Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Sociétés

[Chronique] Droit des sociétés (février – mars 2021)

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N2374BZX

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par Brune-Laure Dugourd - Doctorante, Équipe de Recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 28 Juillet 2022

Mise à la charge intégrale de la société bénéficiaire d’un apport partiel d’actif du redressement URSSAF de la société apporteuse

Mots-clés : apport partiel d’actif, transmission universelle de patrimoine

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 26 février 2021, n° 18/07863 N° Lexbase : A34784IN

L’apport partiel d’actif (APA) est un outil intéressant pour restructurer des groupes de sociétés en transmettant des activités. Lorsque l’opération est soumise par les parties au régime des scissions (C. com., art. L. 236-22 N° Lexbase : L2405LRI), et non simplement à celui de l’apport en nature, l’actif et le passif relatifs à l’activité seront transmis à la société bénéficiaire, si bien que l’on peut y voir une sorte d’apport du patrimoine d’une des entreprises de la société (P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, LGDJ, Précis Domat Droit privé, 7e éd., 2018, n° 1654). Les effets d’une telle restructuration créent néanmoins des difficultés pour le créancier de la société apporteuse qui souhaite recouvrer sa créance, comme en témoigne un arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 26 février 2021 (CA Lyon, 3e ch. A, 26 février 2021, n° 18/07863 N° Lexbase : A34784IN).

Durant l’été 2013, un groupe s’est restructuré et a créé trois filiales par voie d’APA. Trois années plus tard, l’URSSAF contrôle et redresse la société apporteuse pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, mais pour des cotisations concernant l’une des nouvelles filiales. L’apporteuse est mise en demeure et sous contrainte par l’URSSAF. Ces mesures sont annulées par le TASS qui considère que la société apporteuse n’est plus la débitrice de l’URSSAF. La cour d’appel de Lyon confirme ce jugement.

Pour parvenir à cette solution, les juges du fond ont procédé par étape. Tout d’abord, ils rappellent que la scission emporte la transmission universelle du patrimoine de la société scindée à la société bénéficiaire (C. com., art. L. 236-1 N° Lexbase : L6351AI3). L’assimilation des effets de cette scission à l’APA conduit à admettre la transmission automatique de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d’activité objet de l’apport à la société bénéficiaire (Cass. com., 16 février 1988, n° 86-19.645, publié au bulletin N° Lexbase : A7012AAX), sauf si les parties ont expressément exclu certains éléments (Cass. com., février 2004, n° 00-13.501, F-D N° Lexbase : A2637DBB). En l’espèce, l’apport portait sur la branche d’activité de transport de personnes rattachées à deux établissements. L’ensemble des éléments d’actif et de passif, dont les impôts et taxes, afférents à cette branche ont été transmis à la société bénéficiaire. Cette dernière est donc devenue débitrice de l’URSSAF pour les cotisations sociales afférentes à ces établissements. On peut néanmoins regretter la formule maladroite de la cour qui visait la transmission de la « totalité de son patrimoine relatif à la branche d’activité » et à laquelle on pourrait préférer celle de transmission de la totalité des actifs relatifs à la branche d’activité et du passif qui leur est affecté. En effet, la première expression est en contrariété avec le principe d’inaliénabilité du patrimoine et se révèle erronée. Le passif n’est pas véritablement transmis puisque l’APA ne va pas libérer la société apporteuse mais simplement adjoindre la société bénéficiaire comme débitrice solidaire des dettes contractées pour l’activité de la branche apportée (v. Cass. com., 12 décembre 2006, n° 05-15.619, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8546DSC ; Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 05-22.044, F-D N° Lexbase : A3903EDW transposant C. com., art. L. 236-20 N° Lexbase : L6370AIR aux APA). Cette solidarité a pour but de protéger les créanciers qui risqueraient de voir leur droit de gage diminuer fortement si leur seul débiteur devenait la société bénéficiaire (Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 05-22.044, F-D N° Lexbase : A3903EDW, H. Le Nabasque, APA soumis au régime des scissions et solidarité entre sociétés apporteuse et bénéficiaire, Bull. Joly Sociétés,n° 6, juin 2009, p. 578).

Les juges viennent néanmoins rappeler que les parties peuvent déroger à cette solidarité et mettre le passif à la charge d’une seule d’entre elles (C. com., art. L. 236-22 N° Lexbase : L2405LRI). En l’espèce, les parties avaient précisé que la société bénéficiaire prendrait en charge et acquitterait en lieu et place de l’apporteuse la part de passif dont les impôts, droits et taxes, de cette dernière attachée à l’activité transmise, sans solidarité avec la société apporteuse. La société bénéficiaire était donc seule tenue du passif de l’apporteuse. Dès lors, même si le redressement portait sur des cotisations sociales dues avant la date de publication de l’opération au BODACC, il était postérieur à cette date et constituait une dette à la charge de la société bénéficiaire. L’URSSAF n’ayant pas poursuivi la société bénéficiaire, il y a de fortes chances que sa créance soit désormais prescrite.

L’URSSAF aurait pu se prémunir de la perte de son débiteur en s’opposant à l’opération d’APA dans les 30 jours de la dernière insertion au BODACC (C. com., art. L. 236-21, al. 2 N° Lexbase : L6371AIS, transposé à l’APA et renvoyant aux art. L. 236-14 N° Lexbase : L6364AIK et R. 236-8 N° Lexbase : L2358IRR du même Code). En pratique, une telle opposition est difficile à mettre en œuvre et suppose que les créanciers soient particulièrement attentifs aux restructurations dont peuvent faire l’objet leurs débiteurs. La numérisation croissante de l’information juridique pourrait cependant permettre de constituer une veille automatisée avertissant le créancier.

La pertinence de l’obligation aux dettes de l’associé de SNC combinée à son obligation de caution solidaire

Mots-clés : obligations aux dettes sociales, cautionnement, SNC, devoir de mise en garde, responsabilité civile

♦ CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 mars 2021, n° 19/02102 N° Lexbase : A54934IB

La garantie des associés obligés aux dettes sociales n’est pas un cautionnement (v. note Cass. com., 14 mai 2013, n° 10-25.680, F-D N° Lexbase : A5126KD9). Dès lors, le créancier d’une SNC a tout intérêt à demander aux associés en nom de se porter cautions solidaires de leur société afin de s’assurer une protection maximale. En effet, la caution solidaire ne bénéficie pas du privilège de discussion et peut être actionnée plus tôt que la garantie subsidiaire de l’associé. À l’inverse, le gage du créancier est plus important dans le cadre de l’obligation aux dettes. Le créancier peut saisir automatiquement les biens communs de l’associé marié sous le régime légal, alors qu’il ne peut saisir que les biens propres et les revenus de la caution si son époux n’a pas consenti à l’acte de cautionnement (C. civ., art. 1415 N° Lexbase : L1546ABU, non applicables à l’associé, v. Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 03-11.461, FS-P+B N° Lexbase : A3951DMB). Enfin, le cumul de ces deux garanties augmente les chances de paiement du créancier puisque le point de départ de la prescription de chacune des deux actions est différent. En témoigne un arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 2 mars 2021 (CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 mars 2021, n° 19/02102 N° Lexbase : A54934IB).

Les associés d’une SNC s’étaient portés cautions solidaires de divers prêts souscrits par la société. À la suite de la liquidation judiciaire de la SNC, la banque met en demeure les cautions d’exécuter leur engagement de caution. Un peu moins de cinq ans plus tard, elle les assigne, mais à titre principal en qualité d’associés et seulement à titre subsidiaire en qualité de cautions solidaires de la société, afin de les voir condamnés à lui payer la somme correspondant aux prêts et à leurs intérêts. Sa demande principale est accueillie. La banque se voit néanmoins condamnée à verser des dommages-intérêts aux associés cautions pour un manquement à son devoir de mise en garde. Appel est donc interjeté et les deux parties contestent respectivement la recevabilité des actions du fait de leur prescription.

S’agissant de la prescription de l’action en paiement dirigée contre les associés, la cour d’appel de Lyon fait une application classique des règles de droit des sociétés. Conformément à l’article L. 221-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5797AIK, elle rappelle que l’obligation aux dettes de l’associé n’est que subsidiaire et ne peut intervenir qu’après une vaine mise en demeure de la société par acte extrajudiciaire. Vaut mise en demeure une déclaration de la créance à la procédure collective (Cass. com., 19 décembre 2006, n° 02-21.333, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9938DSU). En l’espèce, la banque justifiait bien d’une vaine mise en demeure puisqu’elle avait déclaré sa créance et que la liquidation avait été clôturée pour insuffisance d’actif. Comme le rappelle l’arrêt, le délai quinquennal de prescription s’applique à compter de la vaine mise en demeure, ou de la date de publication de la dissolution de la société au registre du commerce et des sociétés (C. com, art. L. 237-13 N° Lexbase : L6387AIE), qui correspond à la date du jugement de clôture pour la liquidation pour insuffisance d’actif (C. civ., art. 1844-7, 7° N° Lexbase : L7356IZH). Retenant la date de déclaration de la créance, la cour d’appel a observé qu’elle datait de moins de cinq ans avant la demande, si bien que cette dernière était recevable. Il est intéressant de noter que le point de départ de la prescription extinctive de l’obligation des associés cautions se situait antérieurement, au moment où l’obligation principale était exigible (Cass. civ. 1, 20 juillet 1981, n° 80-11.731, publié N° Lexbase : A7538AYT).

S’agissant du manquement au devoir de mise en garde, les juges infirment le jugement de première instance et considèrent que l’action des cautions est prescrite. Ils rappellent que le délai de prescription courrait à compter du jour où la banque avait mis en demeure les cautions d’exécuter leur engagement, soit plus de cinq ans avant leur action. La solution est à saluer sur ce point, et ce d’autant plus que la décision des juges de première instance surprend. Au-delà du problème de prescription, l’action en responsabilité ne pouvait aboutir puisque les associés avaient été condamnés à payer la banque en cette seule qualité. Or, le devoir de mise en garde, visant à alerter la caution en cas d’inadaptation de son engagement à ses capacités financières, ou d’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur (Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-16.790, FS-P+B+I N° Lexbase : A0222WZA), ne bénéficie qu’aux cautions non averties et n’a jamais été étendu aux associés (v. Cass. civ. 3, 19 septembre 2019, n° 18-15.398, FS-P+B+I N° Lexbase : A8468ZNX qui réserve ce devoir à la société emprunteuse). Si une telle extension protégeait l’associé qui engage son patrimoine personnel aux fins de garantie des dettes de la société, elle s’opposerait à la réalité de la personnalité morale de la société et à la logique du devoir de mise en garde. En effet, ce devoir permet à la caution de s’engager ou de refuser de s’engager en toute connaissance de cause avec le prêteur. Or, sauf à considérer que la personne morale est transparente, les associés ne sont normalement pas les cocontractants du prêteur. Enfin, l’extension du devoir de mise en garde créerait une nouvelle source de contentieux portant à la fois sur le caractère averti des associés et sur le respect du devoir.

Cet arrêt rendu sur le terrain de la prescription permet donc de rappeler les risques pesant sur l’associé présentant également la qualité de caution. Chacune de ses garanties sera traitée de façon autonome, si bien qu’il aura peu de chances d’échapper à son engagement.

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