La lettre juridique n°279 du 1 novembre 2007 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La nullité du testament authentique rédigé au mépris de la règle de la dictée

Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2007, n° 05-19.909, Société de Jeannetou, FS-P+B (N° Lexbase : A5769DYC)

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par Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne

le 21 Octobre 2014

En application des articles 971 (N° Lexbase : L0127HPE) et 972 (N° Lexbase : L0128HPG) du Code civil, la nullité du testament authentique doit être prononcée si le testateur ne l'a pas dicté au notaire en présence de deux témoins. Tel est le sens de l'arrêt du 26 septembre 2007 de la première chambre civile de la Cour de cassation ayant à juger de la validité d'un testament dactylographié et rédigé à l'avance par le notaire sans l'intervention des témoins requis. Le testament authentique respecte un formalisme très lourd dont la rédaction requiert la présence du testateur, de deux notaires ou d'un notaire et de deux témoins (C. civ., art. 971). Le testateur dicte ses dernières volontés (C. civ., art. 972) ; le ou les notaires recueille(nt) celles-ci, en donne(nt) lecture et, le cas échéant, les témoins confirment par leur présence et leur signature la sincérité des énonciations de l'acte (1). L'irrégularité formelle du testament authentique est sanctionnée par sa nullité absolue, d'où il suit que la cause de nullité ne peut être couverte par la confirmation du testateur qui n'a d'autre choix que de refaire le testament (2). Bien que le formalisme ait été allégé par la loi du 8 décembre 1950 (3), il reste très rigoureux dans la mesure où, aujourd'hui, la plupart des actes notariés peuvent être reçus par un seul notaire et sans témoins. Ceci explique que la rédaction d'un tel testament soit peu pratiquée, d'autant plus que les dernières volontés du testateur échappent au secret. En outre, pour des raisons de responsabilité professionnelle, le notaire hésite fréquemment à rédiger un testament authentique, préférant apporter son conseil à la rédaction d'un testament olographe (4).

Notons, toutefois, que depuis la loi du 3 décembre 2001 (loi n° 2001-1135, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral N° Lexbase : L0288A33), le testament par acte public est la seule forme de testament qui permette à un époux de priver son conjoint de son droit viager au logement (C. civ., art. 764 N° Lexbase : L3371ABH).

Ce formalisme est d'autant plus pesant qu'il en est fait une application rigide par la jurisprudence (5). L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 septembre 2007 en est l'une des nombreuses illustrations.

En l'espèce, Germaine Y décéda le 19 janvier 1995, en l'état d'un testament authentique reçu le 10 octobre 1994, par lequel elle avait, d'une part, institué légataire universelle la commune d'Auterive, à charge pour celle-ci de délivrer, à titre de legs particulier, deux propriétés à la nièce de la testatrice et, d'autre part, révoqué tous testaments antérieurs et, notamment, un testament olographe daté du 21 septembre 1993 instituant sa nièce légataire universelle. La cour d'appel jugea que le fait qu'un testament ait été dactylographié et donc rédigé à l'avance n'était pas en lui-même et à lui seul de nature à faire échec à la règle de la dictée par la testatrice. Dans la mesure où ses dernières volontés ressortaient clairement des déclarations du notaire, les juges du fond ont pu considérer que l'action en nullité intentée contre le testament authentique devait être rejetée. La testatrice avait, en effet, informé le notaire de ses intentions, puis lui avait demandé de rédiger un acte en ce sens. Elle avait, en outre, réitéré ses volontés devant les témoins avant que soit faite la lecture du testament.

Conformément à sa jurisprudence traditionnelle (6), la Cour de cassation censure l'arrêt de la cour d'appel pour fausse application des articles 971 et 972 du Code civil, rappelant ainsi que le "rite de la parole" (7) est obligatoire. Il ne peut, en effet, y être suppléé par la remise d'un écrit ou encore de simples notes que le notaire recevrait des mains du testateur puis recopierait. En revanche, la règle de la dictée ne s'oppose pas à ce que le testateur s'aide de notes écrites ou même d'un projet établi à l'avance par lui-même (8) ou par un tiers (9), pourvu qu'il en dicte ensuite les termes au notaire, en présence des témoins (10).

Le testament doit donc être "dicté par le testateur". Autrement dit, il prononce tous les mots que le notaire écrit au fur et à mesure, ce dernier ayant toutefois la faculté, selon une jurisprudence plus souple (11), de prendre certaines initiatives, notamment si les déclarations de dernières volontés sont obscures ou contradictoires, et de poser au testateur toutes les questions qu'il juge nécessaires dans le but de s'assurer que sa volonté réelle a bien été comprise (12).

Le testament, une fois dicté et rédigé, doit être lu par le notaire au testateur afin que celui-ci vérifie l'exactitude des dispositions retranscrites. Il doit, également, être fait mention "expresse" dans l'acte de l'accomplissement des formalités de dictée, écriture et lecture, à peine de nullité. Enfin, le testament doit revêtir la signature du testateur (13), du notaire et des témoins.

En définitive, l'on peut légitimement s'étonner de la rigueur d'une jurisprudence qui privilégie une simple dictée sur la retranscription claire et précise des dernières volontés du testament dans un acte établi à l'avance. Rigueur d'autant moins justifiée si l'on compare cet arrêt avec celui rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 mai 2007, selon lequel doit être reconnue la validité d'un testament olographe dépourvu de toute date, alors pourtant que l'article 970 l'exige expressément (14).

Ce formalisme lourd que défend une jurisprudence stricte explique sans doute que le testament authentique ait, à plusieurs reprises, fait l'objet de propositions de réforme (15) pour l'instant restées lettre morte.


(1) La Cour de cassation impose l'assistance des témoins depuis la dictée du testament jusqu'à la clôture de l'acte : Cass. civ. 1, 9 octobre 1962, n° 60-13.992 (N° Lexbase : A9979DYA), Gaz. Pal. 1962, II., p. 299 : en l'espèce, les témoins n'avaient été amenés dans la chambre du disposant qu'au moment de la lecture d'un texte préétabli. V. également : Cass. civ. 1, 23 juillet 1979, n° 78-10220, Epoux May c/ Consorts Daguin, publié (N° Lexbase : A7277CID), JCP éd. N, 1980, n° 7631.
(2) Rien ne semble empêcher, toutefois, les héritiers du testateur de confirmer le testament irrégulier sous la forme d'une exécution volontaire : M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d'ascendants, Litec, 2000, p. 269, n° 1356.
(3) Antérieurement à la loi du 8 décembre 1950, le testament par acte public devait être reçu soit par deux notaires assistés de deux témoins, soit par un notaire assisté de quatre témoins.
(4) 72ème Congrès des Notaires de France, La dévolution successorale, Deauville, 1975, p. 515.
(5) V., encore récemment : Cass. civ. 1, 4 juin 2007, 2 arrêts, n° 05-21.189, Mme Paulette Ferrand, F-P+B (N° Lexbase : A7785DWA) et n° 06-12.765, Mme Marie Lopez, épouse Clanet, F-P+B (N° Lexbase : A7801DWT), Dr. fam. juillet-août 2007, comm. n° 152, note B. Beignier.
(6) Cass. req., 12 août 1834, D. 1835, I., p. 436 : la Cour prononça la nullité du testament qui n'avait pas été dicté mais écrit par le notaire conformément à la volonté clairement exprimée de la testatrice. V. également : Cass. civ., 27 avril 1857, S. 1857, I., p. 122.
(7) M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d'ascendants, préc., p. 265, n° 1354. Il en résulte que le testament authentique est impossible à la personne muette qui ne peut dicter : Cass. req., 3 avril 1900, DP. 1900, I., p. 259. En revanche, une personne non-voyante peut établir un testament authentique : Cass. civ. 1, 6 mai 1957, RTDciv. 1957, p.565, note R. Savatier. S'agissant, enfin, de la personne malentendante, la jurisprudence l'autorise à tester par acte public à condition que la lecture du testament par le notaire soit complétée d'une lecture par le testateur lui-même : Cass. civ. 1, 14 février 1872, D. 1872, I., p.457.
(8) Cass. civ. 1, 22 mai 1973, n° 72-11236, Consorts Piriou c/ Dame Marchand et autres, publié (N° Lexbase : A5569CI4), JCP éd. N, 1974, n° 5765.
(9) Cass. civ. 1, 6 juin 1990, n° 88-19.686, M. Robert Gelhay c/ M. Jean-Pierre Gelhay (N° Lexbase : A4010AHY), Defrénois 1990, art. 34951, note X. Savatier.
(10) J.-F. Montredon, J.-Cl. Code civil, art. 971 à 998, Fasc. 20, n° 77.
(11) Cass. civ., 19 mars 1861, S. 1861, 1, p. 760 ; Cass. req., 7 janvier 1890, D.P. 1891, 1, p. 438 ; Cass. civ. 1, 28 juin 1961, n° 59-12.077 (N° Lexbase : A0995DZU), Bull. civ. I, n° 353 : "Il est en effet possible au notaire rédacteur du testament authentique de poser certaines questions ou de donner certaines précisions au disposant, pourvu que sa rédaction corresponde exactement à la volonté exprimée oralement du testateur".
(12) J.-F. Montredon, J.-Cl. Code civil, préc., n° 78.
(13) Si le testateur ne sait ou ne peut signer, il doit le déclarer. Sa déclaration et la cause de son empêchement à signer doivent expressément être mentionnées dans l'acte (C. civ., art. 973 N° Lexbase : L0129HPH). V. sur ce sujet : Cass. civ. 1, 4 juin 2007, 1er arrêt, préc. : en l'espèce, un testament avait été reçu par un notaire et le testateur très diminué physiquement n'avait pas pu le signer. Le notaire s'était contenté d'indiquer dans l'acte qu'après lecture, "le testateur, sur ce requis, n'a pu signer en raison de sa faiblesse". La Cour de cassation cassa l'arrêt de la cour d'appel au motif qu'un tel testament devait être annulé en l'absence de la déclaration qu'exige la loi.
(14) Cass. civ. 1, 10 mai 2007, n° 05-14.366, Mme Marie-Jeanne Sauviat, veuve Garon, FS-P+B (N° Lexbase : A1079DWU), Dr. fam. 2007, comm. n° 131, note B. Beignier ; et les obs. de David Bakouche, Successions : de la validité du testament olographe non daté, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3663BBB).
(15) 72ème Congrès des Notaires de France, La dévolution successorale, préc., p. 519 : "Le notaire serait ainsi chargé de rédiger lui-même le testament, sur les instructions précises du disposant, sans que ce dernier soit obligatoirement présent et sans qu'il soit fait mention que le testament a été manuscrit ou dactylographié de la main du notaire lui-même ou d'une secrétaire. L'acte ainsi rédigé serait lu, soumis à l'approbation du testateur qui le signerait hors la présence des témoins. A la suite, les deux témoins instrumentaires seraient simplement requis de constater que telle personne a consigné ses dispositions à cause de mort".

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