La lettre juridique n°568 du 1 mai 2014 : Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Avril 2014

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

le 01 Mai 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat. Dans le premier arrêt, en date du 12 mars 2014, la Haute juridiction décide que le délai maximum de trois mois pour une procédure de vérification est ouvert aux entreprises ayant une activité civile accessoire. Dans la deuxième décision, rendue le même jour, le Conseil d'Etat traite de la faculté de l'administration à accepter ou refuser d'accueillir une demande de dispense de responsabilité solidaire, même en cas de condamnation définitive par le juge pénal. Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, en date du 12 mars 2014, le juge suprême de l'ordre administratif revient sur une procédure de contrôle diligentée contre une holding considérée comme active sur le sol français par l'administration.
  • La garantie spéciale encadrant la procédure de vérification est ouverte aux entreprises qui exercent des activités de nature civile à condition que ces dernières soient accessoires (CE 8° et 3° s-s-r., 12 mars 2014, n° 358373, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9172MGS)

Une société qui exerce des activités de gestion de portefeuille de titres, de location de locaux nus et de prestations de services a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. L'administration lui a notifié des rappels d'impôts sur les sociétés et de retenue à la source. Le contrôle s'est déroulé du 18 février au 18 décembre 2002, il a porté sur les exercices clos de 1999 et 2000.

Le litige porte sur l'application combinée des articles L. 52 (N° Lexbase : L0281IWC) et L. 52 A (N° Lexbase : L2421DAW) du LPF, relatifs à la limitation du contrôle sur place de trois mois dans le cadre d'une vérification de comptabilité.

Le contribuable se pourvoit en cassation contre un arrêt du 7 février 2012 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté sa requête contre le jugement du 10 décembre 2009 alors même que le tribunal administratif a rejeté ses demandes tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes (CAA Lyon, 2ème ch., n° 10LY00389, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8046IDD).

L'article L. 52 précité fixe pour principe que "la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois" en ce qui concerne "les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant net annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article septies A du CGI" (voir notre ouvrage, Procédures fiscales, Montchrestien, coll. Précis Domat, 2013, pp. 278 et s.).

Il a été jugé qu'une société holding, qui a pour seule activité la gestion d'un portefeuille de titres et de créances rattachées à des participations, et qui, au cours d'un exercice, n'a perçu que les produits financiers de celles-ci, ne réalisant pas le chiffre d'affaires, n'entre pas dans les prévisions du champ d'application de l'article L. 52 susmentionné. En conséquence, elle ne peut soutenir qu'elle aurait été privée de la garantie spécifique (CAA Nantes, 3ème ch., 5 février 2007, n° 04NC00207, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4420DPE, RJF, 2007, 7, comm. 789). A suivre le Conseil d'Etat, une société de capitaux qui exerce une activité à caractère civil de gestion d'un portefeuille de titres et créances se rattachant à ses participations n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 52 (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2008, n° 284548, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5935D7X, RJF, 2008, 6, comm. 696).

Les entreprises qui exercent une activité civile de location immobilière de locaux nus n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L. 52, quand bien même l'activité est exercée par une société à responsabilité limitée, société commerciale par sa forme et passible de l'impôt sur les sociétés (CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 281068, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1471D3U, Droit fiscal, 2008, 8, comm. 192).

Rappelons que le chiffre d'affaires ou le montant des recettes doit être apprécié par rapport au chiffre d'affaires réel, c'est-à-dire après les rectifications opérées à bon droit par l'administration, et non par rapport au chiffre d'affaires ou au montant des recettes déclarées (CE 8° et 7° s.s.r., 21 décembre 1977, n° 01145, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4654AYZ, Droit fiscal, 1978, comm. 863).

L'article L. 52 A, quant à lui, énonce que "les dispositions de l'article L. 52 ne s'appliquent pas aux personnes morales ni aux sociétés visées à l'article 238 bis M du CGI (N° Lexbase : L4888HLM) à l'actif desquelles sont inscrits les titres de placement ou de participation pour un montant total d'au moins 7 600 000 euros" (anciennement 50 millions de francs). L'article 238 bis M prévoit que "les sociétés en participation doivent [...] inscrire à leur actif les biens dont les associés ont convenu de mettre la propriété en commun".

Dans l'affaire qui nous occupe, le juge relève que l'article L. 52 du LPF organise, au profit d'entreprises limitativement énumérées, une garantie spécifique limitant la procédure de vérification sur place. Il est observé que les entreprises exerçant des activités de nature civile ne figurent pas au nombre de celles bénéficiant de cette garantie.

Toutefois, à suivre le Conseil d'Etat, en vertu des dispositions de l'article L. 52 A précité, une entreprise satisfaisant aux conditions posées par l'article L. 52 et qui détient également des titres de placement ou de participation bénéfice de la garantie encadrant la vérification de comptabilité, si le montant pour lequel les titres sont inscrits à son actif ne dépasse pas le montant visé à l'article L. 52 A du LPF. En outre, lorsque l'entreprise exerce, en complément des activités visées à l'article L. 52, une autre activité de nature civile, elle ne bénéficie de la garantie spécifique que si cette dernière activité a un caractère accessoire.

Le Conseil d'Etat retient que cette garantie particulière, relative à la limitation dans le temps du contrôle sur place, est ouverte aux entreprises énumérées à l'article L. 52 du LPF, même si elles ont une activité de nature civile, si cette dernière est accessoire. En conséquence, il appartient au juge de se prononcer sur le point de savoir si cette activité revêt ou non un caractère accessoire. Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel du 7 février 2012, et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Lyon.

  • Demande de remise gracieuse : l'administration a la faculté d'accepter ou de refuser de donner droit à une demande portant sur une dispense de responsabilité solidaire, même en cas de condamnation définitive par le juge pénal (CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 355306, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9169MGP)

L'article 1559 du CGI (N° Lexbase : L2759HW4) prévoit que les cercles et maisons de jeux sont soumis à un impôt ayant le caractère d'une contribution indirecte dont le montant est fonction des recettes annuelles. Qu'il s'agisse de jeux de hasard où l'on mise sur les chances des tiers ou de jeux de commerce où le joueur défend sa propre chance, la somme que l'établissement prélève sur les jeux pratiqués, à l'exclusion du prix des services rendus au client ou à un autre titre, constitue "la cagnotte" sur le montant de laquelle est assise la taxe spécifique comportant des taux progressifs. Les exploitants déclarent le 1er de chaque mois la recette totale du mois écoulé. Les infractions à cette réglementation sont réprimées comme en matière de contributions indirectes, mais dans le délai de reprise de l'article L. 176 du LPF (N° Lexbase : L1446IZL), c'est-à-dire comme en matière de TVA.

L'article 1791 du code précité (N° Lexbase : L7699IPT) énonce la sanction applicable en cas de manquement à cette obligation. A noter que le principe de proportionnalité du droit communautaire ne s'applique pas aux sanctions fiscales en matière de contributions indirectes, qui sont à la fois des peines et des réparations civiles (Cass. crim., 16 janvier 1995, n° 93-85.863, Bull. crim., n° 19).

Enfin, l'article 1797 (N° Lexbase : L4560HMT) fixe pour principe que les personnes dirigeant, administrant ou exploitant le cercle ou la maison de jeux, à quelque titre que ce soit, comme toutes celles qui ont participé à la fraude ou l'ont sciemment favorisées, sont solidairement responsables. Il a été jugé, par exemple, que le directeur d'un cercle de jeux exploité par une association, qui exerce lui-même ou fait exercer par des salariés le rôle d'animateur ou de financier, se livre de façon habituelle et dans un but lucratif à une activité qui revêt un caractère commercial (CE 7° et 8° s-s-r., 4 décembre 1985, n° 43383, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3065AMH).

Les décisions par lesquelles l'autorité administrative statue sur les demandes en décharge de solidarité relèvent du contrôle du juge de l'excès de pouvoir. Un tribunal ne peut décharger de son obligation de paiement solidaire le contribuable qui n'a pas présenté de conclusions visant à la contestation pour excès de pouvoir d'une décision de rejet (CE 8° et 3° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 334160, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3550GB4).

En l'espèce, l'administration a constaté les manquements dont s'est rendu coupable un cercle parisien. En application des dispositions précitées, le président du cercle a été condamné, par le juge pénal, à payer l'impôt et des amendes solidairement avec le cercle. Mais l'administration lui a accordé la remise totale des pénalités, refusant néanmoins de le décharger de sa responsabilité solidaire.

Dans cette affaire, la demande du président du cercle, qui, faut-il le rappeler, n'est pas le redevable légal de l'impôt, ne porte pas sur la remise des impositions mais sur la décharge de sa responsabilité solidaire.

Les personnes susceptibles d'être mises en cause à titre de responsables pour le paiement d'impositions dues par un tiers peuvent, quelle que soit la nature des impôts, droits ou taxes, solliciter de la juridiction gracieuse la décharge totale ou partielle de leur responsabilité dans les conditions visées par les articles R. 247-10 (N° Lexbase : L9313IWT) et R. 247-11 (N° Lexbase : L9314IWU) du LPF, lesquels visent les autorités compétentes pour statuer.

Précisons à cette occasion que l'article L. 247 du LPF (N° Lexbase : L9497IYE) prévoit qu'"aucune autorité publique ne peut accorder de remise totale ou partielle de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de taxes sur le chiffre d'affaires, de contributions indirectes et des taxes assimilées à ces droits, taxes et contributions". Toutefois, aux termes de cet article, la remise ou la modération du principal de la dette peut être demandée par le contribuable en cas de gêne ou d'indigence les mettant dans l'impossibilité de se libérer envers le Trésor. Concrètement, les contribuables susceptibles d'obtenir de telles mesures de faveur sont ceux qui peuvent justifier que leur situation financière ne leur permet pas, ou plus, de faire face à leur dette fiscale. On peut douter que le président d'un cercle de jeux réputé remplisse les conditions.

Dans l'arrêt qui nous est donné de commenter, le Conseil d'Etat retient que l'administration est fondée à accepter ou à refuser une demande de décharge de responsabilité solidaire présentée par un contribuable, laquelle ne peut pas porter sur une remise totale ou partielle d'impositions, ce qui est proscrit par l'article L. 247 du LPF. Que l'on ne se méprenne pas, la décharge à titre gracieux de la responsabilité solidaire ne saurait, eu égard à son objet et aux motifs susceptibles de la justifier, être analysée comme impliquant la remise en cause du principe juridiquement établi de cette responsabilité (CE 9° et 10° s-s-r., 3 novembre 2006, n° 268919, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4798DSI, Droit fiscal, 2007, 4, comm. 90).

En conséquence, d'un point de vue pratique, l'administration n'a pas à justifier son refus de remise gracieuse. L'article L. 247 précité conduit à considérer que l'administration a la faculté, et non l'obligation, de faire droit aux demandes de décharge de solidarité. Par conséquent, elle doit réexaminer la demande du président du cercle, ce qui ne signifie pas qu'elle doive y faire droit. Les jeux ne sont pas faits.

  • Quel fondement pour une procédure de contrôle diligentée contre une holding considérée comme active sur le sol français par l'administration ? (CE 8° et 3° s-s-r., 12 mars 2014, n° 360299, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9180MG4)

Une société constituée en tant que holding informelle commune à deux groupes de sociétés a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. Celle-ci a pour thèse d'affirmer que les revenus qu'elle a touchés et qu'elle déclare sont des dividendes.

L'administration soutient que la société a des locaux en France, pris à bail par une société appartenant au même groupe informel et où son courrier était enregistré par la secrétaire de cette société. A l'appui de sa démonstration, elle produit un contrat d'extension de l'aire de prière d'une mosquée signée entre la holding et deux sociétés du groupe, cette activité ayant été rémunérée notamment par des honoraires versés par l'une des filiales. L'administration conclut de ces éléments que la société est une holding active établie en France. L'administration a mis en oeuvre l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4) à l'encontre de trois sociétés du groupe, lui permettant de recueillir ainsi des documents qu'elle a ensuite exploités.

Trois points méritent d'être retenus.

Concernant le premier point relatif à la procédure de visite de et saisie domiciliaire (LPF, art. L. 16 B), l'irrégularité d'une opération de cette nature entraîne celle de la procédure d'imposition ultérieurement poursuivie à l'encontre du contribuable. Mais cette irrégularité n'affecte pas la validité d'une procédure d'imposition distincte engagée à l'égard d'un autre contribuable et dans laquelle l'administration se serait fondée sur des faits révélés par les documents saisis. A suivre la Cour de cassation, lorsque les présomptions de fraude concernent plusieurs sociétés, est régulière l'ordonnance autorisant la visite qui relève que les fraudes présumées des unes peuvent constituer des présomptions de fraude pour les autres, eu égard aux liens existant entre ces sociétés et au fait qu'elles constituent un ensemble économique indivisible et connexe (Cass. com., 23 février 1999, n° 97-30.032, inédit, RJF, 1999, 5, comm. 586). En l'espèce, le Conseil d'Etat valide la saisie des documents en retenant les manquements commis par une autre société.

Concernant le second point, il s'agit de savoir si l'administration est tenue ou non d'adresser une mise en demeure à une entreprise qui, ne s'étant pas fait connaître au centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, exerce en France, du point de vue de l'administration, une activité occulte.

L'article L. 68 du LPF (N° Lexbase : L9533IYQ) prévoit que la taxation d'office n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans un délai de trente jours après une mise en demeure. Ce texte précise que ce principe ne s'applique pas lorsque "le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce" (LPF, art. L. 68-3).

Rappelons que l'objectif du délai de trente jours fixé par la mise en demeure est d'accorder au contribuable un temps nécessaire pour régulariser sa situation, et non d'ouvrir avec lui un éventuel débat sur le bien-fondé de la demande de l'administration (CAA Nancy, 1ère ch., 5 décembre 1996, n° 94NT01228, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0859BHB, RJF, 1997, 6, comm. 586). Il a été jugé que l'administration n'est pas tenue de préciser dans les mises en demeure les motifs de droit ou de fait pour lesquels elle considère qu'un contribuable est tenu aux obligations déclaratives (CE, 13 juillet 2006, n° 271055 N° Lexbase : A6484DQ9, Droit fiscal, 2007, 39, comm. 874). Enfin, la circonstance que la proposition de rectification ait été signée avant l'expiration du délai de trente jours est sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition, au motif que celle-ci est parvenue à l'intéressé qu'après l'expiration du délai de trente jours (CAA Paris, 28 novembre 2002, n° 98PA00042, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7511A4X, RJF, 2013, comm. 895).

Rien n'interdit à l'administration d'adresser cette mise en demeure, ce qui pourrait sembler accréditer l'idée que le principe énoncé à l'article L. 68 précité puisse s'appliquer. En réalité, il n'en est rien. On peut considérer que l'administration informe le contribuable, sans pour autant lui conférer le moindre droit ce qui, à l'évidence, peut être source d'incompréhension.

Concernant le troisième point enfin, le Conseil d'Etat écarte rapidement l'idée que la société ne serait pas fiscalement domiciliée en France et qu'en conséquence elle serait obligée de désigner un représentant en France, faute de quoi elle pourrait être taxée d'office sur le fondement de l'article L. 72 du LPF (N° Lexbase : L3934ALB).

Dans cette affaire, le Conseil d'Etat valide la procédure suivie par l'administration, considérant que la société a exercé une activité occulte en France, en se fondant sur l'article L. 68 du LPF, quand bien même la société ne peut pas invoquer à son profit les garanties énoncées par ce texte.

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