Cahiers Louis Josserand n°1 du 28 juillet 2022 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Droit des entreprises en difficultés (novembre 2020 – avril 2021)

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N2369BZR

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par Étienne André - Docteur en Droit - Collaborateur Mandataire Judiciaire - MJ-SYNERGIE et Adrien Bezert - Maître de conférences - Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 28 Juillet 2022

L’appréciation souveraine de l’impossibilité manifeste de redressement

Mots-clés : état de cessation des paiements, impossibilité manifeste de redressement, appréciation

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 25 février 2021, n° 20/03071 N° Lexbase : A16274I4

Au cours de la période d’observation d’un redressement judiciaire, le tribunal prononce la conversion de liquidation judiciaire, à tout moment, si « le redressement est manifestement impossible », et ce en application de l’article L. 631-15, II, du Code de commerce N° Lexbase : L9174L7W. Cette évolution de la procédure n’implique pas en revanche de caractériser un état de cessation des paiements de l’entreprise en difficulté (Cass. com., 28 février 2018, n° 16-19.422, F-P+B+I N° Lexbase : A6543XE3). L’analyse de ce critère unique de conversion est une question de fait relevant de l’appréciation souveraine des juridictions du fond, tel que l’illustre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon en date du 25 février 2021 (CA Lyon, 3e ch. A, 25 février 2021, n° 20/03071 N° Lexbase : A16274I4).

Une start-up lyonnaise, spécialisée dans le développement et la commercialisation de sous-vêtements spécialement conçus pour les femmes ayant subi une ablation mammaire, avait bénéficié d’un redressement judiciaire. Au cours de la période d’observation renouvelée, la procédure fut finalement convertie en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon. La société débitrice a interjeté appel de cette décision en raison des perspectives de redressement qu’elle tente de démontrer, notamment par la désignation d’une société de conseil pour mener à bien l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de ses produits ou par le fait que son passif ne s’est pas aggravé depuis l’ouverture de la procédure collective. Le liquidateur judiciaire estime au contraire que le redressement est manifestement impossible, notamment du fait que la société n’a aucune activité commerciale alors que son passif dépasse les 750 000 euros.

La cour d’appel de Lyon tranche le débat en faveur du débiteur, estimant que l’impossibilité manifeste de redressement n’est pas caractérisée, compte tenu des démarches engagées par la société et les investissements réalisés. Ces éléments conduisent en effet, selon la cour, à considérer que l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de ses produits permettra une commercialisation rapide et un dégagement de chiffre d’affaires, propices à entreprendre le règlement de son passif. En conséquence, le jugement de première instance est infirmé et la société en difficulté est placée de nouveau en redressement judiciaire avec une période d’observation de trois mois au cours de laquelle elle devra élaborer la proposition d’un plan de redressement.

Bien que souveraine dans sa prise de décision, la cour d’appel a étayé les raisons justifiant de ne pas avoir caractérisé l’impossibilité manifeste de redressement. La Cour de cassation exerce en effet un certain contrôle de la motivation des juridictions du fond (dernièrement, Cass. com., 7 octobre 2020, n° 19-10.874, F-D N° Lexbase : A33363XT ; Cass. com., 21 octobre 2020, n° 19-15.015, F-D N° Lexbase : A88353YU). Une latitude leur est toutefois laissée pour caractériser ou non si « le redressement est manifestement impossible », critère non défini par le Livre VI du Code de commerce. La Cour ne nie pas en l’espèce l’existence du passif déclaré ni même n’admet certains paiements contraires aux dispositions du Code de commerce, mais elle s’efforce de désigner les perspectives de redressement existantes incompatibles avec la conversion de la procédure de redressement, l’un des éléments les plus importants étant l’absence d’aggravation du passif depuis l’ouverture de la procédure (pour illustration, Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-13.612).

La cour d’appel ne se contente pas de relever ce seul critère de la non-apparition de nouvelles dettes, elle s’appuie principalement sur un faisceau d’éléments qui ont pour originalité d’être nés postérieurement à la décision du tribunal de commerce de Lyon. La société débitrice a eu en effet recours à deux sociétés, l’une pour la recherche d’investisseurs, l’autre pour l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de ses produits. La dirigeante a par ailleurs réussi à lever des fonds importants au soutien du développement de la société. Ce sont donc des éléments inexistants au moment de l’audience de première instance qui ont participé à ce que la cour d’appel ne caractérise pas l’impossibilité manifeste de redressement de ladite société. De prime abord surprenante, la prise en considération de ces éléments nouveaux est tout à fait justifiée, puisque la juridiction du fond, en l’occurrence la cour d’appel, doit s’appuyer sur des éléments d’appréciation dont elle dispose au jour où elle statue.

La cour d’appel a ouvert ainsi une nouvelle période d’observation d’une durée maximale de trois mois seulement, en vertu de l’article L. 661-9 du Code de commerce N° Lexbase : L4175HBA. Reste pour la société débitrice à obtenir dans ce délai restreint toutes les autorisations nécessaires à son activité et à élaborer son plan de redressement, opérations pour le moins délicates.

Par Étienne André 

Toutes les déclarations de créances ne se valent pas !

Mots-clés : déclaration de créance, créancier étranger, créance de dommages-intérêts

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 11 mars 2021, RG n° 20/03669 N° Lexbase : A72524KS

Dans cette affaire, une société française conclut un contrat de licence avec une société suisse. La société française est par la suite placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Lyon du 12 mai 2016. Le 15 novembre de la même année, la procédure est finalement convertie en liquidation judiciaire. Le 23 novembre 2016, la société suisse met en demeure le liquidateur judiciaire de se prononcer sur la poursuite du contrat de licence. Ce dernier, malgré l’obtention d’une prolongation de deux mois du délai de réponse, reste muet. Le contrat est ainsi résilié de plein droit le 24 février 2017. Le 23 mai 2017, la société suisse déclare alors une créance de dommages-intérêts résultant de la résiliation du contrat avant le terme prévu, déclaration contestée par le débiteur, en raison de sa tardiveté. Le 1er juillet 2020, le juge-commissaire rend une ordonnance par laquelle il déclare le créancier suisse forclos. Ce dernier interjette alors appel de cette décision, estimant que la déclaration de la créance de dommages-intérêts, visée à l’article R. 622-21 du Code de commerce N° Lexbase : L5947KGD, bénéficie de l’allongement des délais de déclaration prévus pour les créanciers étrangers consacré par l’article R. 622-24 alinéa 2 du même code N° Lexbase : L6120I33. Dans un arrêt du 11 mars 2021 (CA Lyon, 3e ch. A, 11 mars 2021, RG n° 20/03669 N° Lexbase : A72524KS), la cour d’appel de Lyon déboute l’appelant de ses prétentions en se prononçant pour la première fois sur l’articulation des deux textes précités. Cette décision se fonde sur deux séries d’arguments.

En premier lieu, la cour d’appel de Lyon est amenée à confronter deux maximes d’interprétation. En effet, l’article R. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L6120I33 consacre, dans ses alinéas 2 et 3, un « délai de déclaration » supplémentaire de deux mois, au bénéfice des créanciers étrangers. Le texte ne réservant pas expressément le bénéfice de ce délai supplémentaire à la seule déclaration de créance de l’article L. 622-24 du même code N° Lexbase : L6120I33, l’application de l’adage « [U]bi lex non distinguit nec nos distinguere debemus » (« là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer »), invoqué par l’appelante, aurait légitimement pu justifier l’application de ce texte à la déclaration de créance de l’article R. 622-21 du Code de commerce N° Lexbase : L5947KGD. La cour d’appel de Lyon écarte toutefois cet adage et préfère se fonder sur la maxime « [E]xceptio est strictissime interpretationis » (« L’exception doit être interprétée strictement »), cantonnant ainsi le délai de déclaration supplémentaire à la seule déclaration de créance visée par l’article qui lui sert de fondement.

La solution peut se justifier car, en l’absence de texte conditionnant l’intervention de l’interprète (comme les articles 1188 et s. du Code civil N° Lexbase : L0905KZK), aucune maxime d’interprétation n’est impérative (P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, 5e éd., 2019, p. 114, n° 117). Il en résulte qu’aucune des deux maximes en présence ne prévalait naturellement sur l’autre. Il est toutefois maladroit de justifier le recours à cette technique d’interprétation par le fait que le droit des procédures est d’ordre public. Il eut mieux valu se référer à son caractère dérogatoire du droit commun.

En second lieu, la juridiction lyonnaise écarte l’argument selon lequel le créancier étranger serait fondé à se prévaloir de la prolongation du délai de déclaration de créance en raison de l’analogie qui pourrait être effectuée entre les dispositions de l’article R. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L6120I33 et celles de l’article 643 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6758LEZ. Ce dernier prévoit en effet divers allongements des délais « de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce opposition […], de recours en révision et de pourvoi en cassation », lorsque la demande en justice est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine par un justiciable domicilié à l’étranger ou dans les DOM-TOM. L’analogie entre les deux textes pourrait ici se justifier en raison de leur finalité commune visant à « compenser au profit du créancier domicilié hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l’éloignement » (Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-13.103, , FS-P+B N° Lexbase : A6761E48).

La cour d’appel de Lyon conteste toutefois toute analogie entre l’article R. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L6120I33 et 643 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6758LEZ en affirmant que « si l’article 643 du Code de procédure civile accorde la même prolongation de deux mois relativement à des ̎délais de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, le délai de déclaration de créance opposable au contractant susvisé ne peut pas s’analyser en un délai de comparution ». Sur ce point, la position de la juridiction lyonnaise ne peut qu’être approuvée, la Cour de cassation ayant en effet déjà affirmé que le délai de déclaration de créance ne constitue pas un délai de comparution (Cass. com., 23 novembre 1999, n° 96-21.034, publié N° Lexbase : A4554AGR).

Au surplus, la cour d’appel procède à une appréciation « in concreto » du préjudice qu’aurait effectivement pu subir le créancier en raison de son éloignement. Elle relève à cet effet que le créancier suisse était assisté d’un conseil français, à l’origine de la mise en demeure du liquidateur.

Par Adrien Bezert

Impossible de conclure une transaction tendant au paiement d’une créance antérieure

Mots-clés : transaction, créance antérieure, interdiction des paiements, autorisation préalable, qualité à agir

Cette affaire met en scène une société placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Saint-Étienne, le 17 février 2016. L’un de ses créanciers procède à une déclaration à titre privilégié d’un ensemble de créances relatives à des prestations de transport. Sur requête présentée par le seul administrateur judiciaire, investi d’une mission d’assistance, le juge-commissaire autorise, par une ordonnance du 10 mai 2016, la conclusion d’une transaction. Cette dernière prévoit le règlement en plusieurs échéances de 95 % de l’ensemble des créances déclarées, pour solde de tout compte, contre renoncement de la part du créancier, transporteur, à se prévaloir de l’action directe en paiement des prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire, consacrée par l’article L. 132-8 du Code de commerce N° Lexbase : L5640AIQ. Le mandataire judiciaire forme tierce-opposition à l’encontre de l’ordonnance du juge-commissaire. Par un jugement du 23 février 2017, le tribunal annule l’ordonnance litigieuse. Débiteur et administrateur judiciaire interjettent alors appel de cette décision. La cause est toutefois radiée pour régularisation de la procédure, en raison de l’adoption d’un plan de redressement au bénéfice du débiteur. Au cours de l’exécution dudit plan, l’état de cessation des paiements du débiteur ayant été caractérisé, sa liquidation judiciaire est prononcée et l’instance relative à la contestation de l’ordonnance du juge-commissaire est par conséquent reprise. Le 26 novembre 2020, la cour d’appel de Lyon confirme le jugement ayant annulé l’ordonnance autorisant la conclusion de transaction au contenu litigieux (CA Lyon, 3e ch. A, 26 novembre 2020, RG n° 20/02415 N° Lexbase : A797137D). Cette décision permet de revenir sur deux questions particulièrement intéressantes.

Dans un premier temps, l’arrêt sous examen réaffirme l’impossibilité de transiger sur des créances antérieures. Il s’inscrit à cet égard dans une ligne jurisprudentielle tendant à se consolider (CA Paris, 5-- 9, 22 novembre 2018, n° 17/11439 N° Lexbase : A4648YM4 et n° 17/11489 N° Lexbase : A6415ZGP ; CA Lyon, ch. 3 A, 31 mai 2018, n° 17/01976 N° Lexbase : A09103EG ; CA Lyon, 5 avril 2018, n° 17/01840 N° Lexbase : A62293GS).

La cour d’appel de Lyon fonde ici sa décision en se référant à la structure de l’article L. 622-7 du Code de commerce N° Lexbase : L9121L7X, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-14 alinéa 1er du même code N° Lexbase : L9175L7X. Elle relève d’une part que l’article L. 622-7, II, alinéa 1er du Code de commerce N° Lexbase : L9121L7X énumère les actes ne pouvant être conclus qu’après avoir obtenu l’autorisation du juge-commissaire, parmi lesquels figure la conclusion d’une transaction, sans distinction selon l’objet et le contenu de celle-ci. La juridiction lyonnaise constate d’autre part que l’article L. 622-7, I° alinéa 1er du Code de commerce N° Lexbase : L9121L7X interdit le paiement des créances antérieures à l’exception de celles visées par l’article L. 622-7, I, alinéa 1er et II, alinéa 2 du même code N° Lexbase : L9121L7X. Cette dernière constatation est nécessaire, la transaction envisagée ne répondant pas à la définition légale de la transaction (article 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN) pour deux raisons. La première est que la transaction dont la conclusion était envisagée ne comporte pas de concessions réciproques, « dès lors que Transports V. bénéficiait d’un paiement préférentiel à hauteur de la quasi-totalité de sa créance soit 95 % […], de sorte que sa concession ne portait, […] que sur une faible portion (5 %) de sa créance et que l’étalement du paiement sur 5 mois n’est nullement significatif ». La deuxième est l’absence de preuve de l’existence de contestations nées ou à naître, la cour relevant que « la créance du transporteur est liée à l’ouverture de la procédure collective et qu’ensuite, l’action directe qui lui est accordée par la loi repose sur un mécanisme légal justement créé pour faire face à de telles situations d’impayés qu’il y ait ouverture ou non d’une procédure collective pour la société bénéficiaire des prestations de transport ».

Une lecture combinée de ces deux textes conduit la cour d’appel de Lyon à faire primer le contenu de l’acte litigieux sur sa nature. Elle en conclut que si la transaction conduit in fine au règlement d’une créance antérieure, celle-ci ne saurait être autorisée par le juge-commissaire car elle heurterait l’interdiction de paiement préférentiel de tout créancier antérieur, que les juges d’appel qualifient de « principe fondamental du droit des procédures collectives ». Plusieurs auteurs ont à cet égard déjà émis des réserves sur la validité d’une telle transaction (V. note en ce sens : A. Cerati, Rev. proc. coll., juillet-août 2020, n° 4, comm. 95, note sous Cass. com., 26 février 2020, n° 18-21.117, F-D N° Lexbase : A78703GL ; A. Honorat, D. 1999, p. 350, note sous Cass. com., 5 janvier 1999, n° 96-20.561, publié au bulletin N° Lexbase : A8025AGC ; B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2e éd., 1995, p. 989, n° 1320 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, L.G.D.J., Domat, 2018, 11e éd., p. 375, n° 607. Contra : P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2020, p. 997, n° 422-321). Sur ce point, la décision de la cour d’appel surprend peu.

Dans un second temps, l’arrêt soumis à commentaire revient sur la qualité à agir de l’administrateur judiciaire investi d’une mission d’assistance. Il est acquis que cette mission implique que l’administrateur doit agir « concurremment » avec le débiteur (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-21.686, FS-P+B N° Lexbase : A3046MX4, LEDEN, novembre 2014, p. 3, n° 155, note O. Staes), ce qui se traduit par le fait qu’administrateur judiciaire et débiteur doivent par principe tous deux intervenir à l’acte dont la conclusion est envisagée.

Tirant les conséquences de la qualification retenue de la transaction litigieuse, la cour d’appel de Lyon affirme que « [L]'article R. 631-19 du Code de commerce, qui permet à l’administrateur seul de présenter une requête, est inapplicable en l’espèce car cette disposition ne joue que dans l’hypothèse de l’autorisation des actes dérogatoires de l’article L. 622-7- II, dont la transaction litigieuse ne fait pas partie ainsi qu’il a été précédemment jugé ».

L’affirmation de la cour d’appel peut ici appeler quelques réserves car c’est une étude au fond, du contenu de l’acte, qui conduit à l’inapplicabilité des dispositions de l’article R. 631-19 du Code de commerce N° Lexbase : L9356ICI, qui conditionne la recevabilité de la requête. Il eut mieux valu qu’elle se contente de relever, comme elle l’a justement fait, que cette requête est irrecevable car elle est présentée par le seul administrateur investi d’une mission d’assistance.

Par Adrien Bezert

Le débat exhumé de la délégation de pouvoir

Mots-clés : délégation de pouvoir, déclaration de créance, ratification

♦ CA Lyon, 3e ch. A, 29 avril 2021, n° 19/03164 N° Lexbase : A60374QN

Un contentieux fourni existait jadis à propos de la régularité de la délégation de pouvoir consentie par les dirigeants des sociétés créancières, permettant à leurs délégués désignés de déclarer leurs créances à la procédure collective de leurs débiteurs. Cette délégation devant émaner du représentant légal de la société déléguant explicitement son pouvoir de déclaration de créance, s’ensuivait une vérification par le juge, notamment de la qualité du déléguant et du bon respect de la chaîne de délégations de pouvoir, et ce jusqu’au signataire de la déclaration de créance. L’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives N° Lexbase : L7194IZH modifia cependant l’article L. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4 en permettant au créancier de « ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance ». Le créancier peut désormais régulariser la déclaration de sa créance jusqu’à la prise de décision du juge. Ledit contentieux s’est dès lors estompé, en dépit de quelques irréductibles souhaitant le ranimer, comme en témoigne la décision de la cour d’appel de Lyon du 29 avril 2021 (CA Lyon, 3e ch. A, 29 avril 2021, n° 19/03164 N° Lexbase : A60374QN).

Le conflit d’espèce trouvait son origine dans l’ordonnance d’admission d’une créance bancaire au passif d’une société débitrice. Le liquidateur judiciaire formait appel de cette décision, invoquant les arguments traditionnels de contestation des délégations de pouvoir, en dépit de l’ordonnance citée du 12 mars 2014 N° Lexbase : L7194IZH. Le liquidateur ressuscitait alors la distinction entre la délégation de pouvoirs et le mandat afin de démontrer que la délégation n’aurait pas été valablement donnée par le déléguant qui se serait en plus dessaisi de son pouvoir au profit d’un autre délégataire. S’ajouterait l’absence de limite temporelle de la délégation de pouvoir qui, de surcroît, n’aurait pas été valablement acceptée par le délégataire.

Souhaitant éviter la réhabilitation du contentieux suranné de la délégation de pouvoir, la cour d’appel de Lyon confirme l’ordonnance du juge-commissaire et admet au passif de la société débitrice la créance déclarée par son créancier. Elle prend soin de répondre point par point aux divers arguments invoqués par le liquidateur judiciaire, au risque de provoquer l’effet inverse de celui escompté, à savoir la résurgence du débat sur la délégation de pouvoir.

La cour d’appel rappelle à titre liminaire la « nouvelle » rédaction de l’article L. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4 pour en déduire que la régularité de la déclaration de créance n’est plus à apprécier à l’aune de sa qualification de demande en justice. Elle aurait pu en rester là dans la mesure où la société créancière, par le truchement de son représentant légal, peut désormais ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’au jour où le juge statue. S’ensuit une réponse contraire de la cour sur chaque élément avancé par le liquidateur affirmant que la délégation de pouvoir opérerait transfert d’une compétence empêchant le délégant de l’exercer, qu’elle devrait être acceptée expressément par le délégataire ou encore qu’elle ne saurait être perpétuelle.

Cette motivation détaillée de la juridiction lyonnaise, quelque peu superfétatoire, s’explique par sa volonté d’écarter une controverse dont les incertitudes ont pourtant été levées par la réforme de 2014.

La troisième chambre A de la cour d’appel de Lyon a rendu un grand nombre de décisions ces derniers temps rejetant le même argumentaire (CA Lyon, 3e ch. A, 5 décembre 2019, n° 19/01252 N° Lexbase : A0967Z7X, n° 19/01218 N° Lexbase : A0635Z7N et n° 19/01223 N° Lexbase : A1263Z7W ; 14 mai 2020, n° 19/00901 N° Lexbase : A50573LU, n° 19/04021 N° Lexbase : A51123LW et n° 18/05304 N° Lexbase : A51483LA ; 24 septembre 2020, n° 18/04948 N° Lexbase : A84543UN ; 29 octobre 2020, n° 19/03768 N° Lexbase : A79883ZU et n° 19/03766 N° Lexbase : A74163ZP ; 26 novembre 2020, n° 19/08929 N° Lexbase : A760837W ; 8 octobre 2020, n° 18/05743 N° Lexbase : A12843XT et n° 18/08115 N° Lexbase : A11583X8 ; 21 janvier 2021, n° 20/00654 N° Lexbase : A24294DC et n° 20/00651 N° Lexbase : A21394DL ; 29 avril 2021, n° 19/03164 N° Lexbase : A60374QN, n° 20/04252 N° Lexbase : A59694Q7, n° 20/04256 N° Lexbase : A57304QB, n° 20/04257 N° Lexbase : A59914QX et n° 20/04255 N° Lexbase : A60194QY).

La lecture de ces divers arrêts témoigne d’une certaine inconstance des juridictions de première instance qui se laissent parfois séduire par les arguments fondés sur une jurisprudence désuète. La cour d’appel de Lyon reste – fort heureusement – ferme sur sa position, systématisant quasiment l’admission des créances contestées sur le fondement de l’irrégularité de la délégation de pouvoir. Cette analyse est d’autant plus justifiée que la Cour de cassation a affirmé récemment que la ratification d’une créance n’obéissait à aucune forme particulière et pouvait en conséquence être implicite (Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-22.385, FS-P N° Lexbase : A01274LB). Cette dernière a en effet retenu comme étant une ratification implicite le simple fait pour le créancier de conclure devant la cour d’appel à l’admission de la créance déclarée en son nom. Puisse cette décision de la Haute juridiction endiguer définitivement le débat entourant la délégation de pouvoir et, plus largement, celui concernant les personnes dûment habilitées à déclarer.

Par Étienne André

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