La lettre juridique n°279 du 1 novembre 2007 : Éditorial

Clauses de non-divorce : pour la petite histoire...

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N9641BC3

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


En l'espèce, Aliénor d'A., fille de Guillaume X et d'Aénor de C., avait convolé en juste de noces avec Louis C., fils de Louis C. senior et d'Adèle de S., le 25 juillet 1137, en la cathédrale de Bordeaux. Le mariage est, certes, oblique, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une union entre consanguins de génération supérieure ou inférieure, mais il n'en demeure pas moins profitable aux époux, Monsieur amenant à la communauté conjugale le royaume de France et Aliénor, le duché d'Aquitaine (c'est-à-dire la France actuelle entre la Loire et les Pyrénées). Petite réserve au contrat prénuptial, mais elle est de taille, Aliénor demeure duchesse et leur éventuel fils serait dépositaire des deux couronnes (royale et ducale), jusqu'à fusion des deux domaines au profit de la génération suivante. On est donc loin de la communauté universelle. Et, n'est-ce pas, par là, et prenant en témoignage l'Histoire, toute la question de la validité des clauses de non-divorce, c'est-à-dire des clauses qui posent une condition de perpétuité du mariage, dont le contexte privilégié est celui des donations faites entre époux pendant le mariage, qui s'entrevoit ?

Mais attachons-nous aux faits. L'union n'est pas stérile et donne même naissance à deux filles, Marie et Alix, mais point de fils. Aliénor aime les voyages, Louis un peu moins ; mais ils se retrouvent tous les deux en prise avec le "tour operator" de l'époque : la IIème Croisade. Aux difficultés du voyage (problèmes d'intendance, véhicules de transport sans garantie [mais rien à voir avec l'affaire de la Régie des transports marseillais que nous conte, cette semaine, le Professeur Christophe Radé]) se greffent de fréquentes disputes et... un soupçon d'adultère (oblique lui aussi). Louis C. convaincu de l'infidélité de sa femme, ou juste convaincu que son mariage ne peut guère aller plus loin, et de retour en France, pense à se séparer d'Aliénor. Pourtant, originalité de l'époque, c'est Aliénor qui prend l'initiative de la rupture, demandant l'annulation du mariage pour... consanguinité (parler de divorce à l'époque eut été impropre), et reprenant avec elle sa formidable donation domaniale faite initialement à la communauté conjugale.

A la lecture de la jurisprudence de notre temps, donc proprement anachronique, cette clause annulant la donation de biens présents aurait été licite si le mobile qui avait inspiré l'auteur de la libéralité avait été légitime. Protéger son patrimoine propre peut, certainement, passer pour un motif légitime inspirant cette donation révocable pour cause de rupture. Toutefois, s'agissant des donations de biens présents, la loi du 26 mai 2004 abroge l'ancienne règle de la révocabilité ad nutum des donations conjugales de biens présents. Le nouvel article 1096, alinéa 2, du Code civil, qui en est issu, dispose que "la donation de biens présents qui prend effet au cours du mariage faite entre époux n'est révocable que dans les conditions prévues par les articles 953 à 958", c'est-à-dire pour cause d'inexécution des conditions et charges ou pour cause d'ingratitude.

Alors, sauf à ce qu'Aliénor, qu'une légende noire accuse d'infidélité, pour ne pas dire de nymphomanie, ait pu démontrer que son mari se serait avéré un ingrat, demandons-nous, avec amusement, et à la lecture du point sur la question des clauses de non-divorce dans les donations conjugales que vous propose, cette semaine, David Bakouche, Professeur Agrégé des Facultés de droit, si le destin de la France eu été le même, si l'éminent Suger avait pensé à inscrire cet article 1096 dans les capitulaires de l'époque. En se remariant avec Henri P., Aliénor apportait en dot l'Aquitaine à la couronne d'Angleterre, posant les jalons de la suzeraineté des rois de France sur le souverain de la perfide Albion, et orchestrant à terme rien de moins que la Guerre de Cent ans.

L'autre espoir eut pu venir de la fiscalité : au travers de sa chronique en matière de fiscalité du patrimoine, Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris, aurait pu nous expliquer que les donations en franchise de droits et leur révocation n'emportent pas l'émoi, sauf à ce qu'elles portent atteinte aux parts réservataires des autres ayant droits : Marie et Alix, en l'espèce.

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