La lettre juridique n°671 du 6 octobre 2016 : Contrôle fiscal

[Jurisprudence] Non-imputation des déficits et réductions d'impôts pour l'établissement de l'IR en cas d'application de certaines pénalités fiscales

Réf. : Cons. const., 16 septembre 2016, n° 2016-564 QPC (N° Lexbase : A2487R3I)

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N4601BWC

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[Jurisprudence] Non-imputation des déficits et réductions d'impôts pour l'établissement de l'IR en cas d'application de certaines pénalités fiscales. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/34789910-jurisprudence-nonimputation-des-deficits-et-reductions-dimpots-pour-letablissement-de-lir-en-cas-dap
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

le 06 Octobre 2016

Dans sa décision du 16 septembre 2016, les Sages de la rue de Montpensier estiment constitutionnelles les dispositions législatives neutralisant les déficits et réductions d'impôts en cas de manquements graves conduisant à l'application de certaines pénalités fiscales (Cons. const., 16 septembre 2016, n° 2016-564 QPC). Etait soumis au tamis jurisprudentiel du Conseil constitutionnel le 1 de l'article 1731 bis du CGI (N° Lexbase : L4749I7Z) tel que visé dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 (loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L4518IS7) : "Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, les revenus mentionnés aux I et I bis de l'article 156 (N° Lexbase : L6600K8X) et les réductions d'impôts ne peuvent s'imputer sur les rehaussements et droits donnant lieu à l'application de l'une des majorations prévues aux b et c du 1 de l'article 1728 (N° Lexbase : L9544IY7), à l'article 1729 (N° Lexbase : L4733ICB) et au a de l'article 1732 (N° Lexbase : L1722HN4)". Au cas présent, le requérant a subi une taxation d'office à l'impôt sur le revenu au titre des années 2011 et 2012 : il avait omis de déposer ses déclarations d'impôt sur le revenu dans les délais exigés et n'avait point accompli cette obligation dans les 30 jours suivants la réception de l'attendue mise en demeure. Une majoration de 40 % avait été appliquée sur le fondement du b du 1 de l'article 1728 du CGI ; l'article 1731 bis du CGI lui avait encore été appliqué s'agissant des revenus perçus durant l'année 2012. Le requérant ayant connu des déficits catégoriels, l'activation du 1 de l'article 1731 bis du CGI a engendré une imposition supplémentaire non négligeable à laquelle a été appliquée une majoration de 40 %.

Ayant saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, l'intéressé a posé la présente QPC aux fins de contester la régularité constitutionnelle de l'article 1731 bis (TA Cergy-Pontoise, 14 mars 2016, n° 1503572 N° Lexbase : A5797RTU). Pour le requérant mécontent de son sort fiscal, de telles dispositions instituent une sanction portant atteinte au principe de proportionnalité des peines (car celle-ci n'est pas corrélée au manquement sanctionné mais aux déficits ou réductions d'impôt), au principe d'individualisation des peines (car celle-ci n'est pas reliée directement au comportement du contribuable), et au principe d'égalité devant la loi (car celle-ci s'applique au seul contribuable disposant de déficits ou réductions d'impôt). Le Conseil constitutionnel ne censure pas les dispositions contestées. Pour appréhender en peu de mots cette décision, il convient de cogiter sur les règles de calcul des droits et pénalités en cas d'infraction fiscale constitutive d'un manquement grave (I), sur la notion de sanction ayant le caractère d'une punition (II), et sur la non-violation des articles 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 6 (N° Lexbase : L1370A9M) e la DDHC (III).

I - Les règles de calcul des droits et pénalités en cas d'infraction fiscale constitutive d'un manquement grave

Tout commence par une sanction, a fortiori si elle présente le caractère d'une punition. Selon l'article 1731 bis, les déficits catégoriels ou globaux en matière d'IR visés aux § I et I bis de l'article 156 du CGI et l'ensemble des réductions d'IR ne sont pas imputables sur les rehaussements et droits dans les hypothèses suivantes :

- majoration de 40 % pour absence de déclaration ou d'indication des éléments à retenir dans les 30 jours suivant la réception d'une mise en demeure (b du 11 de l'article 1728 du CGI) ;

- majoration de 80 % pour exercice d'une activité occulte (c du 1 de l'article 1728 du CGI) ;

- majorations de 40 ou 80 % pour insuffisance de déclaration en cas de manquement délibéré, abus de droit ou manoeuvres frauduleuses (article 1729 du CGI) ;

- majoration de 100 % en présence d'une procédure d'évaluation d'office mise en oeuvre en cas d'opposition à contrôle fiscal (a de l'article 1732 du CGI).

L'application de l'article 1731 bis du CGI empêche l'imputation de tout déficit ou toute réduction d'impôt sur le rehaussement ou la cotisation supplémentaire ; telle est la conséquence de l'application de pénalités à l'imposition supplémentaire. Quant au 2 de l'article 1731 bis, il conduit à la neutralisation des avantages susceptibles de s'imputer sur l'ISF dès lors que les droits dus au titre de l'ISF sont frappés des mêmes pénalités.

II - La notion de sanction ayant le caractère d'une punition

Arrêtons nous un temps sur la notion de sanction et de punition, et ce avant même de se tourner vers la Déclaration de 1789, notamment son article 8. Car les principes issus de cet article 8 de la DDHC (principe de légalité des délits et des peines, principe de proportionnalité, principe de non rétroactivité, principe de proportionnalité, principe d'individualisation des peines) ont vocation à s'appliquer à "toute sanction ayant le caractère d'une punition". En d'autres termes, toute sanction ne mérite pas la qualité de punition ; et pour déterminer si une sanction relève de la catégorie punition, il convient de se tourner vers l'intention du législateur en sa finalité répressive. Est une sanction ayant le caractère de punition toute mesure répressive, qu'elle relève du champ pénal, administratif, civil ou encore disciplinaire. Certaines majorations et amendes fiscales constituent des sanctions présentant le caractère de punitions, à l'instar :

- des majorations de 40 % et 80 % pour insuffisance de déclaration (article 1729 du CGI) ;

- de la majoration de 40 % pour absence de déclaration après mise en demeure (article 1728 du CGI) ;

- des majorations égales à 100 % de l'impôt éludé ou acquitté avec retard de l'amende fiscale pour défaut de déclaration de comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger (article 1736 du CGI).

Dans la présente QPC, le Conseil constitutionnel souligne l'intention du législateur pour opérer le lien entre punition et sanction. Les dispositions frappent le contribuable disposant de déficits ou bénéficiant de réduction d'impôt ; elles l'empêchent d'utiliser ou de faire valoir ces derniers pour diminuer l'impôt et les pénalités subies. Ce faisant, le législateur a voulu "conférer une effectivité renforcée à la répression des manquements" évoqués en amont. En instituant une telle sanction synonyme de punition, il n'a rien fait d'autre que de donner sens à un objectif de valeur constitutionnelle : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Les pénalités instituées privent certes le contribuable de certains droits par dérogation aux règles de droit commun, constate le juge constitutionnel. Mais ce dernier ajoute aussitôt : "La sanction instituée par les dispositions contestées s'applique uniquement lorsque sont encourues les pénalités qui répriment les manquements particulièrement graves". Sans l'indiquer dans la décision (cf. le commentaire), le Conseil constitutionnel se réfère aux intentions du législateur, donc aux travaux préparatoires de la loi de finances rectificatives pour 2012 : l'exposé de l'amendement "Censi" à l'Assemblée nationale révèle combien l'objectif est de "compléter les sanctions résultant d'infractions constitutives de manquements graves". N'est-il pas révélateur que l'assiette des pénalités fiscales en cas de manquement grave soit l'assiette brute ? La dimension éminemment répressive du mécanisme institué en 2012 apparaît aussi à l'aune des modifications législatives réalisées ultérieurement. Le 2 de l'article 1731 bis a en effet été modifié par l'article 60 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 dont l'intitulé ne trompe pas : lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW) (application à la majoration de 40 % de l'ISF dû en présence d'avoirs à l'étranger non déclarés). La volonté de renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude fiscale s'entrevoit encore dans la modification du 1 de l'article 1731 bis par l'article 100 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 (N° Lexbase : L2844I7H) (cf. les majorations de 40 % applicables en cas d'imposition de revenus transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger via des contrats ou comptes non déclarés ; cf. les majorations de 80 % applicables en cas d'imposition d'éléments du train de vie).

III - La non violation des articles 8 et 6 de la DDHC

L'article 8 de la DDHC dispose : "La loi ne peut établir que des peines strictement et évidement nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". A peine le Conseil constitutionnel a-t-il rappelé cette disposition qu'il ajoute aussitôt la formule emblématique lui permettant, quand il le souhaite, de faire oeuvre d'auto-limitation : "L'article 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ) de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement". Armé de ce truisme (oui, le Conseil n'est pas le Parlement et oui, il n'accomplit pas d'identiques tâches), il se penche sur les dispositions contestées pour les jauger au regard du principe de proportionnalité. Au juge, il incombe de vérifier l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. En effet, il exerce seulement un contrôle de l'erreur manifeste lorsqu'il analyse l'adéquation de la sanction à l'infraction ; en d'autres termes, censure il y a seulement si le législateur a eu recours au feu nucléaire pour endiguer une épidémie de dengue. Dans le cadre de son appréciation de la proportionnalité d'une sanction fiscale, le juge regarde si celle-ci, au regard tant de l'assiette que du taux, n'est manifestement pas disproportionnée par rapport aux faits reprochés. Dans la présente QPC, le Conseil va se contenter d'opérer un lien (sans argumenter pour autant) entre la teneur des dispositions législatives déférées et la volonté du législateur. Puisque le législateur a voulu lutter contre la fraude et l'évasion fiscales...puisqu'il a entendu, avec la sanction instituée ayant le caractère de punition, poursuivre cette lutte qui revêt la qualité d'"objectif de valeur constitutionnelle"... puisque la sanction visée s'applique uniquement en présence de pénalités qui répriment des "manquements particulièrement graves"... donc (sic) les pénalités prononcées sur le fondement des b et c du 1 de l'article 1728, de l'article 1729 et du a de l'article 1732 du CGI sont proportionnées aux manquements réprimés.

A l'aune d'un tel raisonnement, il est loisible de se demander si le contrôle de proportionnalité possède encore quelque substance et quelque vertu. Il semble suffire que le législateur entende lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, qu'il entende réprimer des "manquements particulièrement graves" pour que le contrôle du juge se réduise à l'instar d'une peau de chagrin. Quid d'ailleurs de la notion de gravité, appliquée aux fameux manquements ? La fraude et l'évasion fiscales étant par définition et essence des "manquements particulièrement graves", le contrôle de proportionnalité se dilue devant la volonté répressive du législateur fiscal/pénal.

Second principe issu de l'article 8 de la DDHC de 1789 : le principe d'individualisation des peines. Selon le Conseil, il n'est pas porté atteinte à un tel principe. Tout d'abord, il est constaté que les dispositions législatives contestées ont pour finalité d'assurer "l'effectivité des pénalités" mentionnées en amont : plus précisément, elles permettent de faire obstacle "à ce qu'un contribuable échappe, de fait, au moyen des déficits et réductions d'impôt dont il dispose ou bénéficie, aux sanctions prévues par le législateur pour les manquements réprimés". Certes, mais point d'argumentation substantielle là encore ; que le législateur fiscal/pénal entend réprimer relève de l'évidence, tout comme relève de l'évidence que sa production normative a pour objectif de permettre "l'effectivité des pénalités". Mais quant à l'éventuelle argumentation susceptible de démontrer en quoi telle ou telle disposition législative ne porte pas (effectivement, concrètement) au principe d'individualisation des peines, elle n'existe pas. Le Conseil constitutionnel se contente de rappeler que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, soit de maintenir la pénalité, soit d'en dispenser le contribuable s'il n'a pas commis les manquements réprimés. Bref, les dispositions contestées sont constitutionnelles et il n'est pas porté atteinte au principe d'individualisation des peines parce qu'il existe en France un juge de l'impôt qui exerce un contrôle plein et entier sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration ! Raccourci jurisprudentiel surréaliste ! A pousser jusqu'à son acmé le raisonnement du Conseil, on se demande jusqu'à quel point un contrôle de la constitutionnalité des lois fiscales/pénales a raison d'être puisque la France est un Etat de droit au sein duquel officie un juge de l'impôt.

Ultime norme du bloc de constitutionnalité invoquée par le requérant, l'article 6 de la DDHC, à savoir le principe d'égalité devant la loi. Le grief tiré de la violation de ce principe est rapidement écarté par le juge sur le fondement, en premier lieu de la non-identité de situation. Les contribuables susceptibles de subir les peines prévues aux b et c du 1 de l'article 1728, à l'article 1729 et au a de l'article 1732 "ne sont pas placés dans une même situation selon qu'ils disposent ou non de déficits ou qu'ils bénéficient ou non de réductions d'impôts". Rien à redire à cette lecture littérale de ces dispositions législatives ; reste qu'il s'agit, là encore, d'un constat qui ne saurait en rien relever de l'argumentaire et de la démonstration. A l'aune d'un tel constat (et en poussant jusqu'à l'absurde ce type de raisonnement) l'existence de situations non identiques implique systématiquement la non violation du principe d'égalité devant la loi.

Second élément retenu par le juge pour écarter le grief tiré de la violation du principe d'égalité devant la loi : le couple "différence de traitement/rapport direct avec l'objet de la loi". La différence de traitement instituée, qui résulte de l'application des dispositions législatives déférées, est "en rapport direct avec l'objet de la loi, qui confère une effectivité renforcée à la répression aux manquements visés". Puisque la loi institue une différence de traitement afin de réprimer plus sévèrement et plus effectivement les manquements constatés, l'article 6 de la DDHC s'en trouve respecté. Là encore, le raisonnement robotique du Conseil constitutionnel surprend. La trilogie "différence de traitement/rapport direct avec l'objet de la loi/effectivité renforcée à la répression" ne représente rien d'autre qu'un facile outil herméneutique permettant au juge d'objectiviser son raisonnement afin de compenser l'absence d'arguments.

Il est salutaire de faire lire aux étudiants les décisions du Conseil constitutionnel. Cela permet de leur montrer concrètement combien truismes et paralogismes représentent les socles herméneutiques d'une juridiction qui devrait être, à l'instar du Tribunal constitutionnel allemand ou de la Cour constitutionnelle italienne, une authentique cour suprême. Non pas seulement par le nom et les attributions, mais aussi et surtout par la capacité réflexive et pédagogique.

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