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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, PSL Research University et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 29 Septembre 2016
5. Coup de tonnerre le 30 août 2016 lorsque la Commission européenne, après une enquête ouverte formellement en juin 2014, conclut que l'Irlande a accordé à Apple des avantages fiscaux indus pour un montant record de 13 milliards d'euros. Cette pratique est jugée illégale au regard des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat en ayant permis à Apple de payer nettement moins d'impôts que les autres sociétés.
6. Cette décision est passée d'autant moins inaperçue que la plus grosse contravention jamais prononcée par Bruxelles dans le cas des aides d'Etat illégales se montait jusqu'à présent à 1,4 milliard d'euros dus par EDF à la France.
7. Par cette décision, la Commission se montre à la pointe de la lutte contre l'évasion fiscale. A vrai dire, on imaginait mal qu'il en soit autrement alors que Jean-Claude Juncker, fraîchement installé en novembre 2014 dans son bureau de président de la Commission européenne, affrontait le scandale du "Luxleaks", affaire qui révélait que le Grand Duché, dont il avait été le Premier ministre pendant 18 ans, avait pratiqué une politique d'optimisation fiscale à grande échelle.
8. Etonnamment, les foudres de la Commission européenne ne sont pas tombés cet été sur le Luxembourg, mais sur l'Irlande. L'hiver risque cependant d'être agité pour le Luxembourg, car deux enquêtes approfondies de la Commission sont actuellement en cours à propos de "rulings" fiscaux pratiqués par ce pays en faveur d'Amazon et de McDonalds et qui poseraient les mêmes problèmes au regard des règles en matière d'aides d'Etat. D'ailleurs, en octobre 2015, la Commission avait déjà conclu que le Luxembourg et les Pays-Bas avaient accordé des avantages fiscaux sélectifs respectivement à Fiat et à Starbucks. En janvier 2016, ce sont les avantages fiscaux sélectifs accordés par la Belgique qui étaient la cible de la Commission.
9. C'est donc aujourd'hui l'Irlande qui se trouve la cible de la croisade de la Commission en faveur d'une fiscalité des entreprises plus juste et plus efficace (Plan d'action pour une fiscalité des entreprises plus juste et plus efficace au sein de l'Union du 17 juin 2016). Au demeurant, l'Irlande aurait pu ne pas être totalement mécontente de cette décision puisqu'elle devrait maintenant recevoir d'Apple les 13 milliards d'euros d'impôts impayés.
Sauf que l'Irlande ne l'entend pas ainsi et conteste fermement cette décision.
Le Parlement irlandais a décidé le mercredi 7 septembre de soutenir son Gouvernement dans sa volonté de faire appel de la décision de la Commission européenne.
Le Gouvernement estime que l'Irlande n'a pas accordé à Apple un traitement fiscal préférentiel et qu'aucune aide publique illégale ne lui a été fournie. Cette défense s'explique par le fait que l'économie de ce pays profite largement de son faible taux d'impôt sur les sociétés, l'un des plus bas d'Europe, à 12,5 % et que les multinationales présentes en Irlande emploient plus de 170 000 personnes, quasiment 10 % de la population active. La décision de la Commission européenne pourrait ruiner cette politique d'attractivité fiscale. D'un autre côté, la population irlandaise est plus partagée sur cette question, car les 13 milliards d'euros réclamés à Apple représentent tout de même l'équivalent de 5 % du PIB irlandais, ce qui pourrait soulager en partie le pays de sa cure d'austérité.
10. Si les esprits s'échauffent, l'analyse de la décision de la Commission européenne montre cependant que la politique d'attractivité fiscale de l'Irlande, et de tous les pays pratiquant les rulings, n'est nullement remise en cause.
En effet, il est rappelé que les rulings fiscaux, en tant que "lettres de confort émises par les autorités fiscales pour permettre à une société de savoir précisément comment son impôt sur les sociétés sera calculé ou pour l'informer sur l'utilisation de dispositions fiscales spécifiques, sont parfaitement légaux". Bien mieux, le communiqué de presse précise que "cette décision ne remet pas en cause le système fiscal général de l'Irlande, ni son taux d'imposition des sociétés".
En revanche, la Commission veille à ce que les Etats membres ne réservent pas à certaines entreprises un traitement fiscal plus favorable qu'à d'autres, que ce soit au moyen de rulings fiscaux ou par d'autres moyens.
11. De toute évidence, le droit des aides d'Etat fait partie intégrante des règles de concurrence dans l'Union européenne, son objectif étant d'éviter que la politique des Etats en matière de soutien aux entreprises situées sur leur territoire ne fausse la concurrence dans le marché intérieur. Ce droit particulier est régi par les articles 107 (N° Lexbase : L2404IPQ) et 108 (N° Lexbase : L2405IPR) TFUE, qui traitent respectivement des règles de fond et des règles de procédure.
Le paragraphe 1er de l'article 107 TFUE (ex-article 87 TCE) dispose que "sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions". A la simple lecture de ce texte, la notion d'"aide" apparaît comme étant plus générale que la seule notion de subvention.
Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que quatre conditions doivent être cumulativement réunies pour que l'on soit en présence d'une aide d'Etat (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00 N° Lexbase : A2343C9N : Rec. CJCE, 2003, I, p. 7747, pts. 74 et 75, et la jurisprudence citée, et, en matière fiscale, CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-126/01 N° Lexbase : A1832DA4 : Rec. CJCE, 2003, I, p. 13769, pts. 21 et s.). Il faut qu'existe un avantage au profit de certaines entreprises, la sélectivité de cet avantage, l'exigence selon laquelle l'aide doit être accordée au moyen de ressources d'Etat et être imputable à l'Etat et l'exigence selon laquelle le régime d'aide doit affecter les échanges entre Etats membres et fausser ou menacer de fausser la concurrence. La notion d'"aide d'Etat" comprend, par conséquent, non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions de l'Etat qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement pèsent sur une entreprise, par exemple un allégement fiscal pour une entreprise dont ne bénéficient pas ses concurrents.
12. Par exception à ce principe, les paragraphes 2 et 3 de l'article 107 (TFUE) précisent que les Etats membres peuvent néanmoins octroyer des "aides" d'Etat aux opérateurs économiques sous réserve de respecter des critères très stricts destinés à éviter que ces aides ne perturbent significativement la concurrence intracommunautaire. On notera en particulier le C du paragraphe 3 qui permet de considérer comme compatibles avec le marché commun "les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun".
13. Afin que la Commission puisse se prononcer sur l'application éventuelle d'une de ces dérogations à l'incompatibilité des aides, les Etats membres sont tenus, au titre de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE (ex-article 88 TCE), de lui notifier en temps utile sur base d'un questionnaire détaillé tous les projets tendant à instituer de nouvelles aides ou à modifier des aides existantes. Ces aides ne peuvent pas être accordées par les Etats membres avant que la Commission n'ait pris une décision finale à leur égard. La Commission se réserve le droit de prendre une décision provisoire enjoignant à l'Etat membre de récupérer, avec intérêts, une aide illégalement versée en attendant une décision finale de sa part sur la compatibilité de celle-ci.
Il apparaît fréquemment que les avantages fiscaux accordés par un Etat membre à une entreprise ne sont pas soumis à ce contrôle préalable. Cette situation résulte souvent du fait que l'Etat membre concerné ne s'est pas posé la question de savoir si l'avantage offert pouvait constituer une "aide d'Etat" et ne l'a donc pas soumis à l'approbation préalable de la Commission européenne. Les contribuables ayant bénéficié d'un tel avantage peuvent alors se voir réclamer l'ensemble des économies réalisées au cours des dix années précédentes, ce qui peut parfois les plonger dans de graves difficultés financières. C'est, par exemple, la mauvaise surprise qu'ont eue les contribuables ayant bénéficié des dispositions de l'article 44 septies du CGI (N° Lexbase : L4650I7D), qui les faisaient bénéficier d'une exonération temporaire d'IS au titre des bénéfices de ces entreprises lorsqu'ils reprenaient une entreprise en difficulté. La légalité de ce régime semblait conforme à la doctrine administrative (BOI 4 H-2-89, § 36 ; Dr. fisc., 1989, n° 20-21, instr. 9741) et aux lignes directrices communautaires concernant les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté. Malheureusement, la Commission européenne a déclaré ce dispositif illicite (Comm. CE, déc. n° 2004/343/CE, 16 décembre 2003) et l'Etat français a dû demander à ces contribuables de rembourser les aides dont ils avaient bénéficié depuis 1993 (v. sur cette affaire, CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-214/07 N° Lexbase : A2172EB3 : Dr. fisc., 2008, n° 47, act. 341 ; v. A. Maitrot de la Motte, Condamnation de la France pour absence de récupération d'aides d'Etat fiscales illégales ; Dr. fisc., 2008, n° 51, act. 365).
14. Comme le souligne Margrethe Vestager, ex-ministre des Finances danoise et Commissaire chargée de la Politique de concurrence depuis 2014 : "Les Etats membres ne peuvent accorder des avantages fiscaux à certaines entreprises triées sur le volet. Cette pratique est illégale au regard des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat. L'enquête de la Commission a conclu que l'Irlande avait accordé des avantages fiscaux illégaux à Apple, ce qui a permis à cette dernière de payer nettement moins d'impôts que les autres sociétés pendant de nombreuses années. En réalité, ce traitement sélectif a permis à Apple de se voir appliquer un taux d'imposition effectif sur les sociétés de 1 % sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu'à 0,005 % en 2014" (communiqué de presse de la Commission du 30 août 2016).
15. En effet, Apple a organisé ses activités de vente en Europe de telle manière que les clients achetaient contractuellement les produits à une filiale de droit irlandais, la société "Apple Sales International" plutôt qu'aux magasins qui leur vendaient physiquement les produits (sans compter qu'une autre filiale, "Apple Operations Europe", participait au montage). De ce fait, Apple enregistrait toutes les ventes, et les bénéfices qui en découlaient, directement en Irlande. Mais, selon deux rulings fiscaux émis par l'Irlande en 1991 puis 2007, l'immense majorité des bénéfices était en réalité affectée en interne à un "siège" d'Apple Sales International situé en dehors de l'Irlande. Ce "siège" n'était situé dans aucun pays, n'employait aucun salarié et ne possédait pas de locaux. Ses activités se limitaient à des réunions occasionnelles du conseil d'administration. Seule une fraction des bénéfices d'Apple Sales International était affectée à sa branche irlandaise et soumise à l'impôt en Irlande. La grande majorité restante des bénéfices étaient affectés au "siège", où ils échappaient à l'impôt.
Selon les chiffres communiqués lors d'auditions au Sénat américain, Apple Sales International a enregistré en 2011 des bénéfices d'environ 16 milliards d'euros. Mais, conformément au ruling fiscal, seuls 50 millions d'euros ont été considérés comme imposables en Irlande, ce qui représente un taux d'imposition effectif d'environ 0,05 % de ses bénéfices annuels totaux. Au cours des années suivantes, les bénéfices enregistrés par Apple Sales International ont continué d'augmenter sans que le montant imposable progresse ce qui aboutissait à un taux d'imposition effectif de seulement 0,005 % en 2014.
16. Si la Commission ne remet pas en cause le principe des rulings, elle veille à ce que les bénéfices soient répartis entre les sociétés d'un groupe, et entre différentes parties d'une même société, d'une manière qui reflète la réalité économique. Or, les rulings fiscaux émis par l'Irlande avalisaient une répartition interne artificielle des bénéfices au sein d'Apple Sales International, car la majorité des bénéfices de vente d'Apple Sales International était affectée à son "siège", alors que ce dernier n'avait pas la capacité opérationnelle d'exercer, ni de gérer l'activité de distribution, ni aucune autre activité concrète en la matière. Seule la branche irlandaise d'Apple Sales International, avec ses 5 000 salariés, avait la capacité de générer des revenus commerciaux tirés de la distribution de produits Apple. En conséquence, les bénéfices de vente d'Apple Sales International auraient dû être enregistrés par la branche irlandaise et être imposés en Irlande. Ces rulings fiscaux ont donc bien permis à Apple de payer nettement moins d'impôts que les autres sociétés, ce qui est illégal au regard des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat.
17. En matière de rulings, la sélectivité de l'avantage pourrait cependant susciter quelques interrogations dès lors que toutes les entreprises implantées dans l'Etat membre en bénéficient. Toutefois, il a déjà été jugé qu'un système fiscal conçu pour exempter de l'impôt les seules sociétés offshore relevait du régime des aides d'Etat nonobstant le fait qu'en l'espèce, celui-ci concernait la majorité des sociétés du territoire concerné, au cas d'espèce, 28 798 sociétés sur les 29 000 que comptait Gibraltar bénéficiaient de ce régime de faveur (CJUE, 15 novembre 2011, aff. C-106/09 et C-107/09 N° Lexbase : A9106HZB : Dr. fisc., 2012, n° 5, comm. 126, note E. Dubout et A. Maitrot de la Motte).
En revanche, il a également été jugé qu'une mesure conduisant à avantager certains opérateurs peut ne pas être sélective, si cet avantage ne découle que de la nature ou l'économie du système (en ce sens, L. Leclerc et J. du Pasquier, Aides d'Etat à caractère fiscal : mieux comprendre pour mieux se défendre. A propos des entreprises multinationales ayant bénéficié de rulings, Droit fiscal, n° 27, 2 juillet 2015, 453 ; voir aussi CJCE, 2 juillet 1974, aff. C-173/73 N° Lexbase : A6890AUQ : Rec. CJCE, 1974, p. 709 ; CJCE, 8 novembre 2001, aff. C-143/99 N° Lexbase : A5816AXP : Rec. CJCE, 2001, I, p. 8365 ; RJF, 2/2002, n° 248 ; P. Arhel, Petites Affiches, n° 21, 29 janvier 2002, pp. 17-18).
18. Une sanction originale. La sanction des aides illégales est pour le moins ésotérique. L'Irlande n'est pas juridiquement sanctionnée, car les traités européens ne prévoient pas cette possibilité. Mais la société Apple n'est pas non plus sanctionnée ! Les règles de l'UE en matière d'aides d'Etat requièrent que celles incompatibles avec le marché intérieur soient récupérées afin de supprimer la distorsion de concurrence qu'elles ont engendrée. Ces règles ne prévoient pas d'amendes et la récupération ne pénalise en principe pas la société en cause. Cette récupération sert simplement à rétablir l'égalité de traitement avec les autres sociétés. La Commission européenne n'a donc pas, à proprement parler, condamné Apple à verser à l'Irlande la totalité des avantages fiscaux indus perçus sur la période 2003-2014 (la Commission ne peut ordonner la récupération d'une aide d'Etat illégale que sur une période de dix ans précédant sa première demande de renseignements en la matière, soit 2013 en l'occurrence), soit 13 milliards d'euros. Elle a "seulement" condamné l'Irlande à récupérer ces 13 milliards d'euros auprès d'Apple.
19. On soulignera pour terminer que la structure fiscale d'Apple en Europe en tant que telle, ainsi que la question de savoir si les bénéfices auraient pu être enregistrés dans les pays où les ventes ont effectivement eu lieu, ne relevaient pas des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat. Dès lors, le montant d'impôts impayés à récupérer par les autorités irlandaises serait réduit si d'autres pays exigeaient d'Apple qu'elle paie plus d'impôts sur les bénéfices enregistrés par Apple Sales International pour cette période.
20. Epilogue. La décision concernant Apple a provoqué l'irritation des Etats-Unis qui considèrent que Bruxelles s'acharne à l'encontre des groupes américains. Il faut avouer que Google, l'autre géant américain des technologies, a reçu en juillet un troisième acte d'accusation de la Commissaire européenne, Mme Vestager. Après avoir dénoncé un abus de position dominante concernant son moteur de shopping, puis Android, son système d'exploitation mobile, c'est son offre de publicité sur internet qui est officiellement visé.
Le 24 août, le Trésor américain a publié une étude fournie dénonçant les enquêtes pour aides d'Etat illicites visant quelques-unes de ses entreprises. Le département du Trésor américain a souligné que "les actions de la Commission pourraient menacer de saper les investissements étrangers, le climat des affaires en Europe et l'important esprit de partenariat entre les Etats-Unis et l'Union européenne". En particulier, le Trésor accuse la Commission européenne d'imposer des pénalités rétroactives aux sociétés américaines et de ne pas suivre les recommandations de l'Organisation de coopération et de développement économiques en matière de coopération fiscale internationale. Mais la commissaire européenne Margrethe Vestager estime "qu'elle partageait le même objectif que les USA d'une imposition mondiale juste et équitable pour les citoyens". Selon l'exécutif européen, l'intervention du Trésor américain n'est qu'une tentative de lobbying "pro-Apple". D'ailleurs, malgré cette affaire, le nouvel iPhone 7 d'Apple est bien sorti en septembre en Europe.
21. Epilogue suite. Selon le quotidien "Les Echos" (édition du 8 septembre), la Commission européenne souhaite profiter des scandales fiscaux qui émaillent l'actualité internationale pour faire, d'ici le mois de novembre, de nouvelles propositions sur le thème de l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Rappelons que le choix du taux de l'impôt sur les sociétés est une prérogative des Etats et qu'une négociation sur un taux commun est improbable. Aussi, la Commission européenne avait proposé le 16 mars 2011 la Directive ACCIS visant à instaurer des règles communes, pour le calcul de l'assiette imposable des entreprises opérant en Europe. L'ACCIS permettrait à une multinationale d'appliquer les mêmes règles de calcul entre les Etats membres et même d'opter pour une déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'UE. Ces résultats seraient ensuite répartis entre chacune des sociétés qui le constituent par application du taux d'imposition de chaque Etat membre.
Alors même que l'ACCIS se présentait comme un régime optionnel, le projet piétinait. La première mouture présentée en 2011 n'ayant pas connu de suite, la Commission a présenté en juin 2015 une stratégie pour relancer l'ACCIS et une consultation publique s'est terminée le 8 janvier 2016 afin de déterminer les mesures clés à inclure dans la relance de la proposition de l'ACCIS.
Dorénavant, la Commission souhaite en faire un régime obligatoire pour les entreprises réalisant un chiffre d'affaires mondial de plus de 750 millions d'euros. L'ACCIS apparaît en effet comme une arme potentielle contre la lutte contre l'évasion fiscale et il semble dès lors plus pertinent de viser en priorité les multinationales qui pratiquent la planification fiscale.
La Commission cherchera, dans un premier temps, à obtenir un accord commun des Etats membres sur ce qui est soumis à l'impôt sur les bénéfices dans l'Union européenne. Dans un second temps, pour la déclaration fiscale consolidée, la Commission s'efforcera de trouver un consensus sur les modalités de détermination du montant de l'impôt sur les bénéfices dû dans chacun des pays de l'Union où le groupe opère, avec application du taux d'imposition propre à chaque Etat. Un problème essentiel sera à résoudre : selon quelles règles le bénéfice imposable européen sera-t-il réparti entre les Etats membres où l'entreprise est présente ? La Commission européenne devrait proposer trois facteurs affectés d'une même pondération : la main d'oeuvre, les immobilisations et le chiffre d'affaires.
La main d'oeuvre comprendrait la masse salariale, mais également les effectifs. Ainsi, il n'y a pas plus d'avantages pour les Etats où les salaires seraient élevés que pour les Etats où ils ne le seraient pas. Les immobilisations, quant à elles, ne comprendraient que les immobilisations corporelles. Les immobilisations incorporelles et les actifs financiers ne sont pas pris en compte dans le calcul en raison de leur caractère mobile et du risque accru de fraude. Enfin, le chiffre d'affaires permet de rendre compte du poids économique de l'Etat membre de destination.
L'affaire Apple révèle cependant que ce second volet devrait provoquer, de toute évidence, le plus de rejets de la part des pays qui ont jusqu'ici adopté une stratégie fiscale favorisant l'implantation de sièges sociaux de multinationales sur leur territoire.
II - La foudre est également tombée sur Jérôme Cahuzac
22. Jérôme Cahuzac a certainement passé un très mauvais été. Il avait posé une question prioritaire de constitutionnalité estimant que le cumul des poursuites pénales et fiscales portait atteinte au principe de nécessité des délits et des peines. Plus précisément, le requérant soutenait que les sanctions administratives et pénales respectivement instituées par les articles 1729 (N° Lexbase : L4733ICB) et 1741 (N° Lexbase : L9491IY8) du CGI s'appliquent aux mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une nature et d'une sévérité équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction. L'application combinée de ces deux articles serait contraire au principe de nécessité des délits et des peines ainsi qu'au principe de proportionnalité des peines, garantis par l'article 8 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P). Mais le Conseil constitutionnel a décidé le 24 juin 2016 que la législation applicable n'était pas contraire à la Constitution (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC N° Lexbase : A0909RU9 ; voir aussi n° 2016-546 QPC).
23. Une telle décision a pu surprendre, car, en matière de cumul de poursuites relatives à un manquement d'initié (devant l'Autorité des marchés financiers) et à un délit d'initié (devant le juge pénal), le Conseil constitutionnel avait estimé qu'un tel cumul des poursuites pouvait porter atteinte au principe de nécessité des délits et des peines (décisions rendues le 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC N° Lexbase : A7983NDZ). A la suite de cette décision, la loi du 21 juin 2016 a d'ailleurs réformé le système de répression de ces abus en interdisant le cumul des poursuites pénales et administratives à l'encontre d'une personne ayant commis un même abus de marché (délit d'initié, manipulation de cours, diffusion de fausses informations, etc.) (loi n° 2016-819 N° Lexbase : L7614K8I). Cette loi est entrée en vigueur le 15 aout 2016 à la suite de la parution au de son décret d'application (décret n° 2016-1121 du 11 août 2016 N° Lexbase : L7568K98).
En matière fiscale, la solution est inverse, le cumul des sanctions pénales et fiscales ne heurtant pas les principes constitutionnels. A vrai dire, les commentateurs ont souligné que la personnalité du demandeur de la QPC n'était certainement pas étrangère à cette décision (V. Dussart, Cumul des sanctions pénales et fiscales : une validation constitutionnelle définitive ?, Lexbase, éd. fisc., n° 664, 2016 N° Lexbase : N3859BWT).
24. D'ailleurs, dès la fin des vacances judiciaires, les poursuites pénales ont repris à l'encontre de Jérôme Cahuzac.
Selon les avocats de l'Etat et de la Direction générale des Finances publiques qui ont plaidé le 14 septembre, l'audience aurait révélé une "fraude sophistiquée", inscrite dans la durée et témoignant de la "faute grave" d'un ministre qui prétendait que "payer l'impôt est le premier geste citoyen". La procureure Eliane Houlette a requis trois ans de prison ferme à l'encontre de l'ancien ministre du Budget pour fraude fiscale et blanchiment, estimant que c'était le prix de la "trahison" pour avoir "sacrifié tous les principes pour l'appât du gain". Deux ans de prison ferme ont été également requis à l'encontre de la femme de Jérôme Cahuzac, qui aurait "surpassé" son mari "dans la dissimulation de ses avoirs au fisc".
Si la condamnation ne sera connue qu'en novembre, il semble tout de même possible de revenir sur la position du Conseil constitutionnel.
25. En effet, durant l'été, le Conseil a de nouveau été saisi d'une question portant sur le cumul des sanctions pénales et fiscales. L'affaire "Cahuzac" concernait un cas de cumul entre pénalités fiscales prévues par l'article 1729 du CGI (pénalité de 40 % pour manquement délibéré ou de 80 % pour manoeuvres frauduleuses ou abus de droit) et sanction pénale pour fraude fiscale prévue par l'article 1741 du CGI. L'analyse de ces dispositions s'est faite dans leur version applicable à la date de prévention, c'est-à-dire, pour l'article 1729 sa rédaction issue de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 (N° Lexbase : L3784IC7), et pour l'article 1741 sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L4518IS7).
26. Le 22 juillet 2016, le Conseil constitutionnel s'est également prononcé sur l'application cumulée des dispositions de l'article 1729 et 1741 du CGI, mais dans une version antérieure (Cons. const., 22 juillet 2016, n° 2016-556 QPC N° Lexbase : A7432RXK). En particulier, étant soumis à discussion les mots "soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt" figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du CGI dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit (loi n° 2009-526 N° Lexbase : L1612IEG). Cependant, la seule modification apportée à l'article 1741 par la loi du 12 mai 2009 a consisté en la suppression de l'alinéa de cet article prévoyant l'alourdissement des sanctions en cas de récidive dans le délai de cinq ans. Dès lors, sans surprise et pour les mêmes motifs, le Conseil constitutionnel décide que ces textes sont conformes à la Constitution sous certaines réserves déjà évoquées dans l'affaire "Cahuzac". Autrement dit, les articles 1729 et 1741 sont conformes à la Constitution, car ils "permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'Etat ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l'engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves" (considérant n° 20). Cette analyse se justifie par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale qui découle de l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A) disposant que "pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".
27. Le Conseil constitutionnel a néanmoins ajouté les trois réserves suivantes.
D'une part, le cumul doit être réservé aux cas de fraude les plus graves, cette gravité pouvant notamment résulter du montant des droits éludés, de la nature des agissements du contribuable ou des circonstances dans lesquelles ceux-ci sont intervenus.
D'autre part, si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (considérant n° 24).
Enfin, le principe de nécessité s'oppose à ce que les dispositions de l'article 1741 permettent qu'un contribuable déchargé de l'impôt pour un motif de fond, par une décision juridictionnelle devenue définitive, fasse l'objet d'une condamnation pour fraude fiscale (considérant n° 13).
Il en ressort qu'une personne ayant obtenu du juge fiscal la décharge de l'impôt ne pourra plus faire l'objet de poursuites pénales pour les mêmes faits. Il s'agit cependant d'une avancée timide, car seule la décharge de l'impôt pour un motif de fond par une décision juridictionnelle devenue définitive permet d'éviter la condamnation pour fraude fiscale. La règle ne s'applique donc pas si le juge pénal vient à statuer alors qu'une décision préalable du juge fiscal pourrait encore être contestée. Elle ne s'applique pas non plus dans le cas où le juge pénal rendrait sa décision alors que le juge fiscal ne se serait pas encore prononcé.
28. Les décisions du Conseil constitutionnel laissent aux magistrats une grande marge d'interprétation, en particulier pour définir "les cas les plus graves" dans lesquels le juge pénal devrait renoncer à sa propre compétence. Même si le Conseil a précisé que cette gravité pouvait "notamment résulter du montant des droits éludés, de la nature des agissements du contribuable ou des circonstances dans lesquelles ceux-ci sont intervenus", il est à craindre que ces critères ne fassent l'objet d'interprétations très différentes d'un juge à l'autre et créent ainsi une insécurité juridique importante. On rappellera cependant que l'administration fiscale possède le monopole des poursuites pénales et que l'intervention de la Commission des infractions fiscales est nécessaire pour qu'une action puisse être engagée.
29. Pour finir, on soulignera que la jurisprudence du Conseil constitutionnel semble en retrait par rapport à celle, plus protectrice du justiciable, de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Dans une affaire concernant la Grèce, des requérants se plaignaient qu'en n'ayant pas, de fait, pris en compte leurs acquittements par les juridictions pénales, les juridictions administratives avaient enfreint la présomption d'innocence consacrée à l'article 6 § 2 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et le principe ne bis in idem issu de l'article 4 du Protocole n° 7 à la CESDH, selon lequel "nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure de cet Etat". En accueillant leur demande, la Cour européenne des droits de l'Homme rappelle qu'une personne acquittée au pénal ne peut se voir infliger ultérieurement des pénalités à raison des mêmes faits devant le juge fiscal (CEDH, 30 avril 2015, Req. 3453/12, 42941/12 et 9028/13 N° Lexbase : A3394NH8). Plus récemment, la CEDH a tenu audience le 13 janvier 2016 dans une affaire où deux contribuables se plaignaient d'avoir été reconnus coupables et sanctionnés pénalement pour des infractions fiscales après s'être vu appliquer des majorations d'impôt pour les mêmes faits (CEDH, 13 janvier 2016, Req. 24130/11 et 29758/11). Le fait que la Grande chambre, composée de 17 magistrats, ait été saisi atteste de l'importance de cette affaire qui ne concerne que l'application du principe "ne bis in idem". Si cette décision est très attendue, une éclaircie fiscale est apparue à la fin de l'été.
III - L'éclaircie fiscale apparaît
30. La campagne présidentielle a déjà commencé et une concorde semble se dégager en matière d'impôt sur les sociétés.
Les différents candidats à la primaire de la droite s'accordent tous pour baisser l'IS, même si le seuil diffère selon les impétrants (informations recueillies sur le site de la fondation Ifrap).
Bruno Le Maire fait une proposition originale en annonçant un treizième mois défiscalisé pour toutes les entreprises qui auront réussi à dégager des bénéfices plus importants.
François Fillon suggère de baisser de 50 milliards de prélèvements sur les entreprises, en donnant la priorité à la baisse des prélèvements pesant sur le coût du travail et en réduisant l'IS. Jean-François Copé est plus précis en indiquant qu'il conviendrait de baisser de 5 milliards d'euros par an de l'impôt sur les sociétés. Cette baisse est plus importante que celle proposée par Nicolas Sarkozy. Ce dernier envisage une baisse du taux de l'IS à moins de 28 % pour un coût estimé de 3 milliards d'euros. Cette proposition rejoint celle d'Hervé Mariton qui souhaite une stabilité fiscale sur la durée du mandat, afin de redonner confiance aux investisseurs, et une harmonisation de l'IS au niveau européen avec un taux entre 25 et 30 %.
Nathalie Kosciusko-Morizet se montre plus ambitieuse en proposant de baisser l'IS à 25 %, pour un coût estimé de 9 milliards d'euros. Pour cette dernière, il faudrait également augmenter le plafond de chiffre d'affaires éligible au taux réduit pour les PME de 7,6 millions à 15 millions, soit un coût estimé de 7 milliards.
Pour Alain Juppé, il faudrait faire évoluer le taux de l'impôt sur les sociétés vers la moyenne européenne, c'est-à-dire vers 22 %.
31. Face à ces propositions, le Gouvernement n'a pas tardé à réagir en annonçant la mise en place d'un taux d'IS à 28 % pour les PME.
Rappelons que les entreprises sont actuellement soumises à un taux normal d'impôt sur les sociétés (IS) de 33,1/3 %. Les PME bénéficient, en revanche, d'un taux réduit de 15 % jusqu'à 38 120 euros de résultat imposable. Ce taux réduit est réservé aux PME dont le chiffre d'affaires n'excède pas 7 630 000 euros.
Le ministre de l'Economie et des Finances a annoncé une imposition progressive de toutes les sociétés au taux de 28 %, d'ici 2020.
Les PME bénéficieront de ce taux intermédiaire dès 2017, pour la quote-part de bénéfices inférieure à 75 000 euros. Plus précisément, pour 2017, le barème de l'IS comprendrait trois tranches pour les PME de moins de 7,63 millions d'euros et deux pour les sociétés de moins de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires HT. Pour les entreprises de moins de 7,63 millions d'euros de chiffre d'affaires HT, le taux de l'IS sera de 15 % pour les bénéfices compris entre 0 et 38 120 euros, de 15 % pour bénéfices compris entre 38 120 et 75 000 euros, et de 33,1/3 % pour la part des bénéfices supérieure à 75 000 euros. Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires serait compris entre 7,63 et 50 millions d'euros, le taux de l'IS sera de 28 % pour les bénéfices inférieurs à 75 000 euros, et de 33,1/3 % pour part des bénéfices supérieure. Pour les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros, l'intégralité du bénéfice soumis au taux de 33,1/3 %
Pour 2018, le taux d'IS devrait être de 28 % pour toutes les entreprises jusqu'à 500 000 euros de bénéfices.
Pour 2019, le taux d'IS serait de 28 % sur l'ensemble des bénéfices des entreprises de moins de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires.
Enfin, en 2020, il y aurait une généralisation du taux d'IS à 28 % à toutes les entreprises.
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