Réf. : Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, déposé au Sénat le 3 mai 2023
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par Xavier Louise-Alexandrine, Commissaire de justice associé (Calippe & Associés)
le 30 Juin 2023
Mots-clés : saisie des rémunérations • commissaire de justice
La saisie des rémunérations est actuellement au cœur de l’actualité des praticiens de l’exécution. Le projet actuellement en discussion témoigne d’avancées majeures, mais n’est pas exempt de reproches, invitant à explorer quelques pistes d’amélioration.
Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 du 3 mai 2023, dans son article 17, a pour ambition de faire mentir le vieil adage « C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleurs soupes ».
Cette proposition de réforme est guidée par le souhait d’améliorer la procédure de saisie des rémunérations en augmentant son efficience en la recentrant dans les mains des commissaires de justice (ex huissiers de justice) pour, in fine, soulager les magistrats et leurs greffes. C’est ainsi qu’il serait tentant d’utiliser le mot « déjudiciarisation » pour expliquer cette réforme, mais ce serait occulter le fait que le juge y tient toujours sa place, non pour autoriser la saisie des rémunérations, mais pour en trancher les contestations uniquement. La saisie des rémunérations telle que projetée est donc bel et bien judiciaire puisqu’elle doit être fondée sur un titre exécutoire et validée par le juge en cas de contestation. Ce n’est que sa mise en branle qui ne nécessite plus l’aval du magistrat, et la réserve de temps qui pouvait aller de pair.
Si le comité national des barreaux, dans sa résolution du 12 mai dernier, s’est opposé au transfert de la procédure de saisie des rémunérations des greffes des tribunaux vers les seuls commissaires de justice, il n’en demeure pas moins que cette procédure est bien souvent utilisée en dernier recours par les créanciers, qui aujourd’hui se découragent à obtenir leur dû par cette procédure… L’échange commissaire de justice/créancier se résume donc à : « Oui j’ai identifié un employeur »/« Non non retournez-moi le dossier, c’est trop long ».
La question qui se pose est de savoir si l’utilisation d’un nouveau look garantira la nouvelle vie de la saisie des rémunérations.
En cette période de Fashion Week parisienne, le législateur entend redorer la saisie des rémunérations en envisageant un relooking extrême (I) et en instaurant un nouveau « directeur artistique » en la personne du commissaire de justice (II).
I. Un nouveau look
Fashion Week oblige, la nouvelle procédure de saisie des rémunérations naît d’un patron (A) inédit (B).
A. Le « patron » de la nouvelle procédure
Si nous fêtions en début d’année 2023 le dixième anniversaire du Code des procédures civiles d’exécution, la procédure de saisie des rémunérations n’avait pas été réellement affectée depuis la loi du 9 juillet 1991 N° Lexbase : L9124AGZ. En effet, le transfert de compétence vers le juge de l’exécution n’avait pas à l’époque concerné cette procédure.
Afin d’exposer cette réforme, il faut rappeler quelle est la procédure actuellement suivie, voir l’infographie, Saisie des rémunérations, n° 139, Voies d'exécution N° Lexbase : X9586APQ.
Il s ‘agit donc d’une procédure longue, remplie d’aléas, et qui subit les créanciers concurrents….
La réforme, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2025, prévoit notamment la délivrance d’un commandement de payer au débiteur, préalable à la saisie des rémunérations. Le projet de loi prévoit également que le débiteur disposera d’un délai d’un mois pour contester la mesure. En cas de contestation, le juge de l’exécution sera amené à contrôler la proportionnalité de la mise en œuvre de la procédure ainsi que les frais d’exécution du commissaire de justice, comme c’est le cas aujourd’hui.
Il est à préciser que la possibilité pour le débiteur de contester sera ouverte à tout moment de la procédure mais que celle-ci perdra son effet suspensif à l’expiration du délai d’un mois suivant la signification du commandement préalable.
Dans la volonté de concilier les parties, il sera encore possible pour le débiteur, afin d’éviter une saisie de ses rémunérations, de conclure un accord avec son créancier sur les modalités de paiement, entraînant la signature d’un procès-verbal d’accord. Celui-ci devra intervenir dans les mois suivant la délivrance du commandement et avant la signification du procès-verbal de saisie entre les mains de son employeur.
La signature d’un procès-verbal d’accord suspend la saisie des rémunérations, mais il est néanmoins prévu qu’elle pourra reprendre en cas de non-respect par le débiteur de l’accord ou en cas de signification au premier saisissant d’un acte d’intervention, ce qui à ce jour n’est pas le cas puisque la signature d’un procès-verbal de conciliation empêche la mise en place d’une intervention sans conciliation préalable pour un nouveau créancier.
La procédure de saisie des rémunérations s’opérera par la signification au tiers saisi – employeur d’un procès-verbal de saisie qui devra faire l’objet d’une dénonciation au débiteur.
Les obligations (déclarations des informations, etc..) et les sanctions pesant sur les employeurs demeurent inchangées.
SCHÉMA NOUVELLE PROCÉDURE
B. Du « neuf » dans le positionnement
Les textes qui lui sont applicables figurent dans de nombreux textes du code du travail (C. trav., art, L. 3252-1 N° Lexbase : L0945H9U et suivants, R. 3252-1 N° Lexbase : L8965H9W et suivants) et trois articles du Code des procédures civiles d’exécution (CPCEx, art, L. 212-1 N° Lexbase : L5842IRS, L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79 et L. 212-3 N° Lexbase : L5847IRY) renvoyant eux-mêmes au code du travail : elle n’a jamais trouvé sa place dans le « rayon » des voies d’exécution.
Un des objectifs du projet de loi est, en plus de transférer la gestion aux commissaires de justice et de faire des économies en masse salariale et en frais de notification pour l’Etat, de l’intégrer au « catalogue » des mesures d’exécution par la création des nouveaux articles L. 212-1 à L. 212-16 du Code des procédures civiles d’exécution.
Si l’esprit de la loi de 1991 était de faire évoluer les mesures d’exécution pour les rendre « au gout du jour », la procédure de saisie des rémunérations était restée au fond de l'armoire.
Les principes de subsidiarité et de proportionnalité avaient voulu en faire un « indispensable » aux côtés de la saisie-attribution mais n’a jamais connu le succès escompté, reléguée au rang de procédure, peu couteuse certes, mais lente et inefficace.
La réforme entend la rendre plus rapide en réduisant les délais de mise en place et en faisant une mesure d’exécution premier choix.
Il est à noter l’étrange amendement présenté le 26 mai 2023 par Mesdames Verien et Canayer prévoit néanmoins d’insérer une phrase à l’article 25 de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice N° Lexbase : L4070K8A : « Dès la signification du commandement de payer en vue d’une saisie des rémunérations, le commissaire de justice informe le débiteur qu’il entre dans sa mission de lui permettre de parvenir à un accord avec le créancier, dans le respect de ses obligations déontologiques. »
S’il est possible de percevoir dans cet amendement que la réforme, bien que supprimant l’audience de conciliation, entend conserver l’esprit de la recherche d’un accord entre les parties, il apparaît inopportun. Le mandat du commissaire de justice est d’obtenir le paiement de la créance et il ne dispose de moyens autre que le devoir de conseil pour inviter le créancier à accepter un échéancier. Cet amendement crée une nouvelle obligation du commissaire de justice envers le débiteur, presque contractuelle, alors que même sa responsabilité vis-à-vis du débiteur est statutaire, liée à sa fonction. En matière de saisie-vente, le commissaire de justice transmet l’éventuelle offre d’achat amiable des biens saisis au créancier, sans qu’une telle formule n’apparaisse dans l’acte…
II. Pour une nouvelle vie
Si la réforme est ambitieuse, elle promet une mise en œuvre complexe (A) qui peut laisser place à des espoirs d’amélioration (B).
A. Changement de « propriétaire »
Les missions en matière de saisie des rémunérations, pour les greffiers et les régisseurs, s’articulent autour de la tenue des fiches individuelles spéciales (C. trav., art. R. 3252-9 N° Lexbase : L4752LT8), la gestion comptable (COJ, art. R. 123-20 N° Lexbase : L0409LSX) et les envois de fonds ou répartitions en fonction du nombre de créanciers participant à la procédure de saisie des rémunérations (C. trav., art. R. 3252-9).
Il est prévu que ses tâches soient désormais dans les missions relevant du monopole des commissaires de justice.
Le texte prévoit également la création d’une nouvelle fonction, celle de commissaire de justice répartiteur, qui hérite de la « double casquette » du greffe et la régie. Compte tenu de l’importance de cette mission et la lourde charge qu’elle représente, les commissaires de justice devront certainement suivre une formation spécifique pour ensuite solliciter une inscription sur la liste des commissaires de justice répartiteurs auprès de la Chambre Nationale des commissaires de justice (CNCJ). Il est également prévu la création d’un registre numérique des saisies des rémunérations auprès de la CNCJ, permettant d’y retrouver toutes les données nécessaires concernant les commissaires de justice répartiteurs, les débiteurs saisis, les créanciers saisissants, les employeurs tiers saisis. Une avancée à saluer, d’autant que ce « cloud » de la saisie des rémunérations ne sera sans aucun doute accessible qu’aux commissaires de justice porteur d’un titre exécutoire et ne permettra d’accéder aux informations concernant uniquement le débiteur poursuivi, comme pour les fichiers d’informations accessible par voie numérique aujourd’hui (Ficoba, Siv).
B. La nécessité d’un design plus audacieux
« Plongé dans la tourmente quand les fonds manquent, à force de m’plaindre, j’attends plus l’argent, j’vais l’prendre. » rappait Booba à ses débuts… C’est dans cet état d’esprit qu’aurait pu être rêvée la nouvelle procédure de saisie des rémunérations. Sur le canevas de la saisie-attribution à exécution successive, il aurait été intéressant de permettre au commissaire de justice de saisir directement les rémunérations du débiteur entre les mains de son employeur par la délivrance d’un procès-verbal de saisie-attribution des rémunérations, pourquoi pas par voie électronique.
De plus, si les articles L. 152-1 N° Lexbase : L1721MAY et suivants du Code des procédures civiles d’exécution permettent au commissaire de justice d’interroger les « tiers » pouvant communiquer des renseignements permettant la mise en place d’une procédure de saisie des rémunérations, seul l’accès au fichier des déclarations d’embauche permettrait d’identifier les changements d’employeurs. En effet, de nombreux dossiers sont ralentis faute par les créanciers d’obtenir des informations en temps réel sur la situation du débiteur.
Pour finir, il sera utile de relever que les rémunérations demeurent insaisissables par voie de saisie conservatoire et donner aux commissaires de justice la possibilité de saisir en urgence les rémunérations des débiteurs d’aliments, ce permettrait d’éviter qu’ils aient le temps d’organiser leur insolvabilité.
Un jour peut-être on entendra prononcer au sujet de cette procédure qu’elle est « à la mode ».
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