Lexbase Droit privé n°536 du 18 juillet 2013 : Régimes matrimoniaux

[Jurisprudence] Changement de régime matrimonial : la convention modificative valablement conclue s'impose aux époux... même inconstants

Réf. : Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-10.027, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2487KET)

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par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

le 01 Août 2013

L'inconstance n'a pas sa place en droit des obligations, et plus spécifiquement au sein des conventions portant changement de régime matrimonial. Tel pourrait être l'enseignement essentiel délivré par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 mai 2013. En l'espèce, deux époux séparés de biens décident, quelques années après leur union, de procéder à une modification de leur régime par l'adjonction d'une société d'acquêts, essentiellement constituée de biens présents de l'époux et destinée à accueillir les acquêts à venir, sans toutefois que l'épouse ne réalise aucun apport personnel. Un peu moins de deux années après que le changement ait sorti ses effets (on devine une certaine dégradation des relations conjugales), le mari agit en nullité de l'acte instituant la société d'acquêts -par ailleurs assortie d'une clause d'attribution intégrale au profit du survivant-, principalement au motif que le nouveau régime lui est excessivement défavorable, au regard de son âge et de l'importance de ses apports. La cour d'appel de Grenoble accueille la demande en énonçant que si la modification par des époux de leur régime est admise, l'article 1397 du Code civil (N° Lexbase : L9251HWK) impose qu'elle soit conforme à l'intérêt de la famille. Or, les juges du fond considèrent que l'opportunité du changement n'est pas avérée, le choix s'étant révélé manifestement défavorable au mari. L'épouse forme un pourvoi fondé sur plusieurs arguments. Au tout premier chef, elle avance que son conjoint ne peut se prévaloir d'une prétendue atteinte à l'intérêt de la famille pour agir en nullité de la convention valablement conclue qui est devenue définitive. En second lieu, elle entend démontrer que contrairement à ce qu'expose la cur d'appel, le changement opéré était respectueux de l'intérêt de la famille. Elle obtient gain de cause auprès de la première chambre civile qui, sans reprendre les moyens du pourvoi, sanctionne la décision d'appel au visa des articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8), 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1397 du Code civil en ces termes : "[...] le changement de régime matrimonial ayant produit effet s'impose à chacun des époux, de sorte que, à défaut d'invoquer un vice du consentement ou une fraude, aucun d'eux ne peut être admis à le contester sur le fondement de l'article 1397 du Code civil [...]".

L'argumentation est à l'abri de toute critique ; une fois le changement devenu définitif en application de l'article 1397 du Code civil, il s'impose aux parties contractantes qui ne peuvent le remettre en cause, au moins unilatéralement, sauf à agir en nullité de la convention sur les fondements classiques du droit commun -vice du consentement et fraude-. Par là-même, une action en nullité fondée sur l'atteinte à l'intérêt de la famille est purement et simplement irrecevable.

I - Un changement de régime devenu définitif

La décision est l'occasion de revenir sur la procédure de changement de régime matrimonial qui a été modifiée par l'importante loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4) (1). Dès la loi du 13 juillet 1965, le principe d'immutabilité des conventions matrimoniales avait connu un assouplissement certain par la consécration d'une procédure de changement volontaire, dont les époux avaient l'initiative, mais qui se déroulait sous le contrôle du juge. La loi du 23 juin 2006, dans un souci de promotion des volontés individuelles et d'allègement des procédures, a partiellement déjudiciarisé le changement de régime. Ainsi, en l'absence d'enfants mineurs dont l'existence rend l'homologation obligatoire, l'intervention judiciaire n'est réintroduite qu'en cas de contestation des enfants majeurs ou des créanciers, dûment informés de la modification envisagée. Avant comme après la réforme de 2006, la procédure nécessite la rédaction d'une convention notariée abritant le consentement réel et non vicié des époux, et le respect d'une condition de délai de fonctionnement du régime à modifier. L'opportunité du changement continue d'être appréciée par le juge lorsqu'il intervient, mais force est de constater que l'éventuelle -et recherchée- éviction de l'homologation conduit à un renforcement du rôle de certains intervenants quant au contrôle de la conformité du nouveau régime à l'intérêt de la famille.

On songera, en tout premier lieu, au notaire qui participe à l'élaboration de la convention modificative ; il doit, sans doute encore davantage qu'auparavant, éclairer les conjoints sur toutes les conséquences patrimoniales du choix envisagé, durant la vie du régime et à sa dissolution, à l'égard des parties mais également de leurs descendants (2). Les enfants majeurs, quant à eux, bénéficient désormais d'une prérogative leur permettant de veiller à la protection de l'intérêt de la famille : toute contestation intervenue dans un délai de trois mois à compter de l'information contraindra les époux à soumettre leur projet à l'autorité judiciaire (3). Enfin, si l'allègement de la procédure peut être perçu par les conjoints comme opportun, il doit cependant les inciter à une fine analyse du changement à venir, lequel sortira ses effets, en l'absence d'opposition, au jour de la signature de l'accord. Ainsi, le consentement donné par un époux à l'acte sera interprété comme l'aboutissement de sa réflexion, et il faudra en déduire qu'il estime la convention conforme à ses intérêts personnels -lesquels participent, selon l'appréhension prétorienne classique, de la notion d'intérêt de la famille-. Voici, peut-être, ce qui a fait défaut à l'époux, trop empressé, dans l'affaire qui nous occupe...

Les éléments de fait laissent apparaître que le couple était (en l'absence d'enfants, ou à tout le moins d'enfants mineurs ?) soumis à la procédure déjudiciarisée consacrée par la loi de 2006. Seulement quelques mois après l'écoulement du délai imposé par l'article 1397 du Code civil pour envisager un changement, les époux avaient procédé à la rédaction d'un contrat instaurant la société d'acquêts, jointe au régime séparatiste initial. En l'absence d'opposition, le nouveau régime avait sorti ses effets à la date de la signature de la convention l'abritant, conformément à l'alinéa 6 de l'article 1397 du Code civil. En d'autres termes, le changement était devenu définitif à compter de l'échange des consentements, lequel avait conféré force obligatoire à l'engagement conclu dans le respect des dispositions légales. Dès lors, l'accord s'imposait aux parties qui n'étaient pas admises à le critiquer sur le fondement de l'article 1397, quand bien même des circonstances d'ordre personnel intervenues postérieurement auraient conduit l'un d'eux à vouloir le remettre en cause. C'est tout simplement ce que rappelle la Cour de cassation en visant le fameux article 1134 du Code civil, aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". La solution est parfaitement justifiée.

L'issue aurait sans doute été identique si les époux avaient été soumis à l'ancienne procédure ou s'ils avaient eu des enfants mineurs à l'époque du changement. Dans une telle hypothèse, la modification aurait été jugée conforme aux intérêts de la famille. La Cour de cassation a, de longue date, énoncé que la notion doit faire l'objet d'une appréciation d'ensemble ; l'intérêt de la famille n'est pas la somme des intérêts particuliers de ses membres (4). En la matière, les magistrats sont notamment favorables à une modification motivée par la protection du conjoint au cas de dissolution du mariage par décès, même si certaines décisions ont pu refuser l'homologation à des conventions se révélant manifestement défavorables à la personne d'un époux, étant précisé qu'une alternative au changement de régime était envisageable pour parvenir à l'objectif recherché (5).

En l'espèce, rien ne laissait à penser que la modification, bien qu'avantageuse pour l'épouse, présentait des risques inconsidérés pour son conjoint, et plus largement pour le ménage (6). L'opportunité du projet n'aurait vraisemblablement pas été un obstacle à l'homologation. Toutefois, le mari aurait pu, dans ce cas de figure, s'opposer efficacement au changement en ne renouvelant pas, de manière discrétionnaire, son consentement à l'audience. En effet, la volonté des époux est un élément essentiel qui doit perdurer, de jurisprudence constante, à tous les stades de la procédure (7). Ceci dit, dans notre affaire, la contestation n'étant intervenue que plusieurs années après la prise d'effets de la convention, l'argumentation opposée à l'époux par la Cour de cassation aurait été similaire... Et tout aussi bienvenue. Au contraire, la position de la cour de Grenoble n'échappe pas à la critique. Les magistrats n'étaient aucunement juges de l'homologation, et par là-même, de l'opportunité du changement. Or, en prononçant l'annulation de l'acte par référence à une atteinte à l'intérêt de la famille, la décision permettait au mari de revenir, purement et simplement, sur son engagement. Reste qu'une autre voie était offerte pour tenter d'anéantir le nouveau régime.

II - Une convention annulable dans les conditions du droit commun

Bien que soumise à des modalités particulières, la procédure de l'article 1397 du Code civil organise une modification volontaire de régime matrimonial, dont l'initiative émane nécessairement des conjoints. Elle repose sur un élément central : l'acte abritant leur consentement. La convention modificative rédigée par devant notaire obéit donc au droit commun des obligations, et à ce titre, elle peut être remise en cause si elle ne respecte pas les conditions de validité imposées à tout accord de volontés. Il en est ainsi lorsque le contrat n'a pas été soumis à l'appréciation du juge -c'est d'ailleurs l'un des arguments qui a oeuvré en faveur de la déjudiciarisation de la procédure-. Mais c'est encore le cas en présence d'un accord homologué, la Cour de cassation ayant énoncé, dans une importante décision du 14 janvier 1997, que "l'homologation judiciaire laisse subsister le caractère contractuel du changement de régime matrimonial des époux, de sorte que la convention des parties peut [pouvait] être annulée pour des causes qui lui sont propres [...]" (8).

L'époux aurait assurément pu agir sur ce fondement pour obtenir l'annulation de la convention. La rencontre des volontés fait naître un engagement contraignant pour les parties, mais encore faut-il que l'accord ait été valablement conclu. C'est d'ailleurs ce que précise la première chambre civile en admettant une remise en cause de l'acte en présence d'un vice du consentement ou d'une fraude -l'article 1108 du Code civil figurant au visa, aux côtés des articles 1134 et 1397 du même code-. Simplement, si cette voie est offerte aux parties, elle nécessite la preuve de l'existence d'un vice ou de manoeuvres frauduleuses. Or, tout laisse à penser que le mari ne disposait d'aucun élément susceptible d'établir une quelconque erreur, voire l'existence de manoeuvres dolosives émanant de son épouse. Bien au contraire, les juges d'appel avaient constaté, a posteriori, l'intégrité de son consentement au moment de l'élaboration de l'acte... C'est principalement ce qui, semble-t-il, l'avait conduit, à tort, à fonder son action sur l'article 1397 du Code civil. Mais c'était sans compter sur la rigueur des Hauts magistrats qui, fort opportunément, viennent rappeler que les changements d'humeur n'ont aucun droit de cité au sein des conventions matrimoniales.


(1) La nouvelle procédure a donné lieu à une littérature abondante. Voir, sans exhaustivité : B. Beignier, J. Combret et E. Frémont, Le changement de régime matrimonial depuis le 1er janvier 2007. Questions diverses, éléments de réponses, Rev. Dr. Fam., 2007, n° 4, étude n°11 ; La modification du régime matrimonial : premier bilan et perspectives, Rev. Droit et patrimoine, Dossier, décembre 2012, p. 59 et s..
(2) Voir, en ce sens, B. Vareille, La loi du 23 juin 2006 et les régimes matrimoniaux, JCP éd. N, 2007, n° 1200.
(3) Ceci étant, c'est à nouveau au magistrat qu'il revient d'apprécier l'opportunité du changement. Or, force est de constater que les refus d'homologation pour atteinte aux droits des enfants sont devenus très rares depuis l'ouverture de l'action en retranchement à l'ensemble des enfants non issus des deux époux par la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 (N° Lexbase : L0288A33).
(4) Cass. civ. 1, 6 janvier 1976, n° 74-12.212, publié (N° Lexbase : A2691CGR), GAJC, 12ème éd., n° 90 ; D., 1976, p.253, note A. Ponsard ; JCP, 1976, II, n° 18461, note J. Patarin ; RTDCiv., 1978, p. 123, obs. Nerson.
(5) CA Paris, 18 novembre 1997, Defrénois, 1998, p. 1222, obs. J.-M. Plazy. Il s'agissait de l'adoption d'une communauté universelle avec clause d'attribution intégrale au profit du survivant, par des époux séparés de biens. La situation mettait en lumière l'exercice d'une activité à risques par le mari, alors même que son épouse, de 53 ans son aînée, disposait d'un patrimoine personnel important. Le choix entrepris est apparu excessif -notamment au regard de l'obligation au passif en découlant- par rapport aux motifs invoqués, à savoir, principalement, la possibilité d'offrir à l'épouse un confort de vie et des soins médicaux si elle venait à se trouver dans une situation de dépendance. Sur les risques de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale, voir notamment : B. Beignier, La communauté universelle est universelle pour le meilleur, voire le pire, Rev. Dr. Fam., 2006, n° 9, comm. n° 169.
(6) L'existence de descendants n'est pas mentionnée dans la décision mais on rappellera que l'ouverture de l'action en retranchement à l'ensemble des enfants non issus des deux époux met les conventions portant changement à l'abri d'un refus d'homologation pour atteinte à leurs droits successoraux impératifs. Quant aux enfants communs, la jurisprudence considère que l'élection d'un régime favorable au conjoint survivant est en principe, même en leur présence, conforme à l'intérêt de la famille (Cass. civ. 1, 6 janvier 1976, préc.).
(7) Notamment, le consentement des parties doit subsister entre le jour de la signature de la convention et le jour de l'homologation. En ce sens : Cass. civ. 1, 27 avril 1982 n° 81-12.459, publié (N° Lexbase : A1928CKM), Bull. civ. I, n° 148 ; Cass. civ., 1, 12 juillet 2001, n° 99-14.082 (N° Lexbase : A1562AUE), JCP éd. G, 2001, I, n° 103, n° 8, obs. G. Wiederkehr ; Defrénois, 2001, p.1133, obs. G. Champenois ; Dr. Fam., 2001, n° 101, obs. B. Beignier ; RJPF, 2002, n° 1, p.31, obs. F. Vauvillé ; RTDCiv., 2002, p.133, obs. B. Vareille. Voir encore, sur l'admission de l'appel dirigé par un époux contre le jugement d'homologation, au motif que son épouse lui avait dissimulé son intention de divorcer au moment de la signature et de l'audience : Cass. civ. 1, 14 avril 2010, n° 09-11.218, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9199EUA), JCP éd. N, 2010, n° 1274, obs. J. Massip ; Gaz. Pal., 2010, n° 254, p. 17 et s., obs. J. Casey ; RJPF, 2010, n° 9, p. 22, obs. F. Vauvillé ; Rev. Procédures, 2010, n° 6, p. 20, obs. M. Douchy-Oudot ; D., 2010, p. 1107 et s. obs. M. Douchy-Oudot. La Cour a considéré que le mari avait intérêt à agir en raison des circonstances nouvelles, qui avaient dans le même temps anéanti son consentement à l'homologation, rendant tout changement impossible).
(8) Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-20.276 (N° Lexbase : A0091ACD), D., 1997, p. 277, rapp. X. Savatier ; JCP, 1997, II, n° 22912, note E. Paillet ; JCP, 1997, I, n° 4047, n°12, obs. G. Wiederkehr ; Defrénois, 1997, p. 420, obs. G. Champenois ; RTDCiv., 1997, p. 985, obs. B. Vareille. Les juges ont, en l'espèce, admis l'action en nullité de la convention portant changement émanant de l'enfant d'un premier lit de l'époux, fondée sur la fraude à ses droits d'héritier réservataire. Ceci étant, l'arrêt ne peut être analysé que par référence au contexte législatif de l'époque : la solution de la Cour était destinée à offrir un moyen d'agir à l'enfant, lequel ne disposait pas de l'action en retranchement, réservée aux descendants d'un premier mariage jusqu'à la loi du 3 décembre 2001. Ceci étant, la nature juridique des conventions homologuées suscite encore des discussions en doctrine.

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