Réf. : Cass. com., 25 septembre 2012, n° 11-22.754, F-P+B (N° Lexbase : A5922ITI)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
le 11 Octobre 2012
I - Le mode de détermination de la rémunération du gérant de SARL
Le Code de commerce est silencieux quant à la rémunération du gérant de SARL, contrairement aux dirigeants de société anonyme (2). Par conséquent, la jurisprudence a dû préciser son régime juridique, notamment à l'appui des analyses réalisées par la doctrine. Ainsi, dans un arrêt du 12 mars 1974, la Cour de cassation a précisé que le gérant ne peut fixer lui-même le montant de sa rémunération (3). Toutefois, cette décision n'ayant pas été publiée au Bulletin, il restait à savoir quelle portée devait-on donner à cet arrêt : solution d'espèce ou formulation d'une règle d'application générale ?
Plus récemment, la Cour de cassation a rappelé que la rémunération du gérant n'est pas soumise aux règles relatives au contrat de travail (4). Il ne s'agit pas davantage d'une convention courante conclue à des conditions normales, pour lesquelles le gérant peut agir seul (5), puisque ce dernier ne peut la fixer seul. En outre, elle n'est pas une convention intervenant directement ou indirectement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés, selon l'article L. 223-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L5844AIB). Pour cette raison, les juges du fond ont considéré que la procédure prévue par ce texte n'a pas à être respectée pour fixer la rémunération du gérant (6), ce qui justifie pourquoi ce dernier peut prendre part au vote de l'assemblée générale statuant sur sa rémunération (7). Cette solution vaut également lorsqu'il s'agit de fixer la rémunération d'un gérant majoritaire de SARL ; il peut prendre part au vote de l'assemblée générale (8), sans que ce vote puisse être qualifié d'abus de majorité (9). Par conséquent, la détermination de la rémunération du gérant n'est ni une convention courante conclue à des conditions normales, ni une convention réglementée. Pour autant le gérant ne peut la fixer seul.
Les pouvoirs du gérant sont principalement énoncés à l'article L. 223-18 du Code de commerce. Ainsi, dans les rapports entre associés, ils sont déterminés dans les statuts. A défaut, en application de l'article L. 221-4 du même code (N° Lexbase : L5800AIN), le gérant peut faire tous les actes de gestion dans l'intérêt de la société. Ainsi, en interprétant a contrario cette disposition légale, la détermination de la rémunération du gérant ne peut être qualifiée d'acte réalisé dans l'intérêt de la société, ce qui peut se concevoir car la fixation de cette dernière est davantage réalisée dans l'intérêt du gérant que dans celui de la société, cette opération ayant pour conséquence de diminuer le patrimoine social en instituant une dette dont le gérant est créancier. Par conséquent, la doctrine (10) a pu valablement considérer que, ne correspondant pas à un acte pour lequel le gérant peut intervenir seul et que ne s'agissant pas davantage d'une convention réglementée, elle doit alors être déterminée dans les conditions de l'article L. 223-18 du Code de commerce. Ainsi, la rémunération du gérant doit être fixée par les statuts ou par une décision de la collectivité des associés, afin que ce dernier puisse la prélever sur les comptes de la société. Telle est la solution de principe formellement énoncée par l'arrêt du 25 septembre 2012.
II - L'obligation de respecter le formalisme de l'article L. 223-18 du Code de commerce
La formulation de cet arrêt démontre la portée que la Haute cour souhaite donner à cette solution. Comme le relève un commentateur de cette décision (11), la Cour de cassation n'avait jamais exprimé si nettement celle-ci. Or, sur le visa de l'article L. 223-18 du Code de commerce suivi d'un attendu de principe général, la Cour de cassation procède comme si la solution découlait naturellement de la règle légale, alors que le texte est totalement silencieux sur ce point : "la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée est soit par les statuts, soit par une décision de la collectivité des associés". Par conséquent, la Haute cour ne laisse aucune autre possibilité pour fixer cette rémunération, peu importe, comme dans la présente affaire, que le gérant soit propriétaire de la quasi-totalité des parts sociales, son épouse n'en possédant qu'une seule. D'ailleurs, pour confirmer cette analyse, le même jour, la Cour de cassation a considéré que lorsque la société est unipersonnelle, l'associé unique de la SARL doit consigner la décision relative à la rémunération du gérant (12) dans le registre spécial (13).
Par conséquent, il n existe pas de troisième voie possible, l'utilisation de la formule "soit...soit" exclut toute autre possibilité. Ainsi, à défaut de respecter ce formalisme, la rémunération du gérant n'est pas valablement déterminée sur le plan juridique. Pour cette raison, la cour d'appel est censurée, cette dernière ayant considéré que, dans les circonstances de cette affaire, les époux cédants étant les seuls associés de la SARL, il était sans intérêt de s'attacher à déterminer si les prélèvements critiqués avaient ou non été autorisés par l'assemblée générale.
Au final, on constate que l'esprit pratique des juridictions du fond permettant de formuler une solution à un litige, conformément à l'esprit de la loi, afin que le gérant ne prélève pas des fonds sociaux au titre de sa rémunération sans avoir de compte à rendre à la collectivité des associés, s'efface devant le formalisme imposé par la Cour de cassation. En pratique, la rémunération du gérant n'est qu'exceptionnellement précisée dans les statuts, car elle ne pourrait être modifiée que par une décision de l'assemblée générale extraordinaire. Par conséquent, il est impératif d'avoir préalablement fait voter l'assemblée des associés ou d'avoir fait prendre une telle décision au moyen d'une consultation écrite (14) pour que le gérant puisse percevoir une rémunération, ainsi que pour modifier celle-ci. Alors que les dernières modifications législatives ont été marquées par la volonté de simplifier et d'alléger le dispositif législatif des sociétés commerciales et notamment des SARL, on ne peut que regretter le choix antinomique effectué par la Cour de cassation dans les arrêts du 25 septembre 2012. Formalisme oblige, il conviendra de le respecter jusqu'à nouvel ordre.
(1) CA Rouen, 1ère ch. civ. , 15 juin 2011, n° 10/03664 (N° Lexbase : A2066HWG).
(2) C. com., art. L. 225-44 (N° Lexbase : L5744ISK) et L. 225-85 (N° Lexbase : L5956AIG).
(3) Cass. com. 12 mars 1974, Gaz. Pal., 1974, 2, p. 662.
(4) Cass. com. 21 avril 1992, n° 90-19.860, publié (N° Lexbase : A4315ABG), Bull. IV, n° 175, Rev. sociétés 1992, p. 485, note Y. Guyon ; Bull. Joly, 1992, p. 661, note P. Le Cannu ; RTDCom., 1992, p. 109, obs. Cl. Champaud et D. Danet ; Dr. Sociétés, 1992, n° 167, note H. Le Nabasque.
(5) Il semble que pourrait entrer dans cette catégorie le remboursement de ses frais de déplacement, dès lors que ce dernier intervient sur des bases objectives tels que le barème kilométrique de l'administration fiscale (CA Bourges 16 juin 2001, a contrario).
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 6 décembre 2007, n° 06/20667 (N° Lexbase : A8657D3Z), Dr. sociétés, 2008, comm. 103, note J. Monnet.
(7) Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13.205, P+B+R+I (N° Lexbase : A0021EX3), D., 2010, p. 1206, obs. A. Lienhard ; Dr. Sociétés, 2010, comm. 139, note M. Roussille ; JCP éd. E, 2010, 1993, n° 3 , obs. Fl. Deboissy et G. Wicker ; Rev. Sociétés, 2010, p. 222, note A. Couret ; Bull. Joly, 2010, p. 647, note B. Dondero ; D. Gibirila, La participation du gérant de SARL à la décision fixant sa rémunération, Lexbase Hebdo n° 399 du 17 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4160BPR).
(8) Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23.398, P+B (N° Lexbase : A5962HYH), Dr. Sociétés, 2011, comm. 216, note M. Roussille ; Rev. Sociétés, 2012, p. 38, note D.Schmit ; Bull. Joly, 2011, p. 968, note B. Dondero ; J.-B. Lenhof, Fixation de la rémunération du gérant de SARL et abus de majorité : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 271 du 3 novembre 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N8493BSD).
(9) Cass. com., 4 octobre 2011, précité.
(10) Ph. Merle, Sociétés commerciales, 16ème éd., Dalloz, 2012, n° 190 ; M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 25ème éd., 2012, n° 1061 et s..
(11) A. Lienhard, Dalloz actualité, 3 octobre 2012.
(12) Cass. com. 25 septembre 2012, n° 11-22.337, F-P+B (N° Lexbase : A6036ITQ).,
(13) C. com., art. L. 223-31 (N° Lexbase : L2506IBG).
(14) C. com., art. L. 223-27 (N° Lexbase : L6001IS3).
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