La lettre juridique n°760 du 8 novembre 2018 : Notaires

[Jurisprudence] Choix du régime matrimonial et responsabilité du notaire

Réf. : Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 16-19.619, F-P+B (N° Lexbase : A5551YEC)

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N6201BXX

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Rapporteur 2ème commission, congrès des notaires 2018

le 07 Novembre 2018

Par un arrêt du 3 octobre 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que le notaire chargé de rédiger le contrat choisi par des futurs époux est tenu, non pas de les informer de façon abstraite des conséquences des différents régimes matrimoniaux, mais de les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations.

En l’espèce, un notaire reçoit un contrat de mariage fondé sur le régime matrimonial de la communauté de biens réduite aux acquêts. Le régime légal n’est toutefois pas conservé tel quel. Il y est ajouté une attribution intégrale de la communauté au survivant des époux. Les deux stipulants sont chirurgiens-dentistes : l’un, libéral ; l’autre, salarié. Et le premier des deux est endetté, pour les besoins de son installation. Regrettant par la suite leur choix de régime matrimonial, les époux assignent le notaire rédacteur en responsabilité.

 

La cour d’appel estime que seul le régime de la séparation de biens est adapté à la situation des époux, considérant que celui choisi est “insolite”. En réplique, le pourvoi du notaire se fonde sur trois affirmations. D’abord, que le notaire n’a pas à s’immiscer dans les considérations des futurs époux, qui les conduisent à préférer tel régime matrimonial à tel autre. Ensuite, que le juge n’a pas à prendre parti sur le régime matrimonial qu’il estime le plus adapté. Enfin et surtout, qu’il ne suffit pas de noter qu’un des conjoints exerce une activité à titre libéral, et de postuler un risque d’exposer la communauté aux dettes professionnelles : encore faut-il qu’il existe un risque particulier avéré pour lequel le recours à la séparation de biens était particulièrement préconisé.

 

La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi. Elle note que le chirurgien libéral s’était endetté pour s’installer, caractérisant ainsi un risque financier. Ce qui fait postuler une préférence pour le régime séparatif. Elle rappelle que le notaire a une obligation d’information et de conseil. Et elle considère surtout, que le notaire ne peut se borner à informer de façon abstraite, mais doit conseiller ses clients concrètement au regard de leur situation, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux. Au plan de la preuve, il appartient au notaire de rapporter qu’il a satisfait à cette obligation. En l’espèce, le notaire ne démontrant pas de motifs particuliers justifiant l’adoption d’un régime communautariste, elle le considère fautif.

 

Il convient d’apprécier, d’une part, les motifs juridiques au soutien de la solution (I), avant d’examiner les problèmes liés à la preuve du conseil défaillant (II).

 

I - Le principe du devoir de conseil en matière matrimoniale

 

La responsabilité notariale relève de la responsabilité délictuelle de droit commun. Elle suppose donc la preuve d’un dommage, d’une faute, et d’un lien causal entre les deux. Il n’y a pas de notaire responsable sans faute de sa part [1].

Mais il ne suffit plus de recevoir un acte irréprochable pour ne pas commettre de faute. La reconnaissance prétorienne du devoir de conseil du notaire a considérablement étendu le domaine de sa responsabilité. Selon la formule de la jurisprudence : «Les notaires institués pour donner aux conventions des parties les formes légales et l'authenticité, ont également pour mission de renseigner leurs clients sur les conséquences des engagements qu'ils contractent ; [...] ils ne peuvent stipuler l'immunité de leurs fautes et par suite décliner le principe de leur responsabilité en alléguant qu'ils se sont bornés à donner la forme authentique aux conventions des parties» [2].

L’arrêt d’espèce intervient toutefois dans un domaine où la responsabilité du notaire semble fort rare, celui du devoir de conseil en matière de régimes matrimoniaux. Ainsi, un notaire peut être responsable pour avoir mal informé sa cliente à propos des formalités de publicité à la suite d’un changement de régime matrimonial [3]. Le plus souvent, le contentieux concerne la liquidation du régime matrimonial : spécialement, le défaut de conseil a été retenu dans des hypothèses où le notaire a mal interrogé les époux sur les causes de récompenses à intégrer lors de la liquidation [4].

En fait, il ne semble exister qu’un seul autre arrêt récent et notable, dans une espèce similaire [5]. Dans cette précédente affaire, deux personnes étaient mariées sous le régime de la communauté universelle. Ils divorcent par consentement mutuel vingt ans plus tard. L’ex-époux reproche alors au notaire de ne pas lui avoir expliqué, lors du contrat de mariage, que, sans clause de reprise des apports en cas de divorce, les biens de la communauté seraient partagés par moitié, malgré le déséquilibre des apports de chaque époux à la communauté.

Dans cette affaire, la solution de la Cour de cassation se révéla très clémente pour le notaire. Elle considéra que son défaut de conseil n’avait pas fait perdre une chance de choisir un régime matrimonial différent, “dès lors que la préoccupation principale des époux lors de la signature du contrat de mariage était d’assurer la protection du conjoint survivant et non d’envisager les conséquences d’une rupture du lien matrimonial”. La solution est clémente, car, il est tout à fait possible de protéger au mieux le survivant par une communauté universelle avec attribution intégrale, sans pour autant permettre, en cas de divorce, à l’un des conjoints de s’enrichir de la moitié des apports à la communauté faits par l’autre. L’usage courant est de stipuler une “clause alsacienne”, permettant, en cas de divorce, à chacun des époux, de reprendre les biens propres tombés en communauté par l’effet du contrat de mariage, sans remettre en cause le jeu de la communauté universelle pour le reste [6]. Une décision de juges du fond avait d’ailleurs pu décider, à l’occasion d’un contentieux antérieur, que le notaire manque à son devoir de conseil en ne mentionnant pas la possibilité d’une telle clause [7].

Par contraste, la décision d’espèce apparaît bien sévère pour le notaire. La décision postule un risque en raison de l’endettement antérieur de l’époux en libéral. Pourtant, le risque n’est  pas si conséquent, puisque les dettes dont les époux sont tenus au jour de la célébration de leur mariage, leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu'en arrérages ou intérêts (C. civ., art. 1410 N° Lexbase : L1541ABP). Sauf circonstance particulière, inconnue, à la lecture de l’arrêt, rien ne permet de suspecter, en l’espèce, un risque pour la communauté à devoir supporter les dettes professionnelles d’un époux. En outre, nonobstant ce risque potentiel, les époux peuvent désirer un régime communautariste. Pour deux raisons : d’une part, afin de partager l’enrichissement durant le mariage (C. civ., art. 1401 N° Lexbase : L1532ABD) ; d’autre part, par la clause d’attribution de communauté, pour bénéficier d’une protection successorale plus étendue que par libéralité ou par la succession intestat, dès lors qu’il n’existe pas d’enfants nés hors du couple (C. civ., art. 1525 N° Lexbase : L1646ABL). Un bon compromis (protection contre les dettes, participation à l’enrichissement) étant toutefois le régime, peu pratiqué, de la participation aux acquêts (C. civ., art. 1569 N° Lexbase : L1655ABW).

 

 

II - La charge de la preuve

 

Le principe du devoir de conseil du notaire étant retenu, se pose la question de la preuve, de son accomplissement ou de son exécution fautive. En droit commun, la victime a la charge de la preuve de la faute de l’auteur du dommage. Par suite, la jurisprudence considère traditionnellement que la preuve du conseil fautif donné par le notaire repose sur le client lésé [8]. Une décision l’énonce joliment, en des termes fort flatteurs pour la profession : “Le notaire, conseil naturel des parties, a le devoir de les éclairer sur les conséquences des actes qu'ils veulent faire dresser ; il doit donc à raison même de cette qualité être présumé avoir en toute circonstance satisfait à cette obligation. L'obliger par suite à rapporter la preuve qu'il s'est acquitté de son rôle serait faire peser sur sa probité professionnelle une présomption inadmissible qu'il a manqué à l'un des devoirs les plus élémentaires de sa charge” [9].

La tendance s’est toutefois inversée depuis. En droit commun, et spécialement en matière médicale, le principe inverse a fini par être clairement énoncé par la jurisprudence : “celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation” [10]. De ce fait, nombre de décisions présument désormais la faute du notaire, obligeant ce dernier à rapporter la preuve de la bonne exécution de son devoir de conseil [11].

La décision d’espèce est entre ces deux extrêmes. Elle n’affirme pas franchement que le notaire a la charge de la preuve. Elle part du constat que le régime matrimonial choisi n’est pas le plus intuitif au regard de la situation, et considère alors le notaire comme fautif dès lors qu’il ne rapporte pas de circonstances particulières justifiant le choix du régime, et dès lors qu’il ne rapporte pas la preuve du conseil donné. Il convient de ne pas être pessimiste. Le contentieux reste rare, et peu de choix de régimes matrimoniaux sont susceptibles de donner lieu à contestation par les époux eux-mêmes. Mais, pour les hypothèses restantes, il est capital que le notaire se préconstitue la preuve du conseil donné.

Il convient d’avoir recours aux “décharges de responsabilité” usitées de la profession. Celles-ci sont toutefois bien mal nommées, puisque le notaire ne peut s’exonérer par avance, même conventionnellement, de sa responsabilité [12]. Tout au plus, l’écrit en question a pour but de faire reconnaître par le client le conseil donné par le notaire, particulièrement lorsque ce dernier déconseille l’opération qu’il lui est demandé de recevoir [13].

Pendant longtemps, la jurisprudence exigeait que l’attention du client soit spécialement attirée sur le document qu’on soumet à sa signature. Ce qui interdisait de la faire figurer dans l’acte notarié lui-même [14]. La jurisprudence a cependant évolué, et il est désormais possible de faire figurer la reconnaissance de conseil directement dans l’acte [15].

Néanmoins, pour des raisons évidentes de protection de la vie familiale, il n’est pas d’usage d’exposer, au sein du contrat de mariage, les motifs ayant conduit à l’adoption du régime matrimonial, et encore moins les motifs de ses dispositions de détail. Et cela, même si le contrat de mariage n’est pas publié en tant que tel, et que seule la mention de son existence est faite dans l’acte de mariage. Aussi, la reconnaissance de conseil donné, à part du contrat de mariage, est une pratique conseillée dès lors que les époux stipulent un régime “iconoclaste” ou, du moins, qui ne serait pas le plus évident de prime abord.

 

 

 

 

 

 

[1] Par ex., Cass. civ. 1, 17 février 1981, n° 79-16.417 (N° Lexbase : A8218CHT), Bull. civ. I, n° 58, Rép. Commaille, 1982, art. 66971, p. 1698, obs. J. De Poulpiquet ; Cass. civ. 3, 16 juillet 1987, n° 85-10.541 (N° Lexbase : A7510CHM), JCP éd. N, 1988, II, p. 17, obs. Th. Sanseau ; Rép. Commaille, 1988, art. 59402, p. 785, obs. J. de Poulpiquet ; Cass. civ. 1, 11 décembre 1990, n° 89-14.446, Rép. Commaille, 1991, art. 60422, p. 1160, obs. J. De Poulpiquet.

[2] Cass. civ. 1, 21 juillet 1921, D., 1925, I, p. 29. Le notaire ne peut en aucun cas se soustraire à cette obligation (V. not. Cass. civ. 1, 19 mai 1992, n° 90-18.227 N° Lexbase : A5426AHG, Bull. civ. I, n° 147, JCP éd. N, 1993, II, p. 280, note Dagorne-Labbe ; Cass. civ. 1, 12 mai 1993, n° 91-15.246 N° Lexbase : A3662ACM, Bull. civ. I, n° 167 ; JCP éd. N, 1993, II, p. 253, note C. Destame ; Resp. civ. et assur., 1993, comm. 167).

[3] Cass. civ. 1, 4 novembre 2003, n° 01-17.003, F-D (N° Lexbase : A0653DAG), JCP éd. N, 2004, n° 37, 1417, note J. Casey.

[4] Cass. civ. 1, 13 décembre 2012, n° 11-19.098, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8294IYT), JCP éd. G, 2012, n° 52, 2012, 1395 ; Dr. famille, 2013, n° 2, comm. 33, note A. Mangiavillano ; JCP éd. N, 2013, n° 16, 1101, note M. Nicod ; Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-17.666, FS-P+B (N° Lexbase : A7715NMP), JCP éd N, 2015, n° 30, act. 798.

[5] Cass. civ. 1, 30 avril 2014, n° 13-16.380, F-P+B+I (N° Lexbase : A6870MKN), JCP éd. N, 2014, n° 27, 1238, note J.-Ph. Borel ; Dr. famille, 2014, comm. 116, B. Beignier ; JCP éd. G, 2014, 815, J.-S. Borghetti).

[6] Cass. civ. 1, 17 novembre 2010, n° 09-68.292, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5471GIH), Dr. famille, 2011, n° 2, comm. 21, note B. Beignier ; AJF, 2011, n° 1, p. 55, note P. Hilt ; RLDC, 2011, n° 79, act., 4143, p. 54, note J. Gallois.

[7] CA Toulouse, 27 février 2012, n° 11/00291 (N° Lexbase : A4549IDT).

[8] Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126 ; Defrénois, 1982, art. 32846, p. 361 ; Rép. Commaille, 1982, art. 56971, p. 1696, obs. J. De Poulpiquet ; Cass. civ. 1, 10 janvier 1984, Bull. civ. I, n° 225, Rép. Commaille 1985, art. 58300, p. 1061, obs. J. De Poulpiquet ; Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737 (N° Lexbase : A1369AH8), Rép. Commaille, 1988, art. 59402, p. 787, obs. J. De Poulpiquet ; Cass. civ. 1, 28 février 1989, n° 87-18.042 (N° Lexbase : A3173AHY), Bull. civ. 1989, I, n° 99 ; Resp. civ. et assur., 1989, comm. 197 ; Defrénois 1989, art. 34554, p. 767, obs. J.-L. Aubert ; Rép. Commaille, 1991, art. 60422, p. 1155, obs. J. De Poulpiquet.

[9] CA Paris, 12 mars 1962, D. 1962, jurispr. p. 445 ; RTDCiv., 1962, p. 639 ; Cass. civ., 14 février 1962, Gaz. pal., 1962, 1, p. 428.

[10] Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 95-10.199 (N° Lexbase : A0245AC3), Bull. civ. I, n° 132.

[11] Cass. civ. 1, 26 février 1991, n° 89-15.071 (N° Lexbase : A0441CKK), Bull. civ. I, n° 79 ; Resp. civ. et assur., 1991, comm. 188 ; Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-16.937 (N° Lexbase : A9636CZW), Bull. civ. I, 1997, n° 75, Defrénois, 1997, art. 36591, n° 82, obs. J.-L. Aubert.

[12] Cass. civ. 1, 19 novembre 1985, n° 84-11.322 (N° Lexbase : A5249AAN), JCP éd. G, 1986, IV, 49 ; Gaz. pal., 1986, 1, pan. jurispr. p. 45.

[13] Th. Sanseau, Conventions relatives à la responsabilité du notaire, Reconnaissance des conseils donnés, Commentaires, JCP éd. N, 1988, I, p. 348.

[14] Cass. civ. 1, 9 février 1972 (N° Lexbase : A1627C8R), JCP éd. N, 1973, II, 17350 bis, note Dagot ; Journ. not., 1974, art. 51596, obs. Brilloit ; Cass. civ. 1, 14 octobre 1980, n° 79-12.451 (N° Lexbase : A4567CHM), Bull. civ. I, 1980, n° 255 ; Cass. civ. 1, 10 juillet 1984, n° 83-11.601 (N° Lexbase : A0801AAW), Bull. civ. I, n° 225 ; Cass. civ. 1, 19 novembre 1985, n° 84-15.927 (N° Lexbase : A5595AAH), Bull. civ. I, n° 308 ; Cass. civ. 1, 26 février 1991, n° 89-15.071 (N° Lexbase : A0441CKK), Bull. civ. 1991, I, n° 79.

[15] Cass. civ. 1, 10 juin 1997, n° 95-14.767 (N° Lexbase : A0485ACX), Defrénois, 1998, art. 36815, p. 743, n° 71, obs. J.-L. Aubert ; Cass. civ. 1, 2 février 1998, JCP éd. N, p. 701, obs. J.-F. Pillebout ; Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 96-12.874 (N° Lexbase : A7919C7G), JCP éd. N, 1998, p. 646.

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