Réf. : Cons. const., décision n° 2013-309 QPC, du 26 avril 2013 (N° Lexbase : A6251KCI)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 01 Mai 2013
Les dispositions contestées ont déjà fait l'objet d'une première QPC posée devant les juridictions administratives et que le Conseil d'Etat avait refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel, au motif que les dispositions n'étaient pas applicables au litige (CE 1° et 6° s-s-r., 23 juillet 2012, n° 359934, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0698ISN). En outre, dans une décision rendue le 7 décembre 2000 (Cons. const., décision n° 2000-436 DC N° Lexbase : A1727AIS), les Sages avaient censuré, en raison de son automaticité, le dispositif de sanction institué par la loi "SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY) à l'encontre des communes n'ayant pas réalisé l'objectif triennal de création de logements sociaux. En revanche, les Sages avaient validé l'article 16 la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 N° Lexbase : L0425IWN), relatif à la procédure pouvant conduire à un prélèvement majoré pesant sur les communes n'ayant pas atteint leur objectif de réalisation du nombre de logements sociaux. Ils avaient estimé que ces dispositions ont pour but de mettre en oeuvre l'objectif de mixité sociale et d'accroissement de la production de logements locatifs sociaux et répondent, ainsi, à une fin d'intérêt général et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi (Cons. const., décision n° 2012-660 DC, du 17 janvier 2013 N° Lexbase : A2953I3R).
La Haute juridiction administrative a déjà rappelé qu'il résulte de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme que la mise en oeuvre du droit de préemption urbain doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre tant aux finalités mentionnées à l'article L. 300-1 du même code (N° Lexbase : L4059ICC) qu'à un intérêt général suffisant (CE 1° et 6° s-s-r., 7 janvier 2013, n° 357230, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7386IZL). De manière générale, le juge de l'excès de pouvoir vérifie si le projet d'action ou d'opération envisagé par le titulaire du droit de préemption est de nature à justifier légalement l'exercice de ce droit (CE 1° et 6° s-s-r., 6 juin 2012, n° 342328, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4023INC). Le juge administratif a précisé que ces dispositions ont bien institué des garanties suffisantes à la protection du droit de propriété et de la liberté contractuelle et, dès lors, ne méconnaissent pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales (CE 1° et 6° s-s-r., 12 septembre 2011, n° 347444, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7584HX8).
Ces objectifs sont formulés de manière suffisamment générale pour laisser une certaine marge d'appréciation aux collectivités. Il peut s'agir de la mise en oeuvre d'un projet urbain tel que la rénovation des rues d'un quartier ou de la mise en oeuvre d'une politique locale de l'habitat destinée à maintenir la population sur place. Le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques constituent un objectif fréquemment invoqué : la création d'un pôle d'attraction industriel et commercial peut justifier l'exercice du droit de préemption (CE 2° et 10° s-s-r., 31 mars 1989, n° 88113, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1918AQ4). Le développement du loisir et du tourisme et la création d'équipements collectifs figurent, également, au nombre des objectifs de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme. La construction de logements sociaux et d'un immeuble de bureaux destiné à abriter des locaux administratifs peuvent, ainsi, justifier une décision de préemption (CAA Paris, 17 février 1995, n° 93PA014169).
Le Conseil d'Etat censure les motivations jugées insuffisantes parce qu'elles ne traduisent pas l'existence d'un projet. Ont, ainsi, été censurées des décisions de préemption qui se bornent à invoquer la réalisation d'un équipement public sans autres précisions (CE 3° et 5° s-s-r., 19 février 1993, n° 95104, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8563AM4), ou la relance de l'activité économique (CE 1° et 4° s-s-r., 30 juillet 1997, n° 157313, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0814AEU). Initialement, le projet d'action ou d'opération d'aménagement devait présenter un caractère suffisamment précis pour que la préemption soit légalement motivée (CE 2° et 6° s-s-r., 25 juillet 1986, n° 62539, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4793AMH). Depuis 2008, l'exercice du droit de préemption est légal à condition de justifier de la réalité d'un projet au jour de la préemption et d'indiquer la nature de ce projet de manière suffisamment précise dans la décision de préemption (CE 1° et 6° s-s-r., 7 mars 2008, n° 288371, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3807D77, CE 1° et 6° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 324767, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8306HWK). Hors la procédure de substitution qui nous occupe ici, le droit de préemption est normalement exercé par la commune (C. urb., art. L. 214-1 N° Lexbase : L5743ISI), mais le maire, par délégation de son conseil municipal, a le pouvoir d'exercer, au nom de la commune et dans les conditions fixées par le conseil municipal, le droit de préemption des communes sur les cessions des fonds et des baux (CGCT, art. L. 2122-22 N° Lexbase : L2832IPL).
II - Les communes que vise le deuxième alinéa de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme sont celles ayant fait l'objet d'une "procédure de constat de carence" prévue par l'article L. 302-9-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L0592IWT), soit parce qu'elles n'ont pas tenu les engagements de construction ou de réalisation de logements locatifs sociaux figurant dans le programme local de l'habitat, soit parce que, à défaut de programme local de l'habitat, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser n'a pas été atteint. Le constat de la carence a pour effet de confier au préfet le pouvoir de se substituer à la commune et, afin de renforcer l'efficacité de ce pouvoir de substitution, le législateur, en modifiant l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme par la loi du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (loi n° 2009-323 N° Lexbase : L0743IDU), lui a conféré, pendant la durée d'application de l'arrêté de carence, l'exercice du droit de préemption lorsque l'aliénation porte sur un terrain, bâti ou non bâti, affecté au logement.
Dans un arrêt rendu le 28 juin 2012 (CAA Paris, 1ère ch., 28 juin 2012, n° 11PA03557, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7964I74), la cour administrative d'appel de Paris a indiqué que ces dispositions se sont appliquées immédiatement à cette date en l'absence d'impossibilité manifeste, y compris dans les cas où un arrêté de carence était antérieurement intervenu. Le maire, après avoir été informé par le préfet de son intention, formellement motivée, d'engager la procédure de constat de carence, est invité à présenter ses observations dans les deux mois. Il peut, ensuite, former un recours de pleine juridiction à l'encontre de l'arrêté préfectoral de carence. Le préfet peut donc prendre en considération, sous le contrôle du juge, la nature et la valeur des raisons à l'origine du retard mis par la commune pour atteindre son objectif triennal, ce qui ôte à ce pouvoir tout caractère arbitraire (Cons. const., décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001 N° Lexbase : A4253AXS).
Reprenant l'argumentation invoquée à l'occasion de la décision n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001, le Conseil constitutionnel souligne que les dispositions en litige ont pour objet de remédier au non-respect par la commune en cause de l'objectif de construction ou de réalisation de logements sociaux fixé par le législateur, afin d'atteindre cet objectif. Il ajoute que, d'une part, elles sont justifiées par un but d'intérêt général et, que, d'autre part, l'objet et la portée de la compétence ainsi conférée au préfet est précisément définie en adéquation avec l'objectif poursuivi. La sanction n'a donc pas le caractère automatique qui avait conduit à la censure de la décision du 7 décembre 2000 (Cons. const., décision n° 2000-436 DC, préc.). Dès lors, l'atteinte portée à la libre administration des collectivités territoriales qui en résulte ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi. Sur le plan procédural, les Sages indiquent que "l'arrêté préfectoral constatant la carence de la commune est pris après une procédure contradictoire et peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction [...] la décision du préfet d'exercer le droit de préemption peut aussi faire l'objet d'un recours juridictionnel [...] par suite, si les dispositions contestées confient de plein droit au préfet, en cas d'arrêté de carence, l'exercice du droit de préemption, il n'en résulte pas que la mise en oeuvre des dispositions contestées est soustraite au contrôle du juge".
L'on ne peut évidemment que se féliciter de cette solution qui, dans le contexte de crise aiguë du logement que nous traversons, devrait faciliter la tâche de l'Etat face aux maires récalcitrants à accueillir sur la commune des populations démunies, au détriment d'autres villes qui, à quelques kilomètres de là, ont atteint un seuil de saturation. Si ce n'est pas cette décision qui, en tant que telle, construira les logements qui font cruellement défaut, le renforcement de la prérogative du préfet, "bras armé" de la puissance publique, ne peut qu'aider à la réalisation de l'objectif de solidarité entre communes riches et pauvres et à la préservation du lien social.
(1) Commentaire de la décision n° 2013-309 QPC du 26 avril 2013.
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