Réf. : Rapport annuel de la Cour de cassation
Lecture: 7 min
N9554BEL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
I - Les difficultés liées à la connaissance par l'employeur des fonctions de conseiller prud'homme
Les conseillers prud'hommes appartiennent à cette catégorie de salariés que l'on dénomme, parfois, les "salariés protégés". En raison de leur mandat électif de représentation des salariés, il a été nécessaire d'aménager différents éléments de leur relation de travail. Ainsi bénéficient-t-ils, par exemple, de crédits d'heure afin de mener à bien leur mission. Il a, également, été nécessaire de rendre effective leur indépendance vis-à-vis de l'employeur. C'est pour cette raison que leur licenciement bénéficie d'un régime exorbitant et protecteur.
Ainsi, l'article L. 514-2 du Code du travail (N° Lexbase : L9624GQI, art. L. 1442-19, recod. N° Lexbase : L0349HX9 et art. L. 2411-22, recod. N° Lexbase : L1040HXS) prévoit que le salarié exerçant les fonctions de conseiller prud'homme est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT, art. L. 2421-1 et s., recod. N° Lexbase : L1056HXE). A titre principal, l'employeur ne peut prononcer le licenciement d'un conseiller prud'homme sans en avoir obtenu l'autorisation auprès de l'inspection du travail. Cette protection est étendue aux candidats aux fonctions de conseillers prud'hommes, ainsi qu'aux anciens conseillers pour une durée de six mois après l'expiration de leur mandat. Le non-respect par l'employeur de cette procédure est, on le sait, lourde de conséquences, puisque le licenciement sera annulé, le salarié pourra être réintégré et il devra percevoir une indemnisation couvrant les rémunérations qu'il n'aura pas perçue du fait de l'interruption temporaire de son travail.
En outre, l'atteinte "à la libre désignation des candidats à l'élection des conseillers prud'hommes [...], à l'indépendance ou à l'exercice régulier des fonctions de conseiller prud'homme" constitue un délit incriminé à l'article L. 531-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7239DYR, art. L. 1443-3, recod. N° Lexbase : L0352HXC).
Ces protections, certes justifiées, peuvent donc emporter de lourdes conséquences pour l'employeur malveillant ou négligeant. Il paraît, par conséquent, tout à fait essentiel que celui-ci soit parfaitement en mesure d'être informé de l'existence de tels types de mandats parmi les salariés de l'entreprise.
Or, et c'est sur ce point que la Cour de cassation entend attirer l'attention du législateur, cette information n'étant pas toujours très accessible. L'information est principalement locale.
S'agissant des candidats aux élections, l'employeur se voit notifier leur candidature, si bien que la connaissance de celle-ci ne devrait pas faire difficulté. Il en va, cependant, autrement lorsque le salarié, récemment engagé, était candidat aux élections alors qu'il était salarié d'une autre entreprise. Dans cette hypothèse, la seule manière pour l'employeur d'être informé de cette candidature réside dans la consultation des listes de candidatures déposées au préfet en application de l'article L. 513-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4250HWC, art. L. 1441-22 et s., recod. [LXB=L0312HXT)]. Compte tenu du nombre de préfectures, cet effort de renseignement peut s'avérer conséquent.
Le problème se pose dans des termes relativement semblables s'agissant de conseillers prud'hommes élus. Si le salarié était déjà dans l'entreprise au moment de son élection, l'information de l'employeur ne sera pas difficile à recueillir. En revanche, s'il engage un nouveau salarié, l'employeur sera, à nouveau, astreint à consulter l'ensemble des préfectures pour s'assurer que le salarié n'est pas titulaire d'un de ces mandats.
Au final, la Cour de cassation remarque que l'employeur diligent "est dès lors légalement conduit à procéder au relevé de tous les conseillers prud'homaux de France et à se constituer un fichier manuel, ou informatisé après déclaration à la CNIL" afin de se prémunir contre tout manquement à la procédure spéciale de licenciement. On reconnaîtra sans peine qu'il y a certainement moyen d'alléger une telle procédure !
Jusqu'à aujourd'hui, la Cour de cassation, comme les juridictions du fond, ont fait une stricte application des dispositions du Code du travail et ont toujours considéré que l'employeur était tenu de procéder à ces recherches. La liste préfectorale étant librement consultable, la qualité de conseillers est opposable à l'employeur et il ne peut donc licencier le salarié qu'après autorisation de l'inspecteur du travail (2). Autrement dit, les juges refusent de retenir l'ignorance dans laquelle se trouvait l'employeur de l'existence d'un mandat de conseiller prud'hommes pour le dédouaner de son obligation de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail. Cependant, cette situation est suffisamment problématique pour que les Hauts magistrats proposent une modification de l'article L. 514-2 du Code du travail.
II - Vers une obligation d'information à la charge du conseiller prud'homme ?
La proposition de la Cour de cassation réside, tout d'abord, dans un raccourcissement indirect de la durée de protection du candidat aux élections. Aujourd'hui, la protection court pendant six mois à compter de la date de publication des listes préfectorales. La proposition tient à faire courir ce délai plus tôt, c'est-à-dire à partir du moment où l'employeur a eu connaissance de l'imminence de la candidature ou, à défaut, à partir du moment où lui a été notifiée la candidature ou, au plus tard, à compter de la publication des listes préfectorales. Jusqu'ici, le délai dépassait bien souvent les six mois prévus par le texte, puisque l'employeur avait connaissance de la candidature parfois plusieurs mois avant la publication de la liste.
La Cour de cassation propose, ensuite, d'ajouter un troisième alinéa à l'article L. 514-2 du Code du travail (3). La proposition est rédigée de la manière suivante : "le licenciement d'un salarié prononcé dans l'ignorance de sa qualité de conseiller prud'homme, d'ancien conseiller prud'homme ou de candidat aux fonctions de conseiller prud'homme est annulé si, dans les quinze jours à compter de sa notification, le salarié informe l'employeur par lettre recommandée avec accusé de réception de sa qualité en mentionnant auprès de quel conseil de prud'hommes il exerce ou il a exercé ses fonctions, ou il est candidat. Si l'employeur envisage toujours de licencier le salarié, il dispose d'un délai de quinze jours pour engager la procédure prévue à l'article L. 412-18".
Le système s'apparenterait donc à celui qui gouverne la protection des salariées enceintes. Le licenciement d'une salariée enceinte est, en effet, prohibé, à la condition que l'employeur ait été informé de la grossesse au moyen d'un certificat médical adressé par lettre recommandée. Si le licenciement est prononcé alors que l'employeur n'avait pas connaissance de l'état de grossesse, il est annulé "si, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, l'intéressée envoie à son employeur par lettre recommandée" un certificat médical de grossesse.
Ce système a déjà largement fait ses preuves et confère une protection efficace de la salariée contre tout licenciement. Il n'oblitèrerait en rien la faculté, pour l'employeur, d'obtenir le licenciement du salarié titulaire d'un mandat de conseiller prud'hommes, puisque le texte proposé disposerait alors d'un délai de quinze jours pour saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement. La protection du conseiller prud'hommes serait assurée et l'employeur de bonne foi serait prémuni contre toute méconnaissance du statut du salarié.
Il faut, néanmoins, remarquer que la protection accordée à la salariée enceinte relève d'une logique différente de celle accordée aux salariés titulaires d'un mandat de représentation du personnel. Alors que la protection de la salariée enceinte est purement individuelle, celle des salariés représentants du personnel est à la fois individuelle et collective, aussi bien destinée à protéger le salarié que la fonction qu'il exerce. Or, le salarié qui n'informerait pas son employeur dans les quinze jours suivants le licenciement permettrait que le mandat soit rompu sans l'accord de l'inspection du travail et, donc, sans que l'intérêt collectif des salariés qu'il représente ne soit pris en considération.
Enfin, l'analyse du mécanisme proposé laisse penser que la mesure est favorable aux employeurs qui ne pourraient plus subir les conséquences d'un manquement de bonne foi à la procédure de licenciement.
L'impression pourrait être donnée que les conseillers prud'hommes devraient eux aussi tirer leur parti d'une telle mesure. En effet, l'observation des décisions de certains juges du fond montre un mouvement latent tendant à imputer la rupture du contrat de travail au salarié en raison d'un manquement à la loyauté contractuelle. Ainsi, par exemple, le fait que le salarié, conseiller prud'homme, n'ait pas informé l'employeur lors de l'entretien préalable de licenciement de son statut a été jugé comme déloyal et le prive de son statut protecteur (4). De la même manière, la salariée engagée alors qu'elle était titulaire d'un mandat de conseiller prud'homme et qui n'a pas informé son employeur de ce statut s'est vu sanctionnée par la perte de la protection pour déloyauté contractuelle (5). Les salariés devraient donc pouvoir, désormais, éviter de perdre leur protection pour exécution déloyale du contrat de travail.
Pour autant, outre que de telles décisions demeurent marginales, une telle mesure instaurerait, de facto, une obligation d'information à la charge du conseiller prud'homme si bien qu'à la réflexion, le mécanisme est très favorable à l'employeur. Certainement peut-on justifier cette faveur par la connaissance du droit du travail dont est censé disposer le conseiller prud'hommes... Il reste que cette mesure doit être relativisée puisque, rappelons-le, dans la majorité des cas, l'employeur ne pourra pas arguer de son ignorance du mandat électif.
(1) Le rapport annuel de la Cour de cassation est consultable gratuitement sur le site internet de la Cour de cassation.
(2) V., par ex., Cass. soc., 20 juin 2000, n° 98-43.320, Mme Katherine Cuiney c/ Société d'exploitation du Riva golf hôtel de Beauvallon (SERGHB) et autres (N° Lexbase : A3797AU8) ; Cass. soc., 22 novembre 2000, n° 98-44.185, M. Jean-Claude Huber c/ Société Codica, société anonyme (N° Lexbase : A9836ATH) ; CA Aix-en-Provence, 21 juin 2005.
(3) Par l'effet de la recodification, il s'agirait probablement, en réalité, d'ajouter un nouvel article à la suite de l'article L. 2411-22 du Code du travail.
(4) CA Aix-en-Provence, 13 octobre 1996.
(5) CA Aix-en-Provence, 13 octobre 1997.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:319554