Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Covid-19

[Actes de colloques] Colloque "Covid-19 et droit de l’indemnisation" : la possibilité d’engager la responsabilité administrative pour les dommages causés par les mesures de lutte contre la Covid-19

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par Tomonari Tsuda - Professeur adjoint à l’Université d’Hokkaido

le 28 Juillet 2022

Introduction

1. Dans le contexte de crise sanitaire de la Covid-19, est-il possible qu’une responsabilité, pour faute ou sans faute, des personnes publiques soit reconnue pour les dommages subis par les particuliers en raison des actions ou des omissions de l’administration (ou du législateur, selon le cas) ? En France, on cite divers exemples, comme les faits générateurs pour lesquels la responsabilité administrative peut être reconnue [1]. Au Japon toutefois, le débat s’est concentré sur la responsabilité administrative liée aux mesures restrictives pour certains établissements tels que les restaurants. La possibilité d’engager la responsabilité en raison d’autres faits générateurs a été peu discutée [2]. Cela peut s’expliquer par le fait que le nombre de cas d’infection et de personnes décédées au Japon est plus faible qu’en Europe et qu’aux États-Unis [3] et que la question de l’insuffisance de la politique d’indemnisation pour les établissements soumis à des mesures restrictives a fait l’objet d’un débat public considérable.

2. Il est important de noter que, contrairement à la France, où des mesures fortement restrictives, telles que la fermeture de plusieurs lieux ou le confinement de la population, assorties de sanctions, ont été prises, l’administration japonaise a eu recours à des mesures moins restrictives. Un exemple typique de ces mesures est la « demande d’abstention d’ouverture » pour les restaurants et certains autres établissements. Il s’agit d’une demande du gouverneur [4] des départements envers les établissements principalement considérés comme présentant un risque élevé d’infection, sous la forme « Veuillez fermer » ou « Veuillez réduire les heures d’ouverture ». Cette demande n’est pas un ordre qui oblige légalement le destinataire, mais une simple demande, de sorte que le destinataire a le choix de s’y soumettre ou pas, et qu’il ne peut faire l’objet d’aucune sanction juridique pour ne pas s’y être soumis.

3. Néanmoins, pendant cette crise sanitaire, la majorité des établissements au Japon a accédé à la demande d’abstention d’ouverture et a ainsi fermé ou réduit ses heures d’ouverture [5]. Cela a fatalement entraîné des pertes temporaires d’exploitation. Le gouvernement et les départements ont mis en place des mesures d’indemnisation, mais celles-ci peuvent être insuffisantes, selon la taille de l’établissement et d’autres facteurs. Dans ce cas, est-il possible que la responsabilité administrative soit engagée ? La principale tâche de ce rapport est d’apporter une certaine réponse à cette question [6].

4. Nous allons ainsi expliquer en premier lieu la position légale de la demande d’abstention ou les faits qui s’y rapportent, avant d’examiner la possibilité d’engager la responsabilité administrative du fait de la demande d’abstention d’ouverture.

I. Qu’est-ce que la « demande d’abstention » ?

5. Dans cette section, nous expliquerons le régime juridique lié à la demande d’abstention, afin de démontrer sa position légale ou son caractère juridique. Ensuite, nous présenterons, par ordre chronologique, comment le gouverneur réalise effectivement cette demande d’abstention. Cela permettra de mettre en évidence une caractéristique des mesures de lutte contre la Covid-19 au Japon : la dépendance au droit souple [7].

A. La position légale de la demande d’abstention

6. En l’espace d’environ un an, le gouverneur des départements a demandé à plusieurs reprises aux citoyens de s’abstenir de sortir et à certains établissements de s’abstenir d’ouvrir. Ces demandes d’abstention se fondent essentiellement sur la Loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses [8] (ci-après « loi pandémique »). La déclaration d’état d’urgence au Japon, qui correspond à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire en France, doit être émise conformément à l’article 32 de cette loi [9].

7. Le gouverneur des départements peut, s’il le juge nécessaire pour la mise en œuvre précise et rapide de la lutte contre certaines maladies infectieuses comme la Covid-19, demander aux organisations publiques ou privées ou aux particuliers la coopération, sur la base de l’article 24, alinéa 9 de la loi pandémique (ci-après « demande de l’article 24 »). En outre, en cas de déclaration de l’état d’urgence, afin de prévenir la propagation de telles maladies, de protéger la vie et la santé de la population, et d’éviter de perturber la vie et l’économie nationale, le gouverneur peut, s’il le juge nécessaire, exiger que certains établissements [10] prennent des mesures spécifiques, conformément à l’article 45, alinéa 2 de la loi (ci-après « demande de l’article 45 ») [11]. Pour effectuer la demande d’abstention d’ouverture de certains établissements en vertu de ces dispositions, le gouverneur consulte l’État et écoute l’avis d’experts.

8. Comme indiqué précédemment, ces deux demandes ne sont pas des « ordres » qui imposent des obligations légales à leurs destinataires, mais de simples « demandes ». Ces dernières sont classées comme un type d’activité administrative (acte matériel) appelé « directive administrative [12] » (article 2, n° 6 du Code de procédure administrative [13]). La caractéristique de celle-ci est que le fait de s’y conformer ou non est laissé au choix du destinataire, et que l’administration ne doit pas désavantager le destinataire au motif que celui-ci ne s’y est pas conformé (article 32 du même code).

9. La différence évidente entre la demande de l’article 24 et celle de l’article 45 est que cette dernière ne peut être faite que dans le cas d’une déclaration d’état d’urgence [14]. Le cas échéant, ces deux types de demandes peuvent être utilisés. Le gouverneur peut appliquer la demande d’abstention d’ouverture à l’ensemble des établissements visés en vertu de l’article 24, puis la demande individuelle à un établissement qui ne se conforme pas à cette demande en vertu de l’article 45. Il a également la possibilité d’effectuer la première demande en vertu de l’article 45. En outre, lorsqu’un établissement ne se conforme pas à la demande de l’article 45 sans « raisons justifiables [15] », le gouverneur peut ordonner à celui-ci de fermer ou de réduire ses heures d’ouverture sur la base de l’article 45, alinéa 3 (ci-après « ordre de l’article 45 ») [16]. Si l’établissement ne se conforme pas à cet ordre, des sanctions (une amende non pénale pouvant atteindre 300 000 yens) sont imposées (article 79 de la même loi) [17]. Lorsque le gouverneur effectue la demande ou l’ordre, il peut faire une annonce publique à cet effet (article 45, alinéa 5 de la même loi).

B. Les illustrations de la « demande d’abstention »

10. Nous mentionnons ici des exemples concrets de demandes d’abstention présentées dans le cadre de la loi pandémique à Tokyo, où l’on a trouvé le plus grand nombre de personnes infectées jusqu’à présent. Au printemps 2020, le Japon a été confronté à une première vague de l’épidémie ; le 7 avril, le Premier ministre a déclaré l’état d’urgence. Le gouverneur de Tokyo, dont le département a fait l’objet de la déclaration, a demandé aux citoyens de s’abstenir de sortir sauf en cas d’urgence, et a demandé à divers établissements de s’abstenir d’ouvrir. Plus précisément, le gouverneur a exigé des restaurants de réduire leurs heures d’ouverture à partir du 11 avril, demande qui a finalement été levée le 18 juin. Il a également demandé la fermeture, à partir du 11 avril, de certains établissements tels que les karaokés, les boîtes de nuit, les clubs de sport, les salons de pachinko [18], les cinémas, et de ceux d’une superficie supérieure à 1 000 mètres carrés (universités, grands magasins, musées, zoos, bibliothèques, etc.), demande finalement levée dans son intégralité le 12 juin. À ce moment-là, la majorité des établissements s’est conformée à ces demandes.

11. Une enquête sur les voies d’infection menée pendant la première vague a montré que le risque de transmission par gouttelettes était particulièrement élevé dans les restaurants qui servent de l’alcool ou dans les bars à hôtes ou hôtesses [19], ainsi que dans les karaokés, où les gens chantent fort [20]. En conséquence, les types d’établissements soumis à la demande d’abstention d’ouverture ont été progressivement limités. En fait, lorsque la deuxième vague est arrivée, à l’été 2020, le gouverneur de Tokyo a demandé la réduction des heures d’ouverture uniquement aux restaurants qui servent des boissons alcoolisées et aux karaokés. Plus tard, lors de la troisième vague, à la fin du mois de novembre, il a effectué une demande similaire. Cependant, la situation liée à l’épidémie ne s’étant pas améliorée, une deuxième déclaration d’urgence a été émise le 7 janvier 2021. Le gouverneur de Tokyo a alors étendu la demande de réduction des heures d’ouverture à tous les restaurants.

12. La situation s’est légèrement améliorée de février à mars, et la déclaration d’urgence a été levée le 25 mars. Cependant, sous l’influence de l’apparition du « variant Alpha » (B.1.1.7 : surnommé variant anglais) hautement infectieux, le virus s’est à nouveau propagé en avril. Une troisième déclaration d’urgence a ainsi été prononcée le 25 avril. Le gouverneur de Tokyo a demandé aux restaurants qui ne servent pas de boissons alcoolisées de réduire leurs heures d’ouverture, et a demandé à ceux qui en servent ou qui sont dotés d’un équipement de karaoké, ainsi qu’à certains établissements tels que les clubs de sport, les salons de pachinko, les cinémas, les grands magasins, les musées ou encore les zoos, de fermer, en fonction de leur taille [21]. La majorité des établissements s’est conformée à ces demandes, mais depuis la deuxième déclaration de l’état d’urgence, quelques-uns, notamment en raison de difficultés de gestion, s’y sont refusés. En fait, en mars et en mai, le gouverneur de Tokyo a ordonné à environ soixante-dix établissements, qui ne s’étaient pas conformés à la demande de l’article 45, de réduire leurs heures d’ouverture ou de fermer et a rendu cela public (article 45, alinéa 3 et 5 de la loi pandémique).

13. Depuis que le gouvernement a déclaré au printemps 2020 qu’il n’indemniserait pas de manière directe les pertes d’exploitation subies par les établissements faisant l’objet de telles demandes, les gouverneurs de chaque département, sur la base de leur propre budget, ont versé des subventions aux établissements ayant coopéré [22]. Toutefois, ces subventions correspondent le plus souvent à un montant fixe, indépendant de la taille de l’entreprise [23]. Ainsi, si certaines petites entreprises peuvent obtenir davantage d’argent que le chiffre d’affaires qu’elles réalisaient avant la crise sanitaire, ce n’est souvent pas suffisant pour les moyennes et grandes entreprises.

14. Par ailleurs, le gouvernement a mis en œuvre diverses politiques d’indemnisation pour les entreprises ayant eu des difficultés à gérer leurs affaires en raison de la crise sanitaire [24], telles que l’octroi de subventions au maintien des entreprises en activité (semblables au Fonds de solidarité en France), à l’adaptation à l’emploi (équivalent du dispositif d’activité partielle en France) et à l’aide au paiement des loyers [25]. Nos connaissances ne sont malheureusement pas suffisamment pointues et exhaustives pour juger si ces politiques d’indemnisation sont suffisantes dans l’ensemble (notamment par rapport à d’autres pays). Toutefois, ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre de citoyens japonais considère ces indemnisations comme insuffisantes. Alors, lorsque ces derniers chercheront un recours auprès d’un tribunal, quelle décision celui-ci prendra-t-il, leur donnera-t-il gain de cause ?

II. La possibilité d’engager la responsabilité administrative pour les dommages causés par la demande d’abstention d’ouverture

15. D’une part, si l’intéressé faisant l’objet de la demande d’abstention d’ouverture considère que cette demande est illégale, il peut saisir le tribunal judiciaire [26] pour obtenir réparation du dommage par le département, sur la base de l’article 1, alinéa 1 de la Loi sur la responsabilité de l’État de 1947 (Kokka-baisho-hō[27]. Cette disposition prévoit que « lorsqu’un agent public chargé de l’activité de puissance publique a illégalement causé, dans l’exercice de ses fonctions, un dommage à autrui, par faute volontaire ou d’imprudence, l’État ou la collectivité publique concernée est obligé de le réparer [28] ». D’autre part, si l’intéressé estime la demande légale, il peut de même saisir le tribunal, sur la base de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution de 1946. Cette disposition prévoit que « la propriété privée peut être utilisée pour cause d’utilité publique, moyennant une juste compensation » [29].

16. Bien qu’il soit difficile de comparer simplement les types de responsabilités au Japon et en France, les deux responsabilités susmentionnées peuvent être rapprochées, respectivement, de la responsabilité pour faute et de la responsabilité sans faute [30] (la responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques) en France [31]. Dans ce qui suit, j’examinerai d’abord la responsabilité pour faute en vertu de l’article 1, alinéa 1 de la Loi sur la responsabilité de l’État, puis la responsabilité sans faute en vertu de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution [32].

A. La responsabilité pour faute

17. L’une des conditions [33] pour engager la responsabilité sur la base de l’article 1, alinéa 1 de la Loi sur la responsabilité de l’État est que la demande d’abstention en question soit illégale. L’existence ou non de cette illégalité est le point essentiel [34]. Il convient de noter ici que, dans la jurisprudence japonaise, une violation objective des dispositions légales (une « illégalité » dans une action en annulation) n’est pas nécessairement évaluée comme « illégale » dans une action en responsabilité ; cette « illégalité » est définie comme une « violation d’un de ses devoirs de fonction par l’agent » [35]. En premier lieu, l’article 24, alinéa 9, et l’article 45, alinéa 2 de la loi pandémique, qui sont à la base de la demande d’abstention, sont des dispositions très abstraites et générales. Cela laisse une très large marge d’appréciation (c’est-à-dire un très large pouvoir discrétionnaire) au gouverneur. Sur la base de ces dispositions, il n’est donc pas facile pour le tribunal de déterminer de manière concrète le contenu du devoir imposé au gouverneur [36].

18. D’autre part, il ne faut pas oublier que l’un des buts de la loi pandémique est « de minimiser l’impact sur la vie et l’économie nationale » (article 1). De même, l’article 5 prévoit que les restrictions aux libertés et aux droits du peuple doivent être maintenues au « minimum nécessaire » pour la lutte contre les maladies infectieuses. Il est donc concevable que l’intéressé invoque l’illégalité de la demande d’abstention d’ouverture au motif qu’elle viole le principe de proportionnalité, c’est-à-dire du devoir du gouverneur d’agir conformément à ce principe [37].

19. Par exemple, en ce qui concerne le fait de demander uniformément à tous les restaurants de s’abstenir d’ouvrir, l’intéressé peut soutenir que la demande faite aux établissements qui ont pris certaines mesures [38] de lutte contre l’infection et qui, par conséquent, peuvent être considérés comme présentant un risque relativement faible d’infection, viole le principe de proportionnalité. En d’autres termes, l’intéressé peut faire valoir que le gouverneur prend des mesures trop restrictives, alors qu’il existe des moyens moins restrictifs, comme l’application de cette demande uniquement aux établissements n’ayant pas mis en place de telles mesures. De même, l’intéressé exploitant un cinéma ou un musée peut soutenir que cette demande envers son établissement constitue une mesure trop restrictive et viole le principe de proportionnalité. En fait, dans ces lieux, à la différence des restaurants, le risque d’infection par gouttelettes est relativement faible, car les clients ne sont pas obligés d’ôter leur masque, de plus on y fait généralement très peu la conversation.

20. Toutefois, le fait que de telles interprétations juridiques soient théoriquement possibles ne signifie pas que le tribunal les adoptera en pratique. Bien qu’il soit difficile de prédire la décision que prendra le tribunal, car il n’existe guère de jurisprudence pertinente [39], l’intéressé peut rencontrer plusieurs difficultés pour obtenir la qualification d’illégalité. La première est liée au moment où la demande en question a été effectuée et notamment au manque de données et de preuves scientifiques à cet instant [40]. Ainsi, on peut considérer les demandes en avril 2020 de fermer certains établissements tels que cinémas et musées, où le risque d’infection par gouttelettes est relativement faible par rapport aux restaurants, comme une restriction excessive du point de vue actuel, étant donné les données et les preuves accumulées sur les caractéristiques de la Covid-19 et son mécanisme d’infection. Pourtant, le tribunal peut hésiter à établir l’illégalité au motif que ces données et preuves n’étaient pas suffisamment nombreuses à l’époque, et qu’il n’y avait donc pas de prévisibilité ou d’évitabilité, ou qu’il s’agissait d’une mesure de précaution acceptable [41].

21. La deuxième difficulté est liée aux ressources administratives. En ce qui concerne la possibilité susmentionnée d’une demande d’abstention visant uniquement les établissements n’ayant pas mis en place des mesures de lutte contre l’infection, le gouverneur pourrait faire valoir qu’il ne dispose pas de moyens humains ou matériels suffisants pour assurer l’efficacité de cette demande, par exemple, plus précisément, pour vérifier si de telles mesures sont effectivement prises dans chaque établissement [42]. Dans ce cas, le tribunal pourrait-il démontrer que le gouverneur du département en question aurait pu prendre des mesures moins restrictives, en ayant recours aux technologies modernes comme des applications mobiles ou en recrutant le personnel nécessaire aux vérifications, et ce, dans les limites financières des collectivités territoriales ? De plus, pourrait-il prouver que ces mesures alternatives auraient pu endiguer l’épidémie autant que les mesures effectives prises par le gouverneur ?

22. Enfin, la troisième difficulté est liée au pouvoir discrétionnaire du gouverneur. Par exemple, en ce qui concerne la demande de fermeture [43], en avril 2021, de divers établissements autres que les restaurants, le gouverneur peut faire valoir les arguments suivants : à la suite de l’apparition du « variant Alpha » considéré comme plus contagieux que le coronavirus classique, il n’était plus possible de porter des jugements fondés uniquement sur des données et des preuves antérieures [44] ; les mesures restrictives prises principalement dans les restaurants n’ayant effectivement pas été suffisamment efficaces, il était donc nécessaire de réduire le flux de personnes en réglementant certains établissements recevant un grand nombre de clients, quand bien même le risque d’infection par gouttelettes y serait relativement faible. Face à ces arguments, un tribunal pourrait-il encore estimer que ces demandes étaient excessives ? Il n’est pas improbable qu’il juge qu’une telle décision politique en matière de santé publique, prise par le gouverneur après avoir entendu les avis des experts, reste dans le cadre du large pouvoir discrétionnaire de celui-ci [45]  [46].

 B.  La responsabilité sans faute

23. Pour que la responsabilité administrative sur la base de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution puisse être engagée, il est nécessaire que le préjudice en question relève du « sacrifice spécial » imposé à une personne déterminée dans l’intérêt général, et excède les charges qui doivent être normalement supportées par celle-ci (limitations inhérentes à la garantie juridique de la propriété privée elle-même) [47]. Un cas typique dans lequel cette disposition est appliquée est celui de l’expropriation d’un terrain. Ainsi, pour la construction d’une route ou d’un aéroport, certains habitants subissent un « sacrifice spécial » en ce sens qu’ils sont privés de leurs terrains dans l’intérêt général. Dans ce cas, une « juste compensation [48] » doit leur être versée du point de vue de l’égalité devant la charge publique [49]. La jurisprudence [50] ayant interprété que cette disposition s’appliquait non seulement aux cas d’expropriation, mais également à d’autres cas d’atteinte à la propriété privée, celle-ci devrait pouvoir s’appliquer à la demande et à l’ordre émis sur la base de la loi pandémique, qui empêche certains établissements de générer du chiffre d’affaires. Cependant, dans le cas de l’action en responsabilité sans faute, de nombreuses difficultés attendent l’intéressé, peut-être même davantage que lors de l’action en responsabilité pour faute [51].

24. L’intéressé faisant l’objet de la demande d’abstention d’ouverture peut d’abord se heurter à la difficulté liée au « caractère obligatoire » de l’acte en question (acte que l’intéressé considère comme une atteinte à sa propre propriété). En effet, selon l’interprétation générale de la doctrine, l’article 29, alinéa 3 de la Constitution, s’applique uniquement à l’acte à caractère obligatoire, c’est-à-dire à l’acte qui impose une obligation légale à ses destinataires. Si un tribunal adopte cette interprétation, il décidera que la responsabilité ne peut pas être engagée pour cette demande, à laquelle le destinataire est libre de se conformer ou non. Ce serait le pire des scénarios pour l’intéressé, mais il y a de fortes chances que cela se produise. Toutefois, certains auteurs considèrent que ce caractère obligatoire n’est pas nécessaire et que, même s’il est nécessaire, il n’est pas impossible d’interpréter la demande comme ayant effectivement un caractère obligatoire [52]. En effet, la liberté de se conformer ou non à la demande est fortement limitée en raison de la structure juridique de celle-ci, qui sera suivie d’un ordre assorti de sanctions (cas de l’article 45), sans oublier la pression sociale [53] et d’autres facteurs [54].

25. Ensuite, il s’agit de déterminer s’il y a un sacrifice spécial. Généralement, pour cela, la « particularité », l’« intensité » et le « but » de l’acte en question sont pris en compte de manière globale. Premièrement, en ce qui concerne la particularité, le fait que l’objet de l’acte en question ait un caractère général est ordinairement considéré comme un facteur excluant l’existence d’un sacrifice spécial. Par exemple, dans le cas de dommages causés par un acte de guerre engagé par l’État, le sacrifice spécial n’est pas reconnu, car une grande majorité de la population subit des dommages [55]. Plus l’objet est limité, plus il est facile de reconnaître un sacrifice spécial, comme dans le cas de l’expropriation d’un terrain mentionné ci-dessus. Toutefois, les critères de détermination de cette particularité ne sont pas clairs, et il est difficile de prévoir la décision du tribunal. Théoriquement, selon le point de vue adopté, dans un département, il est possible d’interpréter une demande déterminée comme ayant une portée limitée [56]. Dans la pratique, cependant, il se peut que le tribunal hésite à reconnaître un sacrifice spécial par crainte de l’effet d’entraînement de son propre jugement, car il existe de nombreux établissements [57] dans tout le pays à qui les gouverneurs ont demandé de s’abstenir d’ouvrir, pendant cette crise sanitaire [58].

26. Deuxièmement, en ce qui concerne l’intensité, plus l’atteinte au droit de propriété en question est grave, plus il est facile de reconnaître un sacrifice spécial. Selon la taille de l’établissement, certains établissements ont subi d’énormes pertes d’exploitation, et ce facteur peut donc jouer en leur faveur. En outre, lorsque la loi pandémique a été adoptée, il était initialement prévu que la période effective de la demande serait d’environ une à deux semaines [59]. Or, dans le cadre de cette crise sanitaire, elle s’est prolongée bien au-delà. Pourtant, beaucoup d’établissements ont reçu, à un certain degré, des indemnités pour leurs pertes via les diverses politiques d’indemnisation, de sorte que le tribunal est contraint de prendre des décisions difficiles ici aussi.

27. Enfin, en ce qui concerne le but, le fait que le but de la réglementation en question ne soit pas positif (promotion du bien-être public [60]), mais négatif (maintien de l’ordre public, protection de la vie, de la santé et de la sécurité des personnes, ou prévention des dangers) est généralement considéré comme un facteur permettant de nier l’existence d’un sacrifice spécial [61]. La demande d’abstention d’ouverture ayant un but négatif, du moins formellement, il est fort possible que le tribunal attache de l’importance à ce point et nie l’existence d’un sacrifice spécial. En d’autres termes, si certains établissements, qui présentent un risque de menace pour la vie, la santé ou la sécurité du public en propageant une infection, subissent en raison de la demande d’abstention une perte, celle-ci reste dans les limites des charges qui doivent être normalement supportées par les établissements [62]. Toutefois, au moins théoriquement, il n’est pas totalement impossible d’affirmer l’existence d’un sacrifice spécial, car les critères qualifiant le but de positif ou négatif ne sont pas absolus et la distinction entre eux n’est pas claire. En particulier, une réglementation uniforme qui inclut des établissements pouvant être considérés comme présentant un faible risque d’infection (par exemple les restaurants qui prennent certaines mesures de lutte contre l’infection, ou les cinémas et les musées présentant un risque relativement faible d’infection par gouttelettes par rapport aux restaurants), peut être interprétée comme excédant les inconvénients que doivent normalement supporter, dans l’intérêt général, les établissements [63].

Conclusion

28. Comme expliqué ci-dessus, il n’est certes pas totalement impossible d’engager la responsabilité administrative du fait de la demande d’abstention d’ouverture, mais afin d’obtenir réparation devant un tribunal, l’intéressé faisant l’objet de cette demande devra surmonter un certain nombre de difficultés. À moins qu’il ne s’agisse d’un cas exceptionnel, où le nombre de victimes est limité et où l’existence de l’illégalité ou du sacrifice spécial est claire, l’intéressé peut s’attendre à un combat difficile. Si le tribunal ne répond pas à son attente, l’intéressé, qui considère les politiques d’indemnisation mises en œuvre par l’exécutif et le législatif comme insuffisantes, peut remettre en question la raison d’être du pouvoir judiciaire dans les régimes démocratiques organisés selon le principe de la séparation des pouvoirs.

29. Cependant, il ne faut peut-être pas en attendre trop du tribunal quand celui-ci est confronté à un problème fondamental et pratique. Ce problème est lié aux limites du pouvoir judiciaire, dont la légitimité démocratique est relativement faible par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif. L’ampleur des dommages subis par les particuliers et les entreprises dans le cadre de cette crise sanitaire est énorme, et une fois la réparation accordée par le tribunal, la décision aura un caractère politique extrêmement fort ; l’ampleur de la réparation pourrait bien se chiffrer en centaine de milliards ou en billions de yens [64]. En outre, si la réparation ne devait être accordée qu’à certains intéressés, alors que la quasi-totalité des particuliers ou des entreprises subit des dommages à des degrés divers, il y aurait des plaintes concernant l’équité des traitements (sauf dans des cas exceptionnels) [65]. Il est possible que le tribunal « s’abstienne » de reconnaître la responsabilité des personnes publiques en raison de ces préoccupations. En d’autres termes, le tribunal pourrait considérer cette question non pas comme un problème à résoudre par le pouvoir judiciaire dans le cadre de la « responsabilité administrative [66] », mais par les pouvoirs exécutif et législatif, dotés de la légitimité démocratique, dans le cadre de la « politique d’indemnisation » ou de la « redistribution des richesses » [67]. Ainsi, l’action en responsabilité liée à cette crise sanitaire peut être l’occasion pour le juge de s’interroger à nouveau sur l’étendue de sa fonction, de sa mission et de son pouvoir.

30. Il existe de nombreuses différences entre le Japon et la France en matière, notamment, de contexte de contamination, de dispositif juridique de lutte contre l’infection, de mesures administratives pour faire face à la pandémie et de système juridique concernant la responsabilité administrative [68]. Par conséquent, la réponse à la question d’ouverture ou les facteurs pris en compte seront inévitablement différents. Ceci pourrait apporter de nouvelles perspectives aux deux pays, et permettre de faire évoluer leur système juridique et leurs interprétations juridiques. Par ailleurs, dans les similitudes observées pourraient également se dégager une pensée et certains principes juridiques universels. Nous espérons que ce rapport contribuera à cette évolution.

 

[1] O. Beaud, D. Rebut et C. Broyelle, « La responsabilité des ministres et de l’État dans la gestion de la crise du Coronavirus », Le club des juristes, 23 mars 2020 [en ligne] ; A. Jacquemet-Gauché, « La parole présidentielle, source pétrifiante du droit de la responsabilité ? », A.J.D.A., 2020, p. 913 ; A. Jacquemet-Gauché, « Pénurie de masques : une responsabilité pour faute de l’État ? », J.C.P. G., 2020, n° 317 ; S. Du Puy-Montbrun, « Crise sanitaire du Covid-19 et responsabilité administrative », J.C.P. A., 2020, n° 2149 ; T. Dal Farra, « La responsabilité de l’État et de ses représentants dans la gestion de l’épidémie de covid-19 », A.J.D.A., 2020, p. 1463 ; C. Otero et G. Tréguier, « Covid-19 et responsabilité : quand la raison d’État masque l’état de raison », R.D.S., n° 96, 2020, p. 639 ; C. Lantero, « Quelles responsabilités publiques liées à la crise sanitaire ? », R.G.D.M., n° 76, 2020, p. 97 ; H. Muscat et C. Paillard, « La responsabilité administrative de l’État à l’heure de la covid-19 », in dir. G. Le Floch, Covid-19, approches de droit public et de science politique, Paris, Berger-Levrault, 2021, p. 277.

[2] Par exemple, en France, on discute la possibilité d’une responsabilité administrative pour les dommages corporels causés par les mesures insuffisantes ou retardées pour protéger la santé publique ou par le manque de masques et de matériel médical. Au Japon toutefois, du moins jusqu’à présent, il n’y a pas eu de débat sur de tels faits générateurs. Il en va de même pour l’autorisation spéciale de médicaments pour le traitement de la Covid-19, comme le remdesivir (Veklury). En premier lieu, nous ne savons pas si des personnes saisiront le tribunal concernant ces faits générateurs.

[3] À la fin du mois de mai 2021, le nombre cumulé de cas confirmés de Covid-19 en France (environ 67 millions d’habitants au 1er janvier 2020) était d’environ 5,7 millions, et le nombre cumulé de décès d’environ 110 000, tandis que le nombre cumulé de cas confirmés au Japon (environ 126 millions d’habitants au 1er janvier 2020), était d’environ 740 000, et le nombre cumulé de décès d’environ 13 000. Bien qu’il soit difficile de comparer simplement ces chiffres en raison des différences de politique de dépistage et d’autres facteurs, les nombres cumulés de cas confirmés et de décès au Japon représentent respectivement environ 1/14e et 1/16e de ceux de la France, proportionnellement à la population [en ligne] (Service d’information du Gouvernement [en ligne], ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales).

[4] Le gouverneur des départements au Japon n’est pas le représentant de l’État dans le département comme le préfet en France, mais un chef du département élu au suffrage universel direct.

[5] On souligne souvent que l’une des raisons pour lesquelles la majorité des établissements se conforme à ces demandes sans aucune obligation légale est qu’il existe une très forte pression implicite (et parfois explicite) pour forcer à penser et agir comme beaucoup d’autres dans la société japonaise, que l’on appelle « dōchō atsuryoku ». En d’autres termes, une pression sociale force les établissements à accepter ces demandes d’abstention d’ouverture. Par conséquent, bien que les établissements paraissent s’abstenir d’ouvrir volontairement, en réalité, leur liberté de se conformer ou non à ces demandes est limitée.

[6] Dans le présent rapport, nous ne traitons pas des questions auxquelles s’appliquent le Code civil ou les régimes spéciaux d’indemnisation, sauf exception (v. infra n° 13 et 14). Ainsi, les accidents médicaux ou les infections nosocomiales qui surviennent dans les hôpitaux publics sont soumis aux règles du droit privé, articles 709 et suivants du Code civil japonais, et non aux règles du droit de la responsabilité administrative, articles 1 et 2 de la Loi sur la responsabilité de l’État en tant que droit spécial (v. infra note 34). De plus, les agents publics infectés par la Covid-19 dans le cadre de leurs fonctions peuvent bénéficier d’une indemnité versée par le Fonds d’indemnisation des accidents de service. De même, pour les préjudices imputables à une vaccination, l’indemnisation est assurée par un régime spécial (article 15 de la Loi sur la vaccination préventive de 1948).

[7] Cela exprime, au moins pour la forme (v. supra note 5 et infra n° 24), l’intention du gouvernement japonais d’éviter, dans la mesure du possible, de porter atteinte à la liberté d’aller et venir ou à la liberté d’entreprendre.

[8] Cette loi a été initialement adoptée en 2012, à la suite de l’épidémie de grippe aviaire A (H5N1) et de la nouvelle grippe A (H1N1) dans les années 2000. Elle a été modifiée en mars 2020 pour s’appliquer également à la Covid-19.

[9] Pour un aperçu du système juridique relatif aux maladies infectieuses au Japon, voir T. Isobe et H. Kawashima, « La santé publique face à la crise sanitaire au Japon », R.D.S., n° 96, 2020, p. 618.

[10] Par exemple, les écoles, les crèches, les établissements de soins de santé pour les personnes âgées dépendantes, les établissements d’enseignement, les théâtres, les cinémas, les halls d’exposition, les grands magasins (à l’exception des lieux vendant des produits de première nécessité), les hôtels ou les auberges japonaises (uniquement la partie utilisée pour les réunions), les établissements sportifs, les établissements de divertissement tels que les salons de pachinko, les salles d’arcade et les parcs d’attractions, les musées, les bibliothèques, les établissements de plaisir tels que les cabarets et les boîtes de nuit, les salons de coiffure, les restaurants, les cafés (pour certains d’entre eux, la superficie doit dépasser certains critères). Les restaurants et les cafés ont été ajoutés à cette liste par modification en février 2021.

[11] Le gouverneur peut appliquer une demande similaire dans le cadre des mesures de prévention de la propagation en état de semi-urgence (article 31-6, alinéa 1 de la même loi).

[12] Au Japon, la directive administrative est fréquemment utilisée dans divers domaines (v. H. Shiono, « Administrative Guidance in Japan (Gyosei-Shido) », International Review of Administrative Sciences, vol. 48, n° 2, 1982, p. 239 ; J. Obata, « Le droit administratif face à la diversification de l’action administrative », R.F.A.P., n° 73, 1995, p. 117). Elle ne peut pas, en principe, faire l’objet d’une action en annulation, ce qui équivaut à un recours pour excès de pouvoir en France (v. Y. Noda, Introduction au droit japonais, Paris, Librairie Dalloz, 1966, p. 121-126 ; T. Takizawa, « Les contrôles juridictionnels et non juridictionnels », R.F.A.P., n° 73, 1995, p. 106-108).

[13] Une traduction de référence en anglais de ce code est disponible dans la base de données du ministère de la Justice [en ligne].

[14] Dans les situations où la déclaration d’état d’urgence n’a pas été émise, sur la base de l’article 24, alinéa 9 de la loi, le gouverneur peut appliquer la demande d’abstention d’ouverture à l’ensemble des établissements visés, puis la demande individuelle à un établissement qui ne se conforme pas à la demande initiale.

[15] Selon la communication administrative aux gouverneurs des départements du 12 février 2021 du directeur du Bureau du Secrétariat du Cabinet pour la promotion de la lutte contre les infections par de nouveaux types de coronavirus, si, par exemple, un colloque important lié à la lutte contre certaines maladies infectieuses comme la Covid-19 est organisé dans un certain établissement, l’existence de « raisons justifiables » est reconnue. En revanche, cela n’est pas le cas pour un établissement qui ne se conformerait pas à la demande en raison de difficultés de gestion [en ligne].

[16] Le gouverneur ne peut donner cet ordre que s'il le juge particulièrement nécessaire afin de prévenir la propagation de telles maladies, de protéger la vie et la santé de la population, et d’éviter de perturber la vie et l’économie nationale. Ainsi, les conditions requises pour que le gouverneur puisse donner cet ordre sont plus exigeantes que celles de la demande de l’article 45, de sorte que le contrôle juridictionnel peut être relativement strict. En outre, pour déterminer s’il est nécessaire ou non d’appliquer cette demande ou cet ordre, le gouverneur doit, au préalable, entendre l’avis de personnes ayant une connaissance approfondie des maladies infectieuses et d’autres personnes compétentes (article 45, alinéa 4 de la même loi).

[17] La modification de la loi pandémique en février 2021 a remplacé le mot « indiquer » par « ordonner », et une sanction a été établie pour la violation de cet ordre.

[18] Le pachinko est un jeu de hasard combinant un flipper et une machine à sous, par lequel on parie de l’argent.

[19] Au Japon, il existe des clubs où les clients ou les clientes s’assoient à côté d’hôtesses ou d’hôtes et prennent plaisir à boire et à discuter. Le gouvernement et les gouverneurs ont expliqué que les quartiers dits « de la vie nocturne », où se trouvent beaucoup de ces clubs et bars, sont la principale source d’infection.

[20] V. la Politique de base pour la lutte contre les infections à nouveaux types de coronavirus décidée par le gouvernement [en ligne].

[21] Le gouverneur a depuis assoupli la demande de fermetures en une demande de réduction des heures d’ouverture pour certains établissements. En outre, il a exigé, dans un premier temps, que les événements sportifs professionnels et divers événements se déroulent sans spectateurs, mais a ensuite permis qu’ils se tiennent avec un public limité.

[22] L’État accorde des subventions temporaires aux collectivités locales afin qu’elles puissent fournir des aides financières dans le contexte de la crise sanitaire. L’Association nationale des gouverneurs, composée des gouverneurs des départements de tout le pays, a fait plusieurs propositions demandant à l’État d’accorder des subventions ou d’en augmenter les montants [en ligne].

[23] Par exemple, en ce qui concerne les demandes d’abstention d’ouverture effectuées à partir du 11 avril 2020, le gouverneur de Tokyo a accordé à deux reprises, aux petites et moyennes entreprises qui ont pleinement coopéré, 500 000 yens pour celles exploitant un seul établissement, et 1 million de yens pour celles exploitant plus d’un établissement. Après la deuxième déclaration de l’état d’urgence, ces subventions sont devenues accessibles aux grandes entreprises, et les montants ont augmenté.

[24] L’article 63-2, alinéa 2 de la loi pandémique, qui a été ajouté par modification en février 2021, prévoit que l’État et les collectivités locales prennent des mesures financières et d’autres mesures efficaces, nécessaires au soutien des personnes exerçant une activité économique.

[25] D’autres mesures comprennent le délai de paiement de presque tous les impôts, y compris l’impôt sur les bénéfices des sociétés et d’autres personnes morales, des prêts sans intérêts ni garanties, octroyés par les établissements financiers publics, des réductions de l’impôt foncier et d’autres impôts, ainsi que des mesures de soutien de garantie pour les prêts auprès d’établissements financiers privés.

[26] Le système de tribunal administratif français n’existe pas au Japon. Le tribunal judiciaire japonais est compétent pour apprécier la responsabilité administrative, et lui applique la loi sur la responsabilité de l’État.

[27] Pour la formation historique de cette loi, voir S. Harada, « La formation historique du droit de la responsabilité administrative au Japon (1889-1947) », R.D.P., 2019, p. 413.

[28] Cette disposition est calquée sur le droit allemand, § 839 du Code civil couplé avec l’article 34 de la Loi fondamentale (v. A. Jacquemet-Gauché, La responsabilité de la puissance publique en France et en Allemagne. Étude de droit comparé, Paris, L.G.D.J., 2013 ; A. Jacquemet-Gauché, « La responsabilité administrative en Allemagne : comparaison avec le droit français à partir de quelques cas pratiques », R.F.A.P., n° 147, 2013, p. 625 ; A. Jacquemet-Gauché, « Allemagne », in dir. A. Antoine et T. Olson La responsabilité de la puissance publique en droit comparé, Paris, Société de législation comparée, 2016, p. 39).

[29] L’article 29, alinéa 1 de la Constitution, dispose que « le droit de propriété ou de possession de biens est inviolable » et l’article 29, alinéa 2, que « les droits de propriété sont définis par la loi, conformément au bien-être public ».

[30] L’article 2 de cette loi prévoit la responsabilité administrative pour défaut d’aménagement ou d’entretien de l’ouvrage public. Il s’agit d’une responsabilité similaire à la « responsabilité pour dommages de travaux publics » ou à la « responsabilité sans faute pour risques » en France. L’ouvrage public comprend non seulement les biens immobiliers tels que les chemins, les cours d’eau et les bâtiments, mais aussi les meubles tels que les voitures de police, les armes et les chiens policiers (par exemple, une route accidentée ou un pistolet déficient).

[31] V. H. Le Griel, « 3es Journées juridiques franco-japonaises (Paris-Lyon, 19 septembre-3 octobre 1992) », R.I.D.C., vol. 45, n° 1, 1993, p. 240-245 ; M. Kobayakawa, « La responsabilité administrative en droit japonais », in Études de droit japonais, vol. 2, Paris, Société de législation comparée, 1999, p. 221 et s.

[32] Concernant la responsabilité personnelle de l’agent public, contrairement à la France, la jurisprudence au Japon ne reconnaît pas la possibilité d’engager la responsabilité personnelle d’un agent public vis-à-vis de la victime s’il agit dans l’exercice de ses fonctions, même s’il y a une faute volontaire ou d’imprudence grave (Cour suprême, 19 avril 1955, Minshū, vol. 9, n° 5, p. 534). Toutefois, l’article 1, alinéa 2 de la Loi sur la responsabilité de l’État prévoit que l’État ou la collectivité publique a la possibilité d’exercer une action récursoire contre son agent qui a commis une faute volontaire ou d’imprudence grave. Or, au Japon, l’État ou la collectivité publique exerce rarement une action récursoire contre ses agents. D’ailleurs, en France, on discute aussi activement la responsabilité pénale des agents publics dans cette crise sanitaire, sur la base de l’article 121-3 du Code pénal N° Lexbase : L2053AMY (article L.3136-2 du Code de la santé publique N° Lexbase : L8575LWI) et d’autres dispositions (v. O. Beaud, D. Rebut et C. Broyelle, supra note 1 ; T. Dal Farra, supra note 1, p. 1467-1469). En revanche, au Japon, de telles dispositions n’existent pas et ne font l’objet d’aucune discussion.

[33] Les conditions de cette responsabilité sont l’action ou l’omission de l’agent public chargé de l’activité de puissance publique, dans l’exercice de ses fonctions, l’illégalité de l’action ou l’omission, la faute volontaire ou d’imprudence de l’agent, la causalité adéquate et le dommage. Alors que la jurisprudence française exige parfois une faute lourde pour engager la responsabilité administrative dans les domaines des services de contrôle et de surveillance (CE Contentieux, 30 novembre 2001, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c./ M. et Mme Kechichian N° Lexbase : A7508AXD, Rec. 587, concl. A. Seban), de la justice (CE Ass. SS, 29 décembre 1978, Darmont N° Lexbase : A4002AI3, Rec. 542) et de police (CE, 18 juillet 2018, Mme Monnet et autres, Rec. 900), la jurisprudence japonaise ne l’exige pas, du moins pas formellement.

[34] L’activité de puissance publique, au sens de l’article 1, alinéa 1 de la Loi sur la responsabilité de l’État, désigne toutes les actions de l’État ou de la collectivité publique (les actions administratives comme les actions judiciaires et législatives), à l’exception des actions économiques purement privées (telles que les traitements médicaux dans les hôpitaux publics auxquels s’applique le Code civil) et des actions d’aménagement ou d’entretien de l’ouvrage public (v. supra note 30). La demande d’abstention d’ouverture semble donc incontestablement incluse dans l’activité de puissance publique.

[35] À la différence de la jurisprudence française (CE Contentieux, 26 janvier 1973, Driancourt N° Lexbase : A7586B8H, Rec. 77 ; CE 1/6 SSR., 30 janvier 2013, Imbert N° Lexbase : A4379I4X, Rec. 9), une décision administrative qui a été annulée, car étant « illégale » dans une action en annulation, ce qui équivaut à un recours pour excès de pouvoir en France, peut être jugée comme n’étant pas « illégale » dans une action en responsabilité, s’il ne peut être évalué que l’agent public a manqué à son devoir de diligence qu’il doit exercer dans le cadre de ses fonctions. On explique cette divergence dans les interprétations de l’illégalité par le but propre à l’action en responsabilité : la réparation équitable du préjudice. En outre, en raison de l’objectivation de la faute d’imprudence, celle-ci est interprétée comme une « violation objective du devoir de diligence » ou une « violation du devoir d’éviter les conséquences dommageables ». Par conséquent, la distinction avec l’illégalité, interprétée comme une « violation du devoir dans l’exercice des fonctions », devient relative. Ainsi, dans certains cas, les appréciations de l’illégalité et de la faute d’imprudence se regroupent effectivement (si l’existence de l’illégalité est reconnue, celle de la faute d’imprudence l’est également sans considération particulière).

[36] Les facteurs à prendre en compte pour juger de l’équilibre à trouver entre la protection de la santé publique et le maintien de l’activité économique sont extrêmement nombreux et fluctuants, et le jugement est de nature hautement politique.

[37] V. Y. Abe, « La demande de fermeture comme lutte contre la crise du coronavirus et responsabilité administrative », Hanrei-chihō-jichi, 2020, n° 464, p. 104.

[38] Par exemple, encourager le lavage et la désinfection des mains, assurer une ventilation régulière, limiter le nombre d’entrées dans un établissement, prévoir une distance suffisante entre les tables, et installer des parois de protection contre l’infection par gouttelettes.

[39] À l’exception de quelques rares cas où la proportionnalité dans l’usage des armes était en cause, il y a peu de jurisprudences qui appliquent explicitement le principe de proportionnalité (v. Tribunal de première instance de Tokyo, 28 janvier 1970, Ka-Minshū, vol. 21, n° 1-2, p. 32).

[40] V. H. Muscat et C. Paillard, supra note 1, p. 280 et 283-285.

[41] Il n’est pas certain que cette demande d’abstention découle du principe de précaution, mais on peut y voir cet esprit (Y. Abe, supra note 37, p. 104 ; v. également T. Nakahara, « Le principe de précaution et la responsabilité civile en droit japonais », in dir. Y. Lequette et N. Molfessis, Quel avenir pour la responsabilité civile, Paris, Dalloz, 2015, p. 105).

[42] Le département de Tokyo a commencé à contrôler le respect des mesures de lutte contre l’infection dans les restaurants et autres établissements en avril 2021 [en ligne]. Cependant, il n’y a que 200 inspecteurs pour environ 120 000 établissements visés. On s’interroge donc sur leur efficacité.

[43] Par rapport à la demande effectuée en avril 2020, il est certain qu’il sera plus difficile pour le gouverneur d’invoquer le manque de données et de preuves.

[44] Notons qu’il existe également un débat scientifique sur la possibilité de transmission par voie aérienne [en ligne].

[45] De manière générale, on considère que le tribunal ne devrait pas adopter une interprétation juridique grossière qui refuse facilement la responsabilité administrative sur la base du pouvoir discrétionnaire politique ou des circonstances financières. Pourtant, il est tout à fait possible que le tribunal fasse une telle interprétation juridique (même si elle est implicite) dans les actions concernant cette crise sanitaire (v. infra n° 29).

[46] Comme nous l’avons déjà mentionné (v. supra note 2), il n’y a pas de débat au Japon sur la responsabilité du fait de la carence fautive de l’administration dans cette crise sanitaire. Certes, les restrictions d’entrée et les mesures de quarantaine insuffisantes, ou les systèmes médicaux défectueux, pourraient poser problème. Certains considèrent ces faits comme une faute « politique ». Toutefois, celle-ci ne constitue pas nécessairement une faute « juridique ». Nous pensons qu’il y a moins de probabilité que la responsabilité pour ces faits générateurs soit engagée que par rapport à la demande d’abstention d’ouverture. En particulier, il semble très difficile pour le juge de déterminer avec suffisamment de précision le contenu de l’obligation imposée à l’administration (v. H. Muscat et C. Paillard supra note 1, p. 284-285). Les difficultés susmentionnées (notamment, la difficulté liée au pouvoir discrétionnaire des autorités compétentes) se manifesteront sans doute également sous une forme différente en ce qui concerne ces faits générateurs. De plus, lorsque ces derniers sont en cause, il peut être difficile, dans de nombreux cas, de reconnaître l’existence d’un lien de causalité (v. H. Muscat et C. Paillard, supra note 1, p. 288). En outre, il est théoriquement possible d’agir pour obtenir réparation des dommages dus à la carence du législateur au motif que celui-ci n’a pas adopté de législation qui aurait permis à l’administration de prendre les mesures restrictives et financières nécessaires pour mettre en œuvre des politiques plus efficaces de gestion de l’infection et d’indemnisation. Cependant, au Japon comme en France, la responsabilité de l’État du fait de l’action ou de l’omission du législateur n’est reconnue que dans des cas exceptionnels, en raison de considérations de légitimité démocratique (Cour suprême, 21 novembre 1985, Minshū, vol. 39, n° 7, p. 1512). Il est donc extrêmement peu probable qu’une telle responsabilité soit reconnue dans cette crise sanitaire. Soit dit en passant, contrairement au Conseil d’État qui ne reconnaît pas, du moins explicitement, la faute du législateur (CE ass. 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522 N° Lexbase : A2006DUT, Rec. 78, concl. L. Derepas ; CE Contentieux, 24 décembre 2019, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 N° Lexbase : A2871Z99, Rec. 488, concl. M. Sirinelli), la Cour suprême du Japon l’a explicitement reconnue (Cour suprême, 14 septembre 2005, Minshū, vol. 59, n° 7, p. 2087).

[47] V. Cour suprême, 26 juin 1963, Keishū, vol. 17, n° 5, p. 521.

[48] Selon la jurisprudence en matière de compensation en cas d’expropriation d’un terrain, la « juste compensation » équivaut à un montant raisonnable calculé à partir de l’évaluation du prix dans les conditions économiques du moment, mais qui n’est pas nécessairement toujours complètement conforme à ce prix (Cour suprême, 11 juin 2002, Minshū, vol. 56, n° 5, p. 958).

[49] Normalement, lorsqu’une compensation est requise en vertu de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution, comme dans le cas de l’expropriation d’un terrain, il existe des dispositions sur la compensation dans les lois individuelles (par exemple, les articles 68 et suivants de la Loi sur l’expropriation de terrain de 1951). Ainsi, l’article 62 de la loi pandémique prévoit qu’une compensation sera versée en cas d’utilisation obligatoire de bâtiments tels que des hôpitaux aux fins de quarantaine (article 29) ou pour l’utilisation d’un terrain afin d’y créer un centre médical temporaire, sans le consentement du propriétaire du terrain (article 49). Pourtant, en ce qui concerne les demandes des articles 24 et 45 ainsi que l’ordre de l’article 45, la loi pandémique ne contient aucune disposition relative à la compensation, et le gouvernement estime également que la compensation prévue à l’article 29, alinéa 3 de la Constitution n’est pas nécessaire. Selon le commentaire administratif au moment de l’adoption de cette loi, les restrictions d’ouverture de certains établissements fondées sur l’article 45 sont considérées comme des restrictions sociales inhérentes aux activités de l’entreprise, car le contenu des restrictions des droits est limité, et que de nombreux citoyens sont également censés s’abstenir de sortir et subissent certaines restrictions liées à l’état d’urgence concernant les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses. Les raisons pour lesquelles le contenu des restrictions des droits est considéré comme limité sont les suivantes : ces restrictions sont mises en œuvre, car l’ouverture des établissements visés entraîne la propagation de la maladie infectieuse en question ; il faut s’abstenir d’exercer des activités intrinsèquement dangereuses ; ces restrictions sont prises lors de la déclaration de l’état d’urgence, en tenant compte de la période d’incubation de ladite maladie, et sont temporaires ; ces restrictions n’obligent pas la fermeture des établissements visés par le biais de sanctions (Réunion d’études sur la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses, Commentaire : Loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses, Chuō-hōki, 2013, p. 161-162). Or, la jurisprudence permet à l’intéressé de demander une juste compensation sur la base directe de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution (Cour suprême, 27 novembre 1968, Keishū, vol. 22, n° 12, p. 1402), même en l’absence d’une loi prévoyant une telle compensation. Toutefois, aucune demande de ce type n’a jamais été reconnue par la Cour suprême japonaise.

[50] V. Cour suprême, 27 novembre 1968, Keishū, vol. 22, n° 12, p. 1402.

[51] La doctrine japonaise considère majoritairement qu’il est peu probable qu’une responsabilité administrative liée à cette demande et cet ordre soit reconnue devant le tribunal. V. S. Etō, « Le pouvoir anonyme : les maladies infectieuses et la Constitution », Hōritsu-jihō, 2020, vol. 92, n° 9, p. 74 ; R. Yamamoto, « Pandémie et problèmes de droit public », Ronkyū-Julist, 2020, n° 35, p. 8 ; Y. Ōhashi, « Restriction d’activités pour la prévention des infections et compensation », Ronkyū-Jurist, 2020, n° 35, p. 47 ; R. Minami, « La relation entre les restrictions aux droits de propriété par des demandes de fermeture, etc., sur la base de la Loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses, et la Constitution », Reference, 2020, n° 838, p. 31 et s. ; G. Koyama, « Abstention, compensation et annonce publique : approche réglementaire informelle », Hanrei-jihō, 2020, n° 2460, p. 146 ; T. Isobe, « Réflexion de droit administratif médical sur le mécanisme de la loi relative à la prévention des maladies infectieuses et de la loi relative aux nouveaux types de grippe », Hōritsu-jihō, 2021, vol. 93, n° 3, p. 64 ; M. Yamamoto, « Problèmes constitutionnels sur la compensation pour fermeture : la “compensation” est-elle obligatoire en vertu de la Constitution ? », in Droit constitutionnel face au coronavirus, Kō-bun-dō, 2021, p. 139 et s. ; H. Harada, « Coronavirus, droits de l’homme et démocratie », Hōritsu-jihō, 2021, vol. 93, n° 4, p. 1. Pour un avis contraire, voir K. Itagaki, « Impressions diverses sur le nouveau type de coronavirus : demande d’abstention, fermeture et compensation, confinement de la ville », Yokohama-hōgaku, 2020, vol. 29, n° 1, p. 192-197 ; Y. Taira, « Peut-on juridiquement dire que “l’abstention et la compensation doivent aller de pair” ? », Bijyutsu-techō, 10 janvier 2021, [en ligne].

[52] Si une telle interprétation est adoptée, un problème se posera en ce qui concerne le caractère facultatif des directives administratives dans les actions en responsabilité pour faute (v. supra n° 8).

[53] V. supra note 5.

[54] Si la partie intéressée qui s’est conformée à la demande de l’article 45 ne peut pas demander l’indemnisation des préjudices subis, alors que la partie intéressée qui ne s’est pas conformée à cette demande, mais s’est conformée à l’ordre de l’article 45 peut le faire, le risque est d’aboutir à une situation déraisonnable où ceux qui coopèrent avec l’administration en se conformant rapidement à la demande subiront une perte pendant que ceux qui ne s’y conforment pas seront gagnants.

[55] V. Cour suprême, 27 novembre 1968, Minshū, vol. 22, n° 12, p. 2808.

[56] Par exemple, concernant la demande, au cours de l’été 2020, du gouverneur de Tokyo de réduire les heures d’ouverture des restaurants qui servent des boissons alcoolisées et des karaokés (v. supra n° 11), il est possible d’interpréter que l’objet est limité, si l’on adopte le point de vue selon lequel ce sont les seuls établissements à faire l’objet d’une restriction d’exploitation tandis que les autres peuvent fonctionner normalement.

[57] Par exemple, il y a plus de 80 000 restaurants à Tokyo et, comme indiqué ci-dessus, les restaurants ne sont pas les seuls à faire l’objet de la demande d’abstention d’ouverture. En outre, cette demande est également effectuée dans des départements autres que Tokyo, principalement dans les grandes villes.

[58] Il convient de noter que le nombre d’établissements qui ne se sont pas conformés à la demande de l’article 45 et qui ont fait l’objet de l’ordre de l’article 45 est extrêmement faible, de sorte qu’il est relativement facile de reconnaître une « particularité » en ce qui concerne ces établissements. Or, si tel est le cas, il existe un risque de résultat déraisonnable où ceux qui coopèrent avec l’administration en se conformant à la demande à un stade précoce subiront une perte pendant que ceux qui ne s’y conforment pas seront gagnants (v. également supra note 54).

[59] V. supra note 49.

[60] Par exemple, les règlements pour la protection des patrimoines culturels et pour la préservation de l’environnement naturel (v. les articles 8 et 9 de la Loi de préservation des anciennes capitales de 1966 et les articles 25 et 33 de la Loi sur la conservation de la nature de 1972).

[61] V. Cour suprême, 26 juin 1963, Keishū, vol. 17, n° 5, p. 521.

[62] Par exemple, dans le cas où le gouverneur d’un département ordonne la suspension des activités d’un restaurant où sévit une intoxication alimentaire (article 55 de la Loi sur l’hygiène alimentaire de 1947), ou l’abattage du bétail dans une étable où sévit une maladie contagieuse (articles 16 et 17 de la Loi sur la prévention des maladies infectieuses des animaux domestiques de 1951), ou encore lorsque les pompiers détruisent un bâtiment susceptible de propager le feu en cas d’incendie (article 29, alinéa 2 de la Loi sur la lutte contre l’incendie de 1948), la compensation n’est pas requise en vertu de l’article 29, alinéa 3 de la Constitution. Toutefois, il existe des cas où une indemnité partielle est prévue à titre de politique d’indemnisation (article 58 de la Loi sur la prévention des maladies infectieuses du bétail).

[63] Dans les cas cités dans la note précédente, l’intoxication alimentaire, la maladie contagieuse ou l’incendie s’est réellement produit sur le lieu concerné ; l’existence de risques est donc relativement claire. En revanche, dans le cadre de cette crise sanitaire, des réglementations ont également été imposées aux établissements où aucune infection ne s’est réellement produite, ou du moins où l’on ignore si elle s’est produite.

[64] Cela pourrait conduire à la création effective d’une loi sur l’indemnisation par le juge. Certes, il y a eu des affaires dans lesquelles le tribunal a ordonné à l’État d’indemniser de nombreuses victimes, comme dans le cas de la maladie de Minamata (Cour suprême, 15 octobre 2004, Minshū, vol. 58, n° 7, p. 1802), l’hépatite B (Cour suprême, 16 juin 2006, Minshū, vol. 60, n° 5, p. 1997) ou l’amiante (Cour suprême, 9 octobre 2014, Minshū, vol. 68, n° 8, p. 799), mais le nombre de personnes à indemniser, dans cette crise sanitaire, pourrait dépasser de beaucoup celui de ces affaires.

[65] Il sera très difficile pour le tribunal de décider quelles entreprises doivent recevoir la réparation ou non.

[66] Toutefois, la distinction entre la « responsabilité administrative » et l’« indemnisation » n’est pas toujours claire, et les rapports entre les deux évoluent quotidiennement (v. J. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d’indemnisation : analyse en droits français et allemand, Paris, L.G.D.J., 2013, Bibliothèque de droit privé, n° 344-348).

[67] L’observation de M. Mongoin (v. dans ce numéro), selon laquelle « dans de telles situations, qui affectent la population tout entière, le traitement indemnitaire individuel paraît inadapté ; la (bonne) réponse semble devoir être collective et fondée sur la solidarité nationale », pourrait également s’appliquer au Japon. V. également O. Beaud, D. Rebut et C. Broyelle, supra note 1 ; H. Muscat et C. Paillard, supra note 1, p. 291.

[68] On en trouve également en termes de systèmes judiciaire, politique et médical, de situation géographique, de situation sociale, de culture, d’histoire, de caractère national ou encore de sens du sentiment de solidarité entre les citoyens.

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