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N2030AIZ
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par Propos recueillis par Florence Labasque, SGR - Droit commercial
le 01 Octobre 2012
Lexbase : La prévention des difficultés et la procédure de conciliation sont traitées aux articles 2 à 11 du projet de loi. Si les conditions d'ouverture et le fonctionnement de la procédure de conciliation sont quasiment identiques à ceux du règlement amiable, les effets auxquels pouvait donner lieu le règlement amiable ont été modifiés de façon significative. Pensez-vous que les effets d'une procédure de conciliation pourront, désormais, rendre plus élevé le taux de réussite de la prévention ?
Maître Dammann : Tout d'abord, il faut souligner que le mandat ad hoc est appelé à conserver son efficacité. Son succès est dû à la flexibilité de la procédure qui n'est pas enfermée dans un calendrier strict. Les acteurs peuvent, donc, négocier un plan de redressement sur mesure. Dans cette négociation, le mandataire joue un rôle clé. Il intervient en tant qu'expert neutre, ayant, par là-même, une force de persuasion beaucoup plus importante.
La procédure de conciliation remplace le règlement amiable, qui a déjà été utilisé, en pratique, pour clôturer le mandat ad hoc, rassurant, ainsi, les créanciers grâce à l'homologation de l'accord de restructuration par le Président du tribunal de commerce. La conciliation convient à des restructurations purement financières. Elle bénéficie au débiteur qui n'est pas en cessation des paiements, ou qui l'est depuis moins de quarante-cinq jours.
La conciliation est appelée à avoir un grand avenir, en raison, essentiellement, de deux nouvelles mesures.
D'une part, il est désormais impossible de remettre en cause les actes passés en vue d'un tel accord, au motif que le débiteur était, à ce moment-là, en cessation des paiements. Plus précisément, l'homologation de l'accord conclu dans le cadre de la procédure de conciliation signifie que la cessation des paiements n'est pas constituée et empêche le tribunal, en cas d'ouverture d'une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, de faire remonter le début de la période suspecte avant la date du jugement d'homologation. Les créanciers ont, ainsi, la certitude, sous réserve de fraude, que les garanties prises avant ou dans le cadre de l'accord ne puissent plus être annulées. Il s'agit donc d'une sécurité non négligeable, tout particulièrement pour des créanciers bancaires qui ont tout intérêt à participer à cet accord amiable pour "consolider" leur situation antérieure.
D'autre part, la réforme institue une priorité de paiement. En effet, il est prévu un privilège pour les nouveaux apports en trésorerie consentis dans le cadre de l'accord homologué par tout créancier, y compris des investisseurs. Tout apport nouveau est, ainsi, protégé par ce "privilège". Un effet pervers est, cependant, à envisager : il est probable que le banquier qui a déjà consenti des abandons de créances n'acceptera pas d'accorder d'autres crédits à l'entreprise, en l'absence d'apport "d'argent frais" par un investisseur. Or, la structure de la conciliation va inciter l'investisseur à apporter cet "argent frais" sous forme d'un important apport en compte-courant. Il ne le consolidera en capital, qu'une fois assuré d'une certaine sécurité financière.
Enfin, la réforme envisage une option : le maintien de la confidentialité ou l'homologation de la conciliation.
La confidentialité est essentielle pour les petites et moyennes entreprises. En ce qui concerne les grandes entreprises, il y a fort à parier que les banques, par sécurité, imposent une conciliation homologuée. Lorsque la conciliation est portée à la connaissance du public, l'entreprise a intérêt à communiquer sur l'existence d'une restructuration réussie, ce qui permettra de regagner la confiance des investisseurs et des créanciers.
Lexbase : Le projet de loi de sauvegarde a fait preuve d'innovation en instituant, sur le modèle du "Chapter XI" américain, une procédure de sauvegarde, laquelle fait l'objet des articles 12 à 97. En quoi cette mesure peut-elle être jugée opportune, et quelles sont ses conditions d'efficacité ?
Maître Dammann : La procédure de sauvegarde est, dans l'esprit du législateur, l'innovation majeure du texte. En l'absence de mesures spécifiques permettant de mettre en oeuvre efficacement des restructurations sociales à l'instar de ce qui est possible dans le cadre du plan de continuation, et surtout du plan de cession, la procédure de sauvegarde naît avec un handicap certain. Elle est "intercalée" entre la conciliation souple et un plan de cession très efficace pour les investisseurs tiers. En d'autres termes, la procédure de sauvegarde n'a de chance de réussite que s'il existe d'ores et déjà un accord de principe avec un investisseur et un accord de méthode avec les syndicats majoritaires sur les contours de la restructuration.
Par ailleurs, l'existence d'une possible ouverture d'une procédure de sauvegarde peut être un argument efficace de négociation dans le cadre de la conciliation. En effet, il n'existe pas, dans le cadre de la conciliation, de comité de créanciers pour vaincre la résistance d'un banquier qui ne souhaite pas accepter les sacrifices souhaités par la majorité de ses confrères. Le conciliateur ne manquera pas de souligner que la résistance de la banque en question est vouée à l'échec et pourrait être vaincue par l'ouverture d'une procédure de sauvegarde. On peut donc dire qu'il existe dans la procédure de conciliation des comités de créanciers "virtuels", qui sont bien réels en matière de sauvegarde.
En dehors de ce contexte, il est vraisemblable que seules les petites et moyennes entreprises auront recours à la procédure de sauvegarde, puisque le législateur a voulu réserver un régime beaucoup plus favorable aux cautions personnes physiques dans la procédure de sauvegarde, par comparaison au redressement et à la liquidation judiciaires.
Enfin, pour les investisseurs, la procédure de sauvegarde n'est pas très attrayante. Classiquement, il existe un désaccord sur la valeur de l'entreprise. Le propriétaire en difficulté met systématiquement en avant la valeur intrinsèque et les perspectives une fois les difficultés résolues. Par contraste, l'investisseur raisonne en terme de risques et souhaite obtenir un retour sur investissement conséquent. Malheureusement, la réforme ne fait confiance qu'au droit commun et ne permet pas au juge d'intervenir comme arbitre. Dans ces conditions, dans beaucoup de cas, l'investisseur a plutôt intérêt à privilégier la piste d'un plan de cession, qui donne, de surcroît, une sécurité juridique très intéressante.
Une dernière observation concerne la durée de la procédure. Le législateur prévoit une procédure relativement courte pour établir un plan. Or, dans les dossiers complexes, ce temps apparaît trop court pour permettre à un investisseur de conduire son audit juridique, financier et fiscal, d'où la nécessité de combiner la procédure de sauvegarde avec un mandat ad hoc ou une conciliation.
Lexbase : La procédure de redressement judiciaire connaît, dans ce projet de loi, une certaine réorganisation (articles 99 à 106). Pourtant, est-il utile de conserver cette procédure en droit français, dès lors qu'est introduite une procédure de sauvegarde ?
Maître Dammann : Les mesures de prévention des difficultés des entreprises constituent une étape décisive. En effet, soit elles portent leur fruit, soit elles échouent. Dans cette dernière hypothèse, l'entreprise est appelée à être liquidée, dans le meilleur des cas par voie de cession. Dans cette optique, le maintien de la cession dans le cadre du redressement judiciaire est une excellente initiative.
Dans ces conditions, le plan de continuation devient quasiment caduc. Seules risquent de subsister en pratique la liquidation et la cession de l'entreprise.
Lexbase : Quelle incidence la réforme française des faillites et, plus précisément, celle touchant à la prévention des difficultés, peut-elle avoir en droit européen ?
Maître Dammann : Depuis le 31 mai 2002, la détermination du tribunal compétent pour connaître d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans l'un des Etats membres de l'Union européenne, et de la loi applicable à la procédure, est régie par le règlement du Conseil n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM).
L'article 3 de ce texte prévoit que "les juridictions de l'Etat membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d'insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu'à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire". Notons, à ce sujet, que le courant jurisprudentiel en Angleterre, appuyé par la doctrine anglaise, tend à définir le centre des intérêts principaux comme le siège de la société mère, c'est-à-dire le lieu où sont prises les décisions de gestion. L'Italie et l'Allemagne appliquent également ce critère. Au contraire, la France a retenu une interprétation restrictive du règlement, en faisant prévaloir le critère du siège réel, qui est le siège statutaire, sauf cas de fraude.
Quant à la loi applicable à la procédure d'insolvabilité et à ses effets, elle est, en principe, selon l'article 4 du règlement, celle de l'Etat membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, dénommé "Etat d'ouverture".Une circulaire en date du 17 mars 2003 du ministre de la Justice (Circ. min., n° 2003-05, du 17 mars 2003 , relative à l'entrée en vigueur du règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 N° Lexbase : L9269BHR) a précisé que les procédures concernées, en France, par ce règlement, ne sont que le redressement judiciaire avec nomination d'un administrateur judiciaire et la liquidation judiciaire. Il y est clairement affirmé que "ni le mandat ad hoc, ni le règlement amiable, ni le redressement judiciaire simplifié (sans désignation d'un administrateur judiciaire)" ne sont concernés par l'application du règlement communautaire. Si l'on suit cette interprétation après la réforme, ni la procédure de sauvegarde, ni la procédure de conciliation ne sont des procédures d'insolvabilité au sens du règlement.
Dans la mesure où le mandat ad hoc est une procédure qui n'est pas publique, il est logique de l'exclure du champ d'application. Il en va de même de la conciliation qui n'est pas homologuée.
Quid de la procédure de sauvegarde et de la procédure de conciliation homologuée ? On doit saluer l'engagement du Garde des Sceaux pris au cours des débats parlementaires du 8 mars dernier visant à inscrire à l'Annexe A du règlement la procédure de sauvegarde pour lui donner toute l'efficacité qu'elle mérite au niveau européen. En revanche, à ce stade de la discussion, la conciliation est exclue du règlement. Si cette décision est justifiée pour la conciliation confidentielle, elle est regrettable dans le cadre d'une conciliation homologuée. Il s'agit d'une question de politique. La France veut-elle offrir à des grandes entreprises un cadre légal reconnu en Europe, ou souhaite-t-on que d'autres pays européens ouvrent des procédures d'insolvabilité rendant, ainsi, impossible l'efficacité d'une procédure de conciliation en France. Clairement, la tendance des différentes législations européennes est de favoriser la prévention, tout en soumettant ces procédures au règlement européen. Or, la France a su créer, avec la conciliation, une procédure qui est parfaitement adaptée au traitement des difficultés des grandes entreprises. Il serait dommage de lui refuser le "label européen" pour des raisons purement dogmatiques.
Lexbase : La modification des sanctions infligées aux chefs d'entreprises en cas de faillite (article 142 à 178 du projet de loi) vous paraît-elle satisfaisante, au regard des nombreuses critiques qui ont pu leur être adressées ?
Maître Dammann : Avant de répondre à cette question, il convient de souligner que la nouvelle rédaction de l'article 142 issue du débat parlementaire supprime, dans son principe, les actions pouvant être intentées à l'encontre des créanciers pour soutien abusif (sauf en cas de fraude, immixtion caractérisée dans la gestion et garanties disproportionnées).
La réforme n'améliore pas seulement la situation des partenaires de l'entreprise, mais, aussi, celle du chef d'entreprise et des associés dont la responsabilité est illimitée.
Le projet de loi de sauvegarde supprime, ainsi, les extensions de procédures à titre de sanctions, ainsi que les extensions de procédures aux membres ou associés indéfiniment et solidairement responsables du passif de la personne morale qui fait l'objet d'une procédure collective.
De la même manière, l'obligation aux dettes sociales pour faute de gestion ne peut être envisagée que dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire. Cette disposition encourage donc la prévention, puisque le chef d'entreprise n'a pas à craindre de telles sanctions si la procédure de sauvegarde réussit.
S'agissant des sanctions pénales, le législateur poursuit l'oeuvre de dépénalisation amorcée dans le cadre des récentes réformes du droit des sociétés.
On ne peut qu'approuver cette orientation qui évite de rajouter à une "sanction économique" du chef d'entreprise qui a tout perdu, une sanction "infamante", au motif qu'il a dépassé "la ligne rouge" pour tenter de sauver à tout prix son entreprise.
Lexbase : Quelle serait votre conclusion provisoire ?
Maître Dammann : Le législateur a proclamé avoir réalisé un "Chapter XI" à la française, en réalisant un mariage entre le pragmatisme américain et les réalités économiques et sociales propres à l'hexagone.
Le législateur s'est efforcé d'offrir aux entreprises en difficulté des "menus à la carte". La démarche est originale et permet de mettre l'accent sur trois mesures préventives pouvant, d'ailleurs, se combiner. Avant la réforme, seuls le mandat ad hoc / règlement amiable et le plan de cession permettaient de sauver une entreprise.
On peut penser que cette dichotomie se poursuivra et que davantage de sociétés seront sauvées grâce à l'amélioration du régime du règlement amiable, devenu la conciliation qui tire indirectement profit des dispositions prévues dans le cadre de la procédure de sauvegarde invoquées comme arguments de négociation.
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