Réf. : CA Bordeaux, 11 août 2016, n° 14/07436 (N° Lexbase : A4855RYH)
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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris
le 06 Octobre 2016
Dans l'obligation de compétence requise de tout avocat, mais aussi dans toutes ses autres obligations, nous retrouvons la notion de conseil.
Ce devoir de conseil se place donc au coeur des relations entre l'avocat et son client. Un justiciable, qui estimerait n'avoir pas été ou incorrectement informé ou défendu, pourrait alors s'en prévaloir et engager la responsabilité de l'avocat qui aurait été fautif.
Il n'existe, cependant, aucune définition légale du devoir de conseil et c'est au juge qu'il appartient d'en apprécier non seulement le contenu, mais aussi la portée.
Si l'obligation de conseil s'étend à toutes les activités entrant dans la mission de l'avocat, revêt-elle un caractère relatif ou absolu ?
S'agissant, par exemple, des notaires, la Cour de cassation, après avoir plutôt opté dans un premier temps pour le caractère relatif de leur obligation de conseil, lui reconnaît désormais un caractère absolu. On considère que le conseil notarial n'est pas dû en raison de la nature même de l'acte, mais bien de la qualité de celui qui le doit, le notaire étant un officier public avec une mission de dispensateur de sécurité juridique, dont il ne peut être déchargé.
Aussi, il a pu être jugé qu'un notaire devait conseiller, alors même qu'un contrat était déjà parfait entre les parties et que rien ne lui est demandé à ce titre (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-13.304, FS-P+B N° Lexbase : A9119DUB).
Concernant l'avocat, la diversité de ses missions rend l'appréciation plus complexe.
Une jurisprudence s'est dégagée, rappelant, en premier lieu, que l'obligation de conseil de l'avocat était limitée au mandat reçu du client. Aussi, le devoir de conseil de l'avocat, contrairement à celui du notaire, est factuel et donc variable dans son étendue. Son appréciation va ainsi dépendre, dans chaque cas, des circonstances particulières de l'affaire.
La Cour de cassation s'est également prononcée sur la question de savoir si l'obligation de conseil de l'avocat est absolue, c'est-à-dire si elle est due quelles que soient les circonstances et les missions de l'avocat.
A l'opposé de ce qu'elle a pu affirmer pour la profession notariale, la Cour a considéré que le devoir de conseil de l'avocat n'est pas absolu, car il ne lui incombe pas, quelle que soit la nature de son intervention professionnelle (Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-15.529 N° Lexbase : A3350IWY).
Le devoir de conseil, certes relatif, n'en demeure pas moins une source inépuisable de contentieux le plus souvent initiés par des clients s'estimant lésés par des décisions judiciaires contraires et tentant de faire reconnaître la perte de leur chance à cause d'un avocat défaillant : à tort (Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 15-11.156, F-D N° Lexbase : A9307N34), ou à raison (Cass. civ. 1, 4 février 2015, n° 14-10.841, F-D N° Lexbase : A2406NBQ ou CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 7 juin 2016, n° 14/18452 N° Lexbase : A1137RSW).
L'arrêt commenté confirme ce mouvement tendant à attribuer au devoir de conseil de l'avocat un statut relatif, en l'occurrence dès lors que le client serait de mauvaise foi et entretiendrait des relations exécrables avec son avocat.
Un avocat était donc traîné devant le tribunal d'instance d'Angoulême par son client lui reprochant une décision rendue finalement à son détriment par la cour d'appel de Poitiers ayant prononcé la nullité d'une clause de non concurrence dont il pensait pouvoir bénéficier.
Il invoquait à cet égard une proposition transactionnelle transmise par la partie adverse qui lui aurait notamment été communiquée tardivement par son avocat, lui ayant ainsi fait perdre la chance de transiger favorablement avec son ancien employeur. En outre, il accusait son avocat d'avoir également commis une faute en n'attirant pas son attention sur l'opportunité de donner suite ou non à cette offre de transaction.
Les premiers juges déclarent son action recevable, mais le déboutent de ses prétentions.
Sur le recours interjeté par ce client mécontent, la cour d'appel de Bordeaux confirme le jugement.
Un certain manque de diligence de l'avocat dans la transmission de ses courriers a bien été reconnu, mais la cour retient à la décharge de l'avocat que le projet de transaction avait finalement pu être connu à temps, puisqu'une audience ne se tenait que quatre mois après et que le client avait confirmé alors ne pas souhaiter transiger de la sorte.
Surtout, et c'est la singularité de cet arrêt, ce dernier rentre dans le détail des relations entre l'avocat et son client. La décision relève leur caractère conflictuel existant à l'époque des faits reprochés, le client tenant des "propos agressifs" à l'égard de son conseil et la mise en cause de la responsabilité de ce dernier étant déjà à l'ordre du jour !
Dès lors, la cour d'appel reconnaît qu'il ne pouvait pas être reproché à l'avocat un manquement à son devoir de conseil sur les suites à donner à la proposition, "n'ayant pas été mis en mesure dans ce contexte d'indiquer à son client si elle était ou non conforme à son intérêt".
En d'autres termes, le climat délétère des relations entretenues avec un client agressif peut exonérer un avocat et exclure sa responsabilité, l'empêchant d'exercer sereinement sa mission de conseil.
Il est vrai que l'exercice des droits de la défense pour être efficace doit être serein et reposer sur une absolue confiance entre l'avocat et les divers intervenants du litige, en premier lieu son propre client !
Cet arrêt s'inscrit donc bien dans le courant jurisprudentiel actuel concernant le caractère relatif du devoir de conseil des avocats et l'appréciation que peuvent en faire les magistrats.
On ne saurait, toutefois, que recommander aux avocats de redoubler de vigilance lorsque surviennent des difficultés relationnelles qui risquent de déboucher sur leur mise en cause.
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