La lettre juridique n°279 du 1 novembre 2007 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Clause-recettes, droit d'option et indemnité d'occupation

Réf. : Cass. civ. 3, 3 octobre 2007, n° 06-17.766, Société Centre commercial des Pontots SCI, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6191DYX)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt du 3 octobre 2007, la Cour de cassation a précisé, pour la première fois mais sans surprise, que même en présence d'une clause-recettes, l'indemnité d'occupation due par le preneur, distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès l'exercice par le bailleur de son droit d'option, doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative. En l'espèce, un propriétaire avait donné à bail des locaux pour une durée de douze ans moyennant le versement d'un loyer variable correspondant à 6 % du chiffre d'affaires du preneur, avec un loyer minimum garanti. Le locataire avait sollicité le renouvellement du bail que le propriétaire avait accepté en demandant que le loyer soit fixé à la valeur locative. Il avait, ensuite, exercé son droit d'option pour refuser le renouvellement en proposant une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant fixé l'indemnité d'occupation due à compter de l'expiration du bail sur la base du loyer tel que celui-ci aurait été fixé en cas de renouvellement, soit conformément à la clause-recettes, la bailleresse s'est pourvue en cassation, amenant la Haute cour à se prononcer sur les modalités de détermination de l'indemnité d'occupation en présence d'un bail stipulant une clause-recettes.

Cette décision ne peut être comprise qu'en rappelant les règles, d'origine jurisprudentielle, relatives à la fixation du loyer du bail renouvelé en présence d'une clause-recettes et sur la possibilité, pour les parties, même en présence d'une telle clause, d'exercer leur droit d'option.

I - Fixation du loyer en renouvellement et clause-recettes

En cas de désaccord des parties sur le montant du loyer en renouvellement, le juge des loyers commerciaux peut être saisi en vue de sa fixation.

Le loyer doit être alors fixé, en principe, au montant de la valeur locative (C. com., art. L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9) dans la limite imposée par la règle du plafonnement en fonction de la variation de l'indice du coût de la construction (C. com., art. L. 145-34 N° Lexbase : L5762AIA), plafonnement parfois lui-même inapplicable (volonté des parties, bail d'une durée supérieure à neuf ans, durée effective par le jeu de la tacite prorogation supérieure à douze ans, bureaux, locaux monovalents et terrains nus) ou bien écarté en raison d'une modification notable de l'un des éléments de la valeur locative au cours du bail expiré.

En présence d'une clause-recettes instituant un loyer binaire (une partie fixe constitutive d'un loyer minimum et une partie variable calculée en fonction du chiffre d'affaires du locataire), la Cour de cassation a écarté l'application des règles du statut des baux commerciaux relatives à la fixation du loyer en renouvellement. Cette dernière, dans ce cas, n'est régie que par la convention des parties. Cette jurisprudence, inaugurée par l'arrêt "Théâtre Saint-Georges" (Cass. civ. 3, 10 mars 1993, n° 91-13.418, Théâtre Saint-Georges c/ Compagnie foncière Saint-Dominique N° Lexbase : A5622ABT) a essuyé de nombreuses critiques. Certaines cours d'appel avaient, en outre, essayé de concilier cette jurisprudence, qui s'appuie sur la volonté des parties, avec les règles légales de fixation du loyer du bail renouvelé, en maintenant la clause-recettes dans le nouveau bail, tout en réévaluant le loyer minimum en fonction de la valeur locative (voir, par exemple, CA Paris, 16ème ch., sect. A, 8 mars 2000, n° 1997/23343, SARL MIDAC c/ SA Compagnie Foncière N° Lexbase : A5948A43).

La Cour de cassation a, pourtant, toujours maintenu sa jurisprudence "Théâtre Saint-Georges" en en tirant les conséquences quant au pouvoir du juge de fixer, dans ce cas, le loyer du bail renouvelé. Elle a, tout d'abord, affirmé qu'en présence d'un loyer binaire, le juge saisi d'une action en fixation du loyer du bail renouvelé ne pouvait que constater l'accord des parties sur le prix du nouveau bail et, à défaut, les débouter (Cass. civ. 3, 7 mai 2002, n° 00-18.153, FS-P+B+I N° Lexbase : A6052AYS). Puis, elle a précisé que, lorsque les parties sont d'accord sur le principe du renouvellement mais qu'elles s'opposent sur le réajustement du loyer minimum, le loyer devait demeurer fixé, conformément aux clauses et conditions du bail venu à expiration (Cass. civ. 3, 13 novembre 2002, n° 01-03.485, F-D N° Lexbase : A7185A3I). Il appartient donc "aux parties de tirer les conséquences de leur engagement contractuel en signant un nouveau bail selon les prévisions contractuelles du bail initial" (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 5 juillet 2006, n° 04/22085, SARL Pressing Bercy 2 MIL c/ SAS Hammerson Bercy N° Lexbase : A4787DRQ).

La question s'est posée, compte tenu de l'application de plein droit de la clause-recettes pour la fixation du loyer en renouvellement et de l'impossibilité subséquente de sa fixation judiciaire, de la faculté pour les parties d'exercer leur droit d'option lié.

II - Droit d'option et clause-recettes

Le droit d'option est la faculté accordée, tant au preneur qu'au bailleur, qui, initialement engagés dans un processus de renouvellement du bail, souhaitent finalement, eu égard, notamment, au montant du loyer du bail renouvelé, cesser leurs relations contractuelles.

Le droit d'option est prévu à l'article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4) qui permet, tant au bailleur qu'au preneur, de refuser le renouvellement du bail, quand bien même ils auraient exprimé leur accord sur le principe d'un tel renouvellement et qu'une décision judiciaire aurait fixé le montant du loyer de ce bail renouvelé. Il doit, toutefois, être exercé dans le délai d'un mois qui suit la signification de la décision définitive fixant ce montant, les parties pouvant toutefois l'exercer avant que le juge ait rendu cette décision (Cass. civ. 3, 2 décembre 1992, n° 90-18.844, Société Arts Litho c/ M. Leclert N° Lexbase : A3220ACA).

L'article L. 145-57 du Code de commerce étant situé dans la section consacrée à la procédure et le droit d'option pouvant se justifier par l'existence d'une procédure en fixation du loyer du bail renouvelé, la question s'est posée de savoir si les parties en étaient toujours titulaires en présence d'une clause-recettes excluant toute fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé.

La Cour de cassation a refusé cette interprétation en affirmant, dans une espèce où les juges du fond avaient refusé au bailleur la possibilité d'exercer un droit d'option en raison du caractère binaire du loyer, que "le bailleur a toujours la faculté, en cas de désaccord sur le prix du bail, de refuser le renouvellement du bail dans les conditions de l'article L. 145-57 du Code de commerce" (Cass. civ. 3, 12 juin 2003, n° 02-11.493, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7277C8Z), solution reconduite depuis (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 24 novembre 2004, n° 03-14.620, FS-P+B N° Lexbase : A0368DED) et rappelée implicitement par l'arrêt rapporté.

En effet, dans ce dernier, la question posée à la Cour de cassation n'était pas celle de la possibilité pour les parties d'exercer un droit d'option en présence d'une clause-recettes, mais concernait les conséquences de la stipulation d'une telle clause sur l'évaluation de l'indemnité d'occupation due à la suite de l'exercice du droit d'option.

La réponse apportée pourrait sembler, ainsi, constituer la dernière étape des suites de la jurisprudence "Théâtre Saint-Georges". Toutefois, comme le rappelle la Haute cour, l'indemnité d'occupation est différente, par sa nature, du loyer et, en conséquence, l'existence d'une clause-recettes n'a pas nécessairement d'influence sur sa détermination.

III - Clause-recettes et indemnité d'occupation à la suite de l'exercice du droit d'option

Aux termes de l'article L. 145-28 du Code de commerce (N° Lexbase : L5756AIZ), "aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue". Toujours selon ce texte, jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré, mais l'indemnité d'occupation doit être fixée selon les règles du statut des baux commerciaux relatives à la fixation du loyer.

L'indemnité d'occupation devra, en conséquence, être fixée au montant de la valeur locative, sans que cette dernière puisse être plafonnée (Cass. civ. 3, 14 novembre 1978, n° 77-12.032, SARL Guederlin c/ SA HLM Le Logement Familial du Bassin Parisien N° Lexbase : A7308AGR ; Cass. civ. 3, 27 novembre 2002, n° 01-10.058, Société Degi c/ Société civile immobilière (SCI) Ternes Guersant, FS-P+B N° Lexbase : A1234A4H), malgré le renvoi de l'article L. 145-28 du Code de commerce à l'ensemble des dispositions relatives à la fixation du loyer renouvelé ou révisé, y compris, à l'article L. 145-34 de ce code qui instaure la règle du plafonnement.

Toutefois, lors de la détermination du montant de l'indemnité d'occupation, le juge tiendra compte de la précarité de la situation, le locataire étant en quelque sorte en "sursis", occupant les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction et son départ étant imminent (Cass. civ. 3, 20 mars 2007, n° 06-10.476, F-D N° Lexbase : A7497DU9). Un abattement (10 % ou plus) sur le montant de la valeur locative est, en conséquence, souvent appliqué en fonction des circonstances.

L'application de ces dispositions, alors que l'éviction du preneur est la conséquence de l'exercice du droit d'option, a dû être précisée par la jurisprudence.

Lorsque le droit d'option est exercé par le bailleur, l'indemnité d'occupation due par le preneur doit être calculée en fonction de l'article L. 145-28 du Code de commerce et elle sera due à compter de la date d'expiration du bail, même si elle est antérieure à la date d'exercice du droit d'option (Cass. civ. 3, 7 novembre 1984, n° 83-13.550, Mme Caillet c/ Sarl Margaret N° Lexbase : A2481AA7 et Cass. civ. 3, 21 février 2001, n° 99-11.035, Société des Etablissements de l'Hôtel de Than c/ Société Union du meuble N° Lexbase : A3348ARG).

En revanche, lorsque le droit d'option est exercé par le preneur, la situation s'apparente à celle dans laquelle le preneur aurait donné congé pour la date d'expiration du bail. Il devient occupant sans droit ni titre et débiteur d'une indemnité d'occupation qui n'est plus celle visée par l'article L. 145-58 du Code de commerce. Elle peut, donc, être fixée à un montant supérieur à celui de la valeur locative (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-22.764, Société Selectinvest c/ Société des Editions Bordas N° Lexbase : A5581ACP). Dans cette hypothèse, à l'instar de celle dans laquelle le droit d'option aurait été exercé par le bailleur, l'indemnité d'occupation est également due à compter de la date d'expiration du bail et non à compter de l'exercice du droit d'option (Cass. civ. 3, 30 septembre 1998, n° 96-22.764, précité).

La solution est rappelée par l'arrêt rapporté, le droit d'option ayant été exercé par le bailleur et la Cour de cassation ayant rappelé, dans ce cas et au visa de l'article L. 145-28 du Code de commerce, que l'indemnité d'occupation devait être fixée à la valeur locative.

La Cour de cassation ne procède toutefois pas à un simple rappel puisqu'elle fait application de cette solution dans une hypothèse où le bail stipulait une clause-recettes et que les juges du fond avaient appliqué cette dernière pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation.

Toutefois, l'indemnité d'occupation doit être distinguée du loyer, la première étant due en contrepartie de la jouissance des lieux alors que le bail est expiré, le second étant une prestation contractuelle due en échange, certes, également, de la jouissance des lieux, mais cette jouissance étant dans ce cas elle-même une prestation contractuelle due en vertu du bail.

En conséquence, une fois admis que le bailleur peut, même en présence d'une clause-recettes, exercer son droit d'option, il n'existait aucune raison de fixer l'indemnité d'occupation due par le preneur subséquemment à l'exercice de ce droit en appliquant la clause-recettes qui n'a vocation qu'à régir la fixation du montant du loyer.

A cet égard, la règle selon laquelle le loyer en renouvellement doit être fixé selon la seule clause-recettes ne peut trouver application, précisément parce que l'indemnité d'occupation n'est pas un loyer.

C'est ce que précise avec force la Cour de cassation dans cet arrêt du 3 octobre 2007 : "l'indemnité d'occupation étant distincte du loyer auquel elle se substitue de plein droit dès l'exercice par le bailleur de son droit d'option, cette indemnité doit correspondre, à défaut de convention contraire, à la valeur locative".

Il importait peu, à ce titre, que le loyer en renouvellement fût définitivement fixé, comme l'avait relevé les juges du fond, pour justifier la fixation du montant de l'indemnité d'occupation par application de la clause-recettes.

La Cour de cassation énonce, cependant, que la solution n'est applicable qu'à défaut de convention contraire.

Il semblerait, en conséquence, que les parties puissent prévoir, dès la conclusion du bail, les modalités de fixation de l'indemnité d'occupation due par le preneur occupant les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction. Il est vrai, en effet, que les dispositions de l'article L. 145-28 du Code de commerce ne sont pas visées par l'article L. 145-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L5743AIK), énumérant les dispositions d'ordre public auxquelles il ne peut être dérogé. En conséquence, il ne semble pas exclu que les parties à un bail puissent prévoir que l'indemnité d'occupation sera fixée en application d'une clause-recettes.

Il faudra, néanmoins, veiller à la rédaction d'une telle clause. La cour d'appel de Paris a ainsi jugé, dans une espèce où le bail stipulait que l'indemnité d'occupation serait fixée forfaitairement sur la base du double du montant du loyer "après résiliation de plein droit ou judiciaire ou expiration du bail", que cette clause ne couvrait pas l'hypothèse d'un maintien dans les lieux dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 23 novembre 2005, n° 04 /13690, SARL Bal Jouets c/ SAS Hammerson Centre Commercial Italie N° Lexbase : A2329DM9).

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