Réf. : Rapport annuel de la Cour de cassation
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N9682BEC
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
S'agissant des avis rendus par la Cour, en matière de Sécurité sociale, il faut relever que la formation pour avis de la Cour de cassation a été saisie de quatre demandes d'avis portant sur l'application de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 (modifiant les dispositions de l'article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation N° Lexbase : L7887AG9) (loi n° 2006-1640, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4) et sur la question du recours dont dispose une caisse de Sécurité sociale, qui a versé à un salarié victime d'un accident de la circulation une rente au titre de la législation sur les accidents du travail.
I - Accidents du travail et maladies professionnelles
- Ass. plén., 16 février 2007, n° 06-10.168, Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) des Pays de la Loire c/ Société Le Balapapa, P+B+R+I (N° Lexbase : A2284DU7)
L'arrêt sélectionné par le rapport annuel de la Cour de cassation au titre de l'année 2007 porte sur la tarification du risque "Accident du travail et maladies professionnelles" (ATMP) par la Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM), le caractère annuel des cotisations et le caractère révisable du classement de l'entreprise dans une catégorie de risques (CSS, art. L. 242-5, al. 1er et al. 3 N° Lexbase : L7980G7P (8)).
En l'espèce, la société 'Le Balapapa' (sic), qui gère un établissement dansant classé sous le code risque "débit de boissons (avec spectacle) sauf artistes" s'est vue notifier, le 24 avril 1998, un certain taux de cotisation (taux 3,30 %). Estimant devoir bénéficier d'un taux très inférieur (1,70 %) au titre de la classification concernant les bals et dancings, elle a introduit un recours à cette fin devant la CRAM le 30 juillet 1998, soit hors du délai de deux mois (CSS, art. R. 143-21, al. 1 N° Lexbase : L9543HE8). La Caisse a rejeté cette contestation, le 5 août 1998, au motif qu'elle était tardive pour l'exercice 1998, mais a accepté de modifier le taux dans le sens demandé à compter du 1er avril 1999, date de début de l'exercice suivant. L'entreprise a déféré cette décision devant la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (CNITAAT), en demandant que le nouveau taux lui soit appliqué rétroactivement à compter du 1er avril 1998, date de début de l'exercice 1998.
Par deux décisions successives (9), la CNITAAT a pris acte de la forclusion acquise au titre de la période du 1er avril au 31 juillet 1998, mais, elle a considéré que le nouveau taux devait prendre effet au cours de la même année, à compter du 1er jour du mois suivant la demande, soit le 1er août 1998. La CNITAAT, par son interprétation de l'article L. 242-5, alinéa 1er, et alinéa 3, du CSS, a fait primer le caractère révisable du classement d'un risque dans une catégorie, posé par l'alinéa 3, sur le caractère annuel de la détermination du taux de la cotisation, édicté par le premier alinéa de l'article L. 242-5 du CSS. Elle considère que le principe de l'annualité des cotisations est limité et restreint par la possibilité de modifier à toute époque le classement d'un risque dans une catégorie. La CNITAAT a admis que la modification du taux des cotisations accident du travail pouvait s'opérer en cours d'année. Compte tenu de l'impossibilité de modifier le taux initial en raison de la forclusion du recours, il pouvait donc exister un second taux pour la même année, au titre de la période non atteinte par cette forclusion. Elle s'est opposée à la doctrine de la Cour de cassation (10), suivant laquelle le caractère définitif du taux notifié ne peut plus être remis en question au titre de l'exercice en cours, de sorte que la modification ne doit intervenir que pour l'avenir.
Le débat soumis à la sagacité de la Cour se résume ainsi : d'un côté, au soutien de la position de la CNITAAT, une idée d'équilibre entre les droits de la CRAM à l'augmentation du taux et, réciproquement, de l'employeur à la minoration de ce taux en cours d'exercice ; de l'autre, dans le sens d'un maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, la prise en considération des spécificités d'organisation du régime autonome et autofinancé des ATMP, basé sur un équilibre financier entre les prestations annuelles (les dépenses) et les cotisations annuelles (les recettes).
Par sa décision rapportée du 16 février 2007, l'Assemblée plénière a cassé l'arrêt attaqué et confirmé la jurisprudence de la Chambre sociale en optant pour une stricte délimitation des deux régimes : le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles doit être déterminé annuellement pour chaque catégorie de risque par la Caisse régionale d'assurance maladie. Est, ainsi, écarté, au nom d'une règle d'annualité du taux des cotisations, dont la Cour souligne le caractère impératif, un système qui aurait eu le double effet de modifier le fonctionnement du régime de tarification des accidents du travail en créant des taux à durée moindre que l'année, et de compliquer l'organisation de cette tarification en admettant une pluralité de taux pour un même exercice.
La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser la portée de cette règle d'annualité des cotisations. Dans un arrêt du 19 mai 1967 (11), elle a retenu le principe d'une détermination annuelle du taux de la cotisation "accident du travail", destiné à écarter des modifications de taux en cours d'année. La Cour a, cependant, considéré que cette règle ne devait pas être appliquée de manière figée, et qu'il fallait autoriser la CRAM à rétablir le véritable taux, même rétroactivement en début d'exercice, pour le cas où les renseignements fournis par l'employeur seraient insuffisants, erronés voire dissimulés.
- Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-11.811, Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2841DUR) (lire nos obs., Le régime des accidents du travail - maladies professionnelles exclut l'action en réparation de droit commun, Lexbase Hebdo n° 251 du 7 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2991BAZ).
L'article L. 451-1 du CSS (N° Lexbase : L4467ADS) prévoit qu'aucune action en réparation des accidents et maladies de caractère professionnel ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droits. La deuxième chambre civile avait rappelé ce principe, dans un arrêt du 16 novembre 2004, en cassant un arrêt de cour d'appel qui avait accueilli la nouvelle demande d'un salarié, reconnu victime d'un accident du travail, qui sollicitait une réparation intégrale sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), en assignant son employeur comme gardien de l'échelle ayant provoqué sa chute (12).
Une solution identique a été retenue dans la présente espèce, s'agissant cette fois, sur le fondement du même article 1384, alinéa 1er, du Code civil, de la responsabilité des personnes dont on doit répondre : une salariée d'un établissement accueillant des personnes handicapées mentales, blessée au cours de son travail par l'une d'entre elle, avait mis en cause la responsabilité de son employeur sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, en qualité de civilement responsable du pensionnaire dont elle avait la surveillance. L'arrêt de la cour d'appel, qui avait accueilli cette demande, a été cassé, la deuxième chambre civile rappelant qu'aucune action en réparation des accidents du travail ou des maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun contre l'employeur par la victime ou ses ayants droit.
- Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-21.392, Mme Henriette Sarian, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8550DYC) (lire nos obs., Prise en charge de la maladie professionnelle : la décision de la CPAM est opposable au Fiva, Lexbase Hebdo n° 280 du 7 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9914BC8).
Il résulte de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 et de l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 (loi n° 2000-1257, de financement de la Sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : L5178AR9), une présomption d'imputabilité de la maladie à l'exposition à l'amiante. La présente affaire posait la question de déterminer si cette présomption simple peut s'étendre, au delà de la maladie, seule visée expressément par les textes, au décès de la victime, avec toutes les conséquences juridiques qui s'y attachent.
En l'espèce, un salarié, exposé pendant sa carrière professionnelle au risque de l'inhalation de poussières d'amiante et reconnu atteint d'une maladie professionnelle (plaques pleurales), est décédé d'une insuffisance respiratoire aiguë. La cour d'appel, confirmant l'offre du Fiva en ce qu'elle avait rejeté la demande d'indemnisation du préjudice personnel des ayants droit de la victime, au motif que son décès n'était pas imputable à la maladie professionnelle, retient que si la CPAM avait accepté de prendre en charge ce décès au titre du risque professionnel, en servant une rente au conjoint survivant, une telle décision, assortie d'aucune justification médicale, ne saurait engager le Fiva.
La deuxième chambre civile prononce la cassation de cet arrêt au motif qu'est opposable au Fiva la décision de la Caisse de prendre en charge le décès au titre du risque professionnel, quand le seul risque professionnel établi portait sur les conséquences de l'exposition à l'amiante. La jurisprudence depuis se conforme à cette ligné tracée par la Cour de cassation (13).
II - Prestations et procédure
- Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 05-21.309, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val d'Oise, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2773DXY)
Par son arrêt rendu le 12 juillet 2007, la deuxième chambre prend parti sur la situation procédurale, en appel, d'une caisse de Sécurité sociale appelée en déclaration de jugement commun en première instance par la victime d'un accident de la circulation (CSS, art. L. 376-1 N° Lexbase : L3414HWD), mais qui n'avait formulé aucune prétention devant le premier juge. Devant la cour d'appel, la Caisse demandait le remboursement des prestations qu'elle avait versées à la victime. Elle soutenait que ses demandes étaient recevables soit au titre de son intervention volontaire, soit au titre de l'article 566 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2816ADN), en considérant que, partie en première instance, elle pouvait former des demandes.
Prenant une orientation différente de sa jurisprudence antérieure (14), la deuxième chambre de la Cour de cassation répond que l'appel en déclaration de jugement commun d'une caisse de sécurité sociale (CSS, art. L. 376-1) a pour effet de rendre celle-ci partie à l'instance. En appel, la Caisse ne pouvait être considérée comme intervenant volontairement et ne pouvait former de nouvelles prétentions. Il lui appartenait de formuler ses demandes en première instance.
Cette solution condamne la pratique de certaines caisses qui se gardaient de formuler des prétentions en première instance pour ne se manifester qu'en appel. La position contraire aurait été une exception aux règles de procédure civile (15), privant les autres parties d'un double degré de juridiction. Mais, comme le relève la Cour de cassation dans son rapport annuel 2007, si une caisse qui n'a formulé aucune demande en première instance n'est pas recevable à intervenir, pour la première fois, en appel, la victime, qui a perçu des prestations, ne s'enrichit pas. En effet, même si une caisse assignée, ne comparaît pas ou ne fait pas connaître le montant de sa créance ou ne demande pas le remboursement de ses prestations, les prestations versées par les organismes de Sécurité sociale doivent être déduites de l'indemnité à laquelle le tiers responsable est tenu envers la victime pour réparer les atteintes à son intégrité physique (16).
- Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 06-16.084, Société La Sauvegarde, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2776DX4)
En l'espèce, l'assureur d'un joueur de rugby blessé au cours d'un match, ayant servi au titre de l'assurance des accidents corporels une prestation d'invalidité, avait demandé qu'elle vienne en déduction de l'indemnité due au titre de l'assurance responsabilité civile. Pour refuser la qualification d'indemnitaire aux sommes versées par l'assureur, la cour d'appel, faisant application du critère dégagé par l'Assemblée plénière, avait énoncé que ces sommes résultant de l'application mathématique d'éléments prédéterminés, l'attribution du capital en découlant n'était pas régie par les règles de réparation du préjudice corporel de droit commun. Au visa des articles 29-5 et 30 de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation N° Lexbase : L7887AG9), la deuxième chambre civile a entendu donner son plein effet à la volonté du législateur d'ouvrir droit à un recours, subrogatoire par détermination de la loi, contre la personne tenue à réparation ou son assureur, les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité versées à la victime d'un dommage par les sociétés d'assurances régies par le Code des assurances.
Dans son rapport 2007, la Cour relève (au titre des avis rendus dans l'année) qu'il résulte de la loi n° 2006-1640, de financement de la Sécurité sociale pour 2007, que le recours subrogatoire du tiers-payeur contre le responsable d'un dommage corporel s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'il a pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel, mais que, cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice. Interrogé d'abord sur l'application dans le temps de la loi du 21 décembre 2006, la Cour de cassation a, dans trois avis rendus le 29 octobre 2007 (n° 0070015P, n° 0070016P et n° 0070017P), indiqué que ces nouvelles dispositions s'appliquaient aux événements ayant occasionné ce dommage survenus antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi, dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'avait pas été définitivement fixé.
Puis, elle a précisé la façon dont devait s'imputer la rente servie par les organismes payeurs. Ayant considéré que la rente versée à la victime d'un accident du travail, en application de l'article L. 434-2 du CSS (N° Lexbase : L5264ADC), indemnisait, notamment, les pertes de gains professionnels et les incidences professionnelles de l'incapacité, elle a considéré que cette rente devait en conséquence s'imputer prioritairement sur les pertes de gains professionnels, puis sur la part d'indemnité réparant l'incidence professionnelle. Toutefois, si l'organisme payeur indemnise aussi un préjudice personnel et souhaite exercer son recours sur un tel poste, il lui appartient d'établir que, pour une part de cette prestation, elle a effectivement et préalablement indemnisé la victime, de manière incontestable, pour un poste de préjudice personnel.
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