La lettre juridique n°664 du 21 juillet 2016 : Notaires

[Jurisprudence] Procédure disciplinaire contre un notaire : respect du contradictoire

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2016, n° 15-11.243, F-P+B (N° Lexbase : A8525RR8)

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Lyon III

le 21 Juillet 2016

Le droit disciplinaire notarial doit respecter le principe du contradictoire interprété à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : spécialement, la décision doit constater que le notaire avait reçu communication des conclusions écrites du procureur, afin d'être en mesure d'y répondre ; et l'équité du procès implique que le notaire poursuivi soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier. Telle est la solution retenue par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 1er juillet 2016. On constate, depuis quelque temps, une inflation du contentieux disciplinaire notarial devant les juridictions suprêmes, dans l'espoir d'une annulation de la sanction au motif de son illégalité de fond ou de forme. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a déjà été saisi à de multiples reprises de questions prioritaires de constitutionnalité concernant certains points du droit disciplinaire notarial (1). Parfois à juste titre : ainsi a été déclaré partiellement inconstitutionnel l'article 4 de l'ordonnance du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires (N° Lexbase : L7650IGG) (2). La présente espèce s'inscrit donc dans ce contexte plus général.

En l'espèce, un notaire avait été déclaré coupable d'infractions aux règles professionnelles notariales, et l'autorité disciplinaire avait prononcé à son encontre la peine de destitution outre diverses peines complémentaires. D'ailleurs, les faits ne semblent pas vraiment niés par le notaire concerné, ce dernier cherchant surtout à s'en expliquer ou à en relativiser la portée : retard de formalités (publication non faite plusieurs mois après le délai prévu pour la publicité foncière), approximation de rédaction (un acte mentionne une personne comme comparante, et la fin de l'acte précise que le concerné est en fait décédé depuis plusieurs mois), erreurs dans l'application du tarif des notaires au détriment du client (mais que le concerné rectifie lorsqu'elles sont mises en évidence par les inspecteurs comptables), et surtout une situation financière précaire, voire obérée. Là où se défend réellement le notaire, et là où se porte donc le débat, est de savoir si de tels faits peuvent relever d'une sanction disciplinaire. Et le notaire mis en cause invoque notamment à son soutien la jurisprudence selon laquelle seuls les usages mentionnés au règlement, approuvé par le ministre de la Justice, peuvent servir de fondement à une sanction disciplinaire, à l'exclusion des autres directives émanant des instances professionnelles (3).

La Cour de cassation n'esquisse pourtant aucune réponse sur la question du fond. Car, les motifs formels lui semblent suffisants pour casser entièrement la décision contre laquelle un pourvoi est formé. Une première série de motifs, classiques, tient au rôle du président de la chambre de discipline (II). Une seconde série, plus intéressante, découle du principe du contradictoire interprété à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (I).

I - Irrespect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme

Les textes en matière de discipline ne prévoient que peu de garanties procédurales pour le notaire mis en cause. Au plus, est-il prévu que le notaire peut prendre connaissance au secrétariat-greffe des pièces du dossier le concernant (4). Raison pour laquelle les personnes mises en cause cherchent un secours dans les textes sur le procès équitable contenus dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, cette convention ayant une valeur supra-législative.

Parfois, cette invocation est vaine. Ainsi, il a été jugé que la peine pénale complémentaire d'interdiction d'exercer une certaine activité professionnelle et la sanction disciplinaire de destitution, susceptible de frapper un notaire, sont de nature différente, de sorte qu'un notaire peut bien être condamné au deux sans violation du principe non bis in idem (droit à ne pas être puni deux fois), notamment prévu à l'article 4 du protocole n° 7 adjoint à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (5). De même, il a été jugé que, le ministère public étant l'autorité de contrôle de l'activité notariale, le fait qu'il exerce les poursuites disciplinaires justifiées par les anomalies qu'il est amené à constater ne constitue pas une atteinte au droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (6).

De plus en plus souvent, néanmoins, le recours au texte européen est reconnu comme justifié. Ainsi, est considéré comme une violation de l'article 6 de la Convention européenne, le fait pour le notaire mis en cause de n'obtenir qu'en appel copie des plaintes des clients ayant déclenché son inspection, le privant ainsi d'un double degré de juridiction en matière disciplinaire (7). Sur le fondement du même texte, il a également été estimé qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne peut pas être partie au recours contre ses propres décisions, sauf à violer l'exigence d'un procès équitable (8).

En l'espèce, c'est de nouveau cet article 6, § 1, de la Convention qui est invoqué, en ce qu'il garantit le droit à un procès équitable (9). Est également visé l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), qui pose le principe du contradictoire, et dont l'idée est implicitement contenue dans le premier texte. Sur la base de ces textes, deux solutions sont ici déduites. Sur le premier point, il est décidé que, en matière disciplinaire, le notaire mis en cause ou son avocat doit pouvoir avoir la parole en dernier. La décision ne précisant pas que tel fut le cas, celle-ci se trouve censurée de ce chef. Dans un premier temps, la jurisprudence estimait que la Convention européenne impliquait seulement le droit de demander à avoir la parole en dernier (10). Désormais, la décision disciplinaire doit constater que le mis en cause ou son conseil a été invité à prendre la parole en dernier. D'abord jugé dans le cas d'une procédure disciplinaire contre un avocat (11), la solution est ici logiquement étendue à l'hypothèse du notaire. Sur le second point, il est décidé que la décision disciplinaire doit constater que le notaire et son avocat ont reçu communication des conclusions écrites du procureur, afin d'être en mesure d'y répondre utilement. Là encore, ce point fut déjà jugé dans le cas d'un huissier (12), et la solution est logiquement étendue au notaire (13).

Sur tous ces points, la jurisprudence nationale s'aligne sur la jurisprudence européenne. En effet, la Cour européenne des droits de l'Homme estime que la procédure disciplinaire relève du droit à un procès équitable (14). Elle considère également que le respect du principe de l'égalité des armes commande que la personne ait communication des observations du procureur, avec la possibilité de les commenter (15). Tout comme elle considère d'importance que la personne poursuivie puisse avoir la parole en dernier (16).

II - Irrespect de la procédure disciplinaire notariale

Le notaire peut être poursuivi disciplinairement, soit devant la chambre de discipline, soit devant le tribunal de grande instance (17). Toutes les peines, dont la plus grave, la destitution, peuvent être prononcées par le tribunal ; alors que la chambre de discipline ne peut prononcer que les peines les plus légères (18). L'espèce relevait donc de la première hypothèse. L'action disciplinaire devant le tribunal de grande instance est en principe exercée par le procureur de la République, même si cette action peut également être exercée par le président de la chambre de discipline agissant au nom de celle-ci, ainsi que par toute personne qui se prétend lésée par le notaire (19).

Le tribunal de grande instance est saisi en matière disciplinaire par assignation délivrée au notaire soit à la requête du procureur de la République, soit à celle du président de la chambre de discipline ou de la personne qui se prétend lésée (20). Les débats ont lieu en chambre du conseil, le ministère public étant entendu (21). Le président de la chambre de discipline présente également ses observations, le cas échéant, par l'intermédiaire d'un membre de la chambre (22).

Désormais, la chambre de discipline est une émanation du conseil régional des notaires (23). Cette formation disciplinaire comprend au moins cinq membres, de droit et désignés parmi les délégués au conseil régional (24). En sont membres de droit le président du conseil régional qui la préside, les présidents de chambre départementale ainsi que, le cas échéant, les vice-présidents de chambre interdépartementale (25).

La jurisprudence est stricte à ce propos. Le tribunal doit entendre le président de chambre ou son représentant (26), ce dernier ayant pour rôle d'éclairer la juridiction sur les aspects techniques de la profession notariale (27). Pour cette raison, le président ne peut pas se faire représenter dans ce rôle par un avocat (28). En l'espèce, c'est le président de la chambre départementale qui a été entendu. Certes, ce dernier est bien membre de la chambre de discipline. Mais cette qualité ne suffit pas, encore faut-il qu'il ait reçu mandat en ce sens du président de la chambre de discipline. Dans le même temps, le président de ladite chambre était bien présent à l'audience, ce dont la décision porte mention. Mais la même décision ne précise pas si ce dernier a bien présenté ses observations, comme cela est prévu par les textes. Aussi, sans surprise au regard de la jurisprudence en la matière, la décision est logiquement censurée pour ce double vice de procédure (29).


(1) Par ex., Cons. const., décision n° 2014-385, QPC du 28 mars 2014 (N° Lexbase : A9892MHT).
(2) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 4, al. 3 censuré par décision du Conseil constitutionnel du 27 janvier 2012 (Cons. const., décision n° 2011-211 QPC, du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4116IB3).
(3) Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB) ; JCP éd. N, 2013, n° 6, 1020, note G. Rouzet.
(4) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, art. 14 (N° Lexbase : L4092IB8).
(5) Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-50.012, FS-P+B (N° Lexbase : A5344NGZ), JCP éd. N, 2015, n° 30, 1135, note J.-M. Brigant. Voir déjà, dans le même sens, au visa de l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P) : Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-18.770 (N° Lexbase : A1120ATN) ; Bull. civ. I, n° 85.
(6) Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 00-16.319 (N° Lexbase : A4018ATY).
(7) Cass. civ. 1, 13 décembre 2002, n° 00-21.301, F-D (N° Lexbase : A7139A3S).
(8) Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-19.017, F-D (N° Lexbase : A5311NUA), JCP éd. N, 2016, n° 4, 1042, note G. Rouzet.
(9) Ce texte dispose : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice".
(10) Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 00-21.301 (N° Lexbase : A7139A3S).
(11) Cass. civ. 1, 16 mai 2012, n° 11-17.683, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7139A3S), JCP éd. N, 2012, n° 22, act. 570.
(12) Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-12.598, FS-P (N° Lexbase : A5570AXL).
(13) Déjà, dans le même sens, Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB).
(14) CEDH, 23 juin 1981, Req. 6878/75 (N° Lexbase : A7178MK3).
(15) CEDH, 24 novembre 1997, Req. 138/1996/757/956 (N° Lexbase : A7660AWM).
(16) CEDH, 5 mars 2013, Req. 36605/04 (N° Lexbase : A4441I9D).
(17) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 5.
(18) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 9.
(19) Ordonnnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 10.
(20) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 13.
(21) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 16.
(22) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 16.
(23) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1.
(24) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1.
(25) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1
(26) Cass. civ. 1, 3 novembre 1993, n° 92-13.402 (N° Lexbase : A5392ABC), Defrénois, 1994, art. 35714, obs. G. Rouzet. Cass. civ. 1, 3 novembre 1993, n° 92-13.402 (N° Lexbase : A5392ABC).
(27) Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-14.816, F-D (N° Lexbase : A7849NMN).
(28) Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 96-16.702 (N° Lexbase : A7961C7Y) ; Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 03-21.056, F-D (N° Lexbase : A4510DHI) ; JCP éd. N, 2005, n° 23, act. 275 ; Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 04-19.483, F-P+B (N° Lexbase : A5638DLE) ; JCP éd. N, 2005, n° 50, act. 630.
(29) Déjà, dans le même sens, Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB).

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