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N4892BW4
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par Jean-Baptiste Perrier, Professeur de droit privé à l'Université d'Auvergne, Directeur du Centre Michel de l'Hospital (EA4232 UdA), et Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences de droit privé à l'Université de Lorraine, Directeur de l'IEJ (IFG EA 7301)
le 08 Novembre 2016
A la suite de la découverte d'un véhicule volé et faussement immatriculé, les officiers de police judiciaire, saisis de l'enquête de flagrance, ont obtenu du procureur de la République l'autorisation de placer, sur le véhicule découvert, un moyen de géolocalisation en temps réel. Le recours à ce procédé a permis d'identifier les suspects et de localiser également ledit véhicule sur les lieux du vol d'un autre véhicule, quelques jours plus tard. Ce second véhicule, découvert faussement immatriculé par les enquêteurs trois jours après son vol, a été à son tour géolocalisé, sur autorisation du procureur. La mesure de géolocalisation a alors permis d'interpeller les suspects.
Mis en examen dans le cadre de l'information judiciaire ouverte, ces derniers critiquent le recours au procédé de géolocalisation, au regard notamment de l'absence d'autorisation écrite telle que l'exige l'article 230-33 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8963IZY).
La Chambre criminelle rejette le pourvoi des requérants, en refusant aux suspects la possibilité de critiquer la géolocalisation d'un véhicule volé. Elle considère en effet qu'"un mis en examen est irrecevable à contester la régularité de la géolocalisation en temps réel d'un véhicule volé et faussement immatriculé sur lequel il ne peut se prévaloir d'aucun droit, les dispositions conventionnelles et légales invoquées ne trouvant, dans ce cas, à s'appliquer".
Ce faisant, la Cour de cassation rappelle que la géolocalisation d'un véhicule volé n'est donc pas soumise aux dispositions des articles 230-32 (N° Lexbase : L8962IZX) et suivants du Code de procédure pénale, comme elle avait déjà pu l'indiquer dans une décision du 15 octobre 2014 (1). A l'époque, s'agissant d'une géolocalisation mise en oeuvre avant la loi du 28 mars 2014 (2), la Cour de cassation avait considéré que "la pose d'un procédé de géolocalisation à l'extérieur d'un véhicule volé et faussement immatriculé est étrangère aux prévisions de l'article 8 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR)".
De prime abord, l'on pourrait considérer que cette décision du 7 juin 2016 n'est que la confirmation de la décision du 15 octobre 2014, refusant au "voleur" le bénéfice du cadre introduit par la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, relative à la géolocalisation (N° Lexbase : L8602IZM). Toutefois, à bien y regarder, il est intéressant de relever que la motivation a évolué, car elle devait évoluer. En effet, la décision du 15 octobre 2014 était fondée sur l'inapplicabilité, selon la Chambre criminelle, du droit au respect de la vie privée à une telle hypothèse. Or, les dispositions de la loi du 28 mars 2014 ne visent pas uniquement à la protection de la vie privée, même si l'encadrement posé répond à cet objectif fixé depuis les décisions du 22 octobre 2013 (3). Difficile alors d'éluder les dispositions nouvellement introduites dans le Code de procédure pénale en raison de cet objectif, certes poursuivi mais qui ne saurait être la condition de leur application.
Face à cette difficulté, la Chambre criminelle décèle dans l'espèce en cause une nouvelle occasion de développer sa jurisprudence relative à l'intérêt à agir en matière de nullité des actes réalisés au cours de la procédure pénale.
L'on se rappelle qu'après avoir considéré que seul le gardé à vue a qualité à agir pour contester la validité de cette mesure privative de liberté (4), la Chambre criminelle avait considéré que seule peut agir en nullité de la mesure de perquisition la personne pouvant se prévaloir d'un droit sur le local perquisitionné (5) et que seule peut agir en nullité de la mesure de sonorisation la personne pouvant se prévaloir d'un droit sur le local sonorisé ou dont la voix a été enregistrée (6). A ces premières hypothèses, il faut donc y ajouter celle résultant de la décision du 7 juin 2016 : seules les personnes pouvant se prévaloir d'un droit sur le véhicule géolocalisé (notamment le propriétaire) ont un intérêt à agir pour contester la régularité de la mesure de géolocalisation ; cette solution pourrait s'étendre à d'autres objets, au-delà du simple véhicule.
Cela étant, et à la différence des décisions précédentes, la Chambre criminelle apporte, dans cette décision du 7 juin 2016, une précision tout à fait intéressante. Elle réserve, en effet, l'hypothèse du "recours, par les autorités publiques, à un procédé déloyal". La référence à la déloyauté est ici remarquable et elle fait écho à la décision du 6 mars 2015 par laquelle la Cour de cassation avait consacré le principe de loyauté de la preuve pénale, prohibant tout stratagème mis en oeuvre par les autorités de poursuites visant à faire échec aux droits des suspects (7). Plus que cette seule référence, c'est bien la juxtaposition, au sein d'une même décision, de la restriction de la recevabilité de la demande de nullité, d'une part, et de la réserve tenant à la déloyauté, d'autre part, qui est intéressante. Comme cela pouvait déjà être déduit d'une précédente décision de la Chambre criminelle (8), la déloyauté est à l'évidence une irrégularité qui cause un grief non seulement à la personne concernée par la mesure mais aussi, et plus largement, à toutes les parties à la procédure. Ainsi, si seule la personne titulaire d'un droit sur le véhicule peut se prévaloir d'une géolocalisation irrégulière, toutes les personnes concernées par la procédure peuvent se prévaloir d'une atteinte à la loyauté, car toutes ont un droit à la loyauté de la procédure.
Jean-Baptiste Perrier
II - L'enquête
Dans le cadre d'une enquête portant sur des faits de pratiques commerciales trompeuses et d'escroqueries en bande organisée, le requérant a été placé en garde à vue, à l'occasion de laquelle la qualification, la date et le lieu des infractions reprochées lui ont été communiqués, ses droits lui ont été notifiés, notamment l'accès aux pièces limitativement visées par l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3162I3I).
Placé sous le statut de témoin assisté dans le cadre de l'instruction ouverte sur ces faits, qualifiés de pratiques commerciales trompeuses, d'escroqueries en bande organisée, d'abus de biens sociaux, d'abus de confiance, de présentation de comptes infidèles et de blanchiment en bande organisée, le requérant conteste alors la régularité de sa garde à vue, en raison de l'absence d'information donnée sur les faits matériels sur lesquels reposaient les qualifications juridiques, comme l'exigerait, selon lui, le préambule de la Directive dite "Information" du 22 mai 2012 (9), et en raison de l'absence d'accès au dossier. La chambre de l'instruction rejette sa demande et dans le cadre du pourvoi formé, le requérant renouvelle ces mêmes critiques.
Sans surprise, la décision de la Chambre criminelle du 4 octobre 2016 ne lui donne pas plus satisfaction, mais elle présente l'intérêt de se fonder sur le droit de l'Union européenne, sur la Directive du 22 mai 2012 en particulier, pour rejeter le pourvoi, et ce pour la première fois puisque les précédentes décisions étaient rendues alors que le délai de transposition n'était pas échu lors de la garde à vue (10).
S'agissant de l'information délivrée, la Chambre criminelle observe que la chambre de l'instruction a relevé que, dans le cadre de la Directive invoquée, "l'information sur la description des faits est préconisée 'en tenant compte du stade de la procédure pénale auquel une telle description intervient', que prenant en compte cette nécessaire gradation, l'article 6 § 2 de la Directive impose, en cas d'arrestation, la délivrance d'une information sur les motifs de l'arrestation, y compris de l'acte pénalement sanctionné imputé, tandis que l'article 6 § 3 impose une information détaillée au stade du jugement". Il y aurait donc une gradation, concernant la teneur de l'information, laquelle se précise pour être complète lors de la phase juridictionnelle. Une telle gradation semble logique car, lors de l'enquête, les informations peuvent parfois être parcellaires, incomplètes, et il est, dans certains cas, difficile de donner une information aussi précise que celle attendue lors du jugement. Surtout, selon la Cour de cassation, cette gradation est conforme aux exigences du droit du Conseil de l'Europe et du droit de l'Union européenne, puisque la Chambre criminelle relève que "les dispositions de l'article 5 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) ont pour seul objet d'aviser la personne arrêtée des raisons de sa privation de liberté afin qu'elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal", ce qui n'impose pas une précision telle qu'invoquée par le requérant, avant de relever que "l'article 6 de la Directive du 22 mai 2012 [...] prescrit aux Etats-membres de veiller à ce que les personnes arrêtées soient informées de l'acte pénalement sanctionné qu'elles sont soupçonnées d'avoir commis mais précise que les informations détaillées sur l'accusation, notamment sur la nature de leur participation, doivent être communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien fondé de l'accusation et non pas nécessairement dès le stade de l'arrestation". Ainsi, après cette double observation, la Chambre criminelle délivre un label de conformité à l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4971K8M), lequel "constitue une transposition complète de l'article 6 de ladite Directive".
Si la gradation est admise, elle ne peut cependant impliquer que l'information délivrée lors de la garde à vue soit trop imprécise et donc insuffisante pour assurer le respect des droits de la défense. Tel n'était pas le cas en l'espèce, la Chambre criminelle approuvant les juges du fond d'avoir retenu que "l'information délivrée au requérant à travers les qualifications des infractions, la période et le lieu, lui a permis de prendre connaissance des motifs de son placement en garde à vue dans le respect de ses droits et d'exercer normalement sa défense" et que "le requérant était parfaitement à même de discerner les contours du secret professionnel qui s'imposait à lui en sa qualité d'avocat et les hypothèses où les nécessités de sa propre défense pouvaient l'en délier et qu'il avait également été dûment informé de son droit au silence s'il craignait de manquer aux devoirs de son état". Il pourrait être surprenant de considérer que la qualité d'avocat du requérant ayant fait l'objet d'une garde à vue conduise à retenir une "présomption" de connaissance de ses prérogatives, mais il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, les informations délivrées étaient suffisantes pour permettre l'exercice des droits de la défense.
S'agissant de l'absence d'accès à l'entier dossier, la Chambre criminelle rejette également l'argument, rejoignant ainsi la jurisprudence reconnaissant la conformité de cette absence au droit européen des droits de l'Homme (11). Dans cette décision du 7 juin 2016, la Chambre criminelle observe que "l'article 7 § 1 de la Directive du 22 mai 2012 [...] n'exige, à tous les stades de la procédure, qu'un accès aux documents relatifs à l'affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective la légalité de l'arrestation ou de la détention, d'autre part, les § 2 et 3 de l'article 7 de ladite Directive laissent la faculté aux Etats-membres de n'ouvrir l'accès à l'intégralité des pièces du dossier que lors de la phase juridictionnelle du procès pénal". De nouveau, la Chambre criminelle profite de l'occasion pour délivrer un nouveau label de conformité, en observant que "l'article 63-4-1 du Code de procédure pénale constitue une transposition complète de l'article 7 de la Directive".
Jean-Baptiste Perrier
Au cours d'une enquête préliminaire, des enquêteurs, après avoir obtenu l'autorisation du syndic de copropriété, pénètrent dans le parking d'un immeuble où le suspect réside et effectuent des constatations sur un véhicule volé faussement immatriculé. Ultérieurement mis en examen pour infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, recel et usage de fausses plaques d'immatriculation, l'individu poursuivi soulève la nullité de ces constatations, qu'il assimile à une perquisition. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, le 4 mars 2016, rejette la requête. Le mis en examen forme un pourvoi en cassation, rejeté par la Cour de cassation dans cet arrêt du 5 octobre 2016. La Chambre criminelle s'intéresse d'abord aux conditions de l'entrée des enquêteurs dans le parking, d'une part, et aux opérations réalisées, d'autre part.
S'agissant de l'entrée des enquêteurs dans le parking, la Cour retient que les policiers ont été spécialement autorisés, en connaissance de cause, par le syndic de copropriété à pénétrer dans les parties communes de la résidence. Le demandeur au pourvoi faisait valoir que cette autorisation aurait dû être précédée d'une autorisation de la majorité des copropriétaires. La Cour de cassation n'entre pas dans cette discussion, reconnaissant au seul syndic le pouvoir de délivrer l'autorisation de pénétrer dans les parties communes d'un immeuble. La solution n'est guère surprenante et vient confirmer une position bien établie de la Chambre criminelle. L'autonomie de la matière pénale justifie pleinement cette absence de considération pour le droit de la copropriété, qui aurait nécessité une assemblée générale des copropriétaires. La Cour a déjà estimé que les constatations visuelles réalisées dans un parking étaient tout à fait régulières, dès lors que les enquêteurs avaient été autorisés à y pénétrer par un résident, en l'absence d'identification du syndic (12). Dans l'arrêt commenté, le syndic avait, sur réquisitions des enquêteurs, fourni une attestation d'accès à tous les espaces communs intérieurs de la résidence. Bien que non datée, l'attestation n'était pas contestée. Il n'est donc nul besoin de l'intervention de l'assemblée générale des copropriétaires pour autoriser la visite domiciliaire des enquêteurs dans les parties communes.
S'agissant des opérations réalisées, le demandeur au pourvoi prétendait qu'il s'agissait d'une perquisition, définie comme "la recherche, à l'intérieur d'un lieu normalement clos, des indices permettant d'établir l'existence d'une infraction ou d'en déterminer l'auteur". La chambre de l'instruction a refusé cette qualification de perquisition et la Chambre criminelle confirme cette solution, précisant que les simples constatations visuelles ne sont pas assimilables à une perquisition et n'entrent donc pas dans les prévisions de l'article 76 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7225IMK). Nul besoin de l'assentiment du détenteur du véhicule pour constater visuellement que les plaques d'immatriculation étaient fausses. La solution aurait sans doute été différente si les enquêteurs avaient pénétré dans le véhicule. Mais en l'espèce, ils se sont contentés d'en constater la présence et de relever le numéro des plaques. La solution mérite l'approbation. De telles constatations auraient tout à fait pu être effectuées à l'extérieur du parking, sans pour autant que l'assentiment du conducteur soit sollicité.
Jean-Baptiste Thierry
III - Constitution de partie civile
Convoquée devant le tribunal correctionnel sous la prévention de fausse déclaration à une personne publique ou à un organisme chargé d'une mission de service public en vue d'obtenir une allocation, une prestation ou un avantage indu, la prévenue a fait citer directement à la même audience celui qui, selon elle, l'aurait incitée à commettre cette infraction. Elle demandait à ce qu'il soit déclaré coupable de cette infraction et qu'il soit condamné à indemniser le préjudice subi par elle, constitué par les sommes qu'elle devrait rembourser aux organismes sociaux. Si une telle demande semble plus qu'osée, sa recevabilité a tout de même été discutée.
Cette citation directe et la constitution de partie civile ont été déclarées irrecevables par le tribunal correctionnel ; elles ont, toutefois, été accueillies devant la cour d'appel, l'intéressée renouvelant ses demandes. Saisie du pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel, lequel n'a pas attendu les débats au fond, la Chambre criminelle censure la solution des juges du second degré. Après avoir rappelé, en tant que principe, l'article 2 du Code de procédure pénale , en indiquant que "l'action civile n'est recevable devant les juridictions répressives qu'autant que la partie qui l'exerce a souffert d'un dommage personnel directement causé par l'infraction", la Chambre criminelle refuse que l'auteur d'une infraction puisse "se constituer partie civile à l'encontre des personnes qui l'auraient incité à commettre celle-ci, en alléguant du préjudice que lui causerait une éventuelle condamnation".
La décision de la Chambre criminelle est ici heureuse et il est aisé de la rapprocher de l'hypothèse précédente où la Chambre criminelle avait considéré comme justifiée la décision déclarant irrecevable la plainte avec constitution de partie civile d'une personne condamnée pour meurtre et qui entendait poursuivre les personnes qui l'auraient trompé et poussé à commettre son crime en lui présentant de fausses cartes officielles (13). La même solution vaut encore lorsque la personne qui, sciemment et de mauvaise foi, avait remis une somme d'argent à l'auteur d'un trafic d'influence en vue d'obtenir une décision favorable, demande le remboursement des sommes versées (14).
Il est, toutefois, intéressant de relever que, dans cette décision du 21 septembre 2016, l'intéressée demandait la réparation du préjudice causé par la condamnation, de telle sorte que l'on pourrait voir ici la manifestation de l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Or, si l'adage sous-tend peut-être l'esprit de la décision, il n'est pas visé par la Chambre criminelle -qui ne l'a d'ailleurs jamais visé- cette dernière préférant se fonder sur les termes de l'article 2 du Code de procédure pénale.
L'enjeu de cette difficulté telle qu'appréhendée par la Cour de cassation est alors de savoir si la réparation du dommage causé est, en elle-même, un préjudice réparable au sens de l'article 2, si ce "dommage de réparation" découle directement de l'infraction. La réponse ne peut être ici que négative, en ce que la réparation du dommage n'est pas la conséquence directe de l'infraction, même si cette dernière en est la cause, mais elle est la conséquence du jugement de condamnation, cette décision étant un événement intermédiaire excluant le caractère direct du lien de causalité.
Jean-Baptiste Perrier
IV - Détention provisoire
Saisi d'une question soulevée par la Société française de l'Observatoire international des prisons et renvoyée par le Conseil d'Etat (15), le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de l'article 145-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6081K8Q). Dans sa version en vigueur lors de la décision, ce texte prévoyait qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la décision de placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite à un membre de la famille de la personne détenue que par une décision écrite et spécialement motivée au regard des nécessités de l'instruction, cette décision pouvant être contestée devant le président de la chambre de l'instruction. Or, selon les requérants, en ne visant que les décisions concernant les membres de la famille, cette disposition empêcherait tout recours contre les décisions de refus de permis de visite à un non-membre de la famille. De plus, le texte ne prévoit aucun délai pour statuer, y compris lorsqu'il s'agit d'un permis de visite à un membre de la famille. Par ailleurs, le texte n'offre aucune voie de recours contre les refus d'accès au téléphone, lequel n'est donc pas garanti aux personnes en détention provisoire.
Dès lors, selon l'association requérante, l'article 145-4 méconnaîtrait notamment le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée.
Le Conseil constitutionnel accueille favorablement les arguments présentés. Selon lui, au regard des conséquences qu'entraînent, pour les personnes placées en détention provisoire, les décisions de refus de permis de visite (autres que ceux demandés par les membres de la famille) et les décisions de refus d'accès au téléphone, l'absence de voie de droit permettant de contester le refus du magistrat méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale.
Au surplus, l'absence de délai imparti au juge d'instruction pour répondre à une demande de permis de visite d'un membre de la famille de la personne en détention provisoire n'ouvre aucune voie de recours en l'absence de réponse du juge et méconnaît, elle aussi, les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Par cette décision du 24 mai 2016, le Conseil constitutionnel appelle ainsi à un rapprochement des voies de recours reconnues à la personne détenue, que la détention ait lieu à titre provisoire ou à titre de peine, pour contester des décisions lui refusant la possibilité de communiquer avec ses proches ou d'en recevoir les visites.
Ce rapprochement est d'ores et déjà réalisé par la loi du 3 juin 2016, dite loi "Urvoas" (16), au nom de la Directive du 22 novembre 2013 (17), loi en cours d'adoption lors de la décision du Conseil, ce qu'il n'a d'ailleurs pas manqué de relever.
L'inconstitutionnalité constatée et reportée dans ses effets au 31 décembre 2016 a donc été rapidement corrigée, l'article 145-4 du Code de procédure pénale prévoyant, à compter du 1er novembre 2016, cette possibilité de demander l'accès au téléphone, et l'obligation pour le juge de statuer dans un délai de vingt jours et ce quelle que soit la demande.
Jean-Baptiste Perrier
Un individu est condamné pour infractions à la législation sur les stupéfiants et importation non autorisée de stupéfiants. La cour d'appel prononce une peine de trois ans d'emprisonnement avec mandat de dépôt, et une interdiction définitive du territoire français. La décision de condamnation est frappée d'un pourvoi en cassation. Le prévenu forme une demande de mise en liberté, rejetée par la cour d'appel de Nîmes le 5 avril 2016. Les juges se fondent sur différents éléments : gravité des faits commis, non-justification d'une promesse d'embauche ou d'une possibilité d'hébergement, garanties de représentation illusoires, inadéquation d'un contrôle judiciaire ou d'un placement sous surveillance électronique.
Le prévenu se pourvoit en cassation, contestant la motivation de la cour d'appel, l'estimant attentatoire à la présomption d'innocence.
La Chambre criminelle rejette le pourvoi, retenant que la cour d'appel "a pu, sans porter atteinte à la présomption d'innocence, faire état notamment d'une condamnation, même non encore définitive, prononcée à l'encontre du demandeur".
La solution n'est guère surprenante car, s'il faut bien évidemment rester vigilant sur le respect de la présomption d'innocence, la Cour pouvait difficilement remettre en cause la légitimité du mandat de dépôt et, plus largement, de la détention provisoire. Au reste, comme elle le précise, le rappel de la condamnation ayant donné lieu au mandat de dépôt n'était qu'un élément parmi d'autres dans la motivation de la cour d'appel, qui se fondait principalement sur les insuffisances de la demande de mise en liberté. Raisonner différemment en empêchant les juges de prendre en compte la condamnation ayant justifié le mandat de dépôt reviendrait en réalité à supprimer le principe même du mandat de dépôt, nécessairement attentatoire à la présomption d'innocence. Ce mandat de dépôt s'analyse en outre comme une mesure de sûreté.
La décision peut être rapprochée d'un arrêt rendu le 17 septembre 2014 (18) où la Cour de cassation avait refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Etait en cause l'article 464-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9940IQ9), relatif au maintien en détention. La Cour avait estimé que la présomption d'innocence n'était pas atteinte, car "la décision de maintien en détention du tribunal concerne non plus une personne mise en examen, bénéficiant à ce titre de la présomption d'innocence, mais un prévenu ayant fait l'objet d'une déclaration de culpabilité et contre lequel une peine a été prononcée". La solution est plus nuancée dans l'arrêt commenté, puisque la Cour laisse entendre que le rejet de la mise en liberté aurait été irrégulier s'il avait été entièrement motivé par la condamnation ayant donné lieu au mandat de dépôt.
Jean-Baptiste Thierry
Les dysfonctionnements de l'institution judiciaire entraînent des conséquences qui vont bien au-delà des conditions de travail des magistrats, puisqu'ils peuvent aboutir à une méconnaissance des règles du Code de procédure pénale. Un individu mis en examen des chefs de séquestration et infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive, comparaît le 3 juin 2016 devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du Havre, pour qu'il soit statué sur son placement en détention provisoire. Le mis en examen sollicite un délai pour préparer sa défense, conformément à l'article 145, alinéa 7, du Code de procédure pénale. Le juge des libertés et de la détention, conformément aux dispositions de l'alinéa 8 de ce texte, rend donc une ordonnance motivée, prescrivant l'incarcération du mis en examen jusqu'à l'audience prochaine, fixée au 8 juin. Il adresse immédiatement à l'Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires une réquisition aux fins d'extraire l'individu de la maison d'arrêt, en vue de l'audience. La veille de l'audience, le 7 juin, cette autorité répond que l'extraction ne sera pas possible, faute d'effectif. Le juge des libertés et de la détention adresse alors une réquisition au service de gendarmerie, qui répond -le jour même- dans le même sens. Le juge propose alors de recourir à la visioconférence, ce que le mis en examen refuse, usant d'une possibilité que lui reconnaît l'article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5024K8L). Estimant qu'il lui est impossible de se rendre à la maison d'arrêt en raison de sa charge de travail, et qu'il ne peut pas reporter le débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention constate l'existence de circonstances insurmontables, recueille les observations de l'avocat, et ordonne le placement en détention provisoire. Le mis en examen et le procureur de la République relèvent appel de l'ordonnance de placement en détention provisoire. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen, le 17 juin, annule l'ordonnance et ordonne la remise en liberté du mis en examen. Elle précise que le constat par le juge des libertés et de la détention de l'épuisement des limites de ses propres diligences n'était pas assimilable à des circonstances imprévisibles et insurmontables. La Chambre criminelle rejette le pourvoi formé par le procureur général, confirmant ainsi la remise en liberté.
La décision de la Cour de cassation est courageuse car elle prend le risque de la mise en liberté d'un individu. Elle est tout à fait justifiée car il ne saurait être question de faire peser les contraintes d'organisation des services judiciaires sur les épaules d'une personne poursuivie. Rien ne peut justifier qu'elle subisse une privation de liberté dans ce cas. La Cour prend d'ailleurs la peine de préciser, sur le fondement de l'article 145, alinéa 8, du Code de procédure pénale, que le placement en détention provisoire ordonné à la suite d'un débat contradictoire tenu en l'absence de la personne mise en examen incarcérée, est possible, à la condition que cette non-comparution soit imputable à "l'existence de circonstances imprévisibles et insurmontables extérieures au service de la justice". Elle précise que le dysfonctionnement dans l'organisation du service en charge des extractions judiciaires n'est pas extérieur au service de la justice.
Ce faisant, la Cour précise la notion de circonstances imprévisibles et insurmontables qui peuvent justifier la non-comparution du mis en examen au débat contradictoire relatif à la détention provisoire. Elle avait déjà eu l'occasion de préciser que de telles circonstances sont caractérisées dans l'hypothèse d'une grève du personnel pénitentiaire (19) qui s'oppose à toute extraction de détenus ainsi qu'à toute entrée du magistrat instructeur dans les locaux de la détention (20). De telles circonstances sont également caractérisées lorsqu'un barreau décide de suspendre toute participation des avocats au service des commissions d'office (21). Il en va de même dans le cas de barrages routiers empêchant la circulation et occupant la gendarmerie à des tâches de maintien de l'ordre (22).
Les dysfonctionnements du service des extractions judiciaires ne sauraient justifier l'absence de débat contradictoire. Il ne s'agit pas de nier les difficultés rencontrées par le juge des libertés et de la détention, mais de ne pas faire peser ces difficultés sur la personne placée en détention provisoire qui n'a pas à pâtir des carences de ceux-là mêmes chargés de la mise en oeuvre de la détention provisoire. Le législateur serait bien inspiré de rapidement donner au juge des libertés et de la détention un statut spécifique lui permettant d'assurer l'intégralité de ses missions. Au lieu de cela, il préfère multiplier les hypothèses où son contrôle doit intervenir, sans considération de l'organisation des tribunaux.
Jean-Baptiste Thierry
Une femme placée sous tutelle est mise en examen pour meurtre aggravé. Le juge des libertés et de la détention ordonne son placement en détention provisoire. L'ordonnance est confirmée par la chambre de l'instruction de Colmar, le 10 mars 2016. Saisie d'un pourvoi formé par la mise en examen, la Chambre criminelle casse et annule l'arrêt au visa de l'article 706-113 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6284H9M), le tuteur n'ayant pas été avisé de la date d'audience relative à la détention provisoire.
L'arrêt "Vaudelle contre France" du 30 janvier 2001 (23) avait estimé que l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) n'était pas respecté lorsqu'une personne poursuivie, placée sous curatelle, n'avait pas pu bénéficier de l'assistance de son curateur. Le législateur avait tiré les conséquences de cette décision et la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH), a ajouté dans le Code de procédure pénale un titre consacré à la poursuite, l'instruction et au jugement des infractions commises par des majeurs protégés. L'article 706-113 du Code de procédure pénale précise ainsi que le procureur de la République, ou le juge d'instruction, doit aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, des poursuites dont la personne protégée fait l'objet. Le texte exige également cette information dans le cas d'une mesure dite alternative aux poursuites. Le texte est, en revanche, muet sur la question de la détention provisoire.
La Cour de cassation vient ici combler ce silence de la loi en interprétant de manière téléologique l'article 706-113 du Code de procédure pénale. Sa motivation est claire : le tuteur d'une personne protégée doit être avisé de la date de toute audience concernant la personne protégée. La solution avait déjà été posée dans un arrêt du 3 avril 2012, s'agissant de l'audience de jugement d'une personne placée sous curatelle. A notre connaissance, c'est la première fois que la Cour de cassation a l'occasion de préciser que l'information du tuteur ou du curateur est exigée pour le contentieux de la détention provisoire. Toute autre solution aurait été difficilement envisageable. Le visa retenu par la Cour est toutefois surprenant, celle-ci se référant à l'article 706-113 du Code de procédure pénale, qui n'envisage pas cette hypothèse. Il aurait été tout aussi envisageable de viser l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
Jean-Baptiste Thierry
(1) Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 14-85.056, F-P+B+I (N° Lexbase : A6645MYR).
(2) Loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, relative à la géolocalisation (N° Lexbase : L8602IZM).
(3) Cass. crim., 22 octobre 2013, FS-P+B, deux arrêts, n° 13-81.945 (N° Lexbase : A4672KND), et n° 13-81.949 (N° Lexbase : A4648KNH).
(4) Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3688ICL).
(5) Cass. crim., 14 octobre 2015, n° 15-81.765, FS-P+B (N° Lexbase : A5906NTW).
(6) Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-81.491, F-P+B (N° Lexbase : A8541KI8).
(7) Ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339, P+B+R+I (N° Lexbase : A7737NCK).
(8) Cass. crim., 11 décembre 2015, n° 15-82.013, FS-P+B (N° Lexbase : A8544NZH).
(9) Directive (UE) 2012/13 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY).
(10) Cass. crim., 9 avril 2015, n° 14-87.660, F-P+B (N° Lexbase : A5184NG4).
(11) Cass. crim., 19 septembre 2012, n° 11-88.111, FS-P+B (N° Lexbase : A0985ITN).
(12) Cass. crim., 23 octobre 2013, n° 13-82.762, F-P+B (N° Lexbase : A4762KNP). V. également, sans référence à l'identification du syndic : Cass. crim., 23 janvier 2013, n° 12-85.059 (N° Lexbase : A8792I3Z).
(13) Cass. crim., 28 octobre 1997, n° 96-85.880 (N° Lexbase : A3749CK3).
(14) Cass. crim., 7 février 2001, n° 00-83.023 (N° Lexbase : A5028AW7).
(15) CE, 9° et 10 s-s-r., 24 février 2016, n° 395126 (N° Lexbase : A4495QDT).
(16) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (N° Lexbase : L4202K87) ; v. J.-B. Thierry, La réforme pénale du 3 juin 2016 : la lettre des dispositions relatives à la procédure pénale (l'instruction et le jugement), Lexbase éd. priv., n° 662, 2016 (N° Lexbase : N3536BWU).
(17) Directive (UE) 2013/48 du Parlement européen et du Conseil du 22 novembre 2013 relative au droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d'arrêt européen, au droit d'informer un tiers dès la privation de liberté (N° Lexbase : L5328IYY).
(18) Cass. crim., 17 septembre 2014, n° 14-84.582, F-D (N° Lexbase : A8351MW9).
(19) Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-88.625 (N° Lexbase : A9054CMB).
(20) Cass. crim., 31 janvier 1989, n° 88-86.527 (N° Lexbase : A6243CKG).
(21) Cass. crim., 11 juillet 1990, n° 90-82.613 (N° Lexbase : A2169ABX).
(22) Cass. crim., 28 avril 1998, n° 98-80.754 (N° Lexbase : A3072ACR).
(23) CEDH, 30 janvier 2001, Req. 35683/97 (N° Lexbase : A7633AWM).
(24) Cass. crim., 3 avril 2012, n° 11-82.847, F-D (N° Lexbase : A7035IL7).
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