L. 1224-1 du Code du travail. En effet, les contrats de travail doivent être maintenus auprès du cessionnaire au jour du transfert. Cette règle, dont le caractère d'ordre public est fortement maintenu par la même Chambre sociale de la Cour de cassation, ne peut pourtant pas être appliquée au fonctionnaire détaché.

C'est là une nouvelle démonstration du manque de cohérence de la qualification de contrat de travail. Or, il pourrait parfaitement être considéré que le fonctionnaire détaché n'est pas lié par un contrat de travail à l'organisme d'accueil, ce qui n'empêcherait pas le droit du travail de s'appliquer à leur relation par le simple effet des lois portant statut de la fonction publique. Ces lois prévoient toutes, de manière quasi similaire, l'application au fonctionnaire détaché du droit du travail. Elles excluent seulement certaines règles relatives à la rupture du contrat de travail. La Chambre sociale y ajoute, logiquement rappelons-le, l'impossibilité d'appliquer l'article L. 1224-1 du Code du travail, mais la question ne se poserait pas si le fonctionnaire n'était pas lié par contrat de travail à l'organisme d'accueil.

Quel est le véritable enjeu de cette qualification de contrat de travail ? Il arrive souvent que le Code du travail s'applique à des relations qui ne relèvent pas du travail subordonné de droit privé : certaines règles du Code s'appliquent aux stagiaires (harcèlement, discrimination, repos et congés), d'autres s'appliquent aux fonctionnaires (grève), alors même que ces personnes ne sont pas liées à un employeur par un contrat de travail. Le Code du travail pourrait parfaitement s'appliquer au fonctionnaire détaché sans passer par l'artifice du contrat de travail qui pose plus de problèmes qu'il n'en résout.


(1) Le détachement ne doit cependant pas être confondu avec la disponibilité dont profite l'agent public pour conclure un contrat de travail avec une entreprise privée, auquel cas le droit du travail s'appliquera à cette relation dans toute sa plénitude , sans interférence avec les règles relatives au détachement. V. Cass. soc., 6 mai 2009, n° 07-44.44, F-P+B (N° Lexbase : A7492EGL) et nos obs., Les conséquences de la fin de la mise en disponibilité du fonctionnaire sur le contrat de travail, Lexbase hebdo n° 112 du 21 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4426BK7).

(2) Ass. plén., 20 décembre 1996, n° 92-40.641 (N° Lexbase : A2388AGK) ; Dr. soc., 1997 , p. 710, note J.-F. Lachaume ; D., 1997, jurispr. p. 275, note Y. Saint-Jours. V. également T. confl., 10 mars 1997, n° 03065 (N° Lexbase : A5528BQS) ; Rec. CE, 1997, p. 526 ; Dr. adm., 1997, comm. 206 ; RD publ., 1998, p. 243, note J.-M. Auby ; Cass. soc., 15 juin 2010, n° 09-69.453, FS-P+B (N° Lexbase : A1147E3U) ; JCP éd. S, 2010, 1368, note C. Puigelier, RDT, 2010, p. 510, obs. F. Debord.

(3) Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-20.145, F-P+B (N° Lexbase : A4956IPA) et nos obs., L'éligibilité maintenue du fonctionnaire détaché, Lexbase Hebdo n° 492 du 5 juillet 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2758BTC) ; JCP éd. S, 2012, 1372, note D. Jacotot ; CSBP, 2012 n° 244, p. 286, obs. F.- J. Pansier. Cass. soc., 17 avril 2013, n° 12 -21.581, FS-P+B (N° Lexbase : A3999KC4) et nos obs., L'agent public mis à disposition ne relève pas des dispositions relatives aux salariés mis à disposition, Lexbase Hebdo n° 526 du 1er mai 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6909BT3).

(4) L'article 52 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L8100AG4) exclut l'application des articles L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK), L. 1243-1 (N° Lexbase : L2987IQP) à L. 1243-4 (N° Lexbase : L2988IQQ) et L. 1243-6 (N° Lexbase : L1466H98) du Code du travail. On retrouve une règle identique s'agissant de la fonction publique d'Etat : v. loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, art. 45 ([LXB=L7077AG9 ]).

(5) Ibid.

(6) V. l’Ouvrage "Droit du travail", La notion d'entité économique autonome (N° Lexbase : E8827ESQ).

(7) CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-175/99 (N° Lexbase : A7227AH7).

(8) Cass. soc., 25 juin 2002, n° 01-43.467, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0029AZ4) ; Dr. soc ., 2002, p. 1013, obs. A. Mazeaud ; RJS, 2002, p. 820. Cass. soc., 14 janvier 2003, n° 01-43.676, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6308A4E) et les obs. de S. Koleck-Desautel, L 'application de l'article L. 122-12 du Code du travail aux personnes morales de droit public, Lexbase Hebdo n° 56 du 30 janvier 2003 - édition sociale ([LXB=N5649AAH ]).

(9) Lire Ch. Radé, L'application de l'article L. 122-12 du Code du travail aux personnes publiques gérant un service public administratif, Lexbase Hebdo n° 179 du 1er septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N7756AI4).

(10) Cass. soc., 19 octobre 2010, n° 09-66.125, F-D (N° Lexbase : A4274GCB).

(11) Il s'agit, probablement, d'un groupement de coopération sanitaire tel que ceux prévus par l'article 23 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ([LXB=L5035IE9 ]).

(12) Décret n° 88-976 du 13 octobre 1988, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers et à certaines modalités de mise à disposition (N° Lexbase : L7758AI8). Il est vrai, toutefois, que le 4° bis de cet article permet le détachement auprès d'un groupement de coopération sanitaire dont il s'agissait probablement en l'espèce.

(13) Ibid., art. 14.

(14) V. L'éligibilité maintenue du fonctionnaire détaché, préc..

(15) Cass. soc., 15 juin 2010, deux arrêts, n° 09-69.453 (N° Lexbase : A1147E3U) et n ° 08-44.238 (N° Lexbase : A0910E34), FS-P+B, RDT, 2010, p. 510, obs. F. Debord.

Décision

Cass. soc., 8 avril 2014, n° 12-35.425, FS-P+B (N° Lexbase : A0966MKY).

Cassation partielle (CA Saint-Denis de la Réunion, 30 novembre 2012, n° R 10/00786 N° Lexbase : A5505I3B).

Textes visés : loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, art. 54 (N° Lexbase : L8100AG4).

Mots-clés : Agent public ; détachement ; transfert d'entreprise ; transfert du contrat de travail (non).

Lien base : (N° Lexbase : E3933ETT)

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