La lettre juridique n°305 du 22 mai 2008 : Éditorial

Rétention de sûreté : quand le pénal tient le civil en émoi

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Depuis la lecture d'Astérix, on sait que les Gaulois ont une passion à peine cachée pour la polémique -pour ne pas dire la guerre civile-, mais surtout, grand bien leur fasse, pour le débat public. La chose est coutumière et la loi du 25 février 2008, relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, n'y déroge pas. Ce texte comporte, principalement, deux volets : la rétention de sûreté, "révolution juridique" selon les termes utilisés par le professeur Jean Pradel, qui autorise un enfermement après la peine d'emprisonnement et peut être renouvelée sans limitation, et sur laquelle revient, pour nous, cette semaine, Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à l'Université d'Artois ; et la nouvelle procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui améliore le système actuel en permettant à la juridiction qui constate l'irresponsabilité pénale de se prononcer aussi sur la réalité des charges à l'encontre du mis en cause ainsi que sur les mesures de sûreté indispensables.

Bien entendu, c'est le premier volet, sur la rétention de sûreté, qui divise plus volontiers l'opinion. "Les fondements de notre justice sont atteints. Que devient la présomption d'innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d'un crime virtuel ?", s'interroge Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et ancien président du Conseil constitutionnel. Comme le rappellent le Conseil national des barreaux, la Conférence des Bâtonniers, le Barreau de Paris et l'Union Syndicale des Magistrats, il appartient au législateur de concilier, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Or, cette dialectique entre liberté et sécurité est au coeur de la discussion instaurée sur la loi relative à la rétention de sûreté. Et les responsables les plus éminents du monde juridique, plus soucieux de l'Etat de droit que de l'état d'âme, précisent, rien de moins, que cette loi rompt des équilibres constitutionnellement établis en ce qui concerne les droits et les libertés et remet en cause les principes et la philosophie sur lesquels sont fondés le droit et la procédure pénale. Ils notent, au passage, qu'elle intervient deux ans après la loi du 12 décembre 2005, relative au traitement de la récidive des infractions pénales, onze mois après la promulgation de la loi du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, dont certaines dispositions traitent de la récidive, et six mois après la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, et cherchent désespérément la cohérence juridique d'un tel arsenal.

Pour aller à l'essentiel, rappelons que la rétention de sûreté s'applique, au jour où elle est prononcée, à une personne n'ayant commis aucun fait défini comme un crime ou un délit par la loi et pour lequel elle pourrait être déclarée coupable au terme d'un procès équitable et contradictoire. "La méfiance est la mère de la sûreté" versifiait Jean de La Fontaine, dans sa fable Le Chat et un vieux rat. Dans ces conditions, pour la plupart des auteurs, la rétention de sûreté est une peine privative de liberté, une sanction pénale. Et en tant que sanction privative de liberté appliquée à une infraction inexistante, la rétention de sûreté serait contraire à la Constitution. Pourtant les Sages de la rue de Montpensier, Gardiens du Temple de la Liberté et de l'orthodoxie constitutionnelle, n'y auront vu qu'une simple mesure de sûreté, dont la seule rétroactivité peut être condamnée aux yeux, ou plutôt à la lecture, du préambule constitutionnel. Balayé l'argument selon lequel la rétention de sûreté ne répondrait pas aux exigences de clarté, d'intelligibilité et de précision de la loi destinées à exclure l'arbitraire. Balayé celui aux termes duquel la rétention de sûreté méconnaîtrait le principe de la légalité des délits et des peines. Ecarté le moyen selon lequel la rétention de sûreté méconnaîtrait le principe de nécessité et de proportionnalité des peines ou celui selon lequel la rétention de sûreté ne respecte pas le principe de la présomption d'innocence. Pour le Conseil, la rétention de sûreté respecterait le principe de la responsabilité individuelle en matière pénale. En revanche, la loi est contraire au principe de non rétroactivité de la loi pénale, seule censure du Conseil. D'aucuns auront noté avec circonspection, comme Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, que la rétention de sûreté n'est donc pas une sanction pénale, mais qu'elle méconnaît tout de même le principe de non rétroactivité des sanctions pénales ! Enfin, dispositif inspiré directement d'une mesure allemande, prise pour la première fois en 1933, et de l'ancienne relégation qui instaurait une peine complémentaire obligatoire pour les multirécidivistes consistant dans l'internement perpétuel réalisé par la transportation en Guyane ou en Nouvelle Calédonie, la rétention de sûreté a du mal à présenter une filiation respectable.

Dernier acte : un recours devant la Cour européenne ; tous les spécialistes s'accordent à prévoir la censure définitive de la mesure de rétention pour contrariété avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Rendez-vous donc dans 15 ans, première application de la loi.

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