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par Marine Parmentier, Avocat au barreau de Paris
le 21 Juillet 2016
Le droit de rétractation trouve son assise juridique dans l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2018KGT) qui dispose notamment que : "pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte".
Le délai de rétractation, initialement de sept jours, a été porté à dix jours par la loi "Macron" du 6 août 2015 (1). Ce nouveau délai est entré en vigueur le 8 août 2015 et concerne les contrats conclus à compter de cette date.
Les articles D. 271-6 (N° Lexbase : L1290K8B) et D 271-7 (N° Lexbase : L1291K8C) du Code de la construction et de l'habitation encadrant la mention manuscrite à insérer à l'avant-contrat en cas de remise en main propre de l'acte viennent d'être harmonisés avec le nouveau délai de dix jours par décret du 11 mai 2016 (2).
Rappelons qu'il existe un délai spécifique de rétractation de sept jours applicable aux promesses unilatérales de vente portant sur un terrain issu d'un lotissement soumis à permis d'aménager (C. urb., art. L. 442-8 N° Lexbase : L3480HZW).
En revanche, le délai de quatorze jours qui avait été prévu par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 (3) spécifiquement pour protéger les consommateurs lorsque le contrat était conclu "hors établissement" (4) vient d'être exclu, par la loi "Macron", en ce qui concerne les transactions immobilières. Ce délai pouvait, par exemple, s'appliquer pour les avant-contrats qui étaient signés dans le cadre de vente sur plans dans un appartement témoin.
Aujourd'hui, demeurent donc les deux délais de sept et dix jours susvisés pour l'exercice du droit de rétractation.
Quant au point de départ de ce délai en cas de vente d'un lot de copropriété, rappelons que la loi "ALUR" (5) a mis à la charge du vendeur l'obligation de transmettre à l'acquéreur un nombre important d'informations au stade de l'avant-contrat, sous peine de reporter le point de départ du délai de rétractation au lendemain du jour où la remise est effectivement faite (CCH., art. L. 721-2 [LXB= L8656KGP] et L. 721-3 N° Lexbase : L8657KGQ).
Ainsi, l'article L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation précise que "lorsque les documents et les informations [...] exigibles [...] ne sont pas remis à l'acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente, le délai de rétractation prévu à l'article L. 271-1 ne court qu'à compter du lendemain de la communication de ces documents et informations à l'acquéreur".
Les formalités de cette remise ont été simplifiées par ordonnance du 27 août 2015 (6) qui a modifié l'article L. 721-2 prévoyant désormais que : "la remise des documents peut être effectuée sur tous supports et par tous moyens, y compris par un procédé dématérialisé sous réserve de l'acceptation expresse par l'acquéreur. L'acquéreur atteste de cette remise soit dans l'acte contenant la promesse de vente par sa simple signature lorsqu'il s'agit d'un acte authentique soit, lorsque l'acte est établi sous seing privé, dans un document qu'il signe et qu'il date de sa main".
II - Le champ d'application du droit de rétractation
Littéralement, l'article L. 271-1 ne s'applique qu'à tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière.
Dans un arrêt du 4 février 2016 (7), la Cour de cassation a indiqué que le droit de rétractation n'est pas applicable lorsque la promesse porte sur la vente d'un terrain à bâtir. En effet, la faculté de rétractation prévue par l'article L. 271-1 précité ne concerne que les actes ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation.
Rappelons que la Cour de cassation a exclu du champ d'application du droit de rétractation les immeubles à usage mixte d'habitation et professionnel (8).
Eu égard à la qualité de l'acquéreur, rappelons que le droit de rétractation est ouvert à l'acquéreur non professionnel. Il a ainsi été jugé qu'une SCI, dont l'objet social est l'acquisition, l'administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers meublés et aménagés avait conclu une promesse de vente en rapport direct avec cet objet social, n'est pas un acquéreur non professionnel et ne peut donc pas bénéficier des dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (9).
III - La régularité de la notification conditionne l'écoulement effectif du délai de rétractation
Les modalités de la notification. Il résulte de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation que l'avant-contrat est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte.
La notification en cas de pluralité d'acquéreurs. Comment s'assurer que le délai de notification a bien couru, notamment lorsque le vendeur est en présence d'une pluralité d'acquéreurs ?
Lorsque les acquéreurs sont mariés, pacsés ou en concubinage, il est vivement recommandé de leur adresser une notification à chacun par lettre recommandée avec avis de réception. Même si cette formalité est respectée, il n'est pas exclu que l'un des époux réceptionne au nom des deux les deux lettres de notification. Une telle situation vient d'être soumise à la Cour de cassation. Les acquéreurs, des époux, avaient signé la promesse mais avaient refusé de réitérer l'acte devant notaire. Pour justifier leur positionnement, ils faisaient valoir que la notification n'avait pas été faite à l'égard de Madame, les deux avis de réception ayant été signés par le mari seulement.
Le vendeur faisait alors valoir que la Poste ne se décharge des lettres recommandées que par leur remise contre reçu au destinataire ou à son fondé de pouvoirs. Ainsi, si la notification prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation est faite par lettres recommandées distinctes adressées à chacun des époux acquéreurs, la signature par l'un d'entre eux de chacun des deux accusés de réception, faisant présumer que le signataire a reçu pouvoir de se faire délivrer la lettre au nom de son conjoint, suffit à faire produire à la notification tous ses effets.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2016 (10), rejette cet argumentaire. En l'espèce, l'accusé de réception de l'acte sous seing privé n'avait pas été signé par l'épouse et il n'est pas certain que cet acte lui ait été personnellement notifié. En outre, l'époux ne disposait d'aucun pouvoir exprès pour recevoir l'acte à sa place. Ainsi, le délai de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation n'a pas couru pour l'épouse et l'avant-contrat est annulé.
Même en présence d'époux, le pouvoir de représentation en ce domaine ne se présume pas. La Cour de cassation l'avait précédemment admis dans un arrêt du 9 juin 2010 pour le cas d'une notification faite par lettre unique aux deux époux acquéreurs, mais dont l'avis de réception n'était signé que par l'un d'eux (11). Par cette décision, la Cour de cassation indique qu'une notification effectuée non par lettres distinctes, adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une lettre unique libellée au nom des deux, ne peut produire d'effet à l'égard des deux époux que si l'avis de réception est signé par chacun d'eux ou si l'époux signataire était muni d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint.
Récemment encore, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 2 juin 2016 (12), qu'est régulière une notification faite à trois acquéreurs (des époux et leur fille) par lettres distinctes envoyées au domicile de la fille à laquelle les parents avaient donné mandat de prendre en leur nom toutes les décisions relatives à l'achat de la propriété, la fille ayant signé les trois avis de réception, sans aucune protestation.
Le contenu de la lettre de notification. Il a été jugé qu'ajoute à l'exigence légale de notification de l'acte prévue à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel qui retient que le délai de rétractation n'a pas couru au motif que la lettre recommandée de notification ne faisait aucune référence à la faculté de rétractation ouverte aux acquéreurs (13). Ce principe vient d'être réaffirmé par la Cour de cassation dans l'arrêt du 2 juin 2016 précité (Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D N° Lexbase : A8597RRT), la Haute juridiction approuvant les juges du fond qui avaient retenu que l'agence immobilière n'était pas tenue de mentionner dans la lettre de notification la faculté de rétractation des acquéreurs (en l'occurrence, il s'agissait en outre d'acquéreurs belges prétendant ignorer le régime du droit de rétractation).
Les effets d'une notification irrégulière. La notification irrégulière ne fait pas courir le délai de rétractation de sorte que le vendeur n'est pas assuré de la sécurité juridique de l'opération projetée...
Il a ainsi été jugé que lorsque le délai de rétraction n'a pas couru, la notification par l'acquéreur dans l'instance l'opposant à son vendeur de conclusions par lesquelles il déclare exercer son droit de rétractation satisfait aux exigences de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (14).
La sanction est donc lourde de conséquences...
Quels sont les recours du vendeur qui se voit opposer une notification irrégulière ? Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 10 mars 2016, le vendeur a tenté d'engager la responsabilité de l'intermédiaire, agent immobilier, en lui reprochant de ne pas avoir été vigilant sur cette problématique de signature. La Cour de cassation réfute également cet argumentaire en soulignant que sa mission ne s'étendait pas à la vérification des signatures des accusés de réception...
Donc, sauf obligation particulière mise à sa charge, l'agent immobilier ne peut voir sa responsabilité engagée de ce seul chef.
Quels sont les effets d'une signature de l'acte notarié sur une notification irrégulière ? Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique -eu égard à une notification irrégulière de l'avant-contrat- vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de toute irrégularité par la suite.
Ainsi, dans un arrêt du 10 mars 2016 (15), la Cour de cassation a indiqué qu'en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient plus prétendre exercer leur droit de rétractation.
Dans cette affaire, des époux avaient conclu avec un promoteur un contrat de réservation d'un appartement en l'état futur d'achèvement, dans une résidence de tourisme, vente ouvrant droit à réduction d'impôt sous condition de consentir un bail pour une durée minimale de neuf ans. La vente a ensuite été réitérée par acte authentique et les acquéreurs ont conclu un contrat de bail commercial portant sur la location de l'appartement acquis. Après réception des travaux les acquéreurs se plaignant de malfaçons et de la destination thérapeutique du local vendu, ont, après expertise, assigné le vendeur en annulation de la vente.
Cette demande était rejetée par les juges du fond, raisonnement confirmé par la Cour de cassation. La Haute juridiction relève que l'acte authentique de vente mentionne que celle-ci avait été précédée d'un contrat préliminaire établi par acte sous seing privé du 17 janvier 2004 avec avenant du 1er mai 2004, pour lesquels les acquéreurs reconnaissaient que les prescriptions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation avaient été respectées. Par conséquent, en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient prétendre exercer leur droit de rétractation.
Dans un autre arrêt du 7 avril 2016 (16), la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique de vente vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de l'irrégularité de la notification du droit de rétractation.
En l'espèce, des époux avaient acquis d'un promoteur un appartement et un emplacement de stationnement en l'état futur d'achèvement, au titre d'un projet d'investissement locatif ouvrant droit à défiscalisation. Les acquéreurs, invoquant des manoeuvres dolosives de la part du vendeur, ont assigné notamment le vendeur en nullité de la vente et paiement de dommages-intérêts.
Au soutien de leur argumentaire, ils faisaient notamment valoir une notification irrégulière de l'avant-contrat qui n'aurait pas fait courir le délai de rétractation. La Cour de cassation rejette leur pourvoi et considère que, dès lors qu'ils avaient tous deux signé l'acte authentique de vente, sans émettre de réserve quant à l'absence de notification du contrat préliminaire de réservation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception séparée à chacun d'entre eux, ils avaient ainsi renoncé à se prévaloir d'une quelconque irrégularité de la notification de l'avant-contrat.
Ces deux décisions, si elles ont le mérite de faire primer la sécurité juridique de l'opération, sont importantes en pratique puisque les acquéreurs devront avoir pleine conscience, en signant l'acte authentique de vente, qu'une clause souvent de "style" reconnaissant la régularité de la notification peut être lourde de conséquences sur leur faculté à se prévaloir ensuite d'une potentielle irrégularité...
***
En conclusion, les praticiens, qu'il s'agisse d'intermédiaires traditionnels, d'avocats mandataires en transactions immobilières ou de notaires, doivent être très vigilants quant à la notification de l'avant-contrat entrant dans le champ d'application du droit de rétractation, ceci au regard de l'évolution des textes et des décisions jurisprudentielles n'ayant de cesse d'encadrer la mise en oeuvre de ce droit, parfois guidées par la protection de l'acquéreur, d'autres fois avec la volonté d'assurer la sécurité juridique de l'opération immobilière.
(1) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(2) Décret n° 2016-579 du 11 mai 2016 modifiant les articles D. 271-6 et D. 271-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1209K8B).
(3) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX).
(4) C. consom., art. L. 121-21 ancien (N° Lexbase : L7773IZW ; cf. désormais, C. consom., art. L. 221-18 N° Lexbase : L1567K78 et L. 242-3 N° Lexbase : L1406K79) : "le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 121-21-3 à L. 121-21-5. Toute clause par laquelle le consommateur abandonne son droit de rétractation est nulle".
(5) Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY).
(6) Ordonnance n° 2015-1075 du 27 août 2015 relative à la simplification des modalités d'information des acquéreurs prévues aux articles L. 721-2 et L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8790KGN).
(7) Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 15-11.140, FS-P+B (N° Lexbase : A3203PKT).
(8) Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1712D48), Bull. civ. III, n° 15.
(9) Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-18.774, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0609IWH), Bull. civ. III, n° 153.
(10) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 15-12.735, FS-D (N° Lexbase : A1693Q7T).
(11) Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-14.053, FS-P+B (N° Lexbase : A0969E3B), Bull. civ. III, n° 206.
(12) Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D (N° Lexbase : A8597RRT).
(13) Cass. civ. 3, 17 novembre 2010, n° 19.17.297, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5814GKK), Bull. civ. III, n° 206.
(14) Cass. civ. 3, 25 mai 2011, n° 10-14.641, FS-P+B (N° Lexbase : A8767HSI), Bull. civ. III, n° 85
(15) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-26.339, FS-D (N° Lexbase : A1783Q78).
(16) Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-13.064, FS-P+B (N° Lexbase : A1565RCX).
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