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N8222BTP
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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
le 25 Juillet 2013
Souvent, ces dernières années, nous avons eu l'occasion de souligner que certains sujets donnaient lieu à un contentieux ciblé, mais régulier, parce qu'ils étaient nouveaux et exigeaient de peaufiner les analyses juridiques : on songe ainsi aux contours de l'obligation d'information dans le cadre des assurances de groupe. Depuis quelques mois, à l'inverse, cette source de réflexions semble se tarir un peu, et la Cour de cassation connaît un contentieux relatif à des aspects du droit des assurances que nous pensions tous acquis, connus et donc sans surprise. L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 juin 2013 confirme cette curiosité, en ce qu'il est relatif au paiement des primes, ou plus exactement, à la procédure à mettre en oeuvre en cas d'absence de paiement des primes dans le délai convenu entre les parties, selon cette dernière formule du législateur lui-même de l'époque. Nous pensions donc rebattu le sujet, sans probabilité d'un contentieux réellement nouveau.
Nous nous trompions, encore que la spécificité de l'affaire justifie cette entorse. Car c'était, au moins, oublier l'imagination créatrice des assureurs. Dans la présente affaire, l'assureur, au lieu de proposer une prime en quelque sorte uniforme, avait fait preuve d'originalité dans un contrat d'assurance de biens professionnels garantissant l'incendie, l'explosion, les pertes d'exploitation, etc.. Dans les conditions particulières, il l'avait scindée en deux : une cotisation nette annuelle d'une certaine somme dont une partie ajustable, et une cotisation de révision égale à la différence entre la cotisation annuelle définitive et la cotisation provisionnelle. Là n'était toutefois pas le principal noeud gordien. Le contrat prévoyait surtout que le calcul de la cotisation nette définitive s'effectuait à la fin de chaque année d'assurance sur le chiffre d'affaires hors taxes de la société. Pourquoi faire simple lorsque l'on peut faire compliquer...
Et pour pimenter le tout, il convenait de savoir que la prime était due du 1er août au 31 juillet de chaque année, alors que le chiffre d'affaires de la société s'établissait en année civile : la précédente pouvant donc seule servir de référence. Dans ce contexte contractuel, un incendie était survenu la nuit du 18 ou 19 juin d'une année, occasionnant des dommages à des locaux professionnels donnés à bail. Or, l'assureur avait refusé d'accorder sa garantie parce que le sinistre était survenu au cours de la période de suspension des garanties en raison d'une absence de paiement de la cotisation. Et il se plaignait d'avoir adressé, à plusieurs reprises à la société, des demandes de précision sur le montant de son chiffre d'affaires pour l'année écoulée, lequel, selon les déclarations de l'assuré, avait varié et surtout tardé.
L'assureur avait donc adressé à son assuré une mise en demeure de payer un montant de prime complémentaire représentant le montant de la cotisation de révision afférant à l'exercice comptable précédent, sachant que le courrier indiquait que les garanties contractuelles étaient suspendues après un délai de trente jours suivant l'envoi de la lettre. Or, l'entreprise assurée affirmait qu'elle avait réglé la cotisation due dans le délai de trente jours lui évitant la suspension de la garantie : elle attendait donc d'être indemnisée du préjudice subi à la suite de la survenance de l'incendie. La cour d'appel saisie avait fait état d'arguments qui s'affranchissaient, en résumé, de la lettre de l'article L. 113-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L0444IXQ), et faisaient droit aux prétentions de l'assureur, lequel, sans l'exprimer de manière aussi brutale, estimait en quelque sorte ne pas être tenu par les dispositions ordinaires de ce texte en cas de non-paiement de primes.
De manière plus précise, l'assureur estimait que la date d'échéance du paiement de la cotisation ne pouvait être fixée contractuellement puisqu'elle dépendait de la date à laquelle l'assuré communique le chiffre d'affaires de référence à l'assureur. Elle donnait également acte à ce dernier de ses courriers de réclamations pour considérer, d'une certaine manière, qu'il avait tenté de respecter la procédure habituelle, et qu'une période de non garantie en était bien résultée, sans que l'on sache avec exactitude à quel moment le délai de trente jours avait expiré. La Cour de cassation n'a pas eu la même analyse. Selon elle, la cour d'appel avait mal raisonné, en droit. Elle a donc cassé pour violation de la loi. Elle considère que les juges avaient retenu une date de mise en demeure visant au calcul du délai de trente jours et à la suspension éventuelle des garanties en cas de non-paiement pour le passé, alors que la suspension était inopérante en raison de son calcul tardif.
En d'autres termes, la procédure de l'article L. 113-3 du Code des assurances, avec son souci de laisser des laps de temps stricts, dans un but précis, ne pouvait être mise en oeuvre étant donné la situation contractuelle telle qu'elle avait été conçue. Certes, nos Hauts magistrats ne l'expriment pas d'une façon aussi catégorique ; pour autant, ils déplorent le "montage" réalisé. Pour que chacun mesure bien le reproche larvé de la Cour de cassation, ce n'est pas le respect du délai de trente jours qui l'a laissée perplexe, mais le long laps de temps nécessaire entre la date où, d'ordinaire l'envoi de la mise en demeure a lieu. Certes, en raison du mode de calcul de la prime à réaliser, un certain temps s'avérait nécessaire, même indépendamment du retard de l'assurée à payer la prime. Certes, le Code des assurances ne prévoit pas, à l'article L. 113-3, un délai rapide entre le terme du premier laps de temps de dix jours imposé par le législateur et l'envoi de la mise en demeure ; néanmoins, il ne peut qu'être conseillé à l'assureur de ne pas attendre trop longtemps.
Dans le cas présent, c'est ce flou quant à ces dispositions qui, semble avoir troublé la Cour de cassation. La décision peut apparaître sévère pour l'assureur. Toutefois, la formule, contractuelle, avait été imaginée par lui. Or, c'est davantage elle qui appelle des réticences que le respect, par l'assuré, des délais prescrits. En optant pour une date non fixe de détermination de la cotisation due en fonction de données ne parvenant pas, chaque année, à un jour fixe à l'assureur, ce dernier a violé l'esprit de l'article L. 113-3 du Code des assurances. Sans doute, la part de souci de respect de ces dispositions draconiennes peut-elle être considérée comme une vision étroite de la lettre de cette disposition. Il demeure -et c'est le sens de la réaction de nos Hauts magistrats- que ce texte est d'ordre public. Si l'assureur juge qu'il peut s'affranchir de ces règles alors qu'il n'en a pas le droit, il ne sera pas sanctionné a priori. En revanche, a posteriori, lorsqu'une difficulté pratique naîtra, comme dans cette affaire, avec un assuré, qu'il ne vienne pas se plaindre que la formule choisie ait été inefficace.
En tous les cas, la jurisprudence antérieure relative à cet article avait démontré que chaque détail était appliqué par la Cour de cassation avec un souhait de lecture étroite, au plus proche de sa lettre comme de son esprit. Il n'est donc guère surprenant qu'elle s'inscrive toujours dans cette perspective. Sans doute les professionnels feront-ils observer que c'est ignorer la vie des affaires et la multitude de formules proposées. Sans doute. Mais rien n'empêche d'élaborer des montages plus proches des exigences légales, même si la contrainte apparaît pesante. Car vouloir être libre suppose d'accepter de devenir encore plus responsable...
Véronique Nicolas, Doyen de la faculté de droit de l'Université de Nantes, Professeur agrégé, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP
La technique contractuelle est le terrain de jeu favori de ceux qui aiment la créativité juridique. Le contrat d'assurance peut s'y prêter, mais celui qui tient la plume et voudrait se livrer à quelque ingéniosité contractuelle ne doit pas perdre de vue qu'il opère sur un terrain où les règles de droit impératives sont légion.
Chacun sait que l'article L. 111-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L7082ICB) dispose :
"Ne peuvent être modifiées par convention les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre, sauf celles qui donnent aux parties une simple faculté et qui sont contenues dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19".
L'articulation est nette : par principe, le droit du contrat d'assurance est d'ordre public ; par exception, pour les vingt articles énumérés, la liberté contractuelle peut se déployer.
L'arrêt rapporté, rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 4 juillet 2013, offre ici l'occasion d'une réflexion sur l'emploi, dans un contrat d'assurance, d'une clause de substitution d'assureur.
La technique de substitution est fréquente dans d'autres branches du droit. Ainsi notamment :
- en droit de la vente, où il est usuel que celui qui achète un immeuble (ex. : un commerçant exploitant individuel) prenne la précaution d'insérer dans la promesse synallagmatique de vente une clause de substitution (pour lui permettre, par exemple, de se substituer une SCI s'il se décide à en créer une entre signature du compromis et réitération de la promesse par signature de l'acte notarié) ;
- en droit de la franchise, où il est usuel que le franchiseur stipule un droit de préemption ou un droit de préférence en cas de cession de son fonds de commerce par un franchisé. Par précaution, il précisera que le bénéficiaire du droit (de préemption ou préférence) sera soit lui-même (franchiseur) soit toute personne qu'il se substituera (par exemple un autre franchisé du réseau désireux de devenir multifranchisé).
On trouve aussi en droit des assurances des mécanismes de substitution. Il s'agira, par exemple, de la clause bénéficiaire en matière d'assurance-vie qui permet à l'assuré de modifier ce bénéficiaire et de substituer à celui initialement désigné, tout autre qu'il lui plaira.
En matière d'assurance emprunteur, compte-tenu de ce que la couverture d'assurance a vocation à durer aussi longtemps que le crédit, les assureurs se livrent à une concurrence ouverte. Certains sites internet d'assureurs mettent en avant la possibilité de se substituer à l'assureur originel (exemple ainsi de la MAIF, dont le site vante un service dédié qui conseille les assurés sur la façon de résilier leur contrat en cours, dans le respect du préavis minimal de deux mois avant l'échéance annuelle, et se propose de gérer la substitution pour le compte de son nouvel assuré).
Les choses sont facilitées lorsqu'une clause de substitution est insérée dans le contrat d'assurance. Tel était le cas dans l'arrêt ici examiné, la police d'assurance originelle, négociée par un courtier d'assurance, stipulant : "le souscripteur autorise (le courtier) et ses représentants, dans la mesure où les nouvelles garanties globalement ne peuvent être moins favorables que celles acceptées ce jour, à déplacer le contrat auprès de l'assureur de leur choix".
Derrière une terminologie perfectible ("déplacer le contrat" n'est pas une expression très heureuse), la question ici posée est celle de savoir si l'assuré a consenti par avance à donner au courtier tout pouvoir pour mettre en oeuvre une substitution ou si ce dernier doit, le cas échéant, recueillir l'accord exprès de l'assuré après avoir trouvé un contrat de substitution.
En l'espèce, le courtier, confronté à une mise en oeuvre par l'assureur de sa faculté de résiliation annuelle, avait, 15 jours avant ce terme, actionné la clause de substitution et informé par courrier l'assuré de l'assureur substitut. Il avait donc parfaitement exécuté sa mission. L'assuré n'avait pas réagi, ce qui donne à penser qu'il avait acquiescé. Pourtant celui-ci a, par suite, contesté les prélèvements de cotisations effectués au profit de ce nouvel assureur.
Si les mots ont un sens, l'emploi du terme "autorise" dans la clause devrait valoir autorisation donnée au courtier de procéder à toute substitution d'assureur dans l'intérêt de l'assuré, en évitant toute "rupture d'assurance".
Pourtant, telle n'est pas la lecture de la Cour de cassation qui considère que la clause de substitution "ne saurait dispenser le courtier de recueillir l'accord du souscripteur sur ces nouvelles garanties".
L'on mesure ici les limites de cette clause : si elle autorise le principe d'une substitution, exiger, comme le fait ici la Cour de cassation, un consentement exprès de l'assuré donné au nouveau contrat revient à limiter considérablement le mécanisme même de substitution. D'ailleurs, en fait de substitution d'assurance, la clause est plutôt ravalée au rang de clause de proposition de substitution d'un nouveau contrat d'assurance !
La clause de substitution n'a donc pas, en droit des assurances, l'efficacité qu'on lui connaît en droit de la vente ou en droit des sociétés par exemple. La volonté de protéger l'assuré n'y est sans doute pas étrangère. Ici, on refuse de voir dans la clause un accord donné a priori par l'assuré pour consentir à toute modification de son contrat d'assurance par substitution d'un nouvel assureur. Ce, alors même que la clause litigieuse précise que les garanties du nouveau contrat ne peuvent être moins protectrices que celles du contrat originel !
Quel est alors l'utilité réelle de cette clause de substitution ? Ne serait-il pas possible d'en renforcer le poids par des stipulations plus précises ? Ainsi, par exemple, quelle serait la réaction de la Cour de cassation si, demain, un rédacteur de police se faisait plus précis et, pour prévenir la solution ici retenue, stipulait que, dûment averti par le courtier au moins 10 jours avant ladite substitution, le silence conservé par l'assuré vaudra acceptation ? (1)
Sans anticiper sur la solution dans un tel cas de figure, ni donner de faux espoirs aux rédacteurs de polices d'assurance, on notera que, dans l'arrêt étudié, la Haute juridiction a approuvé la solution du juge de proximité sans reprendre son raisonnement selon lequel la clause de substitution devrait céder devant l'article L. 112-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L9858HET). Ce dernier exige que "toute addition ou modification au contrat d'assurance primitif doit être constaté par un avenant signé des parties". Or, à notre sens, l'article ne régit que la modification, par avenant, de la police originelle entre les mêmes parties. La substitution s'en écarte puisqu'elle implique un changement des parties et de police !
On peut souhaiter que, en dehors de l'assurance emprunteur, spécialement dans les assurances de risques professionnels, l'efficacité de la clause de substitution pourrait et devrait être mieux assurée.
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan
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