La lettre juridique n°922 du 27 octobre 2022 : Sociétés

[Jurisprudence] Révocation du directeur général d’une SAS : les statuts, tous les statuts… rien que les statuts ?

Réf. : Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382, F-B N° Lexbase : A55138NI

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N3069BZP

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par Thierry Favario, Maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

le 27 Octobre 2022

Mots clés : directeur général ; société par actions simplifiée (SAS) ; révocation ; convention de direction ; statuts

Dans cet important arrêt, la Cour de cassation rappelle que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Elle précise que si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger. Pareille précision intéressera les praticiens chargés notamment de rédiger les conventions de direction liant ces sociétés à leurs dirigeants.


 

Toute société forme un ordre juridique plus ou moins complexe. La société par actions simplifiée n’y fait pas exception. Les normes y sont variées, que régente un principe d’ordre. L’arrêt ci-dessus référencé, publié au Bulletin, explicite ledit principe, lequel permet d’articuler statuts et actes extra-statutaires.

Les faits de l’espèce sont simples. Par lettre du 13 mai 2011, M. X est nommé directeur général de la SAS Y, par décision de son associé unique, la société Z. Il est révoqué de ses fonctions le 17 décembre 2014. M. X conteste la décision de révocation. L’estimant sans juste motif, il réclame en justice la somme stipulée dans ladite lettre en pareil cas. La cour d’appel [1] le déboute de sa demande en se fondant sur les statuts de la SAS Y prévoyant une révocation ad nutum du directeur général. L’ancien dirigeant forme un pourvoi en cassation contre sa décision. Si les faits sont simples, l’identification de la norme applicable l’est moins : les statuts de la SAS Y énoncent le principe d’une révocation ad nutum et sans indemnité du directeur général de la société ; la lettre de désignation du 13 mai 2011 précise à l’inverse qu’ « en cas de révocation de vos fonctions de directeur général de la société sans juste motif, vous bénéficierez d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de votre rémunération brute fixe ».  

Quelle règle appliquer : ad nutum et sans indemnité ou sans juste motif avec indemnité ? Ad nutum et sans indemnité. La Cour de cassation rejette en effet le pourvoi. Sa réponse fera date par sa clarté et sa portée. De la lecture combinée des articles L. 227-1 N° Lexbase : L2397LR9 et L. 227-5 N° Lexbase : L6160AIY du Code de commerce, la Cour déduit en effet « que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général ». Elle précise que « Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger ». Un rappel salutaire : la prééminence des statuts (I) implique la subordination des « actes extra-statutaires » (II).

I. Prééminence des statuts

Les statuts présentent une nature hybride, faisant écho à la nature duale de la société : ils forment à la fois le contrat déterminant les relations entre associés et fixant leurs droits et obligations [2] et la « Constitution » organisant le fonctionnement institutionnel de la société. Seule cette seconde dimension nous intéresse ici.

A. Du bon usage de la liberté statutaire

L’irruption de la société par actions simplifiée dans le paysage juridique français a signé le retour d’une approche « contractuelle » de la société : l’idée est suffisamment connue pour ne pas y revenir. L’article L. 227-5 du Code de commerce symbolise cette contractualisation : « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». Une lecture rapide du texte incline à mettre l’accent sur la liberté conférée aux associés. Liberté dont ils usent avec prudence semble-t-il. La jurisprudence de la Cour de cassation révèle ainsi que les organes de direction sui generis, par opposition à ceux impérativement définis par la loi [3], empruntent nombre de leurs traits à des organes légaux connus [4]  et, en matière de révocation, les statuts s’écartent rarement de l’option entre ad nutum [5] et « juste motif » [6].

Était précisément en cause, en l’espèce, la situation d’un directeur général, organe qui peut être statutairement institué [7] et dont les statuts sont susceptibles de fixer un ensemble de droits et d’obligations parmi lesquels notamment, nous précise l’arrêt, « les modalités de révocation ». De fait, l’article 12 des statuts de la SAS prévoyait, d’une part, que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’aucun motif soit nécessaire, par décision de la collectivité des associés ou de l’associé unique » et, d’autre part, que « la cessation, pour quelque cause que ce soit et quelle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit ». Ledit article illustre la liberté statutaire dont disposent les parties si on se souvient que le directeur général d’une société anonyme est, lui, révocable pour « juste motif » [8]. Il est également en rupture avec la règle classique selon laquelle un dirigeant social « exécutif » est révocable pour « juste motif » tandis que celui « non exécutif » l’est en principe ad nutum. Mais la liberté statutaire prime en matière de société par actions simplifiée [9].

B. Du nécessaire rappel de la prééminence des statuts

Peut-être consciente de son audace, la SAS a souhaité adoucir le sort du directeur général par ce fameux courrier du 13 mai 2011 indiquant qu’en cas de révocation de ses fonctions de directeur général de la société sans juste motif, M. X bénéficierait d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de sa rémunération brute fixe.

Une lecture plus attentive de l’article L. 227-5 du Code de commerce s’impose ici : « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ». Rédigé à l’indicatif, le texte est impératif. Les statuts, et uniquement eux, fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, à l’exclusion de tout autre « acte extra-statutaire ». Invoquer la lettre du courrier du 13 mai 2011 pour arguer que son contenu prime sur les statuts est donc erroné : un « acte extra-statutaire » ne peut pas écarter la règle statutaire et transformer une révocation ad nutum en révocation pour juste motif. Il est vrai que la lettre émanait de l’associé unique de la SAS si bien qu’il aurait été permis de tirer un argument – fragile – selon lequel elle modifiait les statuts. Fragile par son ignorance de la procédure particulière de modification des statuts et des formalités subséquentes.

L’argument conduirait par ailleurs à faire varier les statuts de la SAS au gré des desiderata des parties, la société d’une part, son dirigeant d’autre part. Une instabilité bien éloignée d’une analyse des statuts comme « Constitution » de la société. Ce n’est du reste pas la première fois que la Cour de cassation confère aux statuts de la société par actions simplifiée force et prééminence s’agissant de l’organisation de sa direction. Un précédent important était déjà à noter [10]. L’arrêt sous commentaire s’inscrit dans son sillage… tout en le dépassant.

II. Subordination des « actes extra-statutaires »

C’est naturellement la seconde partie de la solution qui retient l’attention : « si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger ». Ces deux propositions sont à examiner.

A. Ne pas déroger aux statuts

La terminologie employée donnerait une clé de compréhension de la solution. L’arrêt évoque un « acte extra-statutaire », notion qui se distinguerait du « pacte extra-statutaire » : le premier émanerait de la société via ses organes et préciserait le fonctionnement interne de la société, comme, par exemple, un règlement intérieur [11] ou la lettre litigieuse qualifiée de tel en l’espèce ; le second lierait, soit deux ou plusieurs associés de la société, soit la société elle-même et un ou plusieurs associés, et aménagerait des droits et obligations qui leur sont particuliers. En d’autres termes, l’ « acte extra-statutaire » faisant écho à la dimension institutionnelle de la société, serait naturellement subordonné aux statuts, tandis que le « pacte extra-statutaire », reflet de sa dimension contractuelle, pourrait, dans la limite de l’ordre public, aménager les droits et obligations des associés [12]. La lettre du 13 mai 2011, analysée en un « acte extra-statutaire », ne peut donc déroger aux statuts.

Les praticiens doivent connaître cette solution pour mesurer la portée des actes qu’ils concluent : les termes d’un tel document entrant en contradiction avec les statuts sont inefficaces et c’est donc à l’aune de ceux-ci que s’apprécie la pertinence de ceux-là. On peut dès lors se demander si en l’espèce, la SAS n’a pas induit en erreur M. X sur la réalité de son statut, point non discuté devant la Haute juridiction. La présente solution intéresse également les magistrats en ce qu’elle clarifie leur tâche. Une fois l’acte qualifié, son régime juridique s’impose et le principe posé in casu est celui de la hiérarchie. L’arrière-plan institutionnel de la solution chasse toute considération tirée du droit des contrats : inutile d’invoquer la volonté des parties et la force obligatoire des contrats [13], laquelle s’efface devant celle des statuts, voire l’adage specialia generalibus derogant, inapplicable dès lors que les actes en concours ne sont pas de même nature.

B. Mais compléter les statuts

L’« acte extra-statutaire » peut compléter les statuts. À bien y réfléchir, son domaine d’application s’étendra à proportion du mutisme des statuts. Des « rubriques » dont on pourrait penser qu’elles s’incarnent naturellement dans une disposition statutaire pourraient être logées dans un tel acte, le cas échéant.

Le présent arrêt imposerait ainsi en creux aux praticiens d’identifier précisément ce qui relève du statut « primaire » du dirigeant de la société par actions simplifiée, à graver dans les statuts, et ce qui constitue son statut « complémentaire » personnel, défini au sein d’une convention de direction.

Or, en l’espèce, les statuts envisageaient précisément le régime global de la révocation du directeur général – sans délai, sans motif et sans indemnité –, ne laissant ainsi que peu d’espace pour un éventuel complément. La contradiction entre les statuts et l’acte du 13 mai 2011 était donc flagrante, leur objet coïncidant parfaitement. La solution eut été différente si les statuts avaient prévu le principe d’une indemnité, l’acte en précisant le montant ou les critères de détermination. Et si les statuts s’étaient limités à évoquer une révocation ad nutum, soit sans délai et sans motif, du dirigeant ? La lettre, à la condition de ne pas remettre en cause la nature de la révocation statutaire, aurait-elle pu stipuler le versement d’une indemnité ? On peut le penser, ladite lettre complétant les statuts sans y déroger.

***

En conclusion, contrairement à l’apparence d’une solution formulée avec fermeté, pareille précision jurisprudentielle introduit une souplesse de nature à rassurer la pratique sur la validité et l’efficacité des conventions conclues en matière de direction de société. D’abord les statuts ; ensuite les « actes extra-statutaires » qui précisent ceux-ci ou se logent dans les interstices laissés libres. En somme, les statuts oui…mais pas que les statuts.


[1] CA Paris, 5-9, 18 février 2021, n° 20/00654 N° Lexbase : A69504HU.

[2] Par ex. : C. civ., art. 1833, al. 1er N° Lexbase : L8681LQL : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».

[3] C. com., art. L. 227-6 N° Lexbase : L6161AIZ. Il s’agit du président de la SAS et, le cas échéant du directeur général ou directeur général délégué.

[4] Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-20.158, F-D N° Lexbase : A9088MZM : « comité de surveillance ».

[5] Cass. com., 8 avril 2014, n° 13-11.650, F-D N° Lexbase : A0960MKR.

[6] Cass. com., 14 novembre 2018, n° 17-11.103, F-D N° Lexbase : A8009YL9, rectifié par Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-11.103, F-D N° Lexbase : A7161Y7D.

[7] C. com., art. L. 227-6, al. 3.

[8] C. com., art. L. 225-55 N° Lexbase : L5926AIC.

[9] Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4 : « […] les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités […] ». Sur cet arrêt, B. Saintourens, Lexbase Affaires, mars 2022, n° 710 N° Lexbase : N0830BZR.

[10] Cass. com., 25 janvier 2017, n° 14-28.792, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8400S9Y.

[11] Analyse qui expliquerait la subordination déjà reconnue du règlement intérieur aux statuts : Cass. com., 1er mars 2011, n° 10-13.795, F-P+B N° Lexbase : A3462G4Y.

[12] En accordant à un associé un droit de préférence en cas de cession de titres sociaux, un droit d’information privilégié…

[13] C. civ., art. 1103 N° Lexbase : L0822KZH.

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