La lettre juridique n°674 du 27 octobre 2016 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Sur la qualité, pour une association de contribuables repentis, d'agir devant le juge de l'excès de pouvoir - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 13 octobre 2016, n° 402318, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8129R79)

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[Jurisprudence] Sur la qualité, pour une association de contribuables repentis, d'agir devant le juge de l'excès de pouvoir - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/35373092-jurisprudence-sur-la-qualite-pour-une-association-de-contribuables-repentis-dagir-devant-le-juge-de-
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 08 Novembre 2016

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 13 octobre 2016, a estimé qu'une association de contribuables repentis n'a pas la qualité pour agir afin de réclamer le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 8° et 3° ch.-r., 13 octobre 2016, n° 402318, mentionné aux tables du recueil Lebon). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Romain Victor, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. 1. Le trust est, vous le savez, une institution originale issue du droit anglo-saxon, longtemps restée inconnue en droit français, la fiducie n'ayant été introduite dans le Code civil qu'en 2007 (1). Cette technique peut impliquer un démembrement du droit de propriété, un constituant confiant à un administrateur (le trustee) le soin de gérer des biens ou des droits pour le compte de bénéficiaires désignés.

Afin de mieux lutter contre l'évasion fiscale permise par le recours à cet instrument, le législateur a adopté, par l'article 14 de la loi du 29 juillet 2011, de finances rectificative pour 2011 (2), un ensemble de dispositions sur la fiscalité des transmissions réalisées au moyen de trusts, lesquels ont été définis comme "l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un Etat autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant [...] en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d'un objectif déterminé". Les produits distribués par un trust ont été assimilés à des revenus distribués imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (3) ; les biens ou droits le composant ont été soumis aux droits de mutation à titre gratuit (4) ; les conditions de l'assujettissement à l'impôt de solidarité sur la fortune du constituant ou du bénéficiaire (5) ont été précisées ; a enfin été créé un prélèvement sui generis sur les trusts, codifié à l'article 990 J du CGI (N° Lexbase : L4678I7E), au tarif le plus élevé prévu pour l'ISF (6).

Pour assurer la mise en oeuvre effective de ces nouvelles règles, le législateur a inséré dans le CGI un nouvel article 1649 AB (N° Lexbase : L9493IYA) fixant les obligations déclaratives incombant à l'administrateur d'un trust dont le constituant ou l'un des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé. Cet article prévoit ainsi qu'outre des déclarations de constitution, modification et extinction du trust, l'administrateur est tenu de souscrire annuellement une déclaration de la valeur vénale au 1er janvier des biens et droits qui y sont placés ainsi que des produits capitalisés. L'article 1736 du CGI (N° Lexbase : L8219K9B) a par ailleurs été complété par un IV bis pour prévoir que toute infraction à ces obligations déclaratives serait passible d'une amende de 10 000 euros ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés.

L'article 12 de la loi du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (7), a aggravé les sanctions encourues en portant le montant fixe de l'amende à 20 000 euros et le taux proportionnel de 5 à 12,5 %. Un décret du 14 septembre 2012 (8), codifié à l'article 344 G septies de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L8731I47), est venu préciser le contenu des obligations déclaratives incombant à l'administrateur d'un trust.

Par une instruction publiée au Bulletin officiel des Finances publiques-Impôts du 1er juillet 2015 sous la référence BOI-PAT-ISF-30-20-30 (N° Lexbase : X7038ALA), le ministre des Finances et des Comptes publics a commenté les dispositions relatives aux obligations déclaratives au titre des trusts. A son paragraphe n° 380, l'instruction rappelle les sanctions applicables en vertu du IV bis de l'article 1736 du CGI (N° Lexbase : L8219K9B), en précisant que les sanctions alourdies issues de la loi du 6 décembre 2013 ne s'appliquent (conformément au principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère) qu'aux déclarations annuelles souscrites à compter de l'année 2014 et aux déclarations de constitution, modification ou extinction de trusts correspondant à des événements survenus à compter du 8 décembre 2013, date de l'entrée en vigueur de la loi.

C'est ce paragraphe de l'instruction dont l'association requérante vous demande l'annulation pour excès de pouvoir. Son recours constitue, vous l'avez compris, un cheval de Troie pour critiquer la loi fiscale elle-même. La requérante soutient en effet que les dispositions, réitérées par l'instruction, du IV bis de l'article 1736 du CGI, en tant qu'elles instituent au détriment des "contribuables administrateurs, constituants ou bénéficiaires de trusts" une présomption irréfragable de fraude fiscale, sont contraires aux principes d'égalité devant la loi, de proportionnalité des peines et de présomption d'innocence garantis respectivement par les articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M), 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) de la Déclaration de 1789, et méconnaissent les stipulations de l'article 6, paragraphe 2, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

2. L'examen de la QPC, présentée par un mémoire distinct, ne soulève guère de difficultés.

2.1. La disposition contestée, rappelée par l'instruction, est bien applicable au litige.

2.2. La deuxième condition mentionnée à l'article 23-5 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3) est également remplie. La loi de finances rectificative pour 2011 n'a pas été examinée par le Conseil constitutionnel. Si celui-ci a examiné la loi du 6 décembre 2013 précitée, il n'a pas été saisi et ne s'est pas prononcé d'office sur l'article 12 de cette loi dans sa décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 (N° Lexbase : A5483KQ7). Enfin, par sa décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016 (N° Lexbase : A7430RXH), le Conseil constitutionnel n'a été amené à se prononcer que sur le second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736, à l'exclusion de son IV bis.

2.3. Si, eu égard aux principes constitutionnels invoqués, la question soulevée par la requérante n'est certainement pas nouvelle, elle revêt en revanche un caractère sérieux en ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe de proportionnalité des peines. Il résulte en effet de l'article 8 de la Déclaration de 1789 que la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ; le Conseil constitutionnel exerce en la matière un contrôle restreint, tiré de l'absence de disproportion manifeste entre les faits réprimés et la sanction encourue (v. décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 sur l'amende pour défaut de présentation de comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés, cons. 110 N° Lexbase : A9152KSR).

La requérante rappelle à juste titre que, par sa décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016 précitée, le Conseil a jugé contraires à la Constitution les dispositions du IV de l'article 1736 réprimant l'absence de déclaration annuelle des comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger par l'application d'une amende fixée en pourcentage du solde du compte lorsque celui-ci excède 50 000 euros. Il a relevé que cette amende était encourue "même dans l'hypothèse où les sommes figurant sur ces comptes n'ont pas été soustraites frauduleusement". Il en a déduit qu'en "prévoyant une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer".

En l'espèce, il nous semble que les dispositions du IV bis de l'article 1736 permettent qu'une amende proportionnelle soit appliquée à l'administrateur d'un trust ayant omis de souscrire une déclaration rendue obligatoire par l'article 1649 AB, alors même que les biens ou droits placés dans le trust n'auraient été frauduleusement soustraits à l'impôt. La difficulté est d'autant plus nette que, conformément à l'interprétation stricte qu'il convient de faire d'une loi répressive, l'amende n'est applicable qu'à l'administrateur du trust, qui est une personne distincte du contribuable susceptible d'être l'auteur d'une fraude fiscale.

Les autres griefs ne pourraient en revanche justifier le renvoi de la QPC. Celui tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient l'égalité devant la loi n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, la requérante s'abstenant d'indiquer par rapport à quelle situation il y aurait lieu de comparer celle des administrateurs de trusts. Quant au grief tiré de la violation de la présomption d'innocence, il manque en fait. Les dispositions contestées n'ont ni pour objet, ni pour effet d'instituer une présomption de fraude mais tendent seulement à sanctionner la méconnaissance d'obligations déclaratives, la personne visée étant susceptible d'établir par tous moyens, sous le contrôle du juge, qu'elle y a satisfait.

3. Si le premier grief est sérieux, il reste que vous n'êtes pas tenus de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel si la requête est irrecevable, conformément à la solution retenue par votre décision du 28 septembre 2011, aux T., p. 786 sur ce point (CE 9° et 10° s-s-r., 28 septembre 2011, n° 349820, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1555HYA, AJDA, 2011, p. 1868). Comme l'indiquait Claire Legras dans ses conclusions dans cette affaire, telle est "la logique du mécanisme d'exception d'inconstitutionnalité : ses auteurs n'ont pas institué un recours dans l'intérêt de la Constitution', mais prévu la possibilité de poser une question de constitutionnalité qui, si elle est prioritaire, ne constitue pas l'objet principal de la cause [...] et ne peut [...] être soulevée qu'au soutien d'une demande dont elle n'est, avant sa transmission, que l'accessoire" (9). Côté judiciaire, la Cour de cassation retient la même approche, en jugeant que l'irrecevabilité d'un pourvoi fait obstacle au renvoi de la QPC (v. Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 11-87.619, F-D N° Lexbase : A5117H8Z).

Vous vous êtes certes autorisés la latitude inverse en jugeant, par une décision (CE 9° et 10° s-s-r., 21 novembre 2014, n° 384353, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9517M3U, concl. F. Aladjidi, T., p. 836, AJDA, 2014, p. 2279, note M.-C.de Montecler), que vous n'étiez pas tenus, lorsqu'une QPC est soulevée devant vous à l'appui d'une requête, de statuer au préalable sur la recevabilité de celle-ci. Mais comme en témoignent le fichage de cette décision et les conclusions de F. Aladjidi, ce tempérament n'a été apporté que pour répondre à des situations dans lesquelles il vous serait impossible, dans le délai de trois mois imparti pour décider d'un éventuel renvoi de la QPC, de vous prononcer sur la recevabilité.

3.1. En l'espèce, la requête a été introduite par une association régie par la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR), "l'Association des contribuables repentis". Cette personne morale vous est certainement inconnue car sa constitution remonte au 22 novembre 2015. Selon l'article 2 de ses statuts, elle a pour objet "d'aider et assister, notamment auprès de l'administration fiscale ou des établissements bancaires, les personnes qui souhaitent régulariser leur situation fiscale, qui sont en cours de régularisation ou qui l'ont déjà régularisée, et de participer à la défense de leurs intérêts". L'article 6 stipule que l'association n'est ouverte, à l'exception des membres d'honneur, qu'aux seules personnes souhaitant régulariser leur situation fiscale auprès de l'administration, qui sont en cours de régularisation ou qui l'ont déjà régularisée. Ces statuts portent la signature de deux membres fondateurs, qui ont respectivement la qualité de président et de "membre d'honneur". Les intéressés sont membres d'un même cabinet d'avocats spécialisés en droit fiscal, le premier en tant que collaborateur, le second en tant qu'associé. C'est d'ailleurs ce dernier qui, en sa qualité d'avocat à la cour, a introduit le recours pour le compte de l'association dont il est membre. Il est non moins piquant de relever que les intéressés ont cosigné dans une revue fiscale une chronique dans laquelle ils font référence au recours qu'ils ont eux-mêmes engagés, sans préciser toutefois qu'ils en étaient les auteurs (10).

C'est dans cette configuration pour le moins originale, qui peut prêter à sourire, ou laisser songeur, que vous devrez vous prononcer sur l'intérêt pour agir de l'association requérante. La recevabilité de son recours est en effet subordonnée à la condition qu'elle ait un intérêt personnel à la disparition de l'acte attaqué.

Notez pour commencer que nous ne sommes pas dans l'hypothèse où l'action de la requérante aurait pour objet la défense de ses propres intérêts, à l'instar du litige dans lequel une association conteste le refus de renouveler une autorisation dont elle était titulaire (voyez CE 5° et 4° s-s-r., 31 mai 2013, n° 352396-356528, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9694KER) ou la rupture abusive d'un contrat qui la liait à une collectivité publique (CE 3° et 5° s-s-r., 18 novembre 1992, n° 75227, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8419ARA). Est exclusivement en cause ici la défense des intérêts communs des membres de l'association.

C'est au regard de leur objet social statutaire que vous appréciez l'intérêt pour agir des associations, syndicats et autres groupements. La tonalité de votre jurisprudence est à première vue libérale. En témoigne cette décision récente par laquelle vous avez admis l'intérêt pour agir d'un groupement au regard de l'objet statutaire tel qu'il résultait des modifications opérées au cours de l'instance (CE 6° et 1° ch.-r., 15 avril 2016, n° 387475, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4292RIS). Un examen plus approfondi montre cependant que vous ne renoncez pas à exercer un contrôle entier sur l'intérêt pour agir. Vous veillez ainsi à la licéité de l'objet statutaire (CE Sect., 11 décembre 2008, n° 306962, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7040EBD, Rec., p. 452 (11)) ainsi qu'au respect du principe de spécialité des personnes morales, en vertu duquel leur capacité "est limitée aux actes utiles à la réalisation de [leur] objet" (12). Surtout, vous refusez avec une remarquable constance d'ouvrir la voie à toute forme de "recours populaire". De ces principes, il découle trois exigences.

La première est que l'objet statutaire de l'association soit suffisamment précis. Nombre de vos décisions stigmatisent en effet la "généralité des buts" que les statuts d'une personne morale lui ont assignés. Il en va ainsi d'associations dont l'objet est :

- d'intervenir "sur tous les problèmes relatifs à l'urbanisme et à l'équipement" dans une région (CE 6° et 2° s-s-r., 26 juillet 1985, n° 35024, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3235AMR, concl. Dandelot, Rec., p. 251),

- de "créer une dynamique tendant à favoriser les libertés publiques et la démocratie" dans une commune (CE 9° et 8° s-s-r., 30 décembre 1998, n° 156434, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8573ASC, aux T., p. 754 sur ce point),

- de "veiller au respect des règles propres à la fonction publique" (CE 6° et 2° s-s-r., 13 mars 1998, n° 173705, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6755ASY, Rec., p. 77),

- de s'assurer du respect des procédures d'engagement des dépenses publiques (CE 7° et 2° s-s-r., 23 février 2004, n° 250482, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3621DBQ, T., p. 803-851) (13).

La deuxième exigence tient à ce que l'objet statutaire soit en rapport suffisamment étroit avec les conclusions de la requête. La décision attaquée doit porter atteinte à l'intérêt collectif que l'association se propose de défendre ou à l'intérêt de ses membres. Ainsi avez-vous refusé d'admettre la recevabilité :

- d'un recours introduit par l'Ecole nationale d'administration contre des décisions de nominations d'anciens élèves (CE Sect., 4 juin 1954, n° 95487, Rec., p. 338, concl. Chardeau) ;

- d'un recours formé par une association dont l'objet est de lutter contre le saturnisme contre un arrêté fixant la liste des titres de séjour permettant de se voir attribuer dans certaines conditions un logement à loyer modéré (CE 5° et 4° s-s-r., 30 décembre 2014, n° 367523, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0836M9T, T., p. 784) ;

- ou encore d'un recours contre des dispositions de l'annexe II au CGI relatives à l'imposition des plus-values réalisées par les particuliers introduit par une association professionnelle d'avocats conseils fiscaux, alors même que ces dispositions pourraient affecter la situation des clients de ces avocats (CE 9° et 10° s-s-r., 23 mars 2005, n° 264997, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3928DHX, RJF, 2005, n° 605, concl. L. Vallée, BDCF, 6/05, n° 82).

La troisième exigence, qui remonte à votre décision du 28 décembre 1906 (CE, 28 décembre 1906, n° 25521, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9547B84, Rec., p. 977, concl. Romieu, GAJA, 17ème éd., n° 17) et que vous rappelez régulièrement (cf. CE Sect., 13 janvier 1950, Rec., p. 26 ; CE Sect., 13 décembre 1991, n° 80709, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0119ART, Rec., p. 444), tient à ce que l'association ou le syndicat qui agit directement contre une décision individuelle négative en lieu et place de son destinataire détienne un mandat spécial établi par l'intéressé, conformément au principe selon lequel "nul en France ne plaide par procureur". Dans un procès, on ne peut avancer masqué.

Bref, le libéralisme de votre jurisprudence ne s'apparente nullement à de la naïveté. Il vous est ainsi arrivé d'écarter purement et simplement les statuts d'associations créées peu de temps avant le dépôt du recours et procédant, selon les termes du président Combrexelle, de la volonté de "constituer des associations ad hoc pour la présentation [de] recours contentieux" : voyez votre décision du 18 février 1998, aux T., p. 1079 (CE 10° et 7° s-s-r., 18 février 1998, n° 188517, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6515AS4). Dans le même esprit, divers arrêts de cours publiés ou mentionnés au recueil écartent l'objet statutaire pour s'attacher à l'objet réel d'une association (CAA Douai, 30 mars 2006, n° 04DA00116 N° Lexbase : A8805DSW, Rec., p. 593 ; CAA Lyon, 12 octobre 2006, n° 03LY01134 N° Lexbase : A5979DTM, T., p. 1000 ; CAA Marseille, 13 avril 2006, n° 01MA01536 N° Lexbase : A8137DP3, T., p. 1110).

Ajoutons que l'intérêt pour agir doit être non seulement direct, mais aussi certain. Parce que vous êtes pleinement juges de la recevabilité, il vous appartient, si vous avez un doute sur l'existence de cet intérêt, de recueillir les observations du requérant sur ce point et d'en tirer toutes les conséquences, au besoin en soulevant d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête. Votre décision du 10 janvier 1992 (CE 2° et 6° s-s-r., n° 115718-115719, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5427ARG, T., p. 1196) se fonde ainsi sur le refus des associations requérantes de produire leurs statuts, malgré l'invitation qui leur a été faite, pour juger irrecevables leurs requêtes dirigées contres des circulaires relatives au contentieux des reconduites à la frontière.

En l'espèce, vous relèverez que l'objet statutaire est défini en des termes très généraux, à moins que vous ne considériez que la "régularisation" à laquelle il est fait référence ne concerne qu'un ensemble moins vaste que celui des contribuables français, celui des "évadés fiscaux", c'est-à-dire les résidents français titulaires de comptes bancaires, de contrats d'assurance-vie ou de biens ou droits placés dans des trusts à l'étranger qui ont engagés ou envisagent d'engager une démarche tendant à mettre leur situation en conformité avec la loi fiscale interne.

Surtout, vous observerez que, si ses statuts ont été joints à la requête, l'association requérante a en revanche refusé de vous communiquer (c'est bien sûr son droit le plus strict) une liste d'adhérents ou le nom d'adhérents autres que le président et le membre d'honneur fondateur. En réponse au moyen d'ordre public qui lui a été communiqué, l'association n'a pas soutenu, par ailleurs, que ses deux membres fondateurs, les deux seuls connus, auraient personnellement intérêt pour agir et s'est bornée à fournir une copie anonymisée de propositions de transaction établies par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) mentionnant la mise en oeuvre à l'égard du contribuable intéressé des dispositions du 8 de l'article 1754 du CGI (N° Lexbase : L3889KWX) relatives à la solidarité avec l'administrateur du trust pour le paiement de l'amende prévue au IV bis de l'article 1736 du même code.

Mais ce faisant, l'Association des contribuables repentis n'apporte aucun élément établissant qu'elle agit effectivement dans l'intérêt commun de ses membres qui auraient intérêt à demander l'annulation du passage litigieux de l'instruction attaquée. Or, ainsi que le relevait Laurent Vallée dans ses conclusions dans l'affaire du 23 mars 2005 précitée, la recevabilité d'une association "à former un recours pour excès de pouvoir est liée à l'intérêt dont pourrait se prévaloir, au moins, un nombre significatif de ses adhérents, au soutien de recours individuels ayant le même objet".

Pour dire le fond de notre pensée, si les associations doivent pouvoir se constituer librement, sans que leur validité soit soumise à l'intervention préalable de l'autorité administrative, conformément au principe fondamental reconnu par les lois de la République qu'est la liberté d'association (cf. Cons. const., 28 mai 2010, n° 2010-3 QPC, cons. 9 N° Lexbase : A6284EXZ), rien n'interdit cependant au juge de refuser l'accès au prétoire à une association dont la constitution, par des avocats fiscalistes, lui paraît avoir pour unique objet de permettre à des contribuables ne souhaitant pas révéler leur identité de mettre en cause, par la voie du recours en excès de pouvoir, la doctrine administrative et la loi fiscale elle-même, en contournant les règles relatives à l'intérêt pour agir des personnes physiques.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête, sans qu'il y ait lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.


(1) Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie (N° Lexbase : L4511HUM).
(2) Loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 (N° Lexbase : L0278IRQ).
(3) Ajout d'un 8° à l'article 120 du CGI (N° Lexbase : L3811KW3).
(4) Modification de l'article 750 ter du CGI (N° Lexbase : L9528IQX) et création de l'article 792-0 bis (N° Lexbase : L9524IQS).
(5) Article 885 G ter nouveau du CGI (N° Lexbase : L4679I7G).
(6) Mentionné à l'article 885 U du CGI (N° Lexbase : L0137IWY). Actuellement 1,50 %.
(7) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6136IYW) ; JO du 7 décembre 2013.
(8) Décret n° 2012-1050 du 14 septembre 2012, relatif aux obligations déclaratives des administrateurs de trusts.
(9) Pour ces mêmes motifs, le JRCE rejette pour défaut d'urgence une requête en référé-liberté, sans s'estimer tenu d'examiner la QPC soulevée à l'appui de celle-ci (CE référé, 16 juin 2010, n° 340250, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9876EZS, Rec., p. 205).
(10) Cf. Feuillet rapide fiscal et social, 37/16, 4 août 2016, Inconstitutionnalité de l'amende pour non-déclaration de comptes : quelles conséquences pour les régularisations ?, point 4.
(11) Cas d'un syndicat professionnel de militaires créé en violation de l'article L. 4121-4 du Code de la défense (N° Lexbase : L9637KCW).
(12) Cf. le second alinéa de l'article 1145 du Code civil (N° Lexbase : L0868KZ8), dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L4857KYK).
(13) Ou encore "d'aider quiconque le lui demandera à savoir organiser sa défense dans toutes les difficultés de la vie quotidienne" (CE 6° et 2° s-s-r., 30 septembre 1983, n° 24468, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2215AMY, T., p. 815), ou de veiller à l'application des stipulations du Traité de Rome (CE 7° et 9° s-s-r., 15 avril 1992, n° 111914, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6298ARP).

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