Réf. : Cass. com., 27 septembre 2016, n° 14-22.013, FS-P+B (N° Lexbase : A7040R4I)
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 08 Novembre 2016
I - Une solution en apparence fondée
Cet arrêt, par ce qu'il nous dit, est juridiquement justifié.
Les articles L. 341-2 et L. 341-3 [L. 331-1 et L. 331-2] du Code de la consommation ont été jugés, à juste titre, applicables à la caution avertie (2), et notamment au dirigeant caution (3). Quels que soient les reproches que l'on peut adresser à ces textes, la jurisprudence a eu raison, au regard de leur lettre, d'en faire profiter le dirigeant caution. En effet, ces textes précisent que doit rédiger la mention manuscrite "toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution". Ainsi, en vertu de l'adage Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, le dirigeant caution, dès l'instant qu'il est une personne physique, doit profiter de ce texte. Et tant pis si cela vient à faire bénéficier du Code de la consommation une caution qui s'engage dans l'exercice de son activité professionnelle... La faute est imputable au législateur, non à la jurisprudence.
Par conséquent, la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, a raison de remarquer qu'un cautionnement valable ne pouvait être dégagé en l'espèce, puisque les mentions manuscrites n'avaient pas été apposées sur l'aval.
Ce faisant, la Cour rejette, implicitement, un argument de la cour d'appel de Rennes, qui avait commis une confusion. Relever que l'aval constituait un commencement de preuve, complété par l'intérêt personnel de la caution, place le débat sur la preuve de l'acte, alors qu'il convenait de le placer sur sa validité. En outre, une jurisprudence constante estime certes que le cautionnement est commercial si la caution a un intérêt personnel à l'opération principale (4). Toutefois, la commercialité du cautionnement ne suffit pas à libéraliser les moyens de preuve : par application de l'article L. 110-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5547AIB), il faut en outre que chaque partie ait la qualité de commerçant.
Par ce qu'il énonce, l'arrêt commenté semble donc fondé. Ce n'est pourtant pas le cas.
II - Une solution en réalité contestable
Cet arrêt, par ce qu'il sous-entend, retient une solution contestable.
La Cour affirme que l'aval donné sur une lettre de change annulée pour vice de forme ne peut constituer un cautionnement valable, faute de comporter les mentions manuscrites prévues par les articles L. 341-2 et L. 341-3 [L. 331-1 et L. 331-2] du Code de la consommation. Il convient donc d'en déduire que si le donneur d'aval avait respecté ces formalités (5), l'aval aurait pu valoir cautionnement. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que la jurisprudence retient cette solution. La Chambre commerciale a pu estimer que lorsque l'effet de commerce est nul, son aval peut être requalifié en cautionnement de la promesse subsistante (6). Mais l'aval, pour être qualifié de cautionnement, devra alors en respecter les conditions de validité (7).
Pourtant, que l'aval d'une lettre de change nulle puisse valoir cautionnement nous apparaît très discutable.
La Cour de cassation, à juste titre, a plusieurs fois retenu qu'un aval, valable, n'est pas soumis au droit du cautionnement. Ainsi, l'avaliste ne peut invoquer l'exigence de proportionnalité du cautionnement posée par l'article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1156K7X ; C. consom., art. L. 332-1, nouv. N° Lexbase : L1162K78), ni le devoir de mise en garde de la caution qui pèse sur le créancier (9).
La Cour estime également que l'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul, et ne vaut pas promesse de porte fort (10). Cette idée est pleinement justifiée, car si la nullité de l'effet de commerce n'entraîne pas systématiquement celle de l'aval qui le garantit, c'est néanmoins le cas lorsque la nullité est la conséquence d'un vice de forme (C. com., art. L. 511-21, al. 8 N° Lexbase : L6674AIZ).
Mais alors, pourquoi estimer que l'aval d'une lettre de change nulle puisse valoir cautionnement ? Comme l'a remarqué la jurisprudence précitée, l'aval et le cautionnement sont deux sûretés distinctes, ainsi d'ailleurs qu'il ressort de textes tels que l'article L. 225-35, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L5906AIL). Il est impossible de déduire un cautionnement d'un aval, ne serait-ce que parce que le cautionnement ne se présume pas (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L1121HID). En outre, comment pourrait-on extraire un cautionnement valable d'un aval inexistant ? L'aval d'une lettre de change nulle pour vice de forme n'est pas valable (C. com., art. L. 511-21, al. 8). Puisqu'il n'est pas valable, il est difficile d'imaginer qu'il puisse engendrer un cautionnement valable.
Certes, il serait possible de soutenir que l'éventuelle présence sur l'aval des mentions manuscrites prévues par les articles L. 341-2 et L. 341-3 [L. 331-1 et L. 331-2] du Code de la consommation révèlent un consentement exprès à conclure un cautionnement, qui serait alors pleinement valable par le respect du formalisme consumériste. Toutefois, il serait aisé de rétorquer à cette analyse qu'en pareille hypothèse, le "donneur d'aval" a en réalité entendu souscrire un cautionnement. Il n'est donc pas un donneur d'aval, mais une caution. La garantie devrait alors être requalifiée en cautionnement. Et dans ce cas, si la lettre de change est nulle, que ce soit pour vice de forme ou autre, le cautionnement disparaît, par voie accessoire (C. civ., art. 2289, al. 1er N° Lexbase : L1118HIA) !
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