Lecture: 21 min
N3053BZ4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Public, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz
le 26 Octobre 2022
Lexbase Hebdo — édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d’actualité de droit de l’expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l’Université de Lorraine et Doyen de la faculté de droit économie et administration de Metz. Dans la première décision, la Cour de cassation réaffirme que le juge d’appel doit rechercher d’office si les conclusions relatives aux indemnités d’expropriation sont recevables (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-14.913, FS-D). Le Conseil d’État apporte des précisions sur le rôle du préfet dans le cadre de la procédure de régularisation d’une déclaration d’utilité publique emportant mise en compatibilité du plan local d’urbanisme (CE, 2°-7° ch. réunies, 21 juillet 2022, n° 437634, publié au recueil Lebon). La Cour de cassation est appelée, une nouvelle fois, à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions des alinéas 2 et 4 de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation (Cass. civ. 1, 7 juillet 2022, n° 22-10.290, FS-B). Elle rappelle ensuite qu’une décision d’une personne publique d'implanter un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée n’a pas pour effet l’extinction de ce droit (Cass. civ. 3, 6 juillet 2022, n° 21-13.550). Enfin, le juge du référé-liberté du Conseil d’État juge que la reprise des travaux ne constitue pas nécessairement une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif en l’absence d’annulation définitive de l’arrêté de cessibilité (CE, référé, 25 août 2022, n° 466421).
Sommaire
Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-14.913, FS-D
CE, 2°-7° ch. réunies, 21 juillet 2022, n° 437634, publié au recueil Lebon
Cass. civ. 3, 7 juillet 2022, n° 22-10.290, FS-B
Cass. civ. 1, 6 juillet 2022, n° 21-13.550, F-B
CE, référé, 25 août 2022, n° 466421
I. Le juge d’appel doit rechercher d’office si les conclusions relatives aux indemnités d’expropriation sont recevables (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-14.913, FS-D N° Lexbase : A859978Y)
En application de l’article L. 321-22 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L7988I4M, « le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu’elles résultent de leurs mémoires et des conclusions du commissaire du Gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l’expropriant ». L’article R. 311-26 N° Lexbase : L7258LEK précise quant à lui que « à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant ». Ce délai de trois mois est identique au délai de droit commun prévu par l’article 908 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7239LET alors que, sous l’empire de l’ancien Code de l’expropriation, l’article R. 13-49 N° Lexbase : L3177HLA ne prévoyait qu’un délai de deux mois.
Un moyen présenté pour la première fois par l’appelant dans un mémoire déposé après l’expiration de ce délai est en conséquence est irrecevable [1]. Encourt donc la cassation un arrêt qui pour fixer une indemnité de dépossession d’un montant supérieur à ce qui avait été sollicité dans le mémoire initial, prend en considération des écritures déposées après l’expiration du délai légal [2].
En l’espèce, pour fixer les indemnités d’expropriation revenant à un montant inférieur à celui demandé par le propriétaire évincé et à ceux proposés par le commissaire du gouvernement et par l’expropriant dans des conclusions déposées le 13 janvier 2020, l’arrêt se réfère aux dernières conclusions déposées par ce dernier le 9 novembre 2020, aux termes desquelles il réduit ses offres indemnitaires. En se déterminant ainsi, sans rechercher d’office si ces conclusions, déposées au-delà du délai prévu par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, étaient néanmoins recevables, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
II. Précisions sur le rôle du préfet dans le cadre de la procédure de régularisation d’une déclaration d’utilité publique emportant mise en compatibilité du plan local d’urbanisme (CE, 2°-7° ch. réunies, 21 juillet 2022, n° 437634, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A63954YI)
Dans la présente affaire, le Conseil d’État met un terme à la procédure au long cours concernant la déclaration d’utilité publique relative à la réalisation d’un tronçon de « la Liaison Intercantonale d’Evitement Nord » (LIEN) autour de l’agglomération montpelliéraine et emportant mise en compatibilité des plans d’occupation des sols et des plans locaux d’urbanisme des communes traversées, dont celle de Grabels qui s’oppose au projet.
Dans une décision avant dire droit du 9 juillet 2021 [3], le Conseil d’État avait sanctionné l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale, au motif qu’elle ne disposait pas de l’autonomie répondant aux exigences du paragraphe 1 de l’article 6 de la Directive européenne 2011/92 du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement N° Lexbase : L2625ISZ [4]. Mais plutôt que d’annuler la déclaration d’utilité publique, s’inspirant de sa jurisprudence dans le domaine des autorisations environnementales [5] et dans celui des autorisations d’urbanisme [6], le Conseil d’État avait considéré que ce vice de procédure était susceptible de régularisation et qu’il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois, ou de neuf mois en cas de nouvelles consultations.
Conformément au mode d’emploi précisé dans la décision du 8 juillet 2021, le préfet a saisi la mission régionale d’autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable qui a rendu un avis le 28 septembre 2021 et il a organisé une consultation du public par voie électronique, du 31 janvier au 2 mars 2022.
La question se posait dès lors de savoir si ces mesures étaient de nature à régulariser l’arrêté litigieux. Conformément à la solution dégagée à l’occasion de l’arrêt « Ministre de la cohésion des territoires et Société MSE La Tombelle » du 16 février 2022 [7], le Conseil d’État rappelle que « eu égard au vice retenu, tiré de l’irrégularité de l’avis rendu par l’autorité environnementale sur le dossier du projet en cause, comprenant notamment l’étude d’impact, seuls sont susceptibles d’être utilement invoqués à ce stade des moyens mettant en cause des vices propres à la mesure de régularisation, ou contestant que l’avis émis par l’autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable territorialement compétente permettrait de régulariser le vice relevé par la décision du Conseil d’État du 9 juillet 2021 ou soutenant que de nouveaux vices, fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation, affecteraient la légalité de l'arrêté attaqué ».
Ce sont donc d’abord les moyens concernant la régularité de l’étude d’impact qui sont examinés par le Conseil d’État. À ce titre, il est jugé que si l’autorité environnementale avait émis le souhait d’élargir le périmètre de l’étude air et santé figurant dans cette étude, l’ampleur des modifications des flux de trafic sur les axes routiers qui n’ont pas été pris en compte ne justifiait de les intégrer dans ce périmètre.
Concernant ensuite la consultation complémentaire faite dans le cadre de la régularisation, les juges relèvent que le nouvel avis ne différait substantiellement pas de l’avis initial. Il n’y avait donc pas lieu d’organiser - toujours conformément au mode d’emploi défini dans la décision du 8 juillet 2021 - des consultations complémentaires à titre de régularisation, dans le cadre desquelles seraient soumis au public, outre l’avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d’éventuels vices révélés par ce nouvel avis. En conséquence, aucune reprise de l’enquête publique ne s’imposait, et une consultation du public selon la modalité retenue suffisait à la régularisation.
III. Conformité à la Constitution des dispositions des alinéas 2 et 4 de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation (Cass. civ. 3, 7 juillet 2022, n° 22-10.290, FS-B N° Lexbase : A05168AD)
La Cour de cassation est saisie une nouvelle fois dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité de la conformité à la Constitution des dispositions des alinéas 2 et 4 de l’articles L. 322-2 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L9923LMH relatifs aux modalités d’évaluation de l’indemnité d’expropriation.
Dans un précédent arrêt en date du 1er avril 2021 [8], la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait considéré que la question de la conformité de ces dispositions à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1364A9E présentait un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel. Ces dispositions imposent d’apprécier la nature et l’usage effectif de l’immeuble à une date de référence parfois très antérieure à la date de l’expropriation, tout en interdisant de tenir compte des changements de valeur depuis cette date. Plus précisément, ce qui était contesté, c’était l’absence de distinction opérée par ces dispositions selon que le bien exproprié a vocation à demeurer dans le patrimoine de l’autorité publique expropriante, ou qu’il est déjà avéré que ce bien sera revendu par l’expropriant au prix du marché, dans des conditions déjà connues lui permettant de réaliser une plus-value substantielle.
Dans une décision du 11 juin 2021, le Conseil constitutionnel avait déclaré conformes à la Constitution ces dispositions [9]. Il avait notamment relevé que les dispositions litigieuses permettaient d’éviter que la réalisation d’un projet d’utilité publique soit compromise par la hausse de la valeur vénale du bien exproprié, consécutive à l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant, ce qui est conforme à l’objectif d’intérêt général de bon usage des deniers publics.
Si cette question revient une nouvelle fois devant la Cour de cassation c’est en raison de l’intervention de l’arrêt du Conseil d’État du 22 mars 2022, « Association Eglise évangélique de Crossroads » selon lequel les recettes attendues de la vente future des terrains et de l’opération d’expropriation n’ont pas à être incluses dans le dossier soumis à enquête publique [10]. Selon les requérants, il s’agirait ici d’un changement des circonstances de droit modifiant le cadre juridique existant de nature à affecter la constitutionnalité des dispositions litigieuses. Or, peuvent constituer de telles circonstances, une interprétation jurisprudentielle constante d’une juridiction suprême conférée à une disposition législative, intervenant postérieurement à la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative en cause conforme à la Constitution [11].
Ce moyen est toutefois rejeté par la Cour de cassation. Elle relève, d’abord, que cette décision prise par le Conseil d’État que cette décision ne constitue pas une modification de la jurisprudence antérieure. Elle précise ensuite que dans sa décision du 11 juin 2021, le Conseil constitutionnel ne s’était pas fondé, pour déclarer ces dispositions conformes à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur l’existence d’un recours contre la déclaration d’utilité publique pouvant être exercé devant le juge administratif en cas de plus-value certaine et excédant les besoins du projet, réalisée par l’autorité expropriante au détriment de l’exproprié. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.
IV. La décision d’une personne publique d'implanter un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée n’a pas pour effet l'extinction de ce droit (Cass. civ. 1, 6 juillet 2022, n° 21-13.550, F-B N° Lexbase : A582079G)
Dans son arrêt « Bergoend » du 17 juin 2013 [12], le Tribunal des conflits a limité de façon assez radicale le domaine de la voie de fait. Désormais il n’y a voie de fait que dans deux hypothèses : lorsque l’administration a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété ; lorsqu’elle a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative. Seuls ces cas justifient, par exception au principe de séparation des autorités administrative et judiciaire, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour ordonner la cessation ou la réparation des atteintes subies.
S’agissant plus précisément des atteintes portées au droit de propriété, dans une autre décision « Epoux Panizzon » du 9 décembre 2013 [13], le Tribunal des conflits a assimilé « extinction » du droit de propriété et « dépossession définitive ». Pour qu’il y ait voie de fait, il est donc exigé que la le droit de propriété soit totalement vidé de sa substance, ce qui vise particulièrement l’hypothèse de la destruction d’un bien. En d’autres termes, le propriétaire doit être privé de l’ensemble des éléments composant son droit : usus, abusus et fructus. Mais encore faut-il préciser qu’on doit entendre cette notion dans un sens non pas matériel mais juridique. Ainsi, la destruction matérielle d’un bien immobilier n’est pas toujours assimilable à la dépossession définitive du droit de propriété dès lors que ce bien est susceptible de faire l’objet d’une remise en état. Tel est le cas dans une affaire concernant une demande de remise en état d’une haie supprimée contre la volonté de son propriétaire [14]. Dans une décision plus favorable à la compétence du juge judiciaire, la première chambre civile de la Cour de cassation a certes considéré que l’arrachage d’une haie, constituée d’arbres, sur toute sa longueur, occasionne l’extinction du droit de propriété des requérants sur ces végétaux [15]. Il n’y a pourtant pas de réelle divergence entre la première et la troisième chambre civile, la différence de solution pouvant résulter du fait que c’est une haie constituée d’arbres qui est en cause dans la seconde affaire, ce qui rend moins envisageable la remise en état des lieux que dans la première affaire.
Dans l’affaire « Bergoend », le Tribunal des conflits a pu ainsi refuser de considérer qu’une atteinte aussi grave au droit de propriété que l’implantation, sans titre, d’un ouvrage public sur le terrain d’une personne privée est assimilable à l’extinction d’un droit de propriété.
Dans la présente affaire, les faits soumis aux juges sont très semblables : un propriétaire se plaint qu’un transformateur électrique a été installé sans autorisation sur sa propriété, ce qui l’a conduit à assigner la société Enedis devant la juridiction judiciaire en paiement de dommages-intérêts et d’une indemnité d’occupation jusqu’à son déplacement ou sa suppression. Dans la droite ligne de la jurisprudence « Bergoend », la Cour de cassation considère que cette situation n’a pas pour effet l’extinction du droit de propriété, de sorte que la juridiction administrative est compétente pour statuer sur le recours en annulation de cette décision, ainsi que sur la réparation de ses conséquences dommageables.
V. La reprise des travaux ne constitue pas nécessairement une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif en l’absence d'annulation définitive de l’arrêté de cessibilité (CE, référé 25 août 2022, n° 466421 N° Lexbase : A97118EE)
L’ordonnance commentée illustre à quel point l’utilisation de la procédure de référé liberté est incertaine dans le contentieux de l’expropriation. Les faits de l’affaire sont complexes et méritent d’être relatés exhaustivement.
Une SCI était propriétaire à Marseille de parcelles sur lesquelles ont été édifiés plusieurs bâtiments au sein desquels elle exerçait diverses activités, notamment celle d’abattage. Par deux deux arrêtés du 27 février 2017, le préfet avait déclaré d’utilité publique les travaux de réalisation d’une zone d’aménagement concerté et déclaré cessible, au bénéfice de l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée, l’ensemble immobilier situé sur les parcelles en cause. Ces parcelles ont ensuite fait l’objet d'une ordonnance d’expropriation le 30 juin 2017. Les indemnités de dépossession ont été fixées par jugement rendu le 27 juin 2018 et payées le 11 décembre 2018. Toutefois, avec l’accord de l’expropriant, les sociétés exploitantes des installations présentes sur le site se sont maintenues dans les lieux jusqu’au 30 septembre 2019.
Par un arrêt du 22 février 2022 [16], la cour administrative d’appel de Marseille a annulé l’arrêté de cessibilité, au motif que la déclaration d’utilité publique était entachée d’illégalité. La société a alors saisi le juge de l’expropriation en application de l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L7962I4N qui précise que « en cas d’annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation ». Dans ce cas, selon le même article « après avoir constaté l’absence de base légale de l'ordonnance portant transfert de propriété, le juge statue sur les conséquences de son annulation ».
Le 16 février 2022, l’établissement public a notifié l’ordre de service du démarrage de l’exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés. Saisi par la SCI Les Marchés Méditerranéens, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une ordonnance du 29 mars 2022, enjoint à l'EPA Euroméditerranée d’interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause jusqu’à ce que le juge de l’expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu’à l’intervention d’un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause.
Par une ordonnance du 17 juin 2022 [17], le juge des référés du Conseil d’État a confirmé l’injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille tout en précisant que cette injonction prendrait fin notamment si l’arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé. Or justement, par une décision du 25 juillet 2022, le Conseil d'État a annulé l’arrêt du 22 février 2022 de la cour administrative d’appel de Marseille [18].
Saisi de nouveau par la SCI, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, par une nouvelle ordonnance du 29 juillet 2022, à nouveau enjoint à l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée d’interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause. C’est cette ordonnance qui est contestée en appel devant le juge des référés du Conseil d’État.
L’essentiel du débat juridique tient ici sur la question de savoir si l’atteinte au droit de propriété en cause est « grave et manifestement illégale » au regard des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L8052I4Y énonçant les conditions de la procédure de référé liberté.
Le juge du référé liberté rappelle ici que le droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par les stipulations des articles 6 N° Lexbase : L7558AIR et 13 N° Lexbase : L1360A9A de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale [19]. Il rappelle également que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l’exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l’atteinte aux biens.
Or, dans la présente affaire, l’arrêté de cessibilité du 27 février 2017 n’a pas fait l’objet, à la date où le juge du référé-liberté du Conseil d’État statue, d’une « annulation par une décision définitive du juge administratif », condition exigée par l’article L. 223-2 du Code de l’expropriation susvisé. Il en résulte que « si la reprise des travaux est de nature, dans l’hypothèse d’une annulation devenue irrévocable de l’arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif, alors que l’absence d’annulation définitive de l’arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle à l’action en restitution devant le juge de l’expropriation ».
[1] Cass. civ. 3, 8 octobre 1977, Bull. civ. III, n° 190.
[2] Cass. civ. 3, 18 mai 1989, Bull. civ. III, n° 114, D. 1991. somm. 59, obs. P. Carrias, AJPI, 1989. 802, obs. A.B.
[3] CE 2°-7° ch. réunies, 9 juillet 2021, n° 437634 N° Lexbase : A63954YI, Rec. CE, p. 224, JCP éd. A, 2021, act. 476, JCP éd. A, 2021, 2304, note F. Polizzi.
[4] JOUE, 26 janvier 2012, L 26/1.
[5] CE 2°-7° ch. réunies, 27 septembre 2018, n° 420119 N° Lexbase : A2070X88.
[6] CE 5°-6° ch. réunies, 27 mai 2019, n° 420554, n° 420575 N° Lexbase : A1439ZDN.
[7] CE 5°-6° ch. réunies, 27 mai 2019, n° 420554.
[8] Cass. civ. 3, 1er avril 2021, n° 20-17.133, FS-P N° Lexbase : A48224NW.
[9] Cons. const., décision n° 2021-915/916 QPC N° Lexbase : A70884U3.
[10] CE 2°-7° ch. réunies, n° 448610, n° 448619 N° Lexbase : A12837RX.
[11] Cons. const., décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018 N° Lexbase : A4443YNU ; v. aussi CE, 20 décembre 2018, n° 418637 N° Lexbase : A8417YR8, Rec. CE, Tables, p. 87.
[12] T. confl., n° 3911 N° Lexbase : A2154KHA, AJDA, 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau, Dr. adm., 2013, comm. 86, note S. Gilbert, JCP éd. A, 2013, comm. 2301, note C.-A. Dubreuil, JCP éd. G, 2013, comm. 1057, note S. Biagini-Girard, RFDA, 2013, p. 1041, note P. Delvolvé, RJEP, 2014, comm. 19, note L. Lebon.
[13] T. confl., n° 3931 N° Lexbase : A2513KTA, Rec. p. 376, AJDA, 2014, p. 216, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, Dr. adm., 2014, comm. 25, note S. Gilbert, JCP éd. A, 2014, comm. 1355, note J. Martin, RD imm., 2014, p. 261, note N. Foulquier, RFDA, 2014, p. 61, note P. Delvolvé
[14] Cass. civ. 3, 18 janvier 2018, n° 16-21.993, FS-P+B N° Lexbase : A8764XAT, AJDI, 2020, p. 227, note F. Cohet, JCP éd. G, 2020, doctr. 648, note H. Périnet-Marquet, RD rur., 2020, comm 2, note A. Latil, LPA, 11 mai 2020, p. 15, note J.-.F. Barbieri, RD imm., 2020, p. 80, note E. Ripoch.
[15] Cass. civ. 1, 5 février 2020, n° 19-11.864, F-P+B+I N° Lexbase : A37983DZ, JCP éd. A, 2020, comm. 2102 et comm. 2248, note M. Carius.
[16] CAA Marseille, 22 février, n° 19MA05604 N° Lexbase : A69097ZW.
[17] CE référé, 17 juin 2022, n° 463341 N° Lexbase : A194678L.
[18] CE 6° ch., n° 462681 N° Lexbase : A93178C3.
[19] V. également CE, référé, 17 juin 2022, préc.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:483053