Réf. : Cass. com., 22 février 2005, n° 02-14.392, M. Jacques Gontard c/ M. Jean Papelier, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7487DGE)
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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen
le 01 Octobre 2012
La cour d'appel de Versailles, statuant sur renvoi d'un arrêt de la Cour de cassation (2), avait rejeté cette demande au motif que la promesse d'achat souscrite stipulait en faveur du bénéficiaire la possibilité de lever l'option si les actions avaient perdu toute valeur et, le bénéficiaire de la promesse d'achat n'ayant pas promis de vendre, de conserver ces actions dans le cas contraire. Pour les juges du fond, cette promesse d'achat, considérée isolément, était donc léonine comme permettant à son bénéficiaire d'échapper aux dispositions de l'article 1844-1 du Code civil (N° Lexbase : L2021ABH).
Suivant l'arrêt commenté, rendu au visa de l'article 1844-1 du Code civil, "en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le bénéficiaire ne pouvait lever l'option qu'à l'expiration d'un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu'il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations".
Cette décision est de la plus haute importance. D'un point de vue pratique, elle lève toute ambiguïté sur la validité des opérations de portage dont le dénouement est assuré par le recours aux promesses croisées de vente et d'achat de droits sociaux ; d'un point de vue théorique, elle rétablit la cohérence dans la jurisprudence de la Cour de cassation.
I - La validité des opérations de portage
Le portage de droits sociaux est le fait pour un investisseur de rentrer de façon temporaire dans une société en s'assurant de revendre les parts ou actions qu'il a acquises à un prix lui permettant de dégager une plus-value.
Le porteur étant assuré, au terme de l'opération, de sortir de la société en réalisant une plus-value sur la cession de ses droits, le débat concernant la validité du portage s'est porté très tôt sur le terrain de la prohibition des clauses léonines. La jurisprudence s'est développée de façon différente entre la Chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation.
Pour la Chambre commerciale, le point de départ réside dans l'arrêt du 20 mai 1986 (3). D'après celui-ci : "est prohibée par l'article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu'il ne pouvait en être ainsi s'agissant d'une convention, même entre associés, dont l'objet n'était autre, sauf fraude, que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux".
A l'époque, selon le Professeur Reinhard, il résultait de cet arrêt que la seule limite résidait dans l'existence d'une fraude. Il convenait donc de distinguer, "pour l'application du principe de prohibition des clauses léonines, selon que la clause contestée portait atteinte ou non au pacte social" (3).
Après avoir confirmé sa position initiale, la Chambre commerciale a tiré la substance de ce raisonnement en décidant que la prise par le porteur de la qualité d'associé était juridiquement distincte des promesses croisées de vente et d'achat à prix fixe convenues entre le porteur et l'associé bénéficiaire (4). Suivant un nouveau raisonnement dans le prolongement de l'effet relatif des conventions, les rapports entre le porteur et le bénéficiaire se distinguent de la prise de participation par le porteur dans la société. En conséquence, la prohibition des clauses léonines n'a pas à être appliquée dans la mesure où la promesse de rachat à prix fixe n'est pas ratione societatis. Cela signifie que, d'après la Chambre commerciale, la prise de participation du porteur, par exemple une société de capital risque, dans la société est divisible des promesses croisées de vente et d'achat à prix fixe.
Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, la question a, dans une première décision, été abordée différemment (5). Une opposition plus nette avec la jurisprudence commerciale a résulté d'un arrêt du 7 avril 1987, d'après lequel l'engagement de rachat de parts sociales au prix d'achat initial, majoré d'un intérêt de 10 % par années écoulées, avait pour effet d'affranchir l'associé de toute participation aux pertes de la société (6). Un tel engagement constitue ainsi un pacte léonin, peu important que cet engagement ait été pris dans un acte distinct de la convention de cession et qu'il soit limité dans le temps.
La solution retenue dans l'arrêt commenté par la Chambre commerciale pourrait gommer l'opposition avec cette jurisprudence de la première chambre civile.
Dès lors que l'engagement de rachat des droits sociaux du porteur ne prend pas effet au moment de l'acquisition par ce dernier des parts ou actions qu'il porte, l'existence d'un prix fixe de vente supérieur au prix d'acquisition n'est pas synonyme d'un défaut de contribution aux pertes. En effet, pendant toute la période durant laquelle le porteur se trouve dans la société sans que la promesse soit entrée en vigueur, la société est susceptible de rencontrer des difficultés. Dans l'absolu, une procédure collective peut toujours être ouverte avant la date de levée de l'option, avec, à sa clé, la liquidation judiciaire et la contribution aux pertes par le porteur. Il ne s'agit pas là d'une hypothèse d'école : le portage induit une forte distribution de bénéfices de la part de la société cible afin justement de permettre aux promettants de financer le rachat des droits sociaux auprès du porteur. Le porteur a la qualité d'associé, il est donc potentiellement obligé de contribuer aux pertes pendant tout le temps de sa présence dans la société.
Sur le terrain de l'article 1844-1, la première chambre civile de la Cour de cassation pouvait reprocher, dans son arrêt de 1987, aux engagements de ne pas prévoir une période durant laquelle le porteur serait tenu de contribuer aux pertes sans pouvoir sortir de la société à un prix fixe. La clause prévoyait un réajustement annuel du prix prenant effet dès l'entrée du porteur dans la société. Celui-ci ne contribuait donc pas aux pertes. Avec l'arrêt du 22 février 2005, on peut considérer que les divergences entre la première chambre civile et la Chambre commerciale ont vécu. Il est vrai qu'en raison de la jurisprudence de la Chambre commerciale (v. infra), la compétence de la première chambre civile est aujourd'hui limitée aux cessions de parts sociales des sociétés non commerciales et aux opérations qui ne sont pas relatives au contrôle d'une société commerciale.
D'un point de vue pratique, on retiendra que la promesse d'achat à prix fixe dont le porteur bénéficie ne doit pas pouvoir être levée dès l'entrée de celui-ci dans la société. A défaut, la convention pourrait revêtir un caractère léonin et être réputée non écrite (C. civ., art. 1844-1 in fine).
II - La mise en cohérence de la jurisprudence de la Chambre commerciale
La décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 24 mai 1994 ne satisfaisait pas. En effet, le jeu de l'effet relatif entre la prise de participation du porteur et la convention de rachat à prix fixe des droits sociaux semblait juridiquement difficilement justifiable. Cela ressortait surtout du rapprochement de cette décision et de celle rendue dans l'affaire "de Fontgalland" (8).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a décidé que "la convention [il s'agissait d'un ensemble d'actes indivisibles], qui a pour objet l'organisation de la société commerciale en transférant son contrôle ou en en garantissant le maintien à son titulaire, est un acte commercial". Dès lors, si tous les portages ne sont pas relatifs au contrôle d'une société, cela reste le cas pour la plupart d'entre eux. On mesure ainsi les difficultés logiques auxquelles on pouvait se heurter en rapprochant la jurisprudence relative au portage et celle relative à la compétence commerciale.
Il fallait comprendre que le portage se rapportant au contrôle d'une société avait une nature indivisible et commerciale, car il avait "pour objet l'organisation de la société commerciale" et était relatif au contrôle de celle-ci, tout en ayant un régime dépendant de conventions (dont, notamment, la ou les promesses de rachat à prix fixe) divisibles. Cette présentation des choses ne pouvait véritablement satisfaire.
Dorénavant, la cohérence est retrouvée. Les promesses d'achat à prix fixe sont rapportées à l'existence d'une période de contribution potentielle aux pertes avant la levée d'option. Il n'est plus question de s'interroger sur le caractère divisible ou non des opérations de portage.
Cette décision est donc remarquable à double titre : les jurisprudences civiles et commerciales sont mises en cohérence et la Chambre commerciale finit par être en accord avec elle-même.
(1) Ce manque d'harmonie dans la jurisprudence commerciale avait été constaté et la solution aujourd'hui retenue avait été évoquée. V. J.-P. Dom, Les montages en droit des sociétés : éd. Joly 1998, spéc. n° 605-610.
(2) Sur cette affaire, v. déjà : CA Paris, 3e ch., sect. A, 22 octobre 1996, n° 94-010621, Monsieur Gontard c/ Monsieur Papelier (N° Lexbase : A3380A4X) : Bull. Joly 1997, p. 15, § 3 note P. Le Cannu ; D. Affaires 1997, p. 258 ; Dr. sociétés 1997, n° 50, note T. Bonneau ; RJDA 1997, n° 365 ; Cass. com., 16 novembre 1999, n° 97-10.430, M. Gontard c/ M. Papelier et autres (N° Lexbase : A8903AGT) : Bull. Joly 2000, p. 196 ; Adde F.-X. Lucas, Promesses d'achat de droits sociaux à prix garanti et prohibition des clauses léonines, A la recherche de la cohérence perdue : JCP éd. E. 2000, p. 168 ; CA Versailles, 27 février 2002 : RJDA 2002, n° 890.
(3) Cass. com., 20 mai 1986, n° 85-16.716, Société Bowater corporation limited c/ Du Vivier (N° Lexbase : A5091AAS) : Dr. sociétés 1986, comm. n° 78, obs. M. Germain ; Defrénois, 1987, p. 609, obs. J. Honorat ; JCP éd. E. 1986, I, n° 15846, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; D. 1987, somm., p. 390, obs. J.-C. Bousquet ; RTD com., 1987, p. 66, obs. C. Champaud et P. Le Floch, et p. 205, obs. Y. Reinhard.
(4) Y. Reinhard, note préc. sous Cass. com., 20 mai 1986, spéc. pp. 206-207.
(5) Cass. com., 24 mai 1994, n° 92-14.380, Société de Banque occidentale c/ Consorts Chicot, publié Bull. civ. n° 189 (N° Lexbase : A6947ABW) ; Bull. Joly, 1994, p. 797, § 214, note P. Le Cannu ; D., 1994, p. 503 , note A. Couret ; Rev. sociétés, 1994, p. 708, note Y. Reinhard ; Defrénois, 1994, 1015, obs. H. Hovasse ; arrêt cassant CA Poitiers, 5 février 1992 : JCP, éd. E, 1993 , I, n° 215, n° 2, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain.
(6) Cass. civ. 1, 22 juillet 1986, n° 84-15.177, M. Kamami c/ M. Le Goff (N° Lexbase : A3829AGW) : Bull. Joly, 1986, p. 859, § 258, note P. Le Cannu ; RTD com., 1987, p. 70, n° 1, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(7) Cass. civ. 1, 7 avril 1987, n° 85-11.774, M. Levêque-Houist (N° Lexbase : A1662AGN) : Rev. sociétés, 1987, p. 395, note D. Randoux ; Bull. Joly Sociétés, 1987, p. 278, § 133 ; JCP, éd. E, 1988, II, n° 15133, note M. Germain ; Defrénois, 1988, p. 601, obs. J. Honorat ; RD bancaire et bourse, 1987 , p. 92, obs. M. Jeantin et A. Viandier ; RTD com., 1988, p. 66, obs. C. Champaud et P. Le Floch ; RF compt., 1987, p. 20, obs. J. Mestre et G. Florès ; RTD com., 1987 , p. 523, obs. E. Alfandari et M. Jeantin. Décision de renvoi : CA Caen, 16 janvier 1990 : D., 1991, chron. p. 410, note J. Delaporte ; JCP, éd. E, 1990, II, n° 15784 , obs. A. Viandier et J.-J. Caussain. Nouveau pourvoi rejeté car les juges du fond s'étaient conformés à la doctrine affirmée en cassation : Cass. civ. 1, 16 décembre 1992, n° 90-12.914, SCP So Pro Ge Pa c/ M. Jacques Levêque-Houist (N° Lexbase : A2091AGK) : RJDA, 1993/10, p. 696, no 793 ; V., dans le même sens que cette jurisprudence, CA Paris, 14 décembre 1993 : Bull. Joly, 1994, p. 183, § 44, note P. Le Cannu ; JCP 1994, I, n° 3769, n° 5, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; RJDA, 1994/3, n° 290 ; Comme le remarquent ces derniers auteurs, cet arrêt tire, notamment, argument de ce que la promesse d'achat a été souscrite antérieurement à la constitution de la société dont les actions faisaient l'objet de la convention litigieuse pour déclarer léonine la clause et prononcer la nullité de la promesse d'achat.
(8) Cass. com., 26 mars 1996, n° 94-14.051, M. de Fontgalland c/ Consorts Hales et autre (N° Lexbase : A1397ABD) : Bull. Joly 1996, p. 588, § 209, note N. Rontchevsky ; JCP éd. E, 1996, II, n° 855, note T. Bonneau.
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