Lexbase Contentieux et Recouvrement n°2 du 29 juin 2023 : Commissaires de justice

[Le point sur...] Des diligences que doit effectuer le commissaire de justice pour rechercher le destinataire d’un acte. Le feuilleton continue.

Réf. : CA Rennes, 7 juin 2023, n° 22/05830 N° Lexbase : A34959ZH

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par Jean-Luc Bourdiec, Commissaire de justice, Délégué de la cour d'appel d'Orléans à la Chambre nationale des commissaires de justice

le 03 Juillet 2023

Mots clés : 659 • diligences • commissaire de justice • signification

Quand il signifie un acte, selon qu’il est chargé ou non de ramener un titre à exécution, le commissaire de justice ne dispose pas des mêmes informations. Pourtant, toute signification est importante et participe du principe du contradictoire.


 

« Lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte. » (CPC, art. 659,al 1 N° Lexbase : L6831H77)

Si le commissaire de justice ne peut pas signifier dans les conditions des articles 654 N° Lexbase : L6820H7Q et suivants du Code de procédure civile (à la personne du destinataire, à une personne présente ou à domicile), il doit dresser un procès-verbal de recherches infructueuses. Il appartient ensuite au juge de vérifier si les diligences effectuées sont suffisantes ou non. Le commissaire de justice n’a pas une obligation de résultat. Il doit seulement relater précisément les diligences accomplies. Si l’obligation de résultat existait, le procès-verbal de recherches infructueuses n’existerait pas.

Une abondante jurisprudence permet de dresser la liste des diligences suffisantes pour la régularité de la signification. Récemment, la Cour de cassation a rappelé que l’huissier de justice était tenu de tenter une remise sur le lieu de travail, ou du moins de relater dans son procès-verbal les diligences accomplies pour le trouver (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, no 21-14.145, F-B N° Lexbase : A10288YQ : R. Laher, La revue pratique du recouvrement, EJT, 2023, p. 10).

À l’évidence, les diligences relatées par le commissaire de justice doivent être appréciées in concreto au jour où elles sont accomplies, selon les circonstances, et avec les moyens dont il dispose à ce moment précis.

Un arrêt de la cour d’appel de Rennes n° 22/05830 du 7 juin 2023 annule une signification régularisée selon les modalités de l’article 659 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6831H77.

Les faits : un homme assigne son frère aîné devant le tribunal judiciaire de Brest. Il lui reproche des fautes dans la gestion de sociétés civiles immobilières. Il est débouté et condamné à verser deux mille euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM. Le commissaire de justice tente de signifier la décision à l’adresse indiquée dans l’acte introductif d’instance, en vain. L’homme n’habite pas à cette adresse. Le commissaire de justice effectue de nombreuses démarches et finit par dresser un procès-verbal de recherches infructueuses très détaillé. Quelques mois plus tard, il régularise une saisie-attribution et la dénonce à une nouvelle adresse, trouvée grâce à une requête dans le fichier des comptes bancaires (Ficoba). L’homme en question fait appel de la décision qui lui a été signifiée six mois plus tôt. La cour annule cette signification et juge l’appel recevable. Elle confirme la décision entreprise et condamne la personne à verser trois mille euros en plus, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM.

Mais ce qui retient l’attention, ce sont les raisons pour lesquelles la signification a été annulée : les diligences relatées dans le procès-verbal sont insuffisantes, car elles n’ont pas permis de trouver l’adresse du destinataire de l’acte. La cour trouve en effet que les diligences, bien que nombreuses, sont incomplètes dans la mesure où elles n’ont pas été efficaces. Autrement dit, puisqu’elles n’ont pas été efficaces, elles sont incomplètes, comme si le commissaire de justice avait une obligation de résultat. Or, ce n’est pas le cas.

Plus étrangement, la cour d’appel constate que les démarches ne sont pas complètes « dans la mesure où des démarches similaires à celles réalisées pour la dénonciation de la saisie-attribution auraient permis une signification à l’adresse actuelle (du destinataire de l’acte) et auraient évité une signification (du titre) selon les dispositions de l’article 659 du Code de procédure civile ». La cour compare donc les diligences que le commissaire de justice a accomplies pour signifier le titre, et celles effectuées pour dénoncer la saisie-attribution qu’il venait de régulariser. Elle juge la première signification en se référant à la seconde, réalisée postérieurement et avec d’autres moyens.

Il y a pourtant une différence considérable : lors des premières opérations, le commissaire de justice était seulement chargé de signifier un acte. Il n’avait à sa disposition que les informations contenues dans le titre, celles fournies par son requérant, et celles recueillies auprès du voisinage, des services de la mairie, et dans les annuaires ou sur internet. Lors des secondes opérations, porteur d’un titre qu’il était chargé de ramener à exécution, le commissaire de justice disposait de tous les outils que mettent à sa disposition les articles L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY et L. 151 A du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1282MAQ, outils que la loi lui dénie lorsqu’il n’est pas chargé d’assurer l’exécution d’un titre exécutoire.

C’est ainsi que le commissaire de justice, pour faire une saisie-attribution et la dénoncer, a pu interroger le Ficoba et obtenir une information importante qu’il n’avait pas obtenue avant malgré les diligences effectuées lors de la première signification : l’adresse actuelle du destinataire de l’acte. Information qu’il n’était pas en mesure d’obtenir lors de la signification du titre.

Au vu de cette signification, la cour constate que « des démarches similaires (…) auraient permis une signification à l’adresse actuelle du destinataire de l’acte ». Or, si le commissaire de justice avait effectué des démarches similaires, c’est-à-dire s’il avait interrogé le Ficoba, il l’aurait fait précisément en violation des dispositions qui permettent l’interrogation du Ficoba. En effet, l’article L. 151 A du Livre des procédure fiscale N° Lexbase : L1282MAQ permet à l’huissier de justice d’obtenir les informations détenues par la direction générale des finances publiques (DGFIP) s’il est chargé de ramener un titre à exécution, et seulement dans ce cas. Le commissaire de justice qui n’est chargé que de signifier un acte ne peut pas interroger le Ficoba. Le faire l’expose à des sanctions disciplinaires.

Il y a donc bien deux sortes de significations : celles qui sont faites en dehors de l’exécution, notamment les assignations, les citations et la signification des titres, et celles qui sont faites pour ramener un titre à exécution.

Là et seulement dans cette hypothèse, le commissaire de justice dispose de davantage d’informations. En tout cas, il est à même de solliciter davantage d’informations et l’administration est tenue de lui répondre.

Dans la pratique, l’avocat transmet le titre « aux seules fins de signification », tente d’obtenir le paiement et, s’il échoue, confie la grosse au commissaire de justice pour exécution. Ainsi, paradoxalement, la signification du titre exécutoire ne permet pas au commissaire de justice d’accéder aux informations utiles à sa mission.

Dans cette affaire, le commissaire de justice a signifié le titre par procès-verbal de recherches infructueuses. Ce procès-verbal relatait avec précision les nombreuses diligences effectuées. Encore une fois, à ce moment-là, il n’était que chargé de signifier, pas d’exécuter. Il a fait avec les moyens dont il disposait.

Juger cette signification à l’aune d’une autre signification, effectuée trois mois plus tard, dans d’autres circonstances à l’aide de moyens différents, et la juger insuffisante parce que résultat n’a pas permis de trouver l’adresse actuelle d’un débiteur particulièrement retors, nous semble hautement hasardeux.

Cet arrêt permet de s’interroger sur les informations dont dispose le commissaire de justice pour signifier.

Signifier, c’est accomplir la mission essentielle et primordiale que lui confient et la loi et le pouvoir exécutif, car le commissaire de justice est officier public et ministériel. Signifier, c’est avant tout porter à la connaissance du justiciable concerné un acte, un instrument créé par le commissaire de justice, et toutes les informations utiles à sa compréhension. Signifier, c’est mettre en œuvre le principe du contradictoire. Signifier, c’est « toucher » la personne. Toute signification, quelle qu’elle soit, devrait être facilitée par la possibilité d’obtenir immédiatement toutes les informations nécessaires – et pas seulement de les demander.

Il ne devrait pas y avoir deux sortes de significations, celles faites en vue de ramener un titre à exécution, au vu d’informations utiles et pertinentes, et celles qui sont faites en dehors des voies d’exécution, sans possibilité d’obtenir les moyens de bien signifier. Car chaque signification est importante. Rappelons que nul ne peut être jugé sans avoir été sinon entendu, du moins appelé.

Pourquoi les commissaires de justice n’auraient-ils pas un accès direct et gratuit au Ficoba, au cadastre et plus généralement à toutes les informations utiles à la réalisation de leur mission fondamentale ?

Pourquoi tout simplement la recherche des informations est-elle conditionnée à la mission d’exécution ? Il suffirait de supprimer les mots « chargé de l’exécution » à l’article L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1721MAY et au II de l’article L. 151-A du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L1282MAQ. Et de rajouter après « l’exécution » les mots « de la mission ou » à l’alinéa 1 de l’article L. 152-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L4529LN3.

Signifier un acte sans être chargé de ramener un titre à exécution, c’est aujourd’hui partir à la pêche aux informations sans aucun moyen de les obtenir. Dans un monde idéal où le commissaire de justice serait à même d’officier, il aurait toujours accès à toutes les informations nécessaires. Et peut-être qu’ainsi, il n’aurait plus à dresser de procès-verbaux de recherches infructueuses que de façon occasionnelle.

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