Lexbase Contentieux et Recouvrement n°2 du 29 juin 2023 : Commissaires de justice

[Questions à...] À la rencontre de Benoît Santoire, Président de la Chambre nationale des commissaires de justice : une perspective éclairante sur la profession

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par Alexandra Martinez-Ohayon

le 03 Juillet 2023

Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, nous avons eu l'honneur de nous entretenir avec Monsieur Benoît Santoire Président de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ). Cette interview nous offre une occasion de mieux comprendre la profession des commissaires de justice et les multiples enjeux à venir.

Cette interview est, également, à retrouver en [vidéo].


 

Lexbase Contentieux et Recouvrement : La réforme de la saisie des rémunérations augure-t-elle une réforme globale du Code des procédures civiles d’exécution ? Dans l’affirmative, pourquoi avoir privilégié cette procédure en priorité ? Enfin, que pensez-vous de la résolution lors de l’assemblée générale du CNB s’opposant à cette déjudiciarisation ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : Une grande réforme globale des voies d’exécution n’est pas à l’ordre du jour tant le sujet est complexe car, outre les procédures, elle impacterait également l’ensemble de notre tarif.

En revanche, je suis bien décidé à corriger tous les points de blocage afin de rendre ces voies d’exécution plus efficaces. Dit autrement, plutôt qu’une grande réforme dont les résultats pourraient être hasardeux, je préfère adapter ces voies d’exécution aux évolutions sociales et économiques de notre société.

Et le projet de réforme de la saisie des rémunérations répond parfaitement à cette stratégie. En effet, la mise en œuvre de celle-ci apparaît aussitôt anachronique par rapport aux autres voies d’exécution. Alors que le Commissaire de Justice est porteur d’un titre exécutoire, il doit « repasser » devant un magistrat pour saisir les revenus du débiteur. Revenus qu’il pourrait par ailleurs saisir par la voie de la saisie-attribution, laquelle ne nécessite pas une ordonnance préalable, sans pour autant priver le débiteur de la possibilité de saisir le juge de l’exécution.

Outre cet anachronisme procédural, cette nouvelle saisine du tribunal entraîne des délais particulièrement longs, tant dans l’attente de l’audience que dans les répartitions effectuées par le greffe. Tous ces délais ralentissent d’autant l’exécution, et peuvent la compromettre car l’efficacité de l’exécution tient à la rapidité de mise en œuvre de celle-ci, et à notre réactivité vis-à-vis de l’évolution de la situation du débiteur. Or ces étapes, et notamment la gestion déléguée aux greffes ne nous permettent pas de « coller » à la situation du débiteur qui peut changer d’employeur, ce qui devient fréquent dans la société actuelle.

Les créanciers eux-mêmes ne comprennent pas ce qu’ils considèrent comme une inertie. Et c’est par l’économie en général qu’on peut le mieux démontrer l’inefficacité de cette procédure puisque tout ce qui est inefficace est en pratique abandonné. Et c’est ce à quoi on assiste puisque la saisie des rémunérations est tombée en désuétude dans la pratique des commissaires de justice.

Bien sûr, nous devons encore convaincre les acteurs actuels de cette procédure qui peuvent penser, à tort, qu’ils en seraient exclus demain. Tout d’abord, le juge de l’exécution pourra toujours être saisi en cas de contestation, laquelle reste bien sûr possible, car dans cette nécessaire adaptation des voies d’exécution il n’est évidemment pas question de toucher aux droits de la défense. Le juge de l’exécution serait d’ailleurs ainsi recentré sur sa véritable fonction.

Quant aux avocats, et plus particulièrement la résolution du CNB à laquelle vous faites référence, je pense qu’il s’agit davantage d’une réaction à chaud, et en décalage avec la pratique. En effet, actuellement très peu de débiteurs contestent cette procédure, et très peu sont accompagnés d’un avocat. Mais là aussi, en cas de contestation les avocats retrouveront tout leur rôle.

Lexbase Contentieux et Recouvrement : Plusieurs voix s’élèvent en réclamant une réforme de la procédure d’injonction de payer. Y’a-t-il une réflexion en cours ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : Sur ce sujet également, plus qu’une réforme de l’injonction de payer, il s’agit de modifier plus particulièrement un point issu de la réforme du 1er mars 2022 qui en pratique a raté son objectif de simplification et surtout de rapidité.

En effet, si nous n’avons plus besoin de requérir l’apposition de la formule exécutoire, nous devons néanmoins obligatoirement demander le certificat de non-opposition, à défaut nous ne serions pas informés d’une éventuelle opposition du débiteur. Or cette obligation maintient par conséquent cette saisine du greffe en deux étapes, telle qu’elle existait précédemment. Au lieu d’apposer la formule exécutoire, le greffe doit éditer ce certificat de non-opposition, ce qui engendre les mêmes délais.

Là aussi, face à ce qui se révèle être un anachronisme inutile car il n’apporte aucune garantie supplémentaire au débiteur, et reproduit les délais inhérents aux retours des greffes, nous avons saisi la DACS d’un projet de réforme en nous inspirant de la procédure de saisie-attribution. Ainsi, le débiteur qui formerait opposition devrait dénoncer celle-ci par LRAR au commissaire de justice saisissant, lequel ainsi informé serait à même de rendre lui-même le certificat de non-opposition. Le gain de temps serait évident, et cela redonnerait tout son sens et son intérêt à cette réforme récente qui prévoyait l’apposition de la formule exécutoire dès la première phase.

Nous avons également proposé que le délai de signification soit ramené de six à trois mois, afin d’éviter un dévoiement de cette procédure qui a vocation à faire l’objet d’une exécution.

Il subsistera la problématique de la mise à disposition des pièces justificatives qui, bien que dématérialisée, reste très lourde. Mais il est difficile de trouver une alternative sans entamer la nécessaire information du débiteur. Néanmoins, si nous parvenons à régler la question du certificat de non-opposition, nous aurons fait un grand pas vers plus de rapidité et donc d’efficacité de cette procédure.

Lexbase Contentieux et Recouvrement : La profession de commissaire de justice fête son premier anniversaire. Quels souhaits peut-elle faire en soufflant sa bougie ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : Notre profession peut souhaiter conserver et accentuer sa place dans la chaîne judiciaire. Ce souhait est tout à fait réaliste car je crois pouvoir affirmer que nous avons retrouvé la confiance des pouvoirs publics. J’ai bien conscience que cela ne suffira pas à obtenir gain de cause sur tous les sujets figurant sur la feuille de route que j’ai fixée au bureau de la Chambre nationale. Mais à coup sûr, sans cette nécessaire confiance, ce souhait serait un vœu pieux.

Nous pouvons également souhaiter conserver et accentuer notre place dans la société. En effet, avec les bouleversements que nous connaissons dans nos vies quotidiennes, nous avons plus que jamais besoin de sécurité et notre qualité d’officier public et ministériel retrouve tout son sens, tant en termes de sécurité juridique qu’en notre qualité de tiers de confiance. Formons le souhait du réflexe du recours au commissaire de justice.

Enfin, pour ne citer que ceux-là, souhaitons à cette jeune profession de grandir en ne faisant qu’un, tout en additionnant les compétences de nos deux anciennes professions. Souhaitons que ce nouveau-né riche de nos passés respectifs, conserve, valorise et élargisse ces expertises respectives dans une grande profession de l’exécution.

Lexbase Contentieux et Recouvrement : Il va bientôt exister des commissaires de justice spécialisés. Que pensez-vous que le public et les professionnels du droit attendent de la spécialisation ?

Monsieur le Président Benoît Santoire : Dans la foulée de ma précédente réponse, cette spécialisation pourra permettre aux consœurs et confrères déjà en place de se démarquer sans avoir à faire systématiquement référence à leur ancienne profession respective. De même, les futurs candidats pourront faire valoir leur penchant naturel vers l’art ou le droit.

En ce qui concerne les spécialisations propres à l’activité des anciens huissiers de justice, il faut reconnaître qu’en pratique ce métier est très polyvalent, et quasiment tous les consœurs et confrères pratiquent l’ensemble de la palette de nos activités. Mais cette spécialisation voulue par la loi Macron, si elle ne semble pas revêtir un intérêt immédiat pour nos interlocuteurs, doit nous inciter à développer des compétences plus pointues dans tel ou tel secteur en fonction de nos appétences ou de notre localisation géographique. Bien entendu, nous avons intérêt à rester polyvalents pour maintenir le maillage territorial, mais nul doute qu’avec la complexification de certains pans de notre activité, une spécialisation peut nous ouvrir de nouveaux marchés en donnant une garantie supplémentaire à nos interlocuteurs. Cela peut nous inciter, voire nous forcer, à toujours rester à la pointe tant des compétences juridiques que technologiques dans tel ou tel secteur ; et ainsi permettre à cette nouvelle profession d’aller toujours plus haut et toujours plus loin.

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