Lexbase Droit privé n°537 du 25 juillet 2013 : Droit rural

[Jurisprudence] Droit de préemption de la SAFER : précisions relatives aux conditions d'exercice

Réf. : Cass. civ. 3, 5 juin 2013, 2 arrêts, n° 12-18.313 (N° Lexbase : A3164KGB) et n° 11-26.088 (N° Lexbase : A3345KGY), FS-P+B

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy, Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy, Présidente de l'AFDR Section Lorraine

le 25 Juillet 2013

Le droit de préemption de la SAFER est régulièrement évoqué par la Cour de cassation, notamment lorsque les acquéreurs évincés tentent, par la voie judiciaire, de faire constater l'absence de l'existence du droit de préemption de la SAFER (I), soit que l'exercice de ce droit n'a pas été réalisé conformément aux conditions exigées par le Code rural et de la pêche maritime (II). Ces deux questions ont été analysées par la troisième chambre civile, et ont donné lieu à deux arrêts rendus le 5 juin 2013 (Cass. civ. 3, 5 juin 2013, 2 arrêts, n° 12-18.313 et n° 11-26.088, FS-P+B). Dans le premier arrêt (pourvoi n° 12-18.313), il s'agissait de savoir si la parcelle vendue entrait ou non dans le champ d'application du droit de préemption de la SAFER, alors que dans la seconde décision (pourvoi n° 11-26.088), la discussion portait sur le délai légal pour exercer ce droit. I - Les biens susceptibles d'être préemptés par la SAFER

Dans cette affaire (pourvoi n° 12-18.313), une parcelle mixte, constituée d'une partie boisée et d'une partie non boisée à destination agricole a été vendue à un couple. Cette vente a été notifiée à la SAFER qui a exercé son droit de préemption sur la totalité du bien vendu. N'ayant pu obtenir la rétrocession du bien, le couple d'acquéreurs a assigné la SAFER en soutenant que la préemption devait être annulée conformément à l'article L. 143-4-6° du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L9853IRD). Afin de répondre à cette prétention, celle-ci prétend que s'agissant d'un ensemble immobilier de nature mixte et en l'absence de dissociation des parties boisée et non boisée par des ventes distinctes, elle est en mesure d'exercer son droit de préemption pour la totalité du bien litigieux. Pour rejeter la demande des acquéreurs, la cour d'appel (1) a retenu qu'il n'est pas nécessaire, pour l'application de l'article L. 143-4 du Code rural et de la pêche maritime, que plusieurs parcelles soient mises en vente et que, dans l'hypothèse de la vente d'une parcelle non intégralement boisée, la proportion de boisement est indifférente. Sur le visa des articles L. 143-4, 6°, et L. 143-1 du code précité (N° Lexbase : L6652HHT), la Cour de cassation censure une telle analyse en indiquant "qu'une parcelle mixte vendue isolément n'est susceptible d'être préemptée par la SAFER que si les surfaces à destination agricole sont prépondérantes". Ainsi, il semble qu'à la lumière des solutions précédemment formulées en la matière, on puisse souligner trois points : la distinction entre espace forestier et parcelle boisée, celle entre domaine rural et parcelle mixte, et les conditions de mise en oeuvre du critère de la prépondérance de la destination agricole des surfaces litigieuses.

Initialement, le droit de préemption de la SAFER portait exclusivement sur des exploitations agricoles. La loi n° 85-1273 du 4 décembre 1985, relative au développement et à la protection de la forêt (N° Lexbase : L4373IXA), a étendu le champ d'application de cet organisme afin d'y inclure les exploitations sylvicoles. Ainsi, le législateur a ajouté une finalité supplémentaire au droit de préemption, la mise en valeur et la protection de la forêt ainsi que l'amélioration des cultures sylvicoles (2). Par conséquent, les parcelles forestières entrent dans le champ d'application du droit de préemption. Toutefois, toute parcelle sur laquelle se trouvent des arbres ne répond pas obligatoirement à la notion de parcelle forestière. Il est alors indispensable de distinguer celle-ci de la parcelle boisée. Ainsi, une parcelle plantée d'arbres mais ayant des équipements extra-agricoles ou extra-forestiers est exclue du champ d'application du droit de préemption de la SAFER. Telle est la solution retenue en jurisprudence à propos d'un terrain d'agrément sur lequel était implanté un bungalow et qui était planté d'arbres d'essences différentes excluant une exploitation agricole (3). Il en est de même pour un jardin d'agrément garni d'un potager et planté d'arbres fruitiers, comportant un abri de tôle ondulée (4). Ainsi, les parcelles forestières entrent dans le champ d'application du droit de préemption de la SAFER, alors que les parcelles plantées d'arbres qui n'ont pas de vocation agricole ou forestière en sont exclues. Qu'en est-il alors des autres parcelles boisées, c'est-à-dire des parcelles plantées d'arbres ? A l'appui des solutions précédemment évoquées, on peut en déduire que ces parcelles sont incluses dans le champ d'application du droit de préemption dès lors qu'elle répond aux conditions énoncées par l'article R. 143-2 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L5018AEL). Ainsi, lorsque la parcelle est uniquement boisée, elle est exclue du droit de préemption, alors que si elle est mise en vente avec une parcelle non boisée dépendant de la même exploitation agricole (5), elle y est soumise sauf si des prix distincts ont été prévus pour les deux catégories des parcelles (6).

L'apport de l'arrêt du 5 juin 2013 se situe sur un autre point. La Cour de cassation précise, dans cette affaire, qu'une parcelle de nature mixte, vendue isolément, n'est pas susceptible d'être préemptée par la SAFER. Ainsi, il semble que la Haute cour distingue la vente de l'exploitation agricole ou domaine agricole voire domaine rural, de celle d'une parcelle isolée. Dans le premier cas, la parcelle mixte, en tant qu'élément constitutif d'un ensemble plus vaste est soumise au régime juridique de la vente de l'exploitation. Autrement dit, elle est soumise au droit de préemption. Dans la seconde hypothèse, on doit se référer à la destination de la parcelle, et le cas échéant, appliquer le critère de prépondérance. Sous réserve de confirmation ultérieure, tel est l'apport de cette décision (7), car la censure prononcée porte sur ce point.

Ainsi, lorsque les surfaces agricoles sont prépondérantes, la SAFER peut exercer son droit de préemption, alors que lorsque les surfaces boisées constituent la majeure partie de la parcelle litigieuse, la SAFER ne pourrait pas le faire (8). Le critère de la surface prépondérante permet alors de délimiter l'exercice du droit de préemption de la SAFER. Pour ce faire, il convient alors de préciser dans l'acte de vente la surface relative à la partie boisée et à la partie à destination agricole, afin d'éviter tout contentieux et ainsi permettre à la SAFER d'exercer utilement sa mission. En effet, celle-ci ne peut exercer son droit de préemption que dans les conditions prévues par le législateur, et dans le délai qui lui est imparti pour le faire.

II - Délai pour exercer le droit de préemption

Le délai pour préempter est la question centrale de la seconde décision (pourvoi n° 11-26.088). En l'occurrence, la SAFER a exercé son droit de préemption dans le cadre d'une procédure complexe. En effet, le tribunal de grande instance avait autorisé le partage judiciaire de la communauté d'un couple décédé, le règlement de la succession des deux conjoints ainsi que la licitation de deux immeubles et la vente aux enchères publiques de onze lots immobiliers dont l'un était constitué d'une maison d'habitation avec ses annexes. Ce lot a été adjugé à un acquéreur par jugement du 10 décembre 2008. Un couple a surenchéri sur l'adjudication ainsi prononcée. La surenchère a été contestée devant le juge de l'exécution qui a déclaré de nul effet la déclaration de surenchère et jugé l'adjudicataire propriétaire de ce lot, par jugement du 25 mars 2009. Le 24 avril 2009, la SAFER a déclaré exercer son droit de préemption sur le lot vendu par adjudication. L'adjudicataire a saisi la justice afin de contester le droit de préemption pour avoir été exercé hors délai. Selon l'article L. 143-11 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L3379AEU), la SAFER dispose d'un délai d'un mois à compter de l'adjudication pour exercer son droit de préemption. Or, compte tenu de la surenchère qui a été faite et du contentieux afférent à celle-ci, la SAFER prétendait que le point de départ ne commençait à courir qu'à compter du jour où l'adjudication est définitive. Par décision du 7 septembre 2011, la cour d'appel d'Agen (9), a jugé que l'article L. 143-11 du Code rural et de la pêche maritime ne prévoit que le délai d'un mois à compter de l'adjudication, sans exiger que celle-ci soit définitive. Sur le pourvoi de la SAFER, la Cour de cassation confirme l'analyse des juges du fond. Elle précise que "la SAFER dispose, même en cas de surenchère, d'un délai d'un mois à compter de l'adjudication pour notifier l'exercice de la préemption au greffe du tribunal". A défaut de l'avoir fait dans ce délai, la notification de la préemption a été tardivement faite, rendant ainsi impossible l'exercice de ce droit, pour être intervenu hors délai.

Le régime juridique du droit de préemption de la SAFER contient des règles spéciales en cas de vente aux enchères publiques des biens susceptibles d'être préemptés. Ainsi, la SAFER doit être informée dans un délai d'un mois avant la date de l'adjudication pour lui permettre d'exercer son droit. En outre, elle doit être convoquée au moins vingt jours avant l'audience (10). De plus, la décision d'adjudication doit être dénoncée à la SAFER selon les mêmes formes et dans les mêmes délais que ceux prévus pour l'adjudicataire (11). Enfin, l'article L. 143-11 précité ajoute qu'elle dispose d'un délai d'un mois pour notifier au greffe du tribunal de l'adjudication, l'exercice de son droit de préemption, ceci afin de se substituer à l'adjudicataire. Or, dans la présente affaire, la SAFER n'a pas notifié l'exercice de son droit de préemption, probablement car elle espérait que la surenchère déposée par un autre candidat acquéreur allait prospérer et ainsi anéantir l'adjudication critiquée. Si tel avait été le cas, la décision d'adjudication aurait été anéantie et, avec elle, le délai pour préempter. Or, la surenchère a été déclarée nulle, confirmant ainsi l'adjudicataire dans ses droits. Dans cette affaire, la SAFER a mal apprécié les chances d'aboutissement de la surenchère.

Une autre solution s'offrait alors à la SAFER. Essayer de faire juger que le point de départ était reporté à la date de la décision sur la surenchère. Ainsi, au lieu de courir à compter du 10 décembre 2008, le délai d'un mois courait à partir du 25 mars 2009. Or, l'article L. 143-11 du Code rural et de la pêche maritime ne contient aucune disposition particulière en cas de surenchère. Considérer que le point de départ est reporté revient en quelque sorte à ajouter une mention à une règle légale. Or, selon les principes d'interprétation des règles de droit, "il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas" ! Telle est la solution retenue par la Cour de cassation lorsque celle-ci précise que "même en cas de surenchère", le délai est d'un mois (12). L'on ne peut que s'en féliciter car juger autrement reviendrait à ajouter une condition à la loi. Par conséquent, rien ne sert d'attendre, il faut préempter à point, pour parodier La Fontaine, car la notification tardive est juridiquement inefficace.


(1) CA Riom, 1ère ch. civ., 5 janvier 2012, n° 10/02982 (N° Lexbase : A4906H9L).
(2) Ch. Dupeyron, J. Théron et J.-J. Barbièri, Droit agraire, 2ème vol., Droit foncier, Economica, 1988, spéc. n° 192 et n° 373.
(3) Cass. civ. 3, 4 mars 2009, n° 08-11.281, FS-P+B (N° Lexbase : A6379EDM), Bull. civ. III, n° 59, Rev. loyers, 2009, p. 293, obs. B. Peignot, RD rur., 2009, comm. 13, obs. F. Roussel, JCP éd. N, 2010, 1196, note G. Brelet.
(4) Cass. civ. 3, 28 septembre 2011, n° 10-14.004, FS-P+B (N° Lexbase : A1291HYH), JCP éd. N, 2011, 1295, note J.-J. Barbièri.
(5) Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-11.383, FS-P+B (N° Lexbase : A4895D7G), Bull. civ. III, n° 50, RD rur., 2008, comm. 115, obs. F. Roussel et JCP éd. N, 2009, 1104, obs. F. Roussel, confirm. CA Limoges 23 novembre 2006.
(6) CA Dijon, 7 septembre 2004, RD rur., 2005, comm. 48, obs J.-M. Gilardeau ; CA Bordeaux 19 janvier 2012, 1ère ch. civ., sect A., n° 10/05898 (N° Lexbase : A0939IBE).
(7) En ce sens, J.-B. Millard, obs, sous cet arrêt, Lettre de Droit rural n° 47, p. 8-9 (disponible sur le site de l'Association française de droit rural, AFDR, www.droit-rural.com).
(8) Cass. civ. 3, 14 septembre 2011, n° 10-10.027, FS-D (N° Lexbase : A7551HXX).
(9) CA Agen, ch. civ., 7 septembre 2011, n° 10/01482 (N° Lexbase : A6486HXI).
(10) C. rur., art. R. 143-13 (N° Lexbase : L5020AEN).
(11) C. rur., art L. 143-8 (N° Lexbase : L3383AEZ) ; Cass. civ. 2, 1er février 2006, n° 05-15.047, FS-D (N° Lexbase : A8568DMB).
(12) Quand bien même les droits de l'adjudicataire ne sont définitifs qu'à l'issue de la procédure relative à la surenchère. Il semble toutefois qu'une autre formation de la Cour de cassation n'ait pas suivi cette analyse en considérant que l'adjudication n'a un caractère définitif que lorsque la contestation de la surenchère a été définitivement tranchée (Cass. civ. 2, 12 juillet 2001, n° 98-10.444 N° Lexbase : A1575AUU, Bull. civ. II, n° 137).

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