Réf. : Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-10.027, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2487KET)
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par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole
le 01 Août 2013
L'argumentation est à l'abri de toute critique ; une fois le changement devenu définitif en application de l'article 1397 du Code civil, il s'impose aux parties contractantes qui ne peuvent le remettre en cause, au moins unilatéralement, sauf à agir en nullité de la convention sur les fondements classiques du droit commun -vice du consentement et fraude-. Par là-même, une action en nullité fondée sur l'atteinte à l'intérêt de la famille est purement et simplement irrecevable.
I - Un changement de régime devenu définitif
La décision est l'occasion de revenir sur la procédure de changement de régime matrimonial qui a été modifiée par l'importante loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4) (1). Dès la loi du 13 juillet 1965, le principe d'immutabilité des conventions matrimoniales avait connu un assouplissement certain par la consécration d'une procédure de changement volontaire, dont les époux avaient l'initiative, mais qui se déroulait sous le contrôle du juge. La loi du 23 juin 2006, dans un souci de promotion des volontés individuelles et d'allègement des procédures, a partiellement déjudiciarisé le changement de régime. Ainsi, en l'absence d'enfants mineurs dont l'existence rend l'homologation obligatoire, l'intervention judiciaire n'est réintroduite qu'en cas de contestation des enfants majeurs ou des créanciers, dûment informés de la modification envisagée. Avant comme après la réforme de 2006, la procédure nécessite la rédaction d'une convention notariée abritant le consentement réel et non vicié des époux, et le respect d'une condition de délai de fonctionnement du régime à modifier. L'opportunité du changement continue d'être appréciée par le juge lorsqu'il intervient, mais force est de constater que l'éventuelle -et recherchée- éviction de l'homologation conduit à un renforcement du rôle de certains intervenants quant au contrôle de la conformité du nouveau régime à l'intérêt de la famille.
On songera, en tout premier lieu, au notaire qui participe à l'élaboration de la convention modificative ; il doit, sans doute encore davantage qu'auparavant, éclairer les conjoints sur toutes les conséquences patrimoniales du choix envisagé, durant la vie du régime et à sa dissolution, à l'égard des parties mais également de leurs descendants (2). Les enfants majeurs, quant à eux, bénéficient désormais d'une prérogative leur permettant de veiller à la protection de l'intérêt de la famille : toute contestation intervenue dans un délai de trois mois à compter de l'information contraindra les époux à soumettre leur projet à l'autorité judiciaire (3). Enfin, si l'allègement de la procédure peut être perçu par les conjoints comme opportun, il doit cependant les inciter à une fine analyse du changement à venir, lequel sortira ses effets, en l'absence d'opposition, au jour de la signature de l'accord. Ainsi, le consentement donné par un époux à l'acte sera interprété comme l'aboutissement de sa réflexion, et il faudra en déduire qu'il estime la convention conforme à ses intérêts personnels -lesquels participent, selon l'appréhension prétorienne classique, de la notion d'intérêt de la famille-. Voici, peut-être, ce qui a fait défaut à l'époux, trop empressé, dans l'affaire qui nous occupe...
Les éléments de fait laissent apparaître que le couple était (en l'absence d'enfants, ou à tout le moins d'enfants mineurs ?) soumis à la procédure déjudiciarisée consacrée par la loi de 2006. Seulement quelques mois après l'écoulement du délai imposé par l'article 1397 du Code civil pour envisager un changement, les époux avaient procédé à la rédaction d'un contrat instaurant la société d'acquêts, jointe au régime séparatiste initial. En l'absence d'opposition, le nouveau régime avait sorti ses effets à la date de la signature de la convention l'abritant, conformément à l'alinéa 6 de l'article 1397 du Code civil. En d'autres termes, le changement était devenu définitif à compter de l'échange des consentements, lequel avait conféré force obligatoire à l'engagement conclu dans le respect des dispositions légales. Dès lors, l'accord s'imposait aux parties qui n'étaient pas admises à le critiquer sur le fondement de l'article 1397, quand bien même des circonstances d'ordre personnel intervenues postérieurement auraient conduit l'un d'eux à vouloir le remettre en cause. C'est tout simplement ce que rappelle la Cour de cassation en visant le fameux article 1134 du Code civil, aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". La solution est parfaitement justifiée.
L'issue aurait sans doute été identique si les époux avaient été soumis à l'ancienne procédure ou s'ils avaient eu des enfants mineurs à l'époque du changement. Dans une telle hypothèse, la modification aurait été jugée conforme aux intérêts de la famille. La Cour de cassation a, de longue date, énoncé que la notion doit faire l'objet d'une appréciation d'ensemble ; l'intérêt de la famille n'est pas la somme des intérêts particuliers de ses membres (4). En la matière, les magistrats sont notamment favorables à une modification motivée par la protection du conjoint au cas de dissolution du mariage par décès, même si certaines décisions ont pu refuser l'homologation à des conventions se révélant manifestement défavorables à la personne d'un époux, étant précisé qu'une alternative au changement de régime était envisageable pour parvenir à l'objectif recherché (5).
En l'espèce, rien ne laissait à penser que la modification, bien qu'avantageuse pour l'épouse, présentait des risques inconsidérés pour son conjoint, et plus largement pour le ménage (6). L'opportunité du projet n'aurait vraisemblablement pas été un obstacle à l'homologation. Toutefois, le mari aurait pu, dans ce cas de figure, s'opposer efficacement au changement en ne renouvelant pas, de manière discrétionnaire, son consentement à l'audience. En effet, la volonté des époux est un élément essentiel qui doit perdurer, de jurisprudence constante, à tous les stades de la procédure (7). Ceci dit, dans notre affaire, la contestation n'étant intervenue que plusieurs années après la prise d'effets de la convention, l'argumentation opposée à l'époux par la Cour de cassation aurait été similaire... Et tout aussi bienvenue. Au contraire, la position de la cour de Grenoble n'échappe pas à la critique. Les magistrats n'étaient aucunement juges de l'homologation, et par là-même, de l'opportunité du changement. Or, en prononçant l'annulation de l'acte par référence à une atteinte à l'intérêt de la famille, la décision permettait au mari de revenir, purement et simplement, sur son engagement. Reste qu'une autre voie était offerte pour tenter d'anéantir le nouveau régime.
II - Une convention annulable dans les conditions du droit commun
Bien que soumise à des modalités particulières, la procédure de l'article 1397 du Code civil organise une modification volontaire de régime matrimonial, dont l'initiative émane nécessairement des conjoints. Elle repose sur un élément central : l'acte abritant leur consentement. La convention modificative rédigée par devant notaire obéit donc au droit commun des obligations, et à ce titre, elle peut être remise en cause si elle ne respecte pas les conditions de validité imposées à tout accord de volontés. Il en est ainsi lorsque le contrat n'a pas été soumis à l'appréciation du juge -c'est d'ailleurs l'un des arguments qui a oeuvré en faveur de la déjudiciarisation de la procédure-. Mais c'est encore le cas en présence d'un accord homologué, la Cour de cassation ayant énoncé, dans une importante décision du 14 janvier 1997, que "l'homologation judiciaire laisse subsister le caractère contractuel du changement de régime matrimonial des époux, de sorte que la convention des parties peut [pouvait] être annulée pour des causes qui lui sont propres [...]" (8).
L'époux aurait assurément pu agir sur ce fondement pour obtenir l'annulation de la convention. La rencontre des volontés fait naître un engagement contraignant pour les parties, mais encore faut-il que l'accord ait été valablement conclu. C'est d'ailleurs ce que précise la première chambre civile en admettant une remise en cause de l'acte en présence d'un vice du consentement ou d'une fraude -l'article 1108 du Code civil figurant au visa, aux côtés des articles 1134 et 1397 du même code-. Simplement, si cette voie est offerte aux parties, elle nécessite la preuve de l'existence d'un vice ou de manoeuvres frauduleuses. Or, tout laisse à penser que le mari ne disposait d'aucun élément susceptible d'établir une quelconque erreur, voire l'existence de manoeuvres dolosives émanant de son épouse. Bien au contraire, les juges d'appel avaient constaté, a posteriori, l'intégrité de son consentement au moment de l'élaboration de l'acte... C'est principalement ce qui, semble-t-il, l'avait conduit, à tort, à fonder son action sur l'article 1397 du Code civil. Mais c'était sans compter sur la rigueur des Hauts magistrats qui, fort opportunément, viennent rappeler que les changements d'humeur n'ont aucun droit de cité au sein des conventions matrimoniales.
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