Réf. : Cass. com., 2 octobre 2007, n° 05-19.899, Poste, établissement public, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A6190DYW)
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par Florence Labasque, SGR - Droit commercial
le 07 Octobre 2010
Celle-ci s'est alors pourvue en cassation, en articulant ses griefs dans un moyen unique. Tout d'abord, la banque fait valoir que Mme Y s'était engagée contractuellement à assurer la conservation de sa carte ainsi que la conservation et la confidentialité de son code et qu'à la suite de la perte de sa carte et de son utilisation avec composition du code confidentiel, il lui appartenait d'établir qu'elle n'avait pas commis de faute lourde ; ainsi, la banque argue de ce qu'en mettant à la charge de la banque l'obligation de prouver que Mme Y avait été négligente dans la protection de son code confidentiel, le tribunal a violé les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), ensemble l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier. La banque fait, ensuite, valoir que le tribunal s'est borné à relever que l'actualité récente faisait état de plusieurs cas dans lesquels des malfaiteurs étaient parvenus à s'approprier des codes confidentiels de cartes bancaires sans pour autant bénéficier de la négligence, voire de la complicité, du titulaire de ladite carte ; ainsi, "en l'état de ces seules énonciations par lesquelles il n'a pas caractérisé, autrement que par un motif d'ordre général et abstrait, l'absence de négligence de Mme Y, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil, ensemble l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier".
Cependant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Pour cela, elle affirme, tout d'abord, la solution, dans les termes d'un attendu de principe, selon laquelle "en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve ; [...] la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une telle faute". Ainsi, elle estime que le tribunal, en retenant que la banque était défaillante dans l'établissement de la faute lourde alléguée à l'encontre de Mme Y, a, sans inverser la charge de la preuve, "légalement justifié sa décision". Quant au motif critiqué par la seconde branche du pourvoi, il est déclaré surabondant.
Parmi les règles gouvernant la responsabilité du titulaire de la carte, l'article L. 132-3, alinéa 1er, du Code monétaire et financier dispose que le titulaire d'une carte de paiement "supporte la perte subie, en cas de perte ou de vol, avant la mise en opposition prévue à l'article L. 132-2 (N° Lexbase : L3484APQ) (2), dans la limite d'un plafond [...]. Toutefois, s'il a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si, après la perte ou le vol de ladite carte, il n'a pas effectué la mise en opposition dans les meilleurs délais, compte tenu de ses habitudes d'utilisation de la carte, le plafond prévu à la phrase précédente n'est pas applicable. Le contrat entre le titulaire de la carte et l'émetteur peut cependant prévoir le délai de mise en opposition au-delà duquel le titulaire de la carte est privé du bénéfice du plafond prévu au présent alinéa. Ce délai ne peut être inférieur à deux jours francs après la perte ou le vol de la carte".
Le premier réflexe que doit avoir le titulaire d'une carte de paiement en cas de perte ou de vol de celle-ci est donc de faire opposition. En effet, le titulaire d'une carte accepte le risque de son utilisation frauduleuse pour la période antérieure à l'opposition (3). Une fois l'opposition faite, il reste responsable de l'utilisation frauduleuse jusqu'à un certain montant. Toutefois, il peut être responsable de la totalité des sommes frauduleusement retirées s'il a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si la mise en opposition n'a pas été effectuée dans les meilleurs délais.
Dans notre cas d'espèce, la titulaire de la carte a bien fait opposition le lendemain de la perte de celle-ci, donc dans les meilleurs délais. Toutefois, une certaine somme a été dépensée dans ce court laps de temps. La titulaire pensait donc pouvoir se prévaloir du plafond prévu à l'article L. 132-3 précité, la banque devant supporter la perte subie au-delà de ce montant. Cependant, la banque, ayant constaté que les opérations en cause avaient été réalisées avec contrôle du code confidentiel, en a déduit la négligence de sa cliente, négligence qui justifierait d'écarter le plafond et d'imputer, ainsi, à la titulaire de la carte la totalité des prélèvements opérés avant opposition.
C'est à ce stade que deux précisions interviennent.
En effet, la Haute juridiction est, tout d'abord, amenée à préciser sur qui pèse la charge de la preuve de la faute lourde. Elle nous indique, ici, clairement, qu'en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve. La banque était donc tenue de rapporter la preuve que la négligence de sa cliente était constitutive d'une faute lourde.
Une fois tranchée la question de la charge de la preuve, la Cour de cassation précise, ensuite, le moyen de rapporter cette preuve. Elle énonce, ici, que la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une faute lourde de son titulaire.
Cette solution apparaît relativement sévère pour les banques, dans la mesure où cette preuve semble quasiment impossible à rapporter. En effet, quelle circonstance exacte pourrait alors constituer cette preuve ? Des exemples jurisprudentiels nous le diront.
A l'inverse, évidemment, la solution rendue par la Cour suprême est nettement favorable au titulaire de la carte. Cette décision a donc été saluée par certains défenseurs des consommateurs et il a pu être souligné qu'aujourd'hui, "de plus en plus de malfaiteurs parviennent à s'approprier les codes confidentiels des cartes bancaires sans pour autant que soit établie la négligence, voire la complicité du titulaire de la carte" (4). Dans ces cas, il apparaît effectivement délicat de demander au titulaire, qui a fait opposition dans le délai requis, de prouver qu'il n'a pas commis de négligence, quand lui-même ignore totalement la façon par laquelle son code a pu être utilisé.
Quant à l'avocat de la titulaire de la carte, il considère que cet arrêt de principe constitue "une très belle évolution de la jurisprudence" et "fera dorénavant jurisprudence". Cela "place les banques dans une situation difficile", mais il fallait bien prendre position et la Cour "a tranché en faveur du plus faible", le consommateur n'ayant pas les moyens techniques de se battre, contrairement aux banques (5).
(1) Sur ce sujet, v. Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème éd., 2005, n° 440 et suiv.. V., également, Les différentes cartes de paiement et de crédit .
(2) Sur l'opposition au paiement par carte, voir .
(3) Cass. com., 2 décembre 1980, n° 79-11.231, Dame Pantar c/ Banque Nationale de Paris SA (N° Lexbase : A8462AHU).
(4) Voir http://www.france-info.com/spip.php?article24591&theme=9&sous_theme=12.
(5) Lire les propos de Me Gatineau sur http://afp.google.com/article/ALeqM5gbf15Qs0xOYhRPjmJ10 -nIPuiL7A.
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