Lexbase Contentieux et Recouvrement n°2 du 29 juin 2023 : Commissaires de justice

[Pratique professionnelle] Sous les sunlights des topiques*

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par Gontran Loizon, Commissaire de justice

le 29 Juin 2023

Mots-clés : déontologie • commissaire de justice

Il n’est pas possible aujourd’hui d’évoquer le contentieux et le recouvrement sans évoquer la déontologie des acteurs. Mais écrire sur la déontologie est délicat, encore plus lorsqu’il s’agit de celle des commissaires de justice. À titre exceptionnel, compte tenu du caractère sensible des questions évoquées, la direction scientifique de la revue a accepté la demande de l’auteur de cette chronique de signer sous le pseudonyme de Gontran Loizon. Ce « Gontran Loizon » est un commissaire de justice en activité, ancien huissier de justice.


 

*Topique : valeur morale introduite dans la déontologie par des dispositions législatives ou réglementaires, donc par l’autorité publique. S’agissant de la profession d’huissier de justice, on en dénombre neuf : honneur, délicatesse, probité (issues de l’article 2, alinéa 1er, de l’ordonnance du 28 juin 1945 N° Lexbase : L7650IGG) ; loyauté, exactitude (issues de la formule du serment, article 35, du décret du 14 août 1975 N° Lexbase : L1357G8R) ; indépendance, rigueur, confraternité, dignité (issues respectivement des articles 2 et 4 du RDN) [1].

Un décret de 2022 [2] a institué le Collège de déontologie des commissaires de justice, qui remplace le Conseil consultatif de la déontologie des huissiers de justice créé par l’article 26 du Règlement déontologique national (RDN), approuvé par arrêté du garde des Sceaux en 2018.

On ne parle plus de déontologie des huissiers de justice, mais de déontologie des commissaires de justice. Qu’est-ce qui change ? Rien. Le texte de référence est toujours le RDN. Les questions déontologiques que se posaient les huissiers sont toujours celles que se posent les anciens huissiers devenus commissaires de justice.

Depuis son installation en 2022, le Collège a rendu une quinzaine d’avis. Notons que ces avis sont normatifs. Sont rappelées les valeurs traditionnelles que sont la loyauté, la probité, la rigueur, la confraternité. Sont prônés les principes généraux qui gouvernent la profession depuis des lustres. Là encore, rien de nouveau.

Pourtant, une lecture attentive de ces avis permet de tirer des conséquences pratiques.

Des actes…

Le commissaire de justice ne doit pas fournir des informations destinées aux parties dans un mail ou une lettre à l’avocat. S’il a quelque chose à préciser, il doit le faire dans un acte  – tarifé ou non – sous forme de procès-verbal. Le commissaire de justice ne donne pas des informations, il dresse des procès-verbaux.

Pourquoi ? Parce que la correspondance adressée par un commissaire de justice à un avocat est couverte par le secret professionnel. Elle est évidemment protégée par le secret des correspondances, qui peut être levé. Mais pour ces correspondances, le Collège pose le principe du secret professionnel qui, à la différence du secret des correspondances, ne peut pas être levé par l’expéditeur ou le destinataire. Seule une réquisition judiciaire ou de l’autorité disciplinaire peut lever ce secret.

En pratique, au lieu d’adresser un mail à l’avocat pour lui indiquer la nouvelle adresse du débiteur, il faut dresser un acte [3]. S’il s’agit de faire savoir que les conditions d’occupation du bien saisi ont changé, il faut dresser un nouveau procès-verbal de description des lieux [4]. Ou encore lorsque le débiteur est insolvable, le commissaire de justice dresse un procès-verbal de carence. Il ne peut pas écrire simplement une lettre, qui est couverte par le secret professionnel.

Un acte a vocation à être communiqué dans une procédure, pas un échange entre le commissaire de justice et l’avocat. Et l’acte a l’avantage d’être authentique.

Avis n° 2023/17

Saisi du régime de confidentialité applicable aux correspondances échangées entre un commissaire de justice et son avocat donneur d’ordre dans un dossier de recouvrement,

Le Collège est d’avis que :

toutes les correspondances des commissaires de justice sont protégées par le secret des correspondances et par le secret professionnel.

Le commissaire de justice ne peut donc en autoriser la production.

… et encore des actes…

À la question souvent posée concernant les actes à plusieurs destinataires « faut-il faire un acte par destinataire ? » le Collège rappelle que ce qui importe, c’est la signification : elle doit être faite à chaque destinataire. Dans un acte unique à multiples destinataires, ou dans autant d’actes qu’il y a de destinataires selon le cas et selon les circonstances. Ce qui importe, c’est que chaque destinataire reçoive une expédition.

Ce qui est tarifé, ce n’est pas la constitution d’un dossier de procédure, c’est la signification. Ainsi, lorsqu’un acte doit être remis à plusieurs destinataires, le commissaire de justice procède à plusieurs significations, chacune devant être facturée. Un acte ou plusieurs, il y aura autant de coûts que de destinataires.

Avis n° 2023/09

Saisi des conditions dans lesquelles un même acte destiné à plusieurs destinataires doit être établi, à savoir un acte par destinataire ou un acte unique et autant de copies que de destinataires

Le Collège est d’avis que :

conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’acte unique à multiples destinataires est admis dès lors qu’une copie a été remise à chacun d’eux.

En revanche, le respect de l’ordre public et l’intérêt du destinataire imposent dans certaines matières ou procédures l’établissement d’un acte individualisé par destinataire.

… mais pas n’importe quels actes…

Le Collège rappelle que les actes dépourvus d’existence juridique ne peuvent pas être signifiés, comme une cession de créance non encore réalisée. Et qu’en cas de cession de créance, celle-ci doit être portée à la connaissance du débiteur préalablement à toute voie d’exécution. La pratique consistant à signifier la cession de créance à l’occasion d’une dénonciation de saisie-attribution est donc proscrite. Évidemment, la dénonciation de la saisie doit être faite, que celle-ci soit fructueuse ou non.

Avis n° 2023/13

Saisi de la possibilité pour un commissaire de justice de signifier une cession de créance non encore réalisée,

Le Collège est d’avis que :

un commissaire de justice ne peut en aucun cas prêter son concours à la signification d’un acte dépourvu d’existence juridique.

À défaut, il contrevient à ses obligations de loyauté et de sincérité, ainsi qu’à son devoir de conseil.

 

Avis n° 2023/16

Saisi de la possibilité de régulariser un acte d’exécution sans que la cession de créance ait été préalablement signifiée ou notifiée et des conséquences disciplinaires d’une telle pratique,

Le Collège rappelle que :

l’article 1324 du Code civil N° Lexbase : L0973KZ3 précise que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte »,

et que l’article 1690 du Code civil N° Lexbase : L1800ABB dispose que « le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur ».

En conséquence, le Collège est d’avis que :

pour engager une mesure d’exécution forcée, le commissaire de justice se doit préalablement de vérifier que la cession a été rendue opposable au débiteur cédé par voie de signification ou de notification.

Le non-respect manifeste ou répété de ces dispositions constitue un manquement à la probité passible de sanctions disciplinaires.

… des actes respectueux des droits de parties…

Le Collège de déontologie rappelle que le procès-verbal de description des lieux, dressé dans la cadre d’une procédure de saisie immobilière, a vocation à renseigner le créancier saisissant sur les qualités intrinsèques de l’immeuble (description, composition, superficie) et que la prise de photographie ne doit pas enfreindre l’obligation de délicatesse du commissaire de justice. « La photographie a vocation à illustrer une description ou une constatation faite par l’officier public, et […] la valeur attachée au procès-verbal tient à la seule qualité de son auteur. »

Avis n° 2023/08

Saisi de la possibilité pour un commissaire de justice, chargé de dresser procès-verbal de description d’un bien immobilier saisi, de prendre, malgré le refus de l’occupant, des clichés photographiques à l’intérieur d’un logement,

Le Collège est d’avis que :

l’article R. 322-3 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2422ITU autorise le commissaire de justice à utiliser « tout moyen approprié » pour décrire les lieux.

Toutefois l’article R. 322-2 du même code N° Lexbase : L2421ITT prévoit que le procès-verbal de description comprend la description des lieux, leur composition et leur superficie.

Dès lors les clichés photographiques ne doivent rendre compte que de ces éléments, sans porter atteinte à l’intimité de la vie privée.

Dans ces conditions, ils peuvent être pris nonobstant le refus de l’occupant, mais dans le respect du devoir de délicatesse.

… et de la confraternité

Pour le Collège de déontologie, la confraternité – qui est une obligation déontologique – défend de faire certaines choses, comme dénigrer ses confrères, évidemment. Le RDN interdit toute forme de publicité. La publicité dite « fonctionnelle » est du domaine réservé des instances nationales représentatives. Le commissaire de justice ne doit pas, de façon franche ou détournée, se faire de la publicité.

Avis n° 2023/14

Saisi de la possibilité pour un commissaire de justice d’établir une attestation en justice visant le comportement d’un confrère,

Le Collège est d’avis que :

comme tout citoyen, le commissaire de justice peut établir une attestation en justice.

Conformément à l’article 202 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1645H4P, celle-ci doit se borner à relater les « faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés ».

En l’espèce en portant un jugement de valeur sur l’engagement et les qualités professionnelles de son confrère, sans aucun rapport avec l’objet de l’instance judiciaire pour laquelle l’attestation a été établie, son auteur méconnaît les principes fondamentaux de la déontologie de la profession que constituent la courtoisie et la délicatesse.

Plus particulièrement, le Collège rappelle que l’article 14 du Règlement déontologique national relatif à la confraternité dispose qu’« en aucun cas une quelconque appréciation ne peut être portée sur un confrère ».

Avis n° 2023/04

Saisi de la possibilité pour un commissaire de justice de témoigner en son nom et publiquement en qualité d’utilisateur au profit d’un de ses prestataires,

Le Collège est d’avis que :

un tel témoignage, dès lors qu’il n’est pas anonyme est constitutif d’une publicité indirecte au profit du commissaire de justice concerné, et comme tel prohibé par le Règlement déontologique national.

Rappelons que toute entorse à la déontologie est susceptible de faire l’objet de poursuites disciplinaires.


[1] T. Guinot, Recueil déontologique général des huissiers de justice, 2022, Éditions Juridiques et techniques, p.17

[2] Décret n° 2022-545, du 13 avril 2022, relatif aux collèges de déontologie des officiers ministériels N° Lexbase : L3654MCC.

[3] C. com, art. A 444-23, prestation 99 N° Lexbase : L3377LWY: acte attestant la découverte de la nouvelle adresse du destinataire hors du ressort de compétence de l'huissier de justice.

[4] C. com., art. A 444-28, prestation 114 N° Lexbase : L3380LW4: procès-verbal de description des lieux (saisie immobilière).

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