Réf. : Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, sur la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3) ; décret n° 2007-690 du 3 mai 2007, relatif à l'agrément (N° Lexbase : L4218HXI) ; circulaire du 10 juillet 2007, relative aux gens du voyage (N° Lexbase : L3672HYN)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
le 07 Octobre 2010
Cette nouvelle procédure a suscité remarques et interrogations. Deux décrets, entrés en vigueur les 3 mai 2007 (9) et 14 juin 2007 (10), ont d'abord précisé, respectivement, les modalités de délivrance de l'agrément du préfet pour l'obtention d'un emplacement provisoire -une des conditions requises pour pouvoir bénéficier de la nouvelle procédure d'évacuation- et le nouveau dispositif contentieux de recours contre la mise en demeure du préfet. Puis, une circulaire du ministre de l'Intérieur, en date du 10 juillet 2007 (11), est, ensuite, venue préciser les modalités de la procédure de mise en demeure et d'évacuation forcée.
Ces nouveaux textes permettent de préciser comment la procédure a été redéfinie dans son champ d'application (I) et ce qui fait d'elle, aujourd'hui, une procédure à caractère spécifique (II).
I - Une procédure redéfinie dans son champ d'application
La redéfinition de la procédure d'évacuation forcée s'inscrit dans un cadre lié aux difficultés de mise en oeuvre du dispositif d'accueil et d'habitat prévu par la loi du 5 juillet 2000 (A), ce qui amène, notamment, à redéfinir, de façon large, les communes bénéficiaires du nouveau dispositif mis en place (B).
A - Un dispositif d'accueil et d'habitat difficilement mis en oeuvre
Les diverses politiques à l'égard des gens du voyage sont encore loin d'avoir produit tous leurs effets. Cela est illustré, de façon particulière, par les difficultés de mise en oeuvre du dispositif d'accueil et d'habitat prévu par la loi du 5 juillet 2000. Ce dispositif se voulait plus incitatif et plus contraignant mais, fin 2005, selon les informations données par la Commission nationale consultative des gens du voyage, moins de 20 % des aires programmées dans les schémas départementaux étaient ouvertes en France. Les schémas départementaux s'étant généralisés sur le territoire, la réalisation des aires devait entrer dans une phase active, mais le bilan montre que les objectifs de création des aires prévus ne sont pas encore atteints. En lien avec les schémas départementaux, des aires d'accueil ont été ou sont en voie de réalisation, au plan communal et intercommunal, dans de nombreux départements. Mais les communes et les structures intercommunales rencontrent des difficultés pour réaliser les aires dans le délai imparti par la loi, difficultés liées, notamment, à la mobilisation des terrains, à la révision des documents d'urbanisme ou à la recherche de cofinancement.
Au demeurant, la gestion au seul plan financier de ces aires d'accueil est souvent difficile. En ce sens, trois solutions sont offertes aux communes pour satisfaire à leurs obligations : soit la commune réalise et gère elle-même une aire d'accueil sur son propre territoire (12), soit elle transfère sa compétence à un EPCI qui réalise, alors, l'aire sur le territoire de la commune d'implantation prévue au schéma départemental, soit elle passe avec d'autres communes du même secteur géographique une convention intercommunale qui fixe sa contribution financière à l'aménagement et à la gestion d'une ou de plusieurs aires permanentes d'accueil, qui seront implantées sur le territoire d'une autre commune, partie à la convention. Pour rendre les prescriptions du schéma efficaces, l'Etat s'était engagé à soutenir de manière significative l'investissement et le fonctionnement des aires mais, en investissement, le taux effectif de la subvention s'est révélé bien inférieur à celui initialement fixé (13) et, en fonctionnement, l'aide forfaitaire mise en place pour la gestion des aires d'accueil respectant les normes réglementaires d'aménagement et de gestion s'est révélée assez faible (14).
C'est dans ce contexte qu'est redéfinie l'application de la nouvelle procédure d'évacuation forcée des résidences mobiles des gens du voyage, la redéfinition large des communes bénéficiaires tenant compte, notamment, des difficultés rencontrées par les communes pour réaliser les aires d'accueil, sans, pour autant, les exonérer de leurs obligations légales.
B - Une redéfinition large des communes bénéficiaires
Initialement, la nouvelle procédure d'évacuation forcée, selon la loi du 5 mars 2007, devait se limiter aux seules communes ayant rempli leurs obligations légales en matière de stationnement des gens du voyage, ainsi qu'à celles n'étant assujetties à aucune obligation légale en la matière (moins de 5 000 habitants). Mais, un amendement, défendu par le député Eric Woerth (UMP, Oise), a étendu le champ d'application de la disposition. Sont également concernées les municipalités qui, tout en n'ayant pas encore rempli leurs obligations, ont démontré la volonté de s'y conformer. Les communes ayant des difficultés pour réaliser des aires d'accueil des gens du voyage peuvent, ainsi, aussi bénéficier de la procédure d'évacuation administrative. En premier lieu, il s'agit des communes qui n'ont pas encore rempli leurs obligations légales, mais qui répondent aux conditions posées pour obtenir la prorogation du délai de 2 ans prévue par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (15). En second lieu, il s'agit des communes qui disposent d'un emplacement provisoire qui n'est pas l'emplacement définitif inscrit dans le schéma départemental, à condition que celui-ci soit agréé par le préfet.
Le décret du 3 mai 2007 précité précise que, pour être agréé, cet emplacement doit avoir une localisation qui garantit l'accessibilité au terrain, l'hygiène et la sécurité du stationnement. A cet égard, le terrain doit être accessible aux véhicules tractant une caravane et sa remorque, le sol doit être stabilisé pour permettre leur stationnement. Le terrain ne peut être choisi dans une zone classée à risque ou dans un secteur protégé, il doit respecter la législation applicable en tenant compte de l'existence de sites inscrits ou classés sur le territoire de la commune. Il doit être desservi par un service régulier de ramassage d'ordures ménagères et comprendre une alimentation en eau et en électricité correspondant à la capacité d'accueil. A noter que rien ne s'oppose à ce que la commune sollicite l'agrément provisoire d'un terrain appartenant à un propriétaire privé (16).
Le décret précise, en plus, que cet emplacement doit accueillir au maximum 30 résidences et que le préfet a la faculté de consulter la commission consultative départementale associée à l'élaboration et à la mise en oeuvre du schéma départemental d'accueil (17). Rappelons, toutefois, que, dans ce cas, la possibilité de mettre en oeuvre la procédure d'évacuation forcée est ouverte dans un délai qui est fixé par le préfet et qui ne peut excéder 6 mois à compter de la date de l'agrément. Au terme du délai fixé, la procédure d'évacuation forcée perd ses effets et si l'emplacement provisoire continu d'être mis à disposition des gens du voyage, la commune ne peut s'en prévaloir pour solliciter le bénéfice de la procédure administrative de mise en demeure (18).
II - Une procédure dont on a renforcé la spécificité
Le trait spécifique de la nouvelle procédure est accentué par les nouvelles dispositions. Si la mise en demeure effectuée par le préfet se révèle particulière (A), c'est surtout la possibilité de recours contre cette mise en demeure qui va se différencier du droit commun en la matière (B).
A - Une mise en demeure particulière
Dès lors qu'une commune remplit les obligations qui lui incombent en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage, son maire ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagées le stationnement sur le territoire de la commune des résidences mobiles. La mise en oeuvre de la procédure est, donc, subordonnée à l'existence régulière dans la commune d'un arrêté d'interdiction de stationnement en dehors des aires aménagées (19).
En cas de stationnement effectué en violation de l'arrêté, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux (20). La mise en demeure ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Il peut, en effet, avoir des occupations illicites qui ne portent pas atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques, et qui ne relèvent, donc, pas de la nouvelle procédure.
Concernant l'intervention de la mise en demeure, la formulation du texte peut laisser penser que, dès lors que le préfet a pu constater que les conditions de la mise en demeure étaient remplies (21) et même s'il y a ici une certaine marge d'appréciation, le préfet est en situation de compétence liée et doit établir la mise en demeure, mais la suite de l'action administrative relève d'une faculté, puisque le texte indique que le préfet "peut" procéder à l'évacuation forcée (22). Il y a peut-être, ici, un manque de cohérence dans les dispositions.
Concernant les délais, la nouvelle procédure de mise en demeure résulte, notamment, du constat de la lenteur des procédures de référé judiciaire. La loi prévoit qu'en cas de recours, le tribunal administratif dispose de 72 heures pour se prononcer. Mais aucun délai n'est imparti au préfet pour le déclenchement de l'action administrative, ce qui neutralise quelque peu les conséquences de la compétence liée.
La mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Le délai d'évacuation comporte, donc, un minimum légal (pas moins de 24 heures), mais pas de maximum, ce qui permet au préfet d'impartir un délai éventuellement confortable selon les circonstances de l'espèce. La mise en demeure est notifiée aux occupants par tous moyens et publiée sous forme d'affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou titulaire du droit d'usage du terrain quand le terrain n'appartient ni au domaine public, ni au domaine privé de la commune.
Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles, sauf opposition du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain dans le délai fixé pour l'exécution de la mise en demeure.
Lorsque le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain fait obstacle à l'exécution de la mise en demeure, le préfet peut lui demander de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l'atteinte à la salubrité, à la sécurité ou la tranquillité publiques dans un délai qu'il fixe. Le fait de ne pas se conformer à l'arrêté préfectoral est puni de 3 750 euros d'amende.
B - Un recours particulier
Les personnes destinataires de la décision de mise en demeure prévue, ainsi que le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif avec la particularité, dérogatoire au droit commun, liée au caractère suspensif de ce recours. Dès qu'un recours est déposé, l'exécution de la mise en demeure est suspendue jusqu'à ce que le président du tribunal ou son délégué ait statué, le législateur donnant un délai de 72 heures à la juridiction pour statuer. Le rejet de la requête permettra, alors, de mettre à exécution la mise en demeure. Le délai de recours laissé aux occupants des terrains se confond avec celui de la mise en demeure de quitter les lieux, ce délai ne pouvant, donc, pas être inférieur à 24 heures.
Le décret du 14 juin 2007 précité créé ainsi un dispositif qui s'ajoute aux formes déjà existantes de référés en ajoutant un "Chapitre IX" au Code de justice administrative intitulé : "Le contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage" (23). A l'évidence, la procédure est calquée sur celle des reconduites à la frontière, avec un délai de jugement, malgré tout, plus long. On peut s'interroger, néanmoins, sur les moyens dont disposera la justice administrative pour apprécier, même en 72 heures, des questions finalement plus délicates, en fait et/ou en droit, que celles en jeu dans les procédures de reconduite, notamment quant aux questions tenant à l'existence d'un trouble à l'ordre public ou encore à la situation de la commune par rapport au respect de ses obligations légales en matière d'accueil des gens du voyage.
A noter que la nouvelle procédure d'évacuation forcée n'est pas exclusive du recours à la justice. Il peut, en effet, exister des occupations illicites qui ne portent pas atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques, et qui ne relèvent, donc, pas de la nouvelle procédure. Par ailleurs, même lorsqu'une telle atteinte existe, le texte n'interdit pas de préférer le recours aux voies juridictionnelles de droit commun. Dans ce cas, comme cela a été rappelé par la circulaire précitée du 10 juillet 2007, les règles de compétence dépendent principalement de la domanialité du terrain occupé. Si le terrain appartient au domaine public, la personne morale propriétaire peut saisir le juge administratif des référés pour faire cesser cette occupation sans titre du domaine public (24). Si l'occupation sans titre porte sur une dépendance du domaine privé d'une personne publique, ce sont les tribunaux judiciaires qui doivent être saisis d'une demande d'expulsion, selon la procédure de droit commun, par la personne publique propriétaire (25). Enfin, si l'occupation relève d'un régime de droit privé, le propriétaire du terrain ou le titulaire d'un droit d'usage peut saisir, par référé, le président du TGI.
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